Chapitre 29 : Le premier magister

Le silence avait recouvert la bande de sable à la lisière des érables. Seul un lointain son de métaux résonnait faiblement du centre de la végétation. Les trois amis ne quittaient plus la jeune fille des yeux. Yolda maintenait ses bras devant les deux jeunes filles. Le regard méfiant, il était à l'affût du moindre mouvement.

-Tu peux aider Yuko ?

La jeune fille, dans son enveloppe bleue glace, venait de faire une demande auprès du trio avec une voix tremblante. Malgré son regard impassible et sa posture décontractée, elle était inquiète pour la fée noire qui se battait dans la forêt. Sa demande avait désarçonné Yolda, il ne savait plus si il devait se méfier, lui demander raison ou accepter sans discuter. Il n'eut pas à réfléchir plus longtemps, la rousse intervint à sa place.

-L'aider ? Qui es-tu ? questionna-t-elle, un sourcil arqué.

-Léa... reprit l'inconnue, surprenant les trois amis. Il est en train d'affronter Shiro.

Le Spriggan se repositionna et prit de nouveau une apparence menaçante.

-Comment connais-tu son nom ?! haussa-t-il le ton.

-Je !...

-Si tu sais tant de choses, y compris pour la situation de Yuko, tu ne peux qu'être une Vivialde ! coupa Yolda, ne lui laissant pas le temps de répondre.

-Yolda, calme-toi s'il te plaît. intervint Lou-Anne. Karah nous a aidé. Et elle vient de nous demander d'aider Yuko, pourquoi elle nous le demanderai ?

-Aide mon frère, je t'en prie... réitéra la jeune fille.

-Ton...

-...frère ?

Yolda et Lou-Anne adressaient désormais des regards interrogateurs à leur interlocutrice. Les yeux noisettes de la rousse s'éclaircirent brusquement.

-Sylvia !? s'exclama-t-elle.

Sa réaction surprit encore plus ses deux amis. Elle leur précisa que la Vivialde Spriggan était la sœur de Yuko. Elle l'avait découvert, et pour le moins supputé, après sa lecture de l'ouvrage de Philius. Ils s'étaient endormis bien avant qu'elle n'ait atteint le passage inscrit par le Vivialde Sylvidre, ce soir-là. Elle n'avait pas jugé ce point intéressant et ne le leur avait pas rapporté le lendemain.

Le Spriggan cessa de paraître menaçant et adressa cette fois un regard perdu à la Spriggan.

-Si tu es bien sa petite sœur, pourquoi tu n'es pas revenue le voir ? Il en a beaucoup souffert.

-Ce n'est peut-être pas le bon moment pour ça. rappela Léa.

-Mais...

-Elle vient de nous demander de venir en aide à Yuko. Plus on va perdre du temps, moins il s'en sortira.

Sylvia approuva d'un léger hochement de tête.

-Je peux vous guider sans risque jusqu'au château. Shiro et Yuko se battent sur le chemin et Nora est seule face au roi. précisa la Vivialde.

-Elle est quoi ?! s'exclama Léa, affolée.

Elle serra ses poings afin de se calmer, laissant un court blanc s'engrener dans la discussion.

-Cet !... abruti de Yuko ! jura-t-elle en serrant les dents. Elle est encore en vie ? Elle va bien ? Dis moi tout.

-Elle vient à peine de se libérer du bourreau. On a peu de temps si on veut arriver avant qu'elle ne tombe sur Nor et le roi. répondit Sylvia d'un ton calme.

Elle adressa un sourire rassurant à la rousse et ajouta qu'elle gardait toujours un œil sur son amie. Pour l'instant, elle parcourait les dédales des cachots.

*

-C'était votre fils.

-Adoptif. rectifia le roi d'un ton effroyablement neutre. C'est ce qu'il advient de ceux qui me trahissent. Il en est de même pour ceux qui échouent en mon nom. Shiro a obtenu son ultime chance mais Ao sera la prochaine.

-Vous... Vous allez... me tuer ?

-Non. Pas tout de suite. Et je n'espère pas avoir à le faire. Nous sommes les deux derniers représentants de notre peuple.

Il écarta plusieurs mèches blondes de son visage et s'installa dans son trône. Positionné aussi droit que possible et les mains accrochées aux accoudoirs, il prenait un peu plus de hauteur sur la jeune fille. Deux points verts s'illuminèrent sur son visage. À cette distance, Nora ne pouvait le distinguer, mais ses propres marques étaient identiques à celles qui venaient d'apparaître sur les joues de Madox.

-La volonté de ton père m'a touché, il y a quinze ans. Je n'aurais jamais cru bon de voir l'un de mes descendants aussi humain malgré les événements.

-De vos... descendants ?

-Il a eu la bonne attitude face à Abram. Il m'a rappelé moi lors du tout premier conflit. Les Wase ont toujours su guider, rallier et diriger les autres. Tu es toi-même une Wase, tu dois t'en être rendu compte, je me trompe.

L'adolescente ne comprenait plus grand-chose. L'homme qui se tenait en face d'elle était l'un de ses ancêtres ? Celui qui aurait stoppé la première guerre, il y a des siècles ? Non. Elle ne veut pas. Elle ne voulait pas de cet homme comme ancêtre. Il ne ressemblait en rien à quelqu'un de juste, de bon qui aurait mis fin à un conflit. Qu'est-ce qu'il entendait par « tu as dû t'en rendre compte » ? Insinuerait-il que ses amis n'étaient en réalité que des pantins qu'elle aurait créé ? Non, elle le savait. Léa et elle sont amies depuis la maternelle et bien plus avant encore. Lou-Anne n'est pas devenue son amie car elle le voulait, mais bien parce qu'elles se sont trouvées des points communs avec la rousse en intermédiaire. Yuko...

« Il est mon ami ? »

Cette simple interrogation la raisonnait et la confortait dans son refus. Le Spriggan n'avait toujours fait que la guider, elle, jamais l'inverse. De plus, elle se serait bien passée de le connaître si elle avait su ce que ça aurait engrangé par la suite. Bien qu'elle ne le regrettait pas, les voyages, les rêves affreux, les combats et les injures, la prison, la perte de sa mère. Tout ça n'avait pas été facile à supporter.

-Oui, vous vous trompez ! rétorqua-t-elle.

Un large sourire se dessina entre les marques vertes du mage.

-Ta volonté semble instable. Elle n'est pas encore construite. Tu découvres à peine l'étendue de tes pouvoirs.

-Je préférerai ne pas les avoir !

Son sourire disparut. Il referma un peu plus sa paume sur l'accoudoir et commença à le fissurer. L'attitude de la jeune blonde commençait à l'exaspérer. Elle ne faisait qu'aller à l'encontre de toutes ses demandes, de ses envies. Elle défiait son autorité.

-Les humains de Dokkanze semblent plus bêtes que je ne le pensais. maugréa-t-il.

-Désolée pour vous.

-Ce comportement indécent ne peut venir que de ta mère. Elle est sûrement celle qui a poussé mon fidèle ami au suicide. Je vais devoir te rééduquer. J'ai intérêt de m'y prendre le plus tôt possible.

Les joues de la blonde virent naître une lueur mauve. Nora ne pouvait tolérer que cet homme ne parle ainsi de Enora. Sa mère avait tout fait pour l'éduquer seule. Elle ne lui avait jamais rien imposer, et s'était toujours inquiétée pour sa fille. L'accuser d'être responsable de la mort de son mari ? Décidément, l'adolescente pensait de plus en plus qu'il n'en valait plus la peine. Elle pourrait bientôt faire le choix de vraiment le tuer.

Les yeux de feu du roi-sorcier s'illuminèrent. Son sourire reparut et il prit une voix provocatrice :

-Aurais-je blessé ta personne ? Sa mort t'aurait donc tant atteinte ? Elle a été si inutile. Même sur le pas de la mort, elle n'a pas su protéger sa fille.

Le roi-sorcier cherchait à énerver la jeune fille. Son but étant de la forcer à révéler le potentiel qu'il estimait caché des marques.

« Je vais te détruire en te forçant à me tuer, jeune fille. Tu rejoindras mon camp avant de t'en être aperçue. »

Il n'était que sûr de lui. La lueur croissante des marques mauves sur le visage de l'adolescente le confortait dans ses actions.

De son côté, Nora sentait son sang la consumer de l'intérieur. Elle n'avait pas envie de réagir, mais l'homme qui lui faisait face insistait sur la seule femme qu'elle avait toujours connue. Ses joues la brûlaient. Elle avait bien remarqué la lumière nouvelle qu'elles avaient. Au fond d'elle, et malgré son envie pacifiste, elle souhaitait tuer Madox. Une douleur lui atterrit lourdement sur le crâne, comme si une bibliothèque entière s'était effondrée sur elle. Elle se sentit tituber et chercha à tâtons la porte pour s'y appuyer. Sans réussite. Elle se laissa tomber sur les genoux et s'agrippa le front, s'obstruant la vue de ses paumes.

Dans le noir complet, elle ne percevait même plus la voix calme, doucereuse et empoisonnée du roi. Seule une violente migraine accompagnée de bouffées de chaleurs volcaniques étaient ses liens avec son propre corps.

Une porte ouverte. L'ouverture menait sur un petit vestibule. Sur la gauche, une seconde porte menant à la cuisine. En face, des marches, un escalier qui menait à deux chambres et une salle d'eau comme les autres. Un bris de verre. Les fenêtres explosèrent depuis l'intérieur. Le sol prit feu. Le jeune homme à la chevelure blanche s'échappa de l'antre en flammes. Plusieurs gouttes écarlates glissèrent le long du métal. L'acier et le sang reflétaient parfaitement la lueur dansante du brasier. Shiro nargua la petite fille avec un sourire avant de poursuivre sa route.

Un parc de jeux situé dans un parc communal. Le son des oiseaux piaillant sans interruptions. L'écoulement lent d'un cours d'eau récemment alimenté par la pluie du printemps. La voix lointaine d'enfants à la sortie des écoles. Les feuillages bruissant autour du tout.

-Allez viens, Nono.

Une petite fille aux nattes rousses et aux lunettes à monture fine appelait sa camarade du haut de l'aire de jeux. Son amie, blonde à la coupe s'arrêtant aux épaules, l'observait de loin. Assise sur un banc en train de siroter un soda, elle veillait sur leurs sacs d'écoles tout en balançant ses jambes dans le vide.

La petite Nora cligna des yeux et les arbres prirent subitement feus. Léa ne l'appelait plus pour jouer. Elle lui ordonnait de fuir. Shiro se tenait sur toute sa hauteur dans la petite attraction enfantine. L'enfant rousse était retenue, une lame sous la gorge, les larmes aux yeux. Des larmes qui n'étaient pas sujettes de sa peur. Elles étaient issues de son inquiétude envers son amie blonde.

***

Les deux lycéennes entrèrent à la suite de Sylvia dans l'immense hall du palais royal.

-Où est la suite ? se précipita de demander la rousse.

La jeune Vivialde pointa le sommet des escaliers qui leur faisaient face.

-Là... répondit-elle sombrement.

Léa n'eut pas besoin de lire dans les pensés de la Spriggan pour savoir que quelque chose n'allait pas. Sylvia n'osait plus la regarder et sa voix venait de perdre en timbre.

-Qu'est-ce qu'il y a ?

Devant le silence de la Vivialde, elle grimpa les marches quatre à quatre, distançant Lou' de plusieurs mètres. Au sommet, elle ne vit qu'une immense ouverture, aucune porte et un trône occupé et éclairé par une seule arrivée de lumière. L'homme siégeant au centre de tout se leva à la venue de l'adolescente.

-Je t'invite à prendre soin de ton amie.

Ces mots n'étaient pas adressés à la rousse. Un court éclat mauve surprit la jeune fille et une ombre se dressa dans le coin de son champ de vision. Elle sentit quelque chose l'attraper au col et la tirer en arrière. Une tignasse blonde apparut ensuite devant elle. Le bras de Sylvia se tendit entre elle et son amie. Lou-Anne tira un peu plus Léa en arrière afin de l'éloigner de l'entrée.

Le regard noisette de la jeune rousse croisa alors les pupilles vides de son amie d'enfance. Des larmes sèches marquaient son visage et des veines étaient devenues apparentes sur ses tempes.

Devant la nouvelle apparence de Nora, elle ne put retenir ses larmes plus longtemps. Fier, le roi-sorcier laissa son rire emplir la salle du trône et résonner sur l'entièreté de l'île.

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