Chapitre 21 : Complications

L'adolescente observait les gravures à la lueur vacillante de sa torche. Les vêtements trempés à la suite de leur plongée, elle s'était changée et avait repris la tenue que le vieux Syl lui avait offerte. Yuko lui avait permis de prendre son temps pendant qu'il cartographiait le temple de son côté. Elle passa sa main sur la roche et frissonna quand sa peau toucha la surface lisse et froide. Par conséquent, elle put s'assurer qu'il s'agissait de gravures car de petits creux se faisait ressentir sur les tracés des schémas, peints à peu d'endroits. La jeune blonde croyait comprendre que ces murs retraçaient l'histoire du temple. Mais elle remarqua finalement qu'il s'agissait d'une histoire plus ancienne.

Si les murs pouvaient lui parler, ils lui raconteraient sûrement ce qu'elle était en train d'imaginer.

« Les fées sont arrivées après les humains, au nombre de quatre. Les quatre peuples principaux, sûrement. Les humains, comme à leur désagréable habitude, se sont révoltés contre les agresseurs extérieurs et la guerre a pris place. Et !... »

Nora interrompit sa réflexion et son interprétation lorsque son regard se posa sur la gravure suivante. Elle représentait un homme aux marques sur les joues. Des marques parfaitement identiques aux siennes. Elle n'ignorait pas que son père les possédait aussi et était originaire de Héliandre. Mais de là, à penser que ce caractère qu'elle pensait héréditaire se retrouve sur une gravure de temple. Ça la dépassait. Les gravures de son couloir s'arrêtait sur ce visage marqué et n'allait pas plus loin dans le temple. L'adolescente finit par tomber sur le Spriggan qui revenait sur ses pas. Elle en profita pour lui demander pourquoi seulement quatre fées étaient représentées sur les gravures, et étaient citées dans le nom-même de la structure.

-C'est la légende de la création d'Héliandre qui veut ça. Elle raconte que quatre grands guerriers fées sont venus conquérir ces terres et auraient finalement trouver un compromis avec l'espèce humaine, indigène.

-Mais... il y avait !...

-Il y a six statues à l'entrée, je sais. Les Spriggans et les Yvilis étaient, comme les humains, des peuples originaires des terres de Héliandre. Ne vas pas croire que nous nous sommes donnés le beau rôle en édifiant ce temple. Ce sont les humains qui l'ont bâti en mémoire des années de guerre qui ont précédées la paix entre nos peuples.

Le brun tendit un morceau de papier sur lequel il avait griffonné de manière extrêmement grossière les dédales du temple. Il leva sa torche au-dessus de leur tête et pointa un carré au bout de l'un des multiples chemins disponibles.

-C'est là que l'arme de la guerrière Firildre se trouve.

-L'arme de la Firildre ? Syl m'a dit qu'on y trouverait un sabre, c'est celui-là ?

Il acquiesça d'un hochement de la tête.

-Elle a été l'une des quatre. Armée de sa lame noire, elle a mis à mal les armées de la coalition Spriggan et Yvilis.

Le Spriggan attrapa le bras de la blonde et plongea son regard dans le sien. L'air sérieux, le regard sombre et sec, il reprit :

-Tu es sûre de vouloir faire confiance à Syl ?

Nora ne comprenait pas sa soudaine méfiance à l'égard de celui auprès duquel il l'avait lui-même emmené.

-Qu'est-ce que tu veux dire ?

-Syl te laisse renoncer à ton enseignement de magister pour te confier à Karah de la cité Firildre. On est bien d'accord.

L'adolescente acquiesça, inquiète du comportement de son ami.

-Ce n'est pas un comportement normal pour ce Sylvidre. Je sais qu'il a enseigné à ton père, mais je sais également qu'il est un Vivialde.

-Moi aussi, il me l'...

-Karah aussi en est une ! J'ai accepté de te conduire jusqu'à ce temple, de te mener à elle. Mais, si ça doit entraver la mission, je préférerai abandonner ce plan, te ramener chez toi et me charger seul de ce problème.

-Qu'est-ce que tu racontes ? Tu n'as même pas confiance en Syl alors que tu m'y as conduite ?

-Ce n'est pas ça... C'est...

-Tu veux me ramener chez moi ? Si tu considères que cela réduit tes chances de réussite. Dois-je seulement te rappeler qui je suis ? Dois-je te rappeler ce qu'il s'est passé chez... chez moi ! s'énerva la jeune blonde, reprenant son souffle entre chacune de ses phrases.

Les dernières paroles de l'adolescente résonnèrent dans la tête de la fée noire. Il revit sa petite sœur le saluer avant qu'il ne parte pour le désert des Mages, ne portant alors pas ce nom. Son retour, du sang sur les mains. Sa ville natale en fête sous les annonces du conseil noir. Il se voyait dans le chambranle de sa porte, le regard dans le vide devant un chaos de meubles et de cloisons détruites. Puis la chambre de ses parents vide, celle de Sylvia également vide. Ses pensées furent interrompues par une douleur vive qui s'empara de sa joue. La main plaquée sur celle-ci, il reprit ses esprits et vit Nora en larmes, serrant les poings de toutes ses forces. Son regard bleu l'observant dans les yeux, ne lui laissant aucune échappatoire.

-Ma mère est morte... hoqueta-t-elle. Je dois sûrement être portée disparue si ce n'est plus... et tu veux me ramener chez moi ?! Seule ?!

Le Spriggan sentit une nouvelle douleur apparaître contre son autre joue. Pourtant, l'adolescente n'avait pas levé le petit doigt. Elle maintenait toujours ses poings serrés le long de son corps. Autant, il aurait pu croire qu'elle l'avait giflé pendant qu'il était dans ses pensées. Autant, il était persuadé que rien ne venait de le frapper à l'instant malgré la douleur. Venait-elle de se servir de ses pouvoirs ? Il se remémora de leur fuite sur Dokkanze. Nora s'était jetée sur Shiro et l'avait étranglé sans contact physique. Serait-ce là les pouvoirs que craignent l'ordre et le roi-sorcier ?

« Elle n'en est pas consciente ? Elle ne semble pas avoir remarqué que j'ai mal à la... aux joues. » réfléchit-il.

Il réalisa soudainement que ce n'était ni l'endroit, ni le moment de s'émerveiller de ça. Ils devaient, même si il ne faisait pas confiance à Syl et à Karah, se rendre à la cité Firildre avec ce sabre pour permettre à Nora d'affronter Madox. Mais comment calmer l'adolescente qui s'était désormais souvenue des événements précédant leur arrivée dans la forêt ? Elle s'était mise genoux à terres, le visage enfoui dans ses mains, ne parvenant plus à stopper ses sanglots. Il ne pouvait pas simplement lui dire d'arrêter de se morfondre sur le passé. Il craignait des représailles de sa part ou encore de Léa.

Penser aux violences qu'il risquait de subir par la rousse si il s'y prenait mal lui fit se souvenir de ce que cette dernière semblait faire pour calmer son amie. Il s'agenouilla, entoura l'adolescente de ses bras et la berça au gré de son corps. Relativement gêné par ce qu'il faisait, et n'ayant jamais présenter un tel signe d'affection de sa vie. Pas même avec sa petite sœur. Il regarda la torche à ses pieds et les jointures entre les roches du sol et des murs. Il cherchait à ignorer ce qu'il faisait du plus profond de son être. Mais il n'y parvenait pas et finit par reporter son attention sur la blonde dont les sanglots semblaient se calmer peu à peu. Il cessa de se balancer de gauche à droite et lui caressa le dos, moyennant de très légères tapotes.

Au bout de quelques secondes, elle finit par sortir son visage de ses mains et leva les yeux, humides et rougis par ses pleurs, vers le Spriggan. Elle sentit soudainement la chaleur lui monter aux joues, surprise de le découvrir si près de lui. Elle se savait également rouge aux joues et repoussa violemment le brun qui tomba en arrière, ne souhaitant pas être vue ainsi. Elle justifia sa violence en lui demandant ce qu'il lui faisait.

Le Spriggan se releva normalement, épousseta ses vêtements et ramassa sa torche.

-Viens... Le sabre est par là.

Nora regarda la fée noire s'éloigner sur quelques mètres avant de réaliser qu'elle se devait de le suivre. Pendant le trajet, elle chercha à se souvenir de ce qu'il s'était passé avant qu'elle ne reprenne ses esprits dans les bras de Yuko. Pourquoi s'était-elle mise à ressasser la mort de sa mère ? Malgré tous ses efforts, elle revenait toujours sur l'instant où elle avait croisé le regard du brun, les yeux embuées de larmes récentes.

Ils finirent par atteindre une immense pièce circulaire, haute de plafond. Au centre, un piédestal se tenait fièrement sous la lumière d'un lustre en or où étaient enfermés des dizaines de petites boules lumineuses. Yuko invita Nora à grimper dessus et à saisir le fourreau noir, scellé par une corde de lierres, reposant en son centre-même. Lorsqu'elle souleva le lourd contenant, la tête enfantine et brune de Sylvia apparut en face d'elle et lui arracha un cri.

-Qu'est-ce qu'il y a ? paniqua Yuko, surpris par l'exclamation de terreur de la blonde.

-R... rien... J'ai juste été surprise par... par mon « fantôme personnel ». Pour reprendre tes termes.

-Je ne suis pas un fantôme. s'indigna Sylvia. Enfin, on a plus important. Partez d'ici au plus vite, il va bientôt !...

La jeune brune n'eut pas le temps d'achever sa phrase. Le plafond s'effondra. Yuko parvint à réagir à temps et bloqua le lustre au-dessus de Nora. D'énormes pavés de plusieurs tonnes atterrirent lourdement et bruyamment autour d'eux.

Le Spriggan finit par céder et se retrouva bloqué sous les décombres du lustre, libérant les petites boules de lumières. Un épais nuage de poussières s'était levé et Nora éternua à maintes reprises. Sylvia venait de disparaître à nouveau, mais la blonde aperçut une silhouette d'enfant en face d'elle. Supposant qu'il s'agissait de son amie, elle s'en approcha mais, par manque de visibilité, trébucha contre un pavé et tomba face contre terre.

La silhouette leva un bras et le dirigea vers son visage, mimant l'ordre de silence.

-Tu devrais te faire passer pour inconsciente. conseilla soudainement la silhouette d'une voix qui parlait à l'adolescente. Il ne faudrait pas qu'il t'assomme réellement.

Nora ignorait de qui la voix lui parlait, mais elle ne tenait pas à recevoir un coup sur la tête. Elle ferma les yeux et patienta. Cependant, la fatigue qu'elle avait accumulé pendant le trajet fut plus forte et la tira dans les bras de Morphée.

*

-Nora...

L'adolescente se réveilla dans un pièce aveuglante. La lumière blanche d'une ampoule se tenait juste derrière le visage d'un homme blond. Elle mit quelques temps avant de s'adapter à la luminosité et de découvrir les marques rouges sur les joues de cet homme. Elle remarqua également qu'elle se trouvait dans sa chambre. Mais son corps avait étrangement rétréci, elle avait désormais retrouvé ses deux ans.

-Nora... reprit l'homme. C'est toujours une question de volonté, jamais de moyens.

La lumière blanche et l'homme disparurent pour laisser place à une table octogonale éclairée par une verrière dont l'astre lunaire faisait bénéficier de sa clarté. De chaque côté de son assise, trois autres chaises étaient vides. Seule la place qui lui faisait face était occupée. Occupée par un enfant aux cheveux blancs, le Vivialde humain, Nor. Ce dernier gardait ses mains sur la table, doigts croisés, et l'observait. Après un profond silence, il prit une inspiration.

-Merci d'être venue à moi. J'en conclut donc que tu acceptes mon offre et que tu souhaites par conséquent reprendre ton dût. Ta place en tant que Vivialde mage. J'ose espérer, tout comme toi je pense, qu'ainsi ton peuple cessera d'être opprimé et enclavé à Maj'caltran. Le roi, mon père, saura apprécier ta présence et rendre aux mages leur cité d'Antan... Néanmoins ! Il espère tout comme moi que tu ne feras pas la même idiotie que ton père, il y a quinze ans.

Nor se leva et passa derrière son assise.

-Enfin, cela ne devrait pas arriver. Par le passé, ce qui est arrivé est entièrement de la responsabilité de mon prédécesseur. J'imagine que ton père a dû penser que mon père cherchait à LE remplacer en étant à la recherche d'un fils. Je ne l'en blâmerai pas, j'aurais supposé la même chose à sa place. Nora. Bienvenue dans l'ordre Vivialde.

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