Chapitre 15 ~ Dawn


Alors qu'adossée contre le comptoir, je discutais avec Abby, une infirmière d'une trentaine d'années, mon portable vibra à côté de moi. Je l'avais sorti de mes affaires le temps de ma pause, et le nom de Hailey s'affichait à l'écran.

« Désolée Abby, je vais prendre ça. » m'excusai-je.

Elle me sourit avec bienveillance et j'attrapai mon téléphone pour le coller à mon oreille en m'éloignant de quelques pas.

« Allô?

- Oui! Pour une fois, tu décroches!

- Pour une fois, tu as retenu mes horaires de pause! ricanai-je en levant les yeux au ciel même si elle ne pouvait pas le voir.

- Tais-toi et laisse moi parler. » grogna-t-elle à l'autre bout du fil.

Je m'adossai au mur dans un couloir plus calme, suivant des yeux les rares personnes qui y déambulaient. Même si je ne me sentais pas bien, entendre l'entrain habituel de Hailey à l'autre bout du fil me faisait du bien. Si je fermais les yeux et faisais le vide dans ma tête, je pouvais presque retourner des années en arrière, quand tout allait bien.

« Je t'écoute.

- Bien. T'es libre ce soir?

- Euh... oui, je finis mon service à vingt-et-une heures

- Parfait. »

Même si je ne la voyais pas, je perçus dans sa voix son sourire à l'autre bout du fil.

« On sort en boîte, ma belle. »

Je levai les yeux au ciel. Cela faisait des mois que je n'étais pas allée en discothèque. Pour être tout à fait honnête, cela ne me manquait pas vraiment. Même si j'appréciais passer du temps en compagnie de mes amis, cela ne m'avait jamais vraiment plu. Et en ce moment, j'avais encore moins la tête à cela, ni même a m'amuser tout court. Hailey en revanche, c'était une autre paire de manches. De plus, je dormais toujours mal, de plus en plus mal même, depuis deux jours, et j'étais exténuée. Mais ça, je ne le dirais pas à la chanteuse.

« Tu es au courant que je reprends mon service tôt le matin?

- Oh, aller Dawn! On ne te voit presque plus, ça fait des années que tu n'as pas fait un peu la fête.

- N'exagère pas. » grognai-je devant son entrain.

Mon amie marqua une longue pause, et, lorsqu'elle reprit la parole, sa voix était plus douce et calme.

« Tu en as besoin, Dawn. Il faut que tu penses à autre chose. Surtout maintenant. Même si c'est compliqué. »

Je l'avais appelée en rentrant chez moi après avoir su ma mère tirée d'affaire lorsqu'elle était sortie du bloc opératoire, soit il y a deux jours. J'avais passé un coup de fil à ton mon entourage, à vrai dire. Ce n'était pas vraiment difficile, étant donné à quel point il était restreint. J'avais longtemps pleuré au téléphone, mais avait refusé lorsque Hailey avait proposé de passer chez moi. Je n'avais pas envie que quiconque me voie dans cet état. Pas même mes meilleurs amis.

« Tu peux inviter Sam. Si tu veux.»

La voix de Hailey dans le combiné me tirant de mes pensées, je ne retins pas un ricanement. La blonde avait eu un faible pour le brancardier dès la première fois que je le leur avais présenté. Comme s'il avait suivi le cours de la conversation, il tourna d'ailleurs au détour du couloir.

« Sam! l'interpellai-je.

- Oui, Sam... confirma Hailey dans le combiné, perdue. Tu sais, le grand métisse musclé et beau gosse? »

Je lâchai un petit rire alors que ledit grand-métisse-musclé-et-beau-gosse se dirigeait vers moi, et il fronça les sourcils, surpris.

« Tu travailles ce soir?

- Je crois pas.

- Et ça te dit de sortir en boîte? »

Ses sourcils se froncèrent encore plus. Il savait que ce n'était pas vraiment ma tasse de thé. Je couvris donc le micro de mon portable d'une main et précisai l'invitation.

« C'est Hailey qui propose.

- Oh. »

Si sa peau n'avait pas été si foncée naturellement, j'aurais pu jurer qu'il avait rougi. Il finit par hocher doucement la tête en se grattant la nuque, et tourna les talons.

« Bon, c'est d'accord, on vient.

- Parfait! On vous rejoint à l'hôpital à vingt-et-une heures pétantes! Bisous ma belle! elle marqua une pause, et je sus immédiatement que la suite n'allait pas me plaire. Et, Dawn... Comment va ta mère? »

Mon sang se glaça dans mes veines, et je me mordillai instinctivement la lèvre. La faible impression que tout allait bien que m'avait procuré la voix enjouée de Hailey avait été de courte durée, et l'atterrissage était rude. Ma mère ne s'était pas encore réveillée après avoir été opérée avant-hier soir. D'après les médecins auxquels j'avais demandé des nouvelles, son état était stable, et elle était tirée d'affaire. Pour la deuxième fois. Toutefois, je n'avais pas encore eu le courage d'aller la voir. Je savais qu'en la voyant dans un lit d'hôpital, les souvenirs afflueraient dans ma tête, et que je serais tétanisée. Je savais que je devais y aller. Mais je ne pouvais pas. Parce que tout me reviendrait en tête. Des images atroces. Des cris. Cette impression de, pour la première fois, bien faire, alors que finalement, j'avais tout fait foiré.

Alors que je baissai les paupières une seconde, des images défilèrent dans ma tête sans que je puisse les retenir. Kathleen, qui m'appelait d'une voix paniquée, en me disant que maman était enfermée dans sa chambre depuis trop longtemps, qu'elle ne répondait pas. Moi qui tambourinait à sa porte. Cette dernière qui finissait par céder. Et ma mère, étendue par terre, les yeux révulsés, effroyablement immobile. La boîte de comprimés vides près de sa main.

Lorsque je remarquai ma respiration sifflante, j'ouvris les yeux brusquement avant de battre des paupières frénétiquement pour chasser les images qui envahissaient mon esprit. J'inspirai un grand coup et m'adossai au mur du couloir pour laisser passer trois infirmières.

« Bien. Elle va bien.

- Cool. soupira-t-elle avec soulagement. Elle s'est réveillée?

- N... Non. »

Elle ne répondit pas, et je ne repris pas la parole non plus. Pourtant, aucune de nous ne raccrocha pendant un long moment. Nous restâmes simplement silencieuses, écoutant la respiration de l'autre dans le combiné.

« Je... je dois y aller Hailey. On se reparle plus tard. »

Avant même qu'elle n'aie eu le temps de répondre, je raccrochai. Mon portable vibra à nouveau, mais je n'y prêtai pas attention et allai le ranger dans mon sac pour reprendre mon service. Posant une main sur mon front dans l'espoir que cela en chasse les maux de tête, je fermai les yeux et poussai un soupir. Depuis deux jours, mes cauchemars avaient redoublé d'intensité. Pour être honnête, je n'avais pas trouvé le sommeil la nuit dernière, j'avais fait en sorte de ne pas fermer l'œil. La peur que mes tourments me tombent dessus sitôt mes paupières closes était plus forte que la fatigue. La fatigue et l'angoisse. C'était les seules choses qui m'étreignaient le cœur, comprimaient ma cage thoracique avec bien trop de force, tellement que j'avais cru à plusieurs reprises qu'elle allait voler en éclat. En dehors de cela, je me sentais simplement vide. Je ne m'étais pas effondrée en pleurs en passant le seuil de mon appartement comme je le faisait souvent. Les sanglots n'avaient pas secoué mes épaules jusqu'à ce que l'épuisement m'emporte. A vrai dire, au moment où j'avais raccroché cette nuit là, après avoir laissé un dernier message vocal à Kathleen, mes larmes s'étaient déjà taries. Depuis, je n'en avais pas versé une seule. Parce je n'étais même pas vraiment triste, ni en colère. Juste vide. Parce qu'après une longue réflexion pendant mes heures d'insomnie, j'en avais conclu que c'était plus simple ainsi.

Depuis longtemps, mes émotions avaient menacé de causer ma perte. Après tout, n'était-ce pas ce qui avait conduit ma mère à en arriver là? Bien sûr, ce ne serait que temporaire. Je devais me concentrer sur le positif. Et si pour l'instant, je peinais à le trouver, il finirait par refaire surface. Et à ce moment là, tout irait mieux. Non? Mais pour le moment, pour respecter cette nouvelle résolution, je ne pouvais pas me résoudre à poser les pieds dans la chambre de ma mère. J'étais faible, oui. Mais l'admettre ne changerait pas ce fait. Je me cachais derrière l'espoir que dans quelques jours, la Dawn forte et déterminée que je pouvais être allait refaire surface. Que j'arriverais à ne pas craquer devant elle. Mais je savais que c'était faux. Parce que je n'étais pas forte. Je n'arrivais plus à l'être.

Abby m'adressa un sourire depuis la machine à café lorsque je passai devant elle, et je le lui rendis, forçant tant bien que mal mes lèvres à s'étirer. Personne ne devait s'inquiéter pour moi. Je savais que chasser toutes les émotions était la meilleure chose à faire pour me préserver, mais je savais aussi qu'ils ne seraient pas d'accord avec moi.

En me dirigeant machinalement vers la chambre d'une patiente en cours de rétablissement d'un pneumothorax dont je devais vérifier l'intraveineuse, je passai devant la bibliothèque, et ce que j'y vis me stoppa net. La surprise balaya toutes les pensées négatives que je peinais à chasser et je m'approchai de la porte pour rester immobile  dans l'embrasure et les observer, incrédule. Dusk était étendu sur un pouf, et une petite fille, la même que la dernière fois me semblait-il, était allongée à coté de lui. Il tenait un album pour enfants à bout de bras et semblait lui montrer une image tout en lui expliquant quelque chose, la petite hochant vigoureusement la tête de temps à autres. Je m'appuyai contre l'encadrement de la porte et croisai mes bras sous ma poitrine sans lâcher des yeux ce duo des plus improbables, alors qu'un sourire sincère, le premier de la journée sans aucun doute, naissait peu à peu sur mon visage.

Je ne les quittai pas des yeux pendant de longues minutes sans pour autant me manifester, émerveillée par cette facette de Dusk dont je n'aurais jamais soupçonné l'existence. Pour la première fois me semblait-il, je voyais les traits de son visage se détendre et, lorsque la petite fille au crâne rasé lui montra à son tour une image sur la page du livre, ses yeux bleus d'ordinaire si glaciaux et méprisants se firent bienveillant alors qu'il riait légèrement avec elle. Cependant, il dut finir par se sentir observé puisqu'il leva la tête. Dès que son regard croisa le mien, il se redressa immédiatement et reprit cet air impassible qui lui ressemblait plus. Ou que je croyais lui ressembler du moins. Prenant conscience que je les scrutais du regard depuis dix bonnes minutes, je toussotai, gênée, et m'apprêtai à partir.

Cependant, c'était sans compter sur l'enfant qui, malgré ses joues creusées et son teint cireux, m'adressa le sourire le plus lumineux qui m'avait été donné de voir depuis longtemps en me faisant signe de les rejoindre.

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