Chapitre 30 : Les huit piliers.
Pupilles vides, tempes veineuses, dents serrées et crocs montrés, la jeune blonde faisait face à la Spriggan. Sylvia ravala sa salive devant l'allure bestiale de son amie. Son aura bleutée disparut et les feux follets s'éteignirent autour d'elle dévoilant une chevelure brune et ondulée, digne des fées noires. Le rire du roi-sorcier cessa et laissa un silence glacial s'imposer quelques secondes.
-Sylvia. s'adressa-t-il à sa Vivialde. Je suis sûr que tu ne veux pas ça. Grâce à moi, tu as obtenu l'immortalité. Et tu sais que si je venais à mourir !...
-Je n'en ai pas voulu ! rétorqua-t-elle.
Madox resserra un peu plus sa poigne sur l'accoudoir et le détruisit sans peine. Ses marques brillèrent furtivement de leur éclat vert. Son pantin, Nora, secoua son bras plusieurs fois avant de cesser.
Tous le remarquèrent mais Léa fut la seule à comprendre ce geste qu'elle avait tant de fois vu chez son amie. Elle profita de l'inattention de Lou-Anne pour se jeter sur la Spriggan et la tirer de force en arrière.
Un bruit de tissu déchiré atteint leurs oreilles. La robe-tee-shirt de Sylvia venait de recevoir la courte visite d'une lame de couteau. La blonde n'était plus face aux filles mais se tenait désormais à quelques centimètres sur la diagonale de la rousse et le brune. Son bras gauche tendu vers l'extérieur. La pointe métallique d'une couteau entre son majeur et son annulaire. La Spriggan remercia expressément la lycéenne avant de se reculer de quelques pas. De nouveau, Nora s'était figée et l'attention du trio se porta sur le roi derrière elle.
Il venait de se lever et il s'avançait lentement vers elles, descendant une à une les quelques marches de son piédestal royal.
-Sylvia. Qu'as-tu fait de ton double ? Tu ne l'aurais tout de même pas envoyée auprès de ton frère ?
Devant le silence de la Vivialde, le roi blond laissa s'échapper un rire moqueur.
-Pensais-tu réellement que tu étais la première Vivialde Spriggan à me résister ? reprit-il. Ils ont tous essayé. Faut-il que je t'explique la procédure pour desceller les pouvoirs Spriggan ?
-On a pas le temps pour ça ! Rendez-nous Nora ! répliqua Lou-Anne, rappelant sa présence.
Madox soupira.
-Ce ne sera pas possible malheureusement. Elle m'appartient désormais... Ce qui nous laisse l'éternité pour poursuivre cette discussion que, toi misérable humaine, tu viens t'interrompre !
Il perdit son calme sur ses derniers mots avant de le retrouver pour poursuivre.
-... Pour libérer les pouvoirs cachés d'une fée de la nuit. Seul l'homicide peut en être la clé. Tu l'as certainement oublié, mais tu as été la seule à en être capable. Tu as tué tes parents.
Un silence pesant tomba sur la salle du trône. Les deux adolescentes lancèrent un regard surpris, inquiet et perdu à leur camarade brune. Cette dernière baissa la tête, fixant profondément le sol dallé.
-Vos stratagèmes... coupa-t-elle court au silence. Ils ne fonctionnent pas contre moi.
-C'est pourtant la vérité et non une stratég !...
-Ça reste une stratégie. Vous souhaitez me déstabiliser. Je me souviens parfaitement de ce jour. Il y a quinze ans.
-Dans ce cas... reprit le roi-sorcier. Il ne sert plus longtemps de tergiverser futilement.
Ses joues brillèrent une nouvelle fois d'un vif éclat vert. Le pantin de Nora reprit du mouvement. La blonde se mit en garde et lança un regard vide à son ancienne amie d'enfance.
Léa décela aisément qu'elle était la prochaine cible de son amie et évita en se décalant sur sa droite. Cependant, elle ne fut pas assez vive et la lame lui érafla le visage. Juste sous l'œil, scindant quelques unes de ses légères taches de rousseurs. Elle n'eut pas le temps de s'en inquiéter. Nora s'était redressée et armait son bras dans sa direction.
Que devait-elle faire ? Elle ne pouvait pas se résigner à attaquer sa Nono. Lui arracher le couteau réduirait le danger mais elle savait que ça blesserait la blonde. Après tant d'années, son amie lui avait expliqué plusieurs manières de tenir une arme blanche réduisant les risques de se la faire subtiliser. Actuellement, Nora tenait le couteau dans le creux de sa paume, poing fermé, faisant de la lame un danger pour elle-même. Léa pourrait la frapper afin qu'elle ne desserre le poing mais ce serait s'en prendre à elle. Elle ne pouvait pas.
La rousse fit le tour de la blonde. Elle attendit que son amie ne se tienne face à elle pour se jeter sur elle. Son regard se porta immédiatement sur le poing armé. Elle l'attrapa de plein fouet de sa main, plantant de elle-même la lame dans sa paume. Elle se mordit la langue pour réprimer un cri de douleur et passer son bras libre dans le dos de son amie.
Tête sur l'épaule. Main caressant le dos. Poigne ensanglantée sur le côté. Léa s'agenouilla, entraînant Nora avec elle, et tenta de la faire revenir à elle en lui murmurant son prénom. Sous les yeux de leurs amies et du roi, la rousse, secouée par ses sanglots, tentait de calmer la blonde.
Les yeux livides et secs de la jeune mage brillèrent. De nouvelles larmes parurent et mouillèrent son visage.
Observant cette soudaine réaction, Lou risqua un sourire d'exaltation. Malgré ça, le roi Madox se mit à applaudir stoïquement. Recevant de nouveau l'attention de la jeune fille auburn et de la Vivialde, il dirigea ses paumes vers le ciel.
-Je peux comprendre votre joie. L'amour a toujours fait des miracles, et je vous le concède. Pourtant, il n'est pas éternel et il s'éteint souvent avec l'un des conjoints.
Ses marques brillèrent une énième fois. Léa laissa échapper un petit cri de douleur qu'elle étouffa tant bien que mal. Le pantin blond venait d'arracher sa lame de la main de la rousse sans considération pour celle-ci. Nora leva son bras bien au-dessus de son amie et le lui asséna dans le dos. Le couteau planté, la blonde l'y laissa et se releva pour faire face aux deux autres.
Léa arracha la petite lame de son omoplate avec quelques difficultés et le jeta aux pieds des marches du hall. Elle se redressa après quelques échecs, et même debout elle se mit à dodeliner et tituber. Déterminée, elle se jeta une seconde fois sur son amie d'enfance et l'enserra de nouveau dans son étreinte maternelle.
Après un dernier regard vers les deux amies, immobiles, Sylvia plongea ses yeux dans le regard sanguin du roi. Ne le manquant pas, ce dernier lui répondit d'un regard satisfait et provocateur.
-Mon roi. commença la Spriggan. Mon double n'est pas auprès de Yuko.
Sa chevelure reprit son éclat bleuté et les feux-follet reparurent autour d'elle.
-Elle se trouve dans la salle du trône depuis le début...
Le bruit sourd d'une roche se brisant à la suite d'une chute résonna dans la pièce. Un nuage de poussière se souleva au pied de l'un des piliers.
-... Je lui ai simplement laissée le temps de briser quelques piliers.
Un deuxième pilier se brisa et s'effondra sur lui-même. La chevelure brune et ondulée de Sylvia apparut sous un troisième pilier, le suivant de la liste. Deux Sylvia, l'une réelle et consistante, l'autre fantomatique. Succédant aux piliers Aquildre et Firildre, le pilier Sylvidre s'effondra sous le choc d'une sphère de lumière noire. Il ne restait plus que deux piliers, le Spriggan et l'Yvilis.
Au centre de la pièce, le roi serrait les poings. Une multitude de veines étaient apparues sur son front. Sa longue chevelure blonde prenait une teinte grisâtre et sa barbe blondissait à vu d'œil. Il dirigea une main vers la Sylvia brune, ses marques brillèrent et une sphère verte se forma dans sa paume. La boule quitta sa main et fut propulsée vers la Spriggan.
Cette dernière parvint à échapper à l'attaque en intervertissant une nouvelle fois ses deux corps. Son esprit fut pris dans l'explosion mais s'en sortit indemne. Elle se hâta de créer une sphère noire dans ses mains afin de parer la seconde salve qui lui serait sûrement destinée. Ne pouvant se permettre d'échanger son corps et de laisser ses camarades se prendre l'attaque. Cependant le roi ne la visa pas elle. Sa deuxième paume était dirigée vers le pilier de la lune, son pilier Spriggan. Il lâcha un sourire satisfait à sa Vivialde avant de détruire la colonne de roche. L'effet fut immédiat, Sylvia s'évanouit sur le coup et son esprit disparut de la salle du trône.
Des rides apparurent sur le visage du roi-sorcier et il se rabougrit de quelques centimètres. Malgré ça, il gardait toute sa combativité et sa motricité d'Antan.
-Je peux bien sacrifier plusieurs piliers. Tant qu'il m'en reste un, je resterai supérieur à toutes les fées d'Héliandre.
Il leva ses mains au ciel et créa une sphère deux fois plus importante que les précédentes. Il abaissa ses bras et dirigea ses paumes jointes vers le groupe de jeunes filles.
-Je m'excuse Nora. Finalement, nous ne collaborerons pas. finit-il par annoncer.
Il ria aux éclats et l'immense masse de lumière verte se jeta sur le petit groupe, les aveuglant. Lou-Anne se précipita aux côtés de Sylvia pour la recouvrir de son propre corps.
-Noon ! ragea la voix de Madox.
Le roi-sorcier ne se moquait plus de ses pauvres victimes. Lou-Anne releva les yeux. La boule lumineuse se cognait contre un mur invisible juste devant elle. Derrière elle et la Spriggan, Léa était tout aussi stupéfaite qu'elle. Une nouvelle lueur mauve éclairait le petit quatuor. Nora était revenue à elle et ses yeux bleus fixaient intensément le sort de son ancêtre. La sphère disparut sous le geste désinvolte de son propriétaire. Il pointa l'adolescente, faisant grincer ses canines.
-Comment as-tu ?! Tu n'étais pas censée !
La blonde cessa sa concentration et relâcha toute sa tension d'un coup. Manquant de s'évanouir, elle se donna intentionnellement une gifle qui résonna dans tout le palais, jusque dans les cachots.
-J-Je...
Elle retint une remontée acide.
-Je doute que me faire vivre en boucle l'assassinat de mes seuls amis soit une... si bonne idée... répondit-elle à l'adresse du roi.
-Nora ! appela Lou-Anne.
La blonde adressa un petit regard à son amie, maintenant de toutes ses forces les yeux ouverts.
-Détruis le pilier ! Là... avec le soleil !
Sous l'énonciation de l'ordre, le visage de Madox se tordit. De nouvelles rides se formèrent sous l'effet de sa colère.
-Tu n'oseras pas ! menaça-t-il.
Il créa une nouvelle sphère magique et l'envoya sur la lycéenne et la Spriggan.
Nora porta son attention sur la colonne de pierre que lui avait indiqué Lou'. Elle se concentra une dernière fois sur l'un des multiples débris de piliers jonchant le sol et le fit léviter.
La sphère verte explosa et un épais nuage de fumée noire et verte s'éleva.
-Lou' ! s'exclama Léa.
La blonde ne se déconcentra pas et projeta de ses dernières forces le rocher contre le symbole de l'astre diurne. Elle s'évanouit juste après, ignorant si sa mission venait d'être effectuée avec succès.
Le roi vit ses paumes se flétrir, sa peau moulant de plus en plus son squelette. Il savait sa dernière heure venue mais il était fier de lui. Il avait pu éliminer deux des amies de son ennemie. Il accorda un dernier sourire plein de satisfaction à ses victimes.
La fumée finissait tout juste de se dissiper. Ses sourcils se froncèrent, ses dents se claquèrent, ses yeux se révulsèrent. Son regard croisa les iris noires d'un Spriggan.
Persuadé d'avoir affaire à une simple humaine, Madox n'avait pas mis toute sa force dans son ultime menace et stratégie. Yuko était donc parvenu à la contrer sans trop de mal.
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Au sommet du plus vieil arbre de la forêt, accoudé à la balustrade de sa mezzanine circulaire, un vieil homme sur-musclé aux cheveux verts-feuille observait le ciel rosé de l'aube.
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Sous le ciel noir de cendres et de soufres, une jeune Firildre aux cheveux rouges-feu entraînait quelques jeunots à l'escrime.
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Sur les côtes du désert des mages, la houle déposa une Aquildre à la chevelure bleue marine et aux formes généreuses. Elle dormait paisiblement sous les premières chaleurs du désert.
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Au centre d'une clairière, allongé sous le regard d'un Spriggan aux cheveux longs, Shiro reprenait son souffle. Souriant, il lança un regard heureux à son camarade et ancien adversaire.
-Alors... hff... Comme à la vieille époque ? proposa-t-il.
Yolda lui lâcha un sourire stressé.
-Si tu veux...
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