09. Sourire crépusculaire





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Chapitre neuf






« Il avait en lui le courage d'un homme qui pouvait surmonter les tempêtes, braver les orages et gravir les montagnes malgré la férocité de la vie.

Il suffisait de garder espoir et d'offrir des sourires.

Parce que parfois, les miracles existent. »














Dans les quartiers populaires de la capitale parisienne, il y avait des tonnes et des tonnes d'immeubles ― plus communément appelés HLM ― qui contrastaient sans peine avec les quartiers chics de Paris, de l'autre côté des banlieues. Peu de gens aimaient ces habitations de bétons, la plupart vivaient ici par contrainte et non par choix, les salaires ne suivant pas forcément les tendances de l'inflation pour se permettre de vivre ailleurs, dans un endroit meilleur.

Mais au moins, là-bas, les gens étaient authentiques, sincères et surtout, solidaires.

Taehyung faisait partie de ces personnes-là et il habitait également dans un de ces immeubles, le bâtiment K, pour être plus précis. Il possédait un appartement au dernier étage sous les combles qui, certes, n'était pas bien grand, mais qui était au moins pourvu d'une ambiance chaleureuse et réconfortante. Sûrement en raison de sa décoration plutôt soft, cocooning et minimaliste, aux tons épurés qui se mariaient à la perfection avec la personnalité du professeur des écoles.

Une sonnerie retentit.

Le bruit des vagues et le chant des mouettes n'étaient toujours pas une bonne idée.

Les pupilles légèrement bleutées du grisé s'ouvrirent sur le réveil aux grosses lettres rouges : sept heures du matin. Il soupira.

Il n'avait aucune envie de se lever de son lit et de quitter ses draps de coton, encore moins pour assister à une réunion en ce samedi matin frileux d'une fin de novembre bien marquée.

La nuit dehors était encore beaucoup trop sombre, bien trop noire. Il était encore très ― trop ― tôt et Taehyung soupira pour la seconde fois. Il était vraiment fatigué et ne ressentait pas la moindre motivation pour se rendre à l'école. Mais, il était obligé d'y aller parce que la réunion restait tout de même importante et surtout parce qu'il devait demander un service au directeur.

Alors, le cher professeur, adoré et adulé de tous finit par se lever, faisant craquer ses articulations et étirer les muscles encore endormis de son corps avant de prendre la direction de la salle de bains, située à droite de sa chambre. Il resta quelques secondes debout au milieu de son couloir sombre dû à un manque évident de luminosité et fixa un peu trop intensément la porte en bois blanc, face à la sienne.

Des secondes s'écoulèrent.

Puis, des minutes.

Avant que son esprit ne se reconnecte à la réalité, ses jambes prenant enfin la direction de la salle de bains afin de se laver. Il était resté peut-être bien une heure entière dans la petite pièce, bloqué dans ses réflexions, prisonnier de ses pensées contradictoires et désorganisées. Tout s'entrechoquait à l'intérieur de sa matière grise. C'était à la fois moitié vide et à moitié plein, mais surtout très flou. Beaucoup trop flou. Brouillé. Et pour mettre fin au vacarme infernal de toutes ces spéculations envahissantes, il coupa l'eau de la douche comme si par cette simple action, il éteignait également son esprit. Tout ce flot tumultueux s'évapora ainsi dans les airs, accompagnant la vapeur brumeuse qui envahissait la pièce.

Et après ce qui sembla être une éternité, Taehyung sortit enfin de la salle de bains.

Il longea le couloir et s'approcha de la cuisine. Comme à son habitude, il partit ouvrir l'unique fenêtre de la pièce afin de laisser entrer un peu d'air frais. À l'extérieur, bien qu'il était toujours et encore relativement tôt, les oiseaux s'égosillaient en rythme avec le soleil levant de l'aurore et ses couleurs rosées.

Au sein du petit appartement, il n'y avait presque pas de bruits, hormis ceux des ustensiles que le grisé utilisait pour préparer son petit-déjeuner. Tout était calme et apaisé, les traces de vie habituelles étant encore endormies.

Pourtant, il y avait bel et bien de la vie dans cet appartement. Plus que d'habitude.

La préparation de ses pancakes étant terminée, il attrapa d'un geste habile une tasse blanche dans un des placards en hauteur et mit la bouilloire à chauffer. Le temps que l'eau atteigne la bonne température, il vint mettre un sachet de thé vert dans la tasse et déposa sur l'îlot central son assiette préalablement remplie de pancakes et de fruits. La bouilloire siffla, elle était prête. L'eau chaude se déversa aisément dans le réceptacle de porcelaine. Il but doucement sa boisson, gorgée par gorgée, mangeant doucement son petit-déjeuner, bouchée par bouchée, tout en laissant son regard divaguer à travers la petite pièce. Contemplant les murs blancs et vides de sa cuisine, en tête à tête avec l'inlassable tic-tac de l'horloge et de ses aiguilles noires. Le son l'agaçait, mais il ne fit rien, se contentant de soupirer. Soupirer pour cette matinée fatigante, pour sa future réunion barbante. Il n'avait vraiment aucune motivation à quitter son cocon en ce samedi matin déprimant.

Il zieuta une énième fois les affreuses aiguilles du temps.

Huit heures et demie, c'était pour lui l'heure de partir.

D'un mouvement rapide, il nettoya sa tasse, son assiette et ses couverts, avant de les laisser s'égoutter sur le côté. Dans une démarche ni trop rapide ni trop lente, il se dirigea de nouveau vers sa salle de bains, se lava les dents, sortit de la pièce et, une fois dans l'entrée, attrapa son long manteau noir et sa mallette de professeur. Il s'éclipsa ensuite de l'appartement sur la pointe des pieds afin de ne pas faire trop de bruits et referma à clé derrière lui. À une allure rapide ― pratiquement celle de la vitesse de la lumière, dans un rêve lointain ―, il dégringola les étages de son immeuble et arriva rapidement au rez-de-chaussée, prêt à s'engouffrer dans la marée humaine pressée.

Tandis qu'il marchait en direction de son lieu de travail, le ciel se mouvait, l'aube prenait la place de son amie l'aurore, petit à petit. Un changement de couleur qui était presque imperceptible aux yeux des citadins et, pourtant, il y avait bel et bien un bout de jour dans la nuit, des couleurs plus chaudes dans le froid automnal. Des changements lumineux qui se croisaient, s'interceptaient, se mélangeaient. Et au moment où le ciel s'ouvrit enfin pour engloutir la nuit, les silhouettes autrefois obscures se transformèrent en lumières, déterminées à conquérir la Terre.

Et toute cette mobilité était jolie à voir, le spectacle était beau à regarder.

Au bout d'une énième rue pleine d'arbres, avec peu de circulation de ce côté-ci, Taehyung entra tête la première dans un bâtiment à l'aspect un peu ancien, à première vue. Les murs défraîchis par le temps méritaient grandement une mise à neuf, tout comme les salles de classe. Malheureusement, l'école dépendait de la mairie et attendait toujours une réponse à leurs nombreux mails et coups de téléphone... Abandonnés à leurs propres sorts, délaissés par les plus aisés.

Le grisé s'avança jusqu'à la salle de réunion qui se situait au premier étage du bâtiment principal, soit celui des maternelles. Quelques-uns de ses collègues étaient déjà là, discutant de tout et de rien, un gobelet en plastique de café à la main venant sûrement de la vieille machine en salle des professeurs qui aurait déjà dû rendre l'âme depuis des années.

― Bonjour, Taehyung.

― Bonjour à toi aussi, Ji-soo.

La jolie noiraude lui offrit un sourire, un de ceux qui auraient pu faire craquer n'importe quel homme de cette école, mais pas Taehyung. Ce dernier connaissait les sentiments de mademoiselle Kim envers lui, et ce, depuis déjà une longue année, si ce n'est plus. Malheureusement, il ne pouvait pas lui rendre ses sentiments. Pas de ce genre-là en tout cas, pas de ceux qu'elle attendait désespérément. Tout simplement parce qu'il avait une préférence pour les hommes. Surtout les châtains, un brin plus jeune que lui, écrivant des livres et un poil timide, malgré un bon répondant de temps en temps. Cependant, Taehyung espérait et souhaitait sincèrement que sa collègue puisse trouver un jour une personne qui lui corresponde et qui l'aimerait comme elle méritait d'être aimée.

Une trentaine de minutes passèrent. Tandis que tout le monde arrivait petit à petit, prenant place autour d'une immense table au centre de la salle qui formait une sorte de U typique aux salles de réunion, Taehyung, lui, patientait tranquillement en discutant avec un Jimin surexcité, comme à son habitude. Le directeur Kim Seokjin entra à son tour, saluant ses collègues et commença son éternel discours d'excuses et de remerciements pour les avoir convoqués un jour de week-end.

De nombreux sujets avaient été évoqués tout au long de la réunion, notamment celui des élèves les plus en difficultés, des aides apportées, de premières évaluations de fin de trimestre qui n'allaient pas tarder à arriver et, enfin, la sortie scolaire prévue en fin d'année avec la destination et le budget à prévoir. Rien de bien intéressant pour le grisé qui s'était vite replongé dans ses pensées, ne voyant pas le temps passer, ni même la journée.

Ce fut seulement à la fin de l'après-midi, qu'il se fit rapporter sur Terre :

― Taehyung, tu m'écoutes ?

Silence.

― Tout va bien ? interrogea Seokjin sur un ton démontrant toutes ses inquiétudes, soumis à ses questionnements internes.

Clignement des yeux. Reconnexion à la réalité. Hochement de tête.

― Oui, ça va. Ne t'en fais pas, Jin.

Kim Seokjin était, bien sûr, le directeur de l'école dans laquelle Taehyung travaillait, mais avant cela, il était son ami d'enfance. Ou plutôt, son ami depuis l'adolescence. Le grisé venait d'entrer en sixième lorsqu'il avait rencontré Jin, qui lui entrait alors en troisième, cette année-là. Nouvelle sur le palier du troisième étage, la famille de Taehyung avait débarqué un beau matin, venue directement de Corée. Le petit garçon de dix années s'était trouvé complètement perdu face à cette nouvelle vie qui l'attendait dans un autre pays et c'était naturellement que l'aîné avait rapidement pris le plus jeune sous son aile, formant ainsi une solide amitié qui durait depuis des années.

Le grisé tenta un maigre sourire, dans l'optique de rassurer son ami, suspicieux face à sa réponse.

Finalement, le directeur continua de donner les dernières instructions à son assemblée, tandis que Taehyung, lui, n'en écoutait pas un mot. En réalité, cela faisait plusieurs heures qu'il n'écoutait plus rien de cette réunion interminable, faisant fi des regards préoccupés de Jimin qui se posaient sur sa personne de temps à autre.

De toute façon, comment pouvait-il convenablement écouter les discussions lorsque ses préoccupations principales étaient dirigées que vers une seule et même personne ?

Jeon Jeongguk.

Son magnifique châtain aux allures éthérées et à la beauté séraphique.

Cependant, ses pensées étaient davantage orientées vers leur discussion de la veille, celle où l'amour de sa vie lui avait demandé de l'aide. Et à ce souvenir, une vive colère monta en flèche dans sa poitrine. Elle grondait de manière sourde au sein de son corps, comme une sorte de tempête prête à tout ravager. Le sang lui montait petit à petit à la tête, accélérant sa pression sanguine et les battements de son cœur. Il la sentit, cette envie meurtrière, vengeresse, qui prenait forme et grouillait dans son estomac.

Qui pourrait le blâmer de vouloir venger son bien aimé ? Personne.

Pourtant, il devait se calmer et rapidement, car ce n'est pas cela qui allait aider Jeongguk, bien au contraire. Cela ne lui apporterait que davantage de problèmes. Et Taehyung ne souhaitait pas en devenir un pour lui.

Il ferma les yeux quelques instants et prit de grandes inspirations pour apaiser son esprit torturé.

Revenant enfin sur Terre et voyant que la réunion s'était enfin terminée, la plupart de ses collègues étaant même déjà sortis de la salle, il tourna la tête en direction de Seokjin. Ce dernier le regarda à son tour, surpris que Taehyung soit toujours là.

Le directeur haussa un sourcil, invitant son cadet à prendre la parole.

― Parle donc, Tae. Je vois bien qu'il y a quelque chose qui te turlupine.

Le professeur ancra ses pupilles grises aux reflets bleutés dans celles chocolat face à lui.

― Est-ce qu'il serait possible de me faire remplacer la semaine prochaine ? Je sais que je m'y prends tard, mais j'ai vraiment besoin que tu m'accordes ces jours.

― Oui, bien sûr. Mais... rien de grave au moins ?

― Ne t'en fais pas Hyung, juste quelques affaires personnelles à régler, le rassura-t-il.

― D'accord.

Hochement de tête. Échange de regards bienveillants.

― J'appellerai Eunwoo pour te remplacer, ses compétences sont remarquables et il connaît déjà tes élèves.

― Cela me semble parfait. Je te remercie.

Bien que Seokjin hocha de nouveau la tête, il n'en restait toujours pas moins inquiet pour son ami d'enfance. Il espérait de tout son être que ces problèmes ne soient pas quelque chose de grave.

Il souffla et observa Taehyung quitter la salle.




☆★☆




Durant sa montée dans les escaliers de son immeuble, ses pensées s'embrouillaient encore. Elles arrivaient par groupe et affluaient toujours plus au fur et à mesure qu'il s'approchait de son étage.

Ses angoisses aussi étaient là.

Elles persistaient dans son esprit, dans son corps, se terraient au plus profond de ses entrailles. Tout comme sa rage.

Oh oui, il était furieux.

Furieux contre l'immondice que représentait la personne qu'était Kim Namjoon, le bourreau de l'homme qu'il aimait et qu'il souhaitait à tout prix protéger. Toute cette situation semblait avoir éveillé en lui des sentiments colériques qu'il avait du mal à contenir.

Une fois sur son palier, il souffla un bon coup, régulant son souffle après avoir grimpé six étages, sans ascenseur. Il dégagea d'un mouvement sec de la tête ses mèches grises qui lui collaient au front. De sa dextre, il extirpa son trousseau de clés de la poche de son manteau noir puis ouvrit sa porte d'entrée, avant de s'engouffrer tête la première au sein de la douce lumière orangée ; celle du crépuscule qui aspergeait l'appartement de sa beauté. Une clarté harmonieuse dans de jolies couleurs chaudes aux tons abricot.

Face à lui, le regard rivé sur la pièce à vivre, il observait cette pénombre prendre place et se diffuser lentement, traversant la baie vitrée de ses derniers rayons de la journée pour venir inonder la salle de lumière.

Pour venir l'inonder, lui, de lumière.

Son cœur loupa un battement face à la sublime vision qui s'offrait à lui. C'était comme contempler une œuvre d'art, passer dans une galerie et s'arrêter devant un tableau magnifique qui avait su retenir notre attention.

Et aujourd'hui, le tableau portait le nom de Jeongguk.

Sa chevelure chocolat baignait dans la douceur du soleil couchant. C'était comme le flamboiement d'un feu ardent, comme l'embrasement de la vie. Le châtain paraissait tellement vivant, à cet instant-ci. Et ce, malgré ses iris perdus qui contemplaient le ciel en train de se dégrader et se consumer petit à petit, au bout de la rue. Il était tellement beau, là, assis sur le canapé, observant les formes géométriques que prenaient les nuages. Il avait, certes, le corps encore dominé de bleus, amaigri et fatigué, avec un bagage émotionnel assez douloureux à transporter mais, au moins, il pouvait de nouveau vivre, respirer et profiter de sa liberté.

Parce que son miracle était enfin arrivé.

Un beau miracle, séduisant et alléchant.

Taehyung s'avança lentement dans la pièce et attira le regard de l'écrivain sur lui. Ce dernier en retour lui offrit un doux sourire. Le genre de sourire radieux qui surmontait les tempêtes, bravait les orages et gravissait les montagnes. Un sourire lumineux qui chassait les ombres et réchauffait les cœurs de glace. Un sourire qui permettait d'oublier l'existence et les soucis.

Et lorsque leurs mains se rejoignirent dans une douce étreinte, un nouvel embrasement naquit au creux de leurs paumes.

Ainsi que dans leurs âmes.

Puis, à l'extérieur, la nuit s'était enfin mise à tomber, engloutissant le jour.




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Petit changement de cover, j'espère qu'elle vous plaira autant qu'à moi ! ミ★

À bientôt ♡︎

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