Chapitre 27 : L'île du roi.

« -Dans cette forêt, le premier désir de l'homme est assouvi, mais ce n'est là qu'une voie vers la mort... »

Nora avançait, accroupie, au travers des denses fougères de la jungle en érables. L'odeur forte des pieds de lavandes emplissait les narines de la blonde et la forçait à respirer par la bouche, l'obligeant à faire attention à celle-ci afin de ne pas être bruyante.

« -...le moindre signe de vie les attire. Si tu dois traverser la forêt et respirer sans problème, soit la plus lente possible. Elles ne repèrent pas les escargots et les tortues.... »

Ses jambes, essentiellement ses rotules et ses cuisses la brûlaient. Elle devait aussi forcer sur ses yeux afin de ne jamais croiser la moindre branche, la moindre racine, sur laquelle elle risquerait de trahir sa présence. Une lueur dorée brilla dans le coin de sa rétine. Elle se figea et tourna la tête le plus lentement possible vers l'objet en question. Entre deux arbres, la lune parvenait à faire passer son reflet nocturne et le laissait réfléchir sur une femme fixe. Une statue de femme en or. Une femme qui serrait un bouquet de lavandes. Des lavandes qui n'étaient pas d'or. La statue observait le ciel.

« -...l'or ne t'intéresse pas ? Tant mieux, car toi tu l'intéresses. Si tu avais le malheur de t'en approcher... »

Nora cligna des yeux et la sculpture dorée ne fut plus seule. Deux autres femmes venaient de s'ajouter sous le clair de lune. L'une d'elle déployait des ailes d'or plus que fines mais robustes et priait, les mains jointes. Alors que l'autre portait une armure et une lance, le tout en or et parfaitement fixé à son corps.

« -... Si elles se multiplient alors que tu les as vues... »

Second clignement des paupières. Les trois statues de femme regardaient maintenant en direction de l'adolescente.

« -... Alors elles t'ont également vue. Ne cligne plus des yeux, brûle-toi la rétine si il le faut. Ne respire plus, explose-toi les poumons. Si elles estiment que tu vis, tu es morte... »

Figée de terreur, Nora pris une ultime inspiration avant de se bloquer la respiration. Elle maintint ses yeux ouverts, les écarquillant le plus possible afin de s'assurer qu'elle ne cligne pas. Des larmes montèrent et coulèrent lentement le long de son visage, se mêlant avec les quelques gouttes de sueur suintant sous la frayeur de la jeune fille. Sa vue se brouilla, troublée, cela ne rendait que plus difficile l'envie de maintenir ses yeux ouverts. Les statues se disloquèrent et une masse difforme d'or glissa jusqu'à elle. Glissant à travers les feuillages, recouvrant les pieds des fougères, l'or se stoppa aux genoux, mis à terre, de l'adolescente. Le toucher glaciale d'une main dorée força Nora à se retenir de tressaillir. La main caressa la jambe de la blonde avant de remonter le long de son corps et de finalement s'arrêter sur sa joue. La masse se leva au niveau de l'adolescente et un visage féminin se sculpta. Le parfait sosie de la jeune blonde se créa en face d'elle. L'or venait de créer une jumelle à Nora.

« -...le pire serait qu'elles t'ignorent. Si elles décident de te toucher, tu as une chance de survivre. Cela ne dépendra que de leur choix. Si tu te vois dans le métal, cours ! »

Nora écarquilla plus qu'elle ne pouvait naturellement le faire en se découvrant à la troisième personne. Ses yeux piquaient et ses poumons commençaient à la brûler. Son double explosa en une gerbe d'or liquide. Ce fût le signal qu'attendait la jeune blonde. Elle se releva immédiatement et passa au travers du métal. Derrière elle, l'or venait de se refermer sur le vide, là où elle s'était trouvée quelques secondes plus tôt.

Elle ne parvint pas à faire plus de quelques mètres avant de s'écrouler sur la surface herbue de la forêt. Ses muscles avaient bien trop manqués d'oxygène pour pouvoir faire tant d'efforts. Ses yeux également ne lui répondaient plus normalement. Elle ne parvenait plus à les ouvrir, ressentant comme si des dizaines de grains de sable s'étaient logés entre ses paupières et ses globes oculaires.

Le même hurlement que lorsqu'ils étaient sur la plage retentit au-dessus d'elle. Dans l'incapacité de se mouvoir, et de voir quoi que ce soit, elle resta allongée sur le flanc, tentant de retrouver la totalité de ses moyens.

« -...Les Veinales sont facilement repérables et probablement les moins dangereuses. Mais cette forêt abrite une seconde espèce. Plus fourbe. Plus vive. Plus violente. Des oiseaux écailleux, des reptiles ailés. Quand tu entendras leur cri, un hurlement humain pour te tromper. Ne soit jamais immobile près d'un arbre, et ne soit surtout, jamais, jamais ! Debout... »

Être debout n'était plus son problème. Le sien était de connaître sa position. Si elle se tenait près du tronc de l'un des érables, elle allait devoir s'en éloigner et elle ne savait pas si elle en aurait la force pour le moment. Elle ne pouvait toujours pas ouvrir les yeux, elle pleurait sans le souhaiter à cause de ces fichues statues mangeuses d'homme. Elle jurait contre la faune locale mais également contre elle-même. Contre son corps qui refusait de lui obéir.

Un hurlement retentit de nouveau. Puis un second, et un troisième. Elle devait être survolée d'une horde de ces Flonocs. Des oiseaux au crâne d'alligator et aux plumes d'écailles crochues.

Un sifflement résonna dans le silence nocturne. Une lourde masse atterrit non loin de son visage, des chaînes tintaient aux mouvements de cuirs tendus du propriétaire de ces créatures. Un petit rire rauque s'échappa et des mains gantées attrapèrent l'adolescente par la taille avant de la déposer, tel un sac de pommes de terre, sur l'épaule d'un homme musculeux. Torse nu, le visage cagoulé de cuir de bêtes. Les mains gantés du même cuir, un pantalon de tissu troué et une fourrure autour de la taille. Et enfin des bottes en cuir et acier renforcé. Il semblait être un bourreau en tout point de vue.

-Voilà que les ennemis du roi viennent directement à moi. Hé. Hé. Hé... Tu vas regretter d'être venue au monde, ma petite. Tonton le bourreau officiel du roi va te préparer une petite teinture pendant une séance de torture. Tes beaux cheveux blonds vont devenir rouges, rouge comme le sang qui s'échappera lorsque je vais te frapper.

*

-Uh !

Yuko se réveilla en sursaut. Il se releva paniqué et chercha Nora du regard sur toute la longueur de la bande sablonneuse. Il ne retrouva finalement que le sabre des Firildres, à moitié enterré dans le sable.

Un hurlement retentit dans la forêt. Celui d'un Flonoc, le Spriggan en était parfaitement conscient. Mais il savait également que cela signifiait que cet oiseau démoniaque venait de repérer sa proie et qu'il appelait ses congénères. Sans attendre la moindre petite reconsidération, il se précipita à travers la forêt. Il ne pouvait pas croire qu'elle soit allée de elle-même jusqu'à Madox, mais il avait ressenti la présence d'une troisième personne auprès de lui pendant son sommeil. Le reflet lunaire scintilla sur une masse dorée sur la droite de la fée. Le brun dégaina le sabre et trancha la femme dorée sans lui avoir laissé le temps d'agir. Dans l'ombre des érables, un Flonoc fondit sur lui et fit finalement tinter ses crocs reptiliens sur le métal de la lame.

Finalement à mi-chemin, Yuko s'arrêta dans une clairière éclairée par la pleine lune. Il en profita pour rengainer la lame Firildre et plaça son poing fort devant lui, en garde.

Une chevelure blanche se dessina entre les troncs. Un visage joyeux, souriant, suivit. Du même âge, les deux fées se connaissaient mieux que quiconque. Amis d'enfance, camarades de guerre, complices dans le meurtre, ennemis depuis lors. Le Spriggan et l'Yvilis se recroisait pour une énième fois consécutive depuis l'attentat orchestré par la fée blanche au lycée de Nora.

-Shiro... jura le brun.

-Yuko ! s'exclama joyeusement ce dernier. Comment ça va depuis le temps ?

Pas lourd, la fée noire frappa le sol. L'herbe s'arracha, le vent se tût, les feuillages se secouèrent avec délai. Poing enfermé dans la paume de la fée blanche, Yuko se mordit la lèvre. Shiro leva le menton et lança un regard en demi-lune hautain. Une sphère lumineuse s'échappa de la main du Vivialde, engloba le poing du Spriggan. En une fraction de seconde, la clairière fut aveuglée par un intense flash blanc.

Deux longs tracés de terre retournée, labourée, étaient apparus entre les deux opposants. Yuko, bras devant le visage, avait reculé d'un bon trois mètres de sa position initiale.

*

L'eau glacée de cette nuit digne du lycanthrope glaça les chevilles des deux lycéennes. S'infiltrant dans leurs chaussures, elles ne sentaient presque plus leurs orteils. Le Spriggan à la chevelure longue poussait l'arrière de leur petite embarcation, alors qu'elles la tiraient sur la plage de sable fin.

-On est sûrs que Nono est arrivée sans problème ? demanda Léa entre deux respirations.

Elle ne reçut aucune réponse. La fée noire déploya ses ailes et leur ordonna de s'écarter. Il donna plusieurs battements d'ailes puissants et finit par faire accoster la barque. Les deux adolescentes se regardèrent, s'interrogeant sur l'action de leur compagnon de route. Se demandant mutuellement du regard pourquoi il ne l'avait pas fait plus tôt.

Pendant que Yolda s'assurait que leur frêle embarcation n'allait pas partir à la dérive, elles ôtèrent leurs chausses et en changèrent pour d'autres. Celles qu'elles avaient acheté à la cité Aquildre. De parfaites sandales ouvertes qui laissaient le sable s'infiltrer et laisseraient l'herbe les caresser.

-Laissons nos affaires les moins importantes ici. finit par proposer le Spriggan.

-Rien en soit. ironisa Lou-Anne. À part des vêtements et quelques réserves d'eau et de nourriture, on a rien.

-Nono est bien là ? réitéra la rousse, légèrement inquiète du silence que le brun lui avait offert la première fois.

Une lumière intense les surprit. Une lumière d'un blanc pur provenant de l'intérieur de la forêt.

-Oui, ils sont là. répondit Yolda à la suite du flash, ne faisant qu'accroître les craintes de Léa.

-C'est quoi ça ? demanda Lou'. On nous en a pas parlé de ça.

-C'est sûrement une attaque de Shiro. Il doit se battre contre Yuko.

Le vent souffla, faisant se mouvoir les branchages feuillus de la lisière. Léa passa une main dans ses cheveux, remettant plusieurs mèches derrière son oreille. Elle replaça ses lunettes sur son nez et se tourna vers les silhouettes sombres des érables. Un hurlement survint.

De multiples ombres surgirent de l'orée de la forêt et s'envolèrent par-dessus la mer tempétueuse. Parmi toutes celles-ci, plusieurs volatiles s'entre-choquèrent et s'effondrèrent dans la bande sablonneuse.

-Reculez ! s'exclama Yolda, se plaçant devant les deux amies.

-Des Flonocs ? demanda Léa, craignant déjà connaître la réponse.

Les volatiles se dressèrent sur leurs griffes, en bouture de leurs ailes aux écailles d'émeraudes. Ils firent claquer leur mâchoire de reptile par trois fois avant de reprendre leur envol, ignorant les trois amis.

-On dirait qu'ils fuient. supposa Lou-Anne. Ils sont bien censés s'en prendre à nous ?

-Ils auraient eu peur du combat ? se proposa le Spriggan à haute voix.

-O...Ou peut-être d...de ça ?

La rousse observait fixement la lisière de la forêt, la longeant du regard, plus blanche que sa peau ne l'était déjà. Lou' prit la main de son amie, et tenta de la rassurer tout en lui demandant ce qu'elle avait vu. Non sans un regard inquiet en direction des troncs.

Une faible lueur bleue de glace apparut entre les branches les plus basses. Une seconde se montra, permettant à son aînée de disparaître derrière les érables. Une silhouette humaine, illuminée de cette même lumière glaciale, passa et repassa entre les écorces noires de la nuit. Une silhouette de taille moyenne, celle d'un adolescent, d'un collégien. Elle et ces lueurs flottantes progressèrent ainsi jusqu'à se situer derrière le tronc faisant face au trio.

Une flamme bleue glaciale flotta hors de l'ombre de l'arbre. Une jambe, puis le reste du corps. Une adolescente aux cheveux ondulés et bleus de glace. Entourée de plusieurs de ses flammes d'outre-tombes, elle se posta devant les trois compères, une main sur le tronc. Pieds nus, une robe tee-shirt par-dessus un leggings sombre s'arrêtant légèrement sous ses genoux. Elle ne présentait aucun danger apparent.

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