Chapitre 20 : Voyage maritime

  Dans la matinée, les deux lycéennes étaient retournées à la bibliothèque de la cité Aquildre afin de rendre le livre de Philius Wase. Pendant qu'elles se chargeaient de ça, Yolda, lui, s'était rendu au chantier naval dans l'optique d'acquérir un navire. Le pêcheur qui les avait amenés à l'allée n'avait pas convenu de quelconque retour et le Spriggan savait qu'il n'accepterait pas de les conduire jusqu'aux terres de feu.

La traversée de la mer tempétueuse était devenue bien plus dangereuse du jour au lendemain. La météo s'était dégradée dans la nuit et des nuages noirs d'orages étaient apparus au-dessus de la cité. Les vagues, qui d'ordinaire n'atteignaient pas la moitié des épais piliers surélevant la cité, atteignaient désormais la base de la pyramide et léchaient les vitres. La pluie battait contre les parois vitrées et donnait une toute autre atmosphère à l'intérieur estival et marin de la ville. On pouvait croire qu'à tout moment, la pyramide ne se brise sous la force de la tempête et que la cité ne soit dévastée et noyée.

Lorsque les deux adolescentes retrouvèrent le Spriggan sur la berge du port intérieur de la cité. Il était encore en train de discuter avec les navigateurs et capitaines des quelques bâtiments accostés.

-Vous et ces deux jeunes filles ? demanda soudainement l'un des marins en remarquant l'arrivée des lycéennes.

Yolda se retourna et leur fit signe d'approcher avant de confirmer la supposition de l'homme. Ce dernier leva la main et refusa de poursuivre leur affaire, déclarant qu'il ne pourrait pas se permettre de risquer plus de vies dans ces eaux colériques. Il ne fut pas le seul et il ne resta plus qu'un seul capitaine auprès du Spriggan. Le marin était un humain tout à fait normal, blond, il ne pouvait appartenir aux peuples fées.

-Êtes-vous sûr de vous ? voulut s'assurer Yolda.

-Vous en faites pas pour moi. Si ces deux jeunes filles sont avec vous et attendent aussi un navire pour les mener quelque part. Même avec une telle tempête, c'est qu'elles sont sûrement conscientes des risques et qu'elles feront tout pour survivre.

L'homme se mit à rire aux éclats pendant quelques secondes avec de retrouver un air grave et sérieux.

-Je peux vous mener jusqu'aux terres de feu, ça ce n'est pas un problème d'y accoster malgré l'activité volcanique des lieux. Le problème sera essentiellement aux abords de Viv'Lad et du bassin des cent morts. Vous devez sûrement le savoir, sinon vous ne seriez pas avec deux humaines déguisées en Aquildres.

La remarque surprit Léa et Lou-Anne et fit réagir le Spriggan qui plaça immédiatement son bras devant les deux adolescentes. Le marin leva les mains aux ciels et secoua la tête.

-Non, non, non. Ne vous en faites pas, je ne suis pas un acolyte de l'ordre. J'ai simplement vu bien plus de fugitifs que vous ne le pensez. Il est commun pour eux de se mêler aux peuples qu'ils croisent. Je ne poserais aucunes questions indiscrètes si c'est ce dont vous souhaitez vous assurer. Cependant, pour en revenir à notre trajet, Viv'Lad est très tendue depuis quelques jours. Il y a récemment eux de nombreux sommets de l'ordre et plusieurs Vivialdes circulent dans la cité. Le pire des scénarios qu'il pourrait nous arriver serait qu'un Vivialde ne nous intercepte et ne vous demande la raison de votre voyage.

Il marqua un temps de pause afin de reprendre son souffle et de, intentionnellement ou non, laisser la foudre s'abattre bruyamment sur le sommet de la pyramide.

-Si vous êtes réellement des fugitifs, il serait mieux que ce scénario n'arrive pas.

-Je vous fais confiance. Combien je vous dois pour le trajet ?

-Nous verrons ça lorsque nous serons arrivés aux terres ardentes, voulez-vous bien ? Le coût du voyage variera selon les événements.

La pluie fouetta la peau du groupe. Le bateau tangua au point de rendre malade, même le plus accroché des cœurs. Le capitaine du navire de pêche s'élançait de bâbord à tribord, de la poupe à la proue, cordages en mains, cherchant à diriger son bâtiment. Un navire à simple coque, une cabine à deux pièces au centre du pont et un gouvernail contrôlé par une simple barre située à la poupe. La colère du ciel les empêchait de choisir une quelconque direction, et la pluie brouillait toute visibilité. Ils étaient en train de dériver sans pouvoir contredire les vents et marées. Léa sortit de la cabine centrale à la recherche du marin et de Yolda. Ce dernier l'aidant à maintenir la voile repliée. La pluie la trempa jusqu'à l'os et elle ne pouvait ouvrir les yeux que de la moitié d'un plissement.

-Qu'est-ce que tu fais là ? Retournes à l'intérieur ! tonna la voix du Spriggan parmi le tonnerre et les frappes de la mer contre le navire.

-Les tempêtes sont longues sur cette mer ?!

-Excuse-nous mademoiselle ! s'exclama le marin avec un profond sarcasme. Non, elles ne durent généralement que quelques heures. D'ici une heure, elle devrait s'être éloignée !

-On ne s'éloigne pas du rivage ?

-C'est bien là notre plus gros problème ! On ne peut pas gérer la barre, mais je pense pouvoir assurer que nous sommes dans une direction convenable.

La rousse retourna à l'intérieur de la cabine pour s'asseoir à côté de Lou-Anne. Cette dernière ne se sentait pas au meilleur de sa forme. Elle avait l'impression que son cœur allait lui sortir par la bouche à chaque vague surmontée. De plus, l'odeur pestilentielle des poissons détenus dans les fûts autour d'elles, n'arrangeait rien et lui donnait la nausée en plus de son mal de mer. Chaque inspiration la faisait souffrir et la pluie lui avait glacé le sang. Malgré la saison chaude, la pluie et le vent les avait frigorifiées.

Lorsque la tempête les laissa pour ne s'en prendre qu'aux eaux qui les précédaient, l'adolescente auburn se précipita sur le pont pour déglutir les restes de son petit-déjeuner et prendre une grande inspiration. Cependant, elle réalisa très vite l'impact de cet air frais qu'elle appréciait enfin respirer, et éternua à deux reprises.

Elle retourna auprès de son amie, celle-ci étant déjà en train de se changer pour être la plus au sec possible. Ils n'étaient plus dans la cité Aquildre, elles avaient donc la possibilité de remettre leurs anciennes tenues, sèches et un peu plus chaudes. De leur côté, les deux hommes s'étaient tout simplement dévêtus le torse et laissait le zénith les réchauffer, en plus de les libérer de l'empreinte de la pluie. Après un coup d'œil par l'une des fenêtres de la cabine, le capitaine se tourna vers le Spriggan.

-Elles ont beau être humaines, elles portent des tenues peu communes. lui fit-il remarquer.

Yolda lâcha un sourire et se concentra à nouveau sur son cordage. Remarquant que le Spriggan n'allait rien lui répondre, il reprit :

-Je suis un humain, moi aussi. Et j'ai bien plus voyagé que mon métier de pêcheur ne le laisse penser. Les humains de la mer comme ceux des montagnes, aucuns d'entre eux n'ont un tel accoutrement. Si je ne m'y connaissais pas, je pourrais même dire qu'elles viennent de la cité Vivialde. Je sais que je l'ai promis mais... Qu'est-ce qui vous conduit aux terres de feu ?

Yolda cessa de vérifier les cordes de la voile et lança un regard en coin au marin. Alors qu'il s'apprêtait à rétorquer, Léa ressortit sur le pont et lui répondit :

-On va voir une certaine Karah. Elle peut nous apprendre à nous défendre contre le roi-sorcier Madox. C'est du moins ce qu'on pense.

Le Spriggan lui lança un regard surpris et elle lui répondit avec un sourire rassurant. L'homme se retourna vers les nœuds qui retenaient sa voile et les défient afin de la libérer.

-J'ignore pourquoi vous désirez vous en prendre au roi, ni la raison qui vous pousse à croire que l'un de ses Vivialdes vous aidera. Mais, si je peux vous donner une idée de ce qui vous attends, regardez à votre gauche.

L'adolescente et la fée noire lui obéirent et découvrirent qu'ils se tenaient à moins de cent mètres du rivage d'une île relativement large à la végétation sauvage et tropicale. De cette jungle s'échappait un immense palais aux briques sombres et aux toitures en pointes noires d'ardoises. Léa aperçut un reflet lui briller au coin de l'œil et crut entrevoir la présence d'une femme faite d'or sur la plage.

-Outre le palais du roi, cette île abrite une jungle dont les maîtres sont à la fois terrestres et aériens. Qu'il fasse jour ou nuit, que vous marchiez ou voliez, l'île est défendue par deux créatures terribles. expliqua le capitaine.

-Pourrais-je savoir ce que ce navire fait aussi près des côtes de notre roi ? interpella une nouvelle voix.

Les trois compagnons se retournèrent et découvrirent la présence d'une femme aux cheveux blancs, planant au-dessus de la mer de ses ailes marrons. Elle se laissa atterrir sur le pont du navire. En quelques lourds pas de ces épaisses bottes de cuir, elle se tint de toute sa hauteur en face du Spriggan. La femme Stoïldre ne faisait pas moins d'une tête et demie de plus que Yolda et avait une carrure près de deux fois plus larges. Dans son long et épais manteau de cuir, la main sur sa pioche en poly-minerais accrochée à sa ceinture. Elle se donnait un air autoritaire que même Léa n'oserait pas contredire. Le regard noisette de la femme parcourut les visages des trois camarades et s'arrêta plus longuement sur la rousse et le brun.

-Ton nom, petite ?

-Léa Beaumeny, madame.

Mécontente de la réponse qu'elle venait d'obtenir, elle tapota le métal de sa pioche avec son index et se tourna vers le second humain du groupe, et capitaine.

-Pourquoi êtes-vous si prêts des côtes de l'île du roi ?

-Nous venons à peine de ressortir de la tempête, nous n'avions pas encore eu le temps de nous rendre compte de notre position suite à notre dérivation. De plus, je laissais quelques temps à mes passagers pour qu'ils puissent admirer le palais de notre seigneurie. répondit l'homme.

La Vivialde Stoïldre cessa de tapoter son outil et redéploya ses ailes.

-Évitez de rester si près de l'île. À moins que vous ne désiriez mourir de la faune locale. prévint-elle avant de reprendre son envol et de se diriger vers une ville aux nombreux grattes-ciel, sur la côte opposée.

Yolda et l'homme retournèrent à leurs activités, le capitaine prenant la barre et donnant des ordres au Spriggan afin de leur permettre la navigation la plus simple possible. Léa s'intéressa une seconde fois au rivage de l'île du roi, cherchant à revoir cet éclat doré qui l'avait surprise. La lycéenne auburn la rejoignit et observa elle-aussi l'île, sans savoir que son amie n'admirait pas le paysage en particulier. Lou-Anne finit par se tourner vers les deux hommes et leur demanda si elle pouvait les aider.

La rousse s'apprêtait à, elle aussi, détourner les yeux du rivage quand l'éclat reparut et qu'une femme vêtue d'or se tint dans le sable de la plage. Léa n'était pas sûre d'elle, mais elle crut un instant que ce n'était pas seulement ses vêtements qui étaient fait d'or mais bel et bien la femme elle-même. Cependant, à peine eut-elle cligné des yeux que la femme disparut à nouveau. La jeune fille préféra ne pas en parler aux autres. Elle était peut-être fatiguée, ou le soleil ne lui avait peut-être simplement fait qu'un jeu de lumière. Elle vint en aide à son amie et ils purent reprendre leur route convenablement.

-On a de la chance. s'exclama le capitaine du navire lorsqu'ils eurent passé l'intégralité de la côte sud de l'île du roi.

Sur la côte opposé, il venait de passer devant la large embouchure menant au bassin intérieur bordé par un désert de sable. Si la première côte de ce bassin circulaire était occupé par la cité Vivialde, celle qui l'opposait était prise par un immense château du moyen âge. Des tours carrés et épaisses aux meurtrières multiples. Des arbalètes et des catapultes de tailles inconcevables sur chaque intersection de remparts. De plus, la présence d'une épaisse fumée noire émanant de la cour autour de l'immense tour centrale, n'arrangeait en rien son apparence peu joviale.

-Nous n'avons pas eu à éviter les courants du bassin. reprit-il.

Le groupe finit par accoster en fin d'après-midi. Les terres de feu étaient exactement comme les deux adolescentes avaient pu les imaginer. Une fumée noire de soufre planait au-dessus de leur tête. L'air était lourd et difficile à respirer, et la chaleur à moitié étouffante. Ces terres étaient jonchées de nombreux volcans en activité et de nombreuses collines de basalte et de roches volcaniques encore chaudes. Des ruisseaux, des étangs, des lacs et des rivières de lave en fusion étaient alimentés par des cascades issues de l'intérieur de certaines montagnes colériques.

Sur la côte, c'étaient de nombreuses volutes d'eaux bouillantes qui s'élevaient là où le magma se jetait dans l'océan. Un fin brouillard d'eau était également constant et humidifia la peau et les vêtements du groupe déjà en proie à la chaleur étouffante du climat volcanique. Yolda discuta du prix de leur trajet avec le capitaine. Heureusement pour le Spriggan, l'homme se trouva être honnête et ne lui demanda presque rien. Le marin estimait que la main d'œuvre qu'ils avaient fournis et l'absence de dangers autour de Viv'Lad avait grandement réduit le coût.

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