Nord. Est. Sud. Ouest.

Procès I

Violette Baudelaire

Nord. Est. Sud. Ouest.


Le jour venait de se lever.

Des bêtes avaient été retrouvées mortes. Les propriétaires du bétail avaient demandé que justice soit faite. Ils avaient désigné leur coupable dans la minute. Sans preuves, sans rien pour prouver sa culpabilité, ce n'était cette vieille rancœur de voisinage.

Ils étaient entrés chez elle. Ils l'avaient traîné au tribunal du village. Ils l'avaient jeté aux mains de la foule.

Nous étions en l'an 1648 sur le nouveau continent.

Les colons européens avaient envahit l'Amérique un peu plus d'un siècle auparavant, exterminant les indigènes à coup d'armes blanches et de maladies mortelles. Les agneaux leur avaient tendu les bras et les loups les avaient décimé. Puis ils les avaient réduit à l'état d'esclaves et ils s'étaient appropriés leurs terres. Depuis, ils ne cessaient de reproduire les mêmes bêtises que celles déjà commises par leurs ancêtres sur l'ancien monde.
Ils reprenaient les armes et provoquaient, effrayaient, blessaient, torturaient, tuaient, achevaient, sans jamais songer au dialogue. Après tout, que valait la diplomatie quand on pouvait exterminer tout un peuple ?

L'homme avait toujours baigné dans le sang et la fondation d'une seconde société sur un continent n'était pas une raison pour abandonner les bonnes vieilles traditions.

L'Homme avait toujours eut le goût le sang, et la foule de la baie du Massachusetts en était friande. Elle avait soif. Soif d'hémoglobine. Soif de violence.

Alors, lorsqu'on leur amena leur nouvelle victime, elle n'eut même pas le temps de poser un pied dans le tribunal qu'ils l'avaient déjà jugé coupable. La foule se léchait les babines, les crocs prêt à la réduire en pièces, de la bave coulant de leur gueule et la faim se faisant de plus en plus grande.

L'innocente s'était vêtue d'une longue robe mauve, avait noué un foulard turquoise dans ses boucles ébènes et avait enfilé ses souliers rouges, ses préférés. Cependant ces chaussures n'avaient pas couleur de son funeste destin, ils n'étaient pas trempé de la teinte du sang. C'était tout le contraire d'ailleurs. Ils étaient rouges, mais du plus doux et du plus chaleureux qu'il soit. Ils étaient rouges comme les fleurs des champs, rouges comme les coquelicots, rouges comme les feuilles des arbres à l'automne, rouges comme les plus époustouflants des levers de soleil. Oui, décidément, ces souliers n'étaient pas de sang, mais de la plus belle des teintes. Tout comme l'était la robe et le foulard de celle qu'on traînait au sol, tout comme elle l'était elle-même.

L'accusée était un véritable rayon de soleil.

Ce qui contrastait étrangement avec le reste du monde. Elle était la seule source de lumière et tout ce qui l'entourait n'était qu'obscurité. Les femmes, les hommes, les adolescents, tout ceux étaient venus assister au grand spectacle étaient sombres. Les bancs, les tables, les tenues, tout ce qui constituait cette pièce était sombre.

L'ange venait d'entrer dans le royaume des ténèbres.

On referma la lourde porte en chêne et un grand bruit résonna. Mais cela ne perturba pas ses bourreaux qui continuèrent à la traîner entre les bancs du tribunal. Une fois arrivés devant les juges, ils la jetèrent à leurs pieds. Le procès pouvait enfin débuter. Car bien heureusement, elle avait un droit à un procès.

Plutôt un simulacre de procès... mais c'était ainsi que la justice était faite.

C'était ainsi qu'eut lieu la mascarade. Pourquoi s'obtenaient t'ils à jouer la pièce dont la foule toute entière avaient déjà découvert le dénouement ? Pourquoi s'efforçaient-ils d'écrire l'histoire alors qu'on en connaissait déjà la fin ? Tout le monde savait que cette justice était fausse, et pourtant, les juges maintenaient l'illusion.

Leur faim vorace était-elle mieux assouvie lorsqu'on accordait une lueur d'espoir au condamné ?

Les juges avancèrent leurs preuves : elle avait rendu des villageois malades et elle rendu souffrant ceux qui refusaient d'obéir à ses ordres. La foule, satisfaite, hurla son contentement. Les représentants de la justice souriaient. Personne dans cette salle n'avait donc gardé un minimum de lucidité ? On accusait une sage femme. Elle n'avait pas rendu ses patients malades, elle avait seulement déduit la maladie dont ils allaient prochainement êtres souffrants à partir de leurs symptômes. Elle n'avait pas rendu souffrant ceux qui refusaient de l'écouter, elle les avait simplement prévenu qu'ils s'ils ne prenaient pas les médicaments qu'elle leur avait prescrits ils risquaient la rechute. C'était une sage femme, c'était son métier, mais ça personne ne fut capable de le comprendre. Alors les preuves sans queue ni tête s'enchaînèrent et encore une fois, personne ne protesta.

Après tout, elle était doctoresse, elle utilisait un savoir inconnu, qu'on ne connaissait pas tout à fait et que l'Église ne tolérait pas. Elle pratiquait une magie obscure et cela peur.

Pire encore, elle était une femme. L'homme ignorait tout de ces dernières, et puisque l'ignorance menait à la peur, la peur à la haine et la haine conduisait à la violence, il se méfiait d'elles. Elle étaient considérées comme inférieures, non abouties, incapables de la plus ingrate des tâches et accusées de tous les maux de l'univers.

Alors ce procès, c'était une façon pour elle pour se repentir de ses erreurs.

Les preuves pleuvaient, mais arriva le moment où les juges en virent à bout. Fort heureusement, ils eurent une idée.

Ils firent sortir les femmes, les adolescents et les enfants du tribunal.

Dès lors, il n'y eut que des hommes comme juges. Il n'y eut que des hommes pour décider de son funeste sort. Il n'y eut que les loups affamés face à la brebis apeurée.

Ils l'allongèrent.

Ils l'immobilisèrent.

Ils l'empêchèrent de crier.

Ils la déshabillèrent.

Ils arrachèrent son foulard turquoise.

Ils déchirent sa robe mauve.

Ils éteignirent l'ultime rayon de soleil.

Lorsqu'ils rouvrirent les portes du tribunal et que les heureux spectateurs purent à nouveau rentrer, que l'innocente avait gardé ses souliers rouges mais était vêtue de la tunique blanche des condamnés à mort, les juges étaient tout contents. Ils avaient trouvé leur dernière preuve.

Ce 15 juin 1648, Margaret Jones fut reconnue coupable de l'acte de sorcellerie.

Alors que la nuit commençait tout doucement à tomber, le monstre fut traîné à l'entrée du village. Les villageois s'étaient saisi de leurs fourches. Les juges étaient satisfaits. La créature eut du mal à monter les marches, chutant à plusieurs reprises, mais les justiciers la relevait toujours. La foule hurlait, l'insultait lui criait d'aller au diable.

Puis, leur soif de sang fut assouvie.

La pièce trouva sa finalité et les spectateurs s'en abreuvèrent. La nuit fit tomber le rideau et peu à peu, la foule quitta la salle.

Jusqu'à ce qu'il ne reste plus personne, mis à part l'actrice principale qui n'avait toujours quitté les planches.

Tandis que les spectateurs s'endormaient, un léger sourire sur les lèvres pour certains et la promesse d'une nuit emplit de cauchemar pour d'autres, leur appétit vorace était enfin calmé. Enfin, pour un temps. Parce qu'ils allaient recommencer. Ils n'avaient peut-être plus faim, mais certains étaient devenus accros au goût du sang et ils allaient en vouloir plus. Toujours plus. Ils ne l'avaient pas encore, mais ce procès de sorcier sur le nouveau continent n'était que le premier d'une grande lignée.

Il n'y aurait pas seulement Margaret Jones, mais bien d'autres encore, comme Rebecca Nurse, Martha Corey, Mary Parket, ainsi que toutes les sorcières et sorciers de Salem.

Mais ça, le village n'y pensait pas encore. Il se contentait de sombrer dans le sommeil, le loup ayant enfin dévoré la brebis.

Doucement, tout doucement, le soleil se leva, répandant son rouge sur le hameaux.

Nord. Est. Sud. Ouest.

Dans la douce lueur du matin, ils faisaient.
Nord. Est. Sud. Ouest.
Ils étaient bercés, sans un bruit.
Nord. Est. Sud. Ouest.
Puis ils recommençaient.
Nord. Est. Sud. Ouest.

Encore et encore, tout doucement, les petits souliers rouges se balançaient dans la brise matinale.

Le jour venait de se lever.

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