07. Torture du cœur
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Chapitre sept
« Je peindrais les draps avec l'encre rouge de ton cœur, ou celle qui persiste au coin de tes lèvres. »
C'était l'aurore, dehors, et ses magnifiques couleurs aquarelles peignaient le ciel. Cela avait quelque chose de mirifique, un peu onirique, voire idyllique.
C'était une lumière un peu plus douce que la nuit, un peu moins lumineuse que le jour. Et dans sa grande générosité, elle se laissait contempler sans contrepartie. Puissante, brillante et rosée, elle dominait l'entièreté de la salle, et c'était toujours aussi beau à admirer.
Cela en faisait, des journées répétitives...
Il n'y avait plus beaucoup de bleu sur le corps de Jeongguk, ni même de violet, seulement du noir. Un noir sombre et dégradant. Un noir honteux et humiliant. Sur un épiderme meurtri. Assassiné. Un véritable corps saccagé. Estropié. Un corps masculin abîmé. Une œuvre qui n'était toujours pas très esthétique. Ni très jolie.
Trois jours...
Jeongguk n'était pas comme l'aurore.
Ni même comme l'univers.
Il était seulement devenu un trou noir, un néant cosmique.
Mais aussi trois nuits...
Le temps, à l'extérieur, continuait de s'échapper un peu plus.
La nuit et le jour, le jour et la nuit, tous les cycles se chevauchaient à une lenteur abominable, presque cruelle. Ils ne méritaient aucun remerciement pour la prolongation de ce cauchemar. Entre la vie et la mort, Jeongguk souffrait. Il se sentait seul, abandonné, rejeté par son fiancé. Mais à la fois libéré, de pouvoir pleurer sans se faire battre.
... Que son supplice avait duré.
Trois putains de jours, trois putains de nuits. Autrement dit, une éternité.
Les bruits derrière les portes en verre de l'autre côté de l'accueil formaient un chaos sans nom. Une cacophonie désagréable pour les oreilles.
Les effluves de la mort, du deuil et de la maladie résonnaient en masse contre les murs blancs. Les infirmières et les médecins couraient dans tous les sens.
Normal, c'était les urgences.
Des personnes attendaient, assises, tandis que d'autres se retrouvaient debout par manque de sièges et d'espace. Ils étaient trop nombreux. Certains étaient blessés, que ce soit faiblement ou beaucoup plus gravement, tandis que d'autres étaient peut-être même déjà décédés. Un peu comme Jeongguk, à l'intérieur.
On pouvait entendre le personnel qualifié hurler des ordres dans les couloirs. Tout le monde se bousculait pour obéir le plus vite possible. Après tout, de nombreuses vies étaient en jeu.
De sa place, debout contre le mur face à l'accueil, le romancier observait toute cette fourmilière. Il entendait les appareils biper férocement, luttant contre les cœurs affolés. Autour de lui, il y avait tellement de pleurs, tellement de cris. Tellement de sanglots, de détresse et de geignements. C'était triste. Affreusement triste. Et l'horrible lumière artificielle des luminaires gris au plafond crachait sa pâleur sur les visages des patients, contrastant avec l'aurore douce de ce début de journée.
Soudain, une infirmière passa devant lui et demanda d'approcher l'accueil :
― Nom, prénom et âge.
― Jeon Jeongguk, vingt-trois ans.
― Raison de votre venue ?
Il souffla, peu enclin à dire la vérité, honteux de révéler le vrai motif. Cependant, il avait bien trop mal pour ne rien dire du tout. Alors, il décida de simplement contourner une partie de la vérité :
― Des douleurs à l'estomac et aux côtes.
Voilà, ce n'était pas réellement un mensonge.
― Êtes-vous déjà enregistré chez nous ?
― Oui.
― Bien, à quand remonte votre dernière visite ?
― Un mois, environ.
Hochement de tête. Bruits sur le clavier.
― Très bien, je vous laisse patienter le temps qu'une infirmière vienne vous chercher afin de vous prendre en charge.
― Merci, murmura-t-il.
Le joli châtain – bien que défiguré – partit tranquillement s'asseoir en salle d'attente.
La pièce était très grande, immense, mais pas très lumineuse. Quelques décorations qui ne payaient pas de mine ornaient le mur de droite, tandis qu'à gauche, se trouvaient trois petites plantes. Au centre, une imposante table en plastique avec des tonnes de magazines sur le dessus et tout autour, des sièges pour les patients en attente.
Il était encore très tôt ce matin, quand le jeune homme s'était rendu aux urgences de l'hôpital du coin. Quelques zones de son corps amoché le faisaient souffrir le martyre. La vraie souffrance.
Comme si la géhenne s'était abattue sur son âme, son cœur et son épiderme.
L'aurore se dissipait petit à petit, les rayons rosés traversant difficilement la fenêtre de la salle d'attente. Le jour se levait. Au loin le changement de couleur était presque imperceptible.
Une quarantaine de minutes plus tard, une jeune infirmière aux traits eurasiens l'appela et lui demanda de venir avec elle. Jeongguk se leva et la suivit au travers d'un dédale infini de couloirs qui les menèrent jusqu'à un petit bureau de consultation privée.
Docteur Seo Chang-bin était écrit sur une gravure dorée au centre de la porte.
L'homme d'une quarantaine d'années l'invita à prendre place sur la table protégée par du papier absorbant. Le châtain s'allongea , attendant nerveusement la suite.
Le plus âgé commença à l'ausculter avec un regard à la fois éteint et triste lorsqu'il fit le rapprochement dans son esprit.
― D'où proviennent vos blessures ?
Jeongguk déglutit.
― U-Une chute da-dans les escaliers.
Le médecin fronça les sourcils, peu convaincu.
― Vous avez indiqué des douleurs à l'estomac et aux côtes... or, d'après de ce que je constate, vos blessures s'étendent bien au-delà de ça.
Il n'obtint aucune réponse de la part du châtain.
Dans un léger soupir, il reprit :
― Monsieur Jeon, je suis désolé pour mon côté direct, mais je me dois de vous poser la question. Êtes-vous en danger ? l'interrogea Seo Chang-bin, ancrant ses iris sérieux dans ceux tourmentés du jeune homme.
Et alors qu'il s'apprêtait à répondre, un souvenir fit surface dans sa conscience.
« N'oublie pas ce qui arrivera Jeongguk, si tu ouvres un peu trop ta bouche. Tu ne voudrais pas que je me fâche, hm ? Sois un gentil garçon, alors. »
― Non, ne vous inquiétez pas.
Le quarantenaire, suspicieux, ne pouvait pas lui faire avouer. Il se retrouva faible face à la situation, il ne pouvait rien faire contre la volonté de son patient. Alors tout ce qu'il put lui offrir fut un sourire sincère et encourageant, ainsi qu'un dépliant avec le numéro de plusieurs centres d'aides, de foyers ou d'organisations prêts à l'accueillir, à répondre à ses questions ou à lui offrir une nouvelle vie si Jeongguk venait à changer d'avis.
Durant plusieurs minutes, il continua à lui poser toutes sortes de questions auxquelles, par moments, Jeongguk ne prit même pas la peine de répondre ou alors en restant très évasif.
Le romancier n'aimait pas cette partie de la consultation.
Cette partie où il avait chaque fois droit aux mêmes questions, aux mêmes regards, à la même compassion. Il préférait éviter ce moment qui le poussait éternellement à remettre en question sur ses choix de vie, sur ses décisions.
Il en avait marre de tout ça.
Mais surtout, il en avait marre d'être lâche.
Bien sûr, qu'il voulait demander de l'aide, crier, hurler au monde entier sa peine. Mais, il avait tellement peur des représailles. Tout cela à cause de Namjoon et sa stupide puissance familiale.
Il ne pouvait rien faire contre lui. Contre eux.
Il avait donc laissé les événements se répéter, encore et encore, par lâcheté. Par peur. Par habitude. De toute façon, à ce stade-là, il n'avait plus rien à perdre puisqu'il était déjà en train de mourir à petit feu. Il se laissait volontairement consumer.
Dans le petit bureau inondé de clarté, le docteur faisait de son mieux pour soigner les blessures de Jungkook, à l'inverse de son cœur cassé, irréparable. Le jeune homme se sentait mis à nu sous le regard expert du quarantenaire. Il se sentait abominable, épouvantable. Atroce. Un véritable monstre.
Et pourtant, dans cet hôpital, personne ne le jugeait parce que tout le monde était au courant du calvaire quotidien dans lequel vivait le châtain.
Malheureusement, le personnel ne pouvait rien faire. Ils ne pouvaient pas aider le jeune homme tant qu'il ne parlait pas, tant qu'il ne se confiait pas.
Tant qu'il ne réalisait pas le danger qu'il encourait à rester avec son fiancé.
Peut-être qu'il ne se sentait pas prêt à partir. Après tout, il ne se rendait pas forcément compte de la gravité des choses. Pour lui, c'était normal ; ce genre d'amour.
Parce que, malgré les déchirements, les hurlements et les comportements violents, il y avait quand même de l'amour en arrière-fond.
☆★☆
Il faisait chaud cette après-midi, ce qui était loin de plaire à Taehyung. Mais ce n'était surtout pas anodin pour une simple journée de novembre. Le mois d'octobre avait filé étonnamment vite, surtout grâce à ses rendez-vous hebdomadaires avec son ancien amant.
Taehyung se trouvait assis sur la petite terrasse du café et jouissait des caresses que lui apportaient les derniers rayons de soleil de la journée.
Son éternelle tasse de thé en main, il profitait de son temps libre pour lire – ou plutôt relire pour la dixième fois, peut-être même la quinzième fois – quelques-uns des ouvrages de Jeongguk qui avaient attiré son attention.
Avec minutie, il analysait la moindre phrase, le moindre mot ou écrit, collant des Post-it un peu partout sur l'encre noire.
« Enfant du Soleil, il était. Enfant de la Lune, il est devenu. »
L'enfant de la Lune.
« Tous deux incarnaient l'amour véritable et éternel qui, sans doute, continuera d'exister au-delà de la mort. »
Nos âmes éternelles.
« Puis ce soir-là, sous la douce lumière, son souhait s'est enfin réalisé.
Au moment exact où cette lame froide et coupable sur ses veines saillantes a glissé.
Attends-moi, ma bien-aimée.
Ma danseuse de rue préférée. »
Épines noires.
Jeongguk jouait avec les mots comme il jouait avec la vie. Avec sa vie.
Taehyung était bloqué sur le pas de la porte de son esprit. Ce dernier cogitait comme un fou, il s'agitait dans tous les sens devant le florilège de questions qui le submergeait. Des interrogations toutes plus profondes les unes que les autres auxquelles, cette fois, il était convaincu d'avoir trouvé des réponses. Celles qui cherchaient vainement depuis des semaines.
Le grisé en était maintenant persuadé, il était même sûr et certain, son châtain appelait à l'aide. Il était en danger.
Et Taehyung se retrouva complètement accablé par ses émotions impromptues et incontrôlables qui s'activaient comme un engrenage rouillé au fond de sa poitrine.
C'était douloureux.
Trop douloureux à supporter le fait que son amour de toujours était entre les mains d'un homme violent, psychopathe et fou furieux.
Il ne supportait pas non plus le fait que Jeongguk puisse également subir des représailles tant physiques que psychologiques. En fait, il n'osait même pas imaginer tout ce que le châtain pouvait subir et, en réalité, il n'avait aucune envie de l'imaginer.
Pourtant, il devait se rendre à l'évidence.
L'homme qu'il aimait était un homme battu.
Un sentiment de haine ne faisait qu'accroître dans sa poitrine jusqu'au plus profond de ses entrailles. Sa colère le prenait aux tripes, le faisant rager tout entier. Dans son corps, ça bouillonnait. Grouillant d'une irascibilité destructrice.
Il aimerait mettre toutes ses pensées et ses ressentiments en pause.
Mais il n'y arrivait pas.
Tout défilait en boucle dans son esprit, dans son corps, comme pour le punir de n'avoir pas compris plus tôt. Comme pour le punir de n'avoir pas perçu les sous-entendus, le tenant ainsi responsable des malheurs du plus jeune.
Ça faisait mal.
Mais c'était aussi apaisant.
Parce que le grisé arrivait enfin à tout comprendre. Comprendre le noir et le blanc. Le silence et les mots. Les murmures et les non-dits. Les cris et les larmes. Les sourires en coin et les sourires gênés. Le faux et le vrai. Le vide et le plein. La douleur et la peur.
Oui, il comprenait enfin Jeongguk.
Il pouvait enfin agir. Il pouvait enfin l'aider.
Et il était prêt à tout pour le sauver.
Parce que des châtains perdus avec des envies suicidaires, il en existait très peu dans son entourage. Et il ne voulait surtout pas le perdre.
Pas une nouvelle fois.
Alors, toujours assis dans cette même terrasse ensoleillée, toujours en fin d'après-midi, il attendait sa personne préférée en continuant d'admirer le soleil qui déclinait.
Aujourd'hui, c'était vendredi.
Et comme chaque vendredi, ils avaient rendez-vous dans cette brasserie.
Comme chaque vendredi, Taehyung arrivait le premier et commandait une tasse de thé.
Comme chaque vendredi, Jeongguk arrivait en deuxième avec son éternel sourire plaqué sur son visage de porcelaine.
Mais ce vendredi-là...
Il ne vint pas.
☆★☆
Hey,
Déjà 1k de vus sur NAE...
Merci beaucoup, j'en suis extrêmement reconnaissante. ♡︎
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