Chapitre 18 : La trahison
Cela fait déjà plus de deux ans que j'ai rencontré cette humaine de l'autre monde. Ma famille ne me croit toujours pas lorsque je leur dis qu'un monde et un peuple parfaitement similaire au nôtre existe au-delà de la forêt du Sud. Pourtant, je sais qu'elle existe, j'en suis sûr. Si ce n'avait pas été le cas, ma fille ne serait alors qu'une illusion infâme que le dieu Solus oserait me faire miroiter. Nora.
C'est une certitude désormais, ce monde existe et ma famille ne peut plus le nier. Le roi Madox vient tout juste de confirmer l'existence de Dokkanze. Enfin, c'est le nom qu'il souhaite lui donner, je sais que ce monde porte le nom de planète Terre.
Maintenant, père souhaite absolument rencontrer Enora et Nora. Je ne sais si je peux vraiment les lui présenter. J'ai peur que la nouvelle n'atteigne alors les oreilles de l'ordre et du roi. Père devrait le savoir. Mon appartenance en tant que huitième Vivialde de l'ordre m'interdit tout contact avec l'extérieur des frontières de Héliandre. En plus, ma fille possède les mêmes marques que moi. Les marques du magister, l'ancêtre de notre famille qui aurait alors offert la paix et l'égalité entre les sept peuples. J'espère seulement pour Nora qu'elle ne découvrira jamais les origines de son idiot de père.
L'ordre vient de se dissoudre. Le Vivialde humain accuse le Vivialde mage, m'accuse d'avoir bien plus de pouvoirs que lui. Que puis-je y faire ? Les mages ne sont qu'une minorité au sein de l'humanité et notre pouvoir n'est pas si aisé qu'il ne le pense. De plus, la force brute n'est pas ce qui dirige un pays, son rang au sein de l'ordre était certainement le plus important, il possédait le droit d'acceptation ou de refus absolu. Il était notre pouvoir législatif et juridique. Mais suite à de telles accusations, ni moi, ni les autres Vivialdes, ni le roi n'avons pu rester sourd à cela.
Le vieux Syl, mon ancien maître, a bien essayé de dissuader Abram de poursuivre son accusation sur ma personne. Mais l'humain ne saurait être raisonnable dans sa quête de pouvoir. Je ne suis pas le seul à avoir remarqué le soudain intérêt qu'Abram semble porter à ma force télékinésique. Notre roi l'a également compris et semble en être venu à la même conclusion que moi. Abram souhaite renverser l'ordre et s'asseoir sur le trône afin d'étendre la jadis suprématie humaine sur les peuples féeriques.
La guerre a été déclarée entre les humains et la minorité mage. En tant que Vivialdes, Abram et moi sommes les plus hauts dignitaires de nos « peuples », si tant est que les mages soient un peuple à part entière. Je ne désirais pas ce conflit, mais il ne m'a aucunement laissé le choix. Malgré mes appels à la négociation, il a fait passé ses accusations comme des négociations ayant échouées et a poursuivi la formation de son armée.
Cela ne fait que deux jours, et pourtant les pertes s'élèvent à plusieurs dizaines de milliers parmi les humains et une bonne centaine dans notre camp. L'écart de force est bien trop important mais Abram ne semble pas revenir vers la raison et poursuit ses assauts sur Viv'lad. Il a même ordonné à ses soldats de ne plus faire de distinction entre les mages et les humains vivant dans la cité.
Troisième jour, je ne désire toujours pas faire parti du conflit et préfère me défiler, profitant de la force écrasante du don que possède mon camp. Je ne m'abaisserai pas à employer le terme « peuple » pour la communauté mage, nous sommes autant humains qu'eux. Je me dis que je ferai bien mieux de prendre quelques jours auprès d'Enora et de notre fille. Après tout, si ce conflit vise à éliminer le pouvoir des mages, un jour viendra où la mort s'en prendra directement à ma personne.
Bien que je n'ai pris la décision de rester avec Enora quelques temps, la guerre m'a presque aussitôt rappelé. Abram a réussi à rallier Percée et Ao à sa cause. Les Aquildres et les Stoïldres se sont donc alliés aux humains et désormais nos simples pouvoirs ne peuvent tenir tête face à leurs trois armées. Heureusement pour moi, mon ancien maître et Karah, la Firildre récemment devenue Vivialde, ont pris la décision de s'opposer à eux et m'ont informé de leur participation à nos côtés. J'ignore si cela est si bon que ça ne me le laisse paraître, tout ce que je vois c'est un pays de nouveau déchiré par la guerre. Et une nouvelle fois, ce sont les hommes qui l'ont causée. Ils ne sont certes plus en opposition avec les fées divines, mais ils ont rallié la quasi-totalité de celles-ci dans un conflit interne.
Le roi n'intervient toujours pas, je sais qu'il est au courant pour l'ambition d'Abram. J'ignore si il a déjà prévu la sanction que le Vivialde humain allait recevoir, mais il parle de plus en plus de l'envie d'avoir un enfant. Il sait pourtant qu'il en ait incapable, que son pouvoir ne lui conférait pas cette chance. Cependant, en y repensant alors que j'écris ce paragraphe, si le roi désire un enfant. Le Vivialde qu'il a le plus à même de remplacer serait celui des mages. Le roi n'aurait aucune raison de posséder un enfant humain alors qu'il est lui-même mage. J'ai par ailleurs appris pour la nouvelle nomination du Vivialde Spriggan et les candidats à même de succéder à Shaz'ra au siège Yvilis. Que n'a pas pu être mon mécontentement et ma tristesse lorsque j'ai rencontré cette adolescente en pleurs. Une jeune Spriggan à qui l'on a arraché les parents et dont l'aîné se bat au front en tant que mercenaire. Une enfant vendue par son peuple afin de bénéficier d'une quasi-neutralité dans ce conflit. Elle n'est pas la seule dans ce cas, mais c'est bien la seule à avoir échappé à la mort et à avoir eu la proposition inestimable du roi. Quant aux successeurs potentiels de Shaz'ra, il y a de nombreux jeunes mercenaires Yvilis.
Une semaine de combat, les milliers de mort se comptent désormais en centaine. J'ai pris une décision terrible. Le vieux Syl me frapperait si il l'apprenait. Je vais me rendre sur Terre pendant deux semaines et laisser la guerre perdurer encore sans moi. J'ai simplement besoin de me faire pardonner par Enora et de vivre quelques instants supplémentaires avec Nora. Cela fait, je commencerai à purger mon propre... peuple. Ce n'est qu'ainsi que nous pourrons arrêter cette guerre. Certes les Aquildres et les Stoïldres se battent contre les Sylvidres et les Firildres. Néanmoins, leurs objectifs communs sont liés à ma personne et à celles des mages auxquels j'appartiens. Et quant bien même, ma mort et celle des miens ne les arrêterait pas, Abram n'hésiterai pas à profiter de notre disparition pour assouvir sa force sur les peuples féeriques.
A peine deux jours ont suffi pour me faire oublier le conflit qui règne sur ma terre natale. Bien entendu, je ne l'oublie pas entièrement. Mes nuits se consacrent uniquement à cela. Elles m'empêchent d'oublier mon abandon, bien que temporaire. Heureusement pour moi, la présence d'Eno et de notre petit soleil me font reprendre goût à ma vie sur Terre. Les voir sourire, voir Nora bouger, marcher, jouer et tenter de m'appeler « papa ». C'est probablement le meilleur remède aux conflits mondiaux. Si seulement chacun pouvait le comprendre, si seulement chaque combattants avaient une famille ou des personnes chères à retrouver. Peut-être que la guerre diminuerait en intensité, que les fées se retireraient et ne laisseraient plus que les humains entre eux. De là, mon objectif final n'en serait que plus aisé et le coup d'état d'Abram aurait éclaté au grand jour. Je ne dois plus y penser, du moins plus pendant que je serais avec elles.
J'ai présenté mon plan à mes amis les plus proches. Heureusement pour moi, ils n'ont pas clairement montré leur refus dans ce plan terrible. Je sens que certains d'entre eux vont préférer se défendre mais tant que quelques uns se décident à effectuer cette purge, je pourrais effectuer ma part du travail. J'ai demandé une dernière séance auprès de l'ordre, espérant que cela n'ait atteint tous les Vivialdes.
Plus que quelques heures avant la réunion de l'ordre, je commence à douter du choix que j'ai fait. Plus le temps s'avance, plus je revois le visage de ma fille. Aie-je le temps de me rendre sur Terre ? Rien que pour la prévenir... Il doit faire nuit là-bas.
L'ordre va se réunir dans moins de cinq minutes, j'ai finalement été voir Nora alors que Enora l'avait bordée. Je lui ai dit la seule chose que j'aurais pu lui dire de mon vivant. Qu'elle ne devait jamais croire qu'il s'agissait d'une question de moyens, mais toujours de la volonté qu'on désire mettre dans nos actions. Elle n'a que deux ans, je doute qu'elle ne se souvienne de ça à l'avenir. Et quant bien même elle viendrait à s'en rappeler, comprendrait-elle le sens de cette phrase ? Le vieux Syl ne l'a lui-même pas compris alors qu'il m'a enseigné la magie des marques. Dans tous les cas possibles, je ne pense pas me tromper de décision. Il vaut mieux pour Héliandre que la magie humaine ne disparaisse pour de bon. Mon unique regret sera et restera Nora. Je ne vais pas pouvoir la voir grandir et s'épanouir dans un monde calme, loin de toutes les différences engrangées par la puissance de tout un chacun.
Passages inscrits après le décès de Philius Wase par Syl, Vivialde Sylvidre.
Le magister nous a présenté son plan. Ses alliés, Karah et moi-même avons tenté de l'en dissuader mais il nous a précisé qu'il y avait déjà réfléchit. Elles ne le montraient pas, mais Ao et Percée sont tout autant affectées par la nouvelle que nous ne le sommes. Sylvia, elle, ne semble pas à même de réagir à une telle nouvelle. Elle porte encore trop d'attention à son frère sur le front. Il affronterait un ami Yvilis, candidat au poste de Shaz'ra.
De son côté, Abram semble plutôt réjouit de ce génocide programmé. Après tout, cela lui évitera de supporter plus longtemps la menace mage. Philius ajouta une dernière phrase avant de nous laisser entre nous. Il nous annonça qu'il s'en prendrait ainsi au roi et qu'il prendrait la responsabilité de l'entièreté du conflit, désirant que les peuples fassent alors la paix et que seul son « peuple » soit accusé.
Quelques heures plus tard, nous autres, Vivialdes des fées, reçurent des nouvelles déconcertantes provenant des différents fronts. Les mages s'entre-tuaient, en pleurs pour certains, dans la colère pour d'autres. Les femmes et enfants restés loin du front n'eurent pas non plus droit au répit. L'armée humaine les captura et les traîna jusqu'à la prison du royaume. La traversée du bassin des cent morts entraînait un nombre de décès civils important et lorsque ceux-ci atteignirent enfin la prison... Ils furent torturés, exécutés, employés pour un travail minier forcé. C'est ainsi que Maj'caltran, la prison des mages, est née.
Dernières heures de la guerre, le Vivialde mage vient de perdre son titre. Il s'en ait pris à l'un des piliers du roi, il vient d'éliminer Abram. Il a attaqué directement le seigneur Madox. Philius vient de prendre la fuite, il ne semble pas fuir pour survivre pourtant il court à travers les dunes du désert où son armée s'est éteinte, où elle s'est auto-détruite. Le roi nous a ordonné, à nous les Vivialdes fées, de le traquer et de l'éliminer nous-mêmes. Cependant, aucun de nous n'est parvenu à s'y résoudre. Nous l'avons bel et bien retrouvé aux abords de la forêt du Sud, à la frontière des nouvelles terres désolées. Il semblait nous attendre. J'étais au courant, mais il m'a surpris. Il révéla à l'ordre l'existence de sa fille, lui léguant l'espoir d'un monde paisible.
Finalement, nous ne l'avons pas tué. Un jeune Spriggan est arrivé de nul part, accompagné de son ami Yvilis. Ces deux jeunes fées ne prêtèrent aucune attention à notre présence et le Spriggan tua de ses mains Philius. Plus tard, l'Yvilis qui l'accompagnait fut récompensé par le roi et obtint la place de Shaz'ra.
Lou-Anne et Yolda s'étaient endormis bien avant que Léa n'eut achevé sa lecture. Elle avait décidé de finir avant d'aller se coucher et avait donc poursuivi en silence afin de ne pas les déranger. Cette biographie des derniers instants du père de sa meilleure amie ne lui offrait qu'une vaste idée du système passé d'Héliandre. Néanmoins, elle découvrait d'autres informations qui pourraient finalement servir à Nora. Elle découvrait également que les Vivialdes représentaient la plus haute autorité parmi les différents peuples. Par ailleurs, elle était perdue quand aux liens entre les Vivialdes Yvilis et Spriggan. Elle savait Shiro être ami avec Yuko, du moins elle pouvait très fortement le penser. De plus, elle avait également appris par le passé que Yuko était coupable de la mort de Philius. Cet écrit le lui confirmait et elle était désormais inquiète pour avoir laissé Nora avec lui. Le prénom de Sylvia avait attiré son attention lorsqu'elle l'avait lu, elle était, si elle faisait bel et bien la corrélation, la sœur de Yuko. Mais ce prénom était également celui du fantôme qui suivait son amie depuis quelques années. Et si l'ordre l'avait finalement retrouvée à cause de la Vivialde Spriggan ? Cela signifierait que son amie serait continuellement observée et, malgré l'assurance avec laquelle Yuko semblait le lui avoir assuré, qu'ils n'étaient pas parfaitement invisibles aux yeux de l'ordre.
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