Chapitre 1 : L'inconnu

 La jeune femme se réveilla en sursaut. Ses yeux mirent quelques secondes à s'adapter à la faible luminosité. Elle faisait face au plafond miteux de son appartement. Une tâche d'humidité lui indiqua qu'elle se trouvait dans son salon. Si tant est qu'elle puisse le nommer ainsi. Une pièce où elle y réunissait à la fois cuisine et salon, et le tout enchevêtré.

Elle se redressa lentement et lourdement sur son canapé, une main contre la tempe. Ses migraines la reprenaient à chaque fois qu'elle faisait ce genre de rêve. Toujours cette jeune fille à la peau brune, pieds nus, vêtue d'une tenue plutôt tropicale. Nora ne lui trouvait aucun point de ressemblance. Cette « Meïola » était brune et elle blonde. Même ses yeux étaient d'un bleu plus froid que les siens. Était-ce peut-être lié aux dessins qu'elles se partageaient toutes deux sur les joues ?

La douleur devint insupportable. Elle se leva et tituba sur le chemin de sa salle de bain. Elle s'aveugla en allumant la lumière mais continua jusqu'au lavabo.

Après quelques longues minutes, elle s'aspergea le visage et bu quelques gorgés dans ses mains. La tête penchée en avant. Elle se refusait d'observer dans le miroir. Elle se doutait qu'elle y verrait une tête d'enterrement. Et surtout ces fameux traits mauves sur ses joues.

Une présence sur sa droite la fit relever la tête. Une autre jeune brune, plus jeune de quelques années, se tenait dans l'ouverture de la porte. Elle affichait une mine inquiète.

-Nora. Tu vas bien ? demanda-t-elle.

'''***'''

-Dépêchez-vous !

La voix fut immédiatement emportée par une bourrasque. La tempête battait son plein. C'était des dizaines de centaines de litres d'eau qui leur tombaient dessus, à chaque seconde. Les vagues n'étaient plus que des montagnes noires, leur barrant la route mais se laissant escalader avec facilité. Le trois-mats ne savait si ils devaient se renverser, oscillant entre tangage et roulis avec une vitesse inouïe.

Les matelots, trempés jusqu'à l'os, accouraient de bâbord à tribord. Cordages en mains, nombreux étaient ceux peinant à grimper aux mâts. Emportés par le vent, un grand nombre était déjà loin derrière, frayant avec les poissons.

-Repliez moi cette grand-voile !

Il était pourtant bien trop tard. La tempête venait de les surprendre à une allure phénoménale. La dite voile était déjà à moitié arrachée, prête à s'enfuir entre les trombes.

-Grande-prêtresse ! adressa un matelot à la capitaine.

Une jeune femme, châtaine, les iris noires comme l'ébène. Elle tentait désespéramment de retenir son capuchon contre le cyclone.

-Qu'y a-t-il ?

-La mage n'est plus dans ses quartiers !

La prêtresse cessa toute action contre le vent, accueillant la gifle pluviale sur son visage. Son humeur glissa entre peur et colère.

-Et la Spriggan ?

Le matelot secoua la tête, désolé. En proie à la panique, la jeune femme chercha éperdument autour d'elle. De la proue à la poupe, du nid de pie à l'étambrai. Presque aveugle des suites de l'intempérie, elle recherchait un quelconque indice, un mouvement. Sans un regard, elle ordonna à son compagnon de reprendre les recherches dans la cale.

-Mais madame !

-Sans elles, nous sommes perdus !

Un flash mauve lui perça furtivement la pupille. Cruellement affaiblie par la pluie diluvienne, la lueur n'était qu'un fébrile point entre les lames d'eau. Là, sur la barre de la grand-voile, une jeune femme blonde se tenait accroupie, accrochée aux quelques cordages qu'elle trouvait. La lumière violette lui éclairant le visage, depuis les marques sur ses joues, et la vue presque entièrement brouillée. Elle cherchait les pans de la voile.

« -Comment est-elle arrivée là-haut ?... Avant les autres ?! »se demanda la capitaine.

-Nora ! appela une voix dans le vide.

La blonde brisa sa concentration, faisant disparaître la lueur à sa suite. Elle se mit à chercher autour d'elle, affreusement inquiète.

-Sylvia !? Où es-tu ? Tu n'as pas déployé tes ailes, rassures-moi ?! paniqua-t-elle.

-Non, je suis juste derrière toi.

La brune se tenait, ventre contre la barre, accrochée à s'en faire saigner les mains aux cordes, juste derrière son amie. Nora se risqua à lâcher une main pour prendre l'épaule de la fée noire.

-Qu'est-ce que tu fais !? s'énerva-t-elle, camouflant son soulagement. C'est du suicide de monter jusqu'ici !

-La grand-voile ! rétorqua Sylvia sans écouter sa camarade. Elle est déjà arrachée !

Ça, Nora le savait. Elle s'était justement mise en tête de la ramener avec ses pouvoirs pour enfin la replier. Sans elle, ils risquaient tous de rester immobile à la fin de la tempête.

-Je s !...

-Non ! C'est trop tard, l'autre côté s'est auss !...

Un brusque sursaut la coupa. Le navire tout entier venait de sauter par dessus l'océan. Des hurlements s'élevèrent alors du pont. Les deux amies ne pouvaient plus les voir, mais les matelots commençaient à accourir dans la cale. Planches, clous, et seaux en mains, ils espéraient écoper et réparer la coque.

Le bâtiment entier se mit à trembler, vacillant dangereusement sur son flanc gauche. La coque venait de se briser sur toute sa moitié bâbord. La cale s'inondait à une vitesse inquiétante. Les dégâts étaient devenus bien trop importants et l'eau s'engouffrait avec une force colossale. Le navire chavira, entraînant les amies en premier.

Nora reçut violemment un coup de mat dans l'épaule, lui laissant échapper de précieuses secondes d'air. Sous les flots déchaînés, elle essaya de retrouver Sylvia. Le sel lui arracha les yeux, elle ne parvenait plus à les maintenir ouverts. C'était dans ces moments-là qu'elle regrettait sa tête d'enclume. Elle ne pouvait faire qu'une seule chose maintenant. Attendre.

« -Faites qu'on s'en sorte ! »

Une pensée presque futile dans ces eaux tumultueuses. Ils se retrouvaient en pleine tempête, au milieu de l'océan. Leur navire venait de couler. Aucune information précédant l'intempérie n'avait signalé de terres.

Pourtant, elle décida de s'accrocher à ce mince espoir. Une nouvelle fois, les marques s'illuminèrent. L'eau, bien plus uniforme sous la surface, offrit un éblouissement sans pareil aux dernières minutes. Elle finit par perdre connaissance, manquant d'air, l'eau commençait à s'infiltrer dans ses poumons.

-La Volonté.

-Oui.

-C'est la Volonté.

Plusieurs voix s'élevèrent autour de la jeune femme. Son corps flottant au milieu d'un véritable cimetière. De multiples planches arrachées, des morceaux bien plus gros et construits d'un ancien bâtiment, des vivres, des outils, des cadavres de malchanceux.

-Sauvons-la.

-Oui. Sauvons la Volonté.

Une silhouette humaine apparut au-dessus de la blonde. Elle lui attrapa le visage et colla ses lèvres aux siennes. De nouvelles silhouettes vinrent se joindre au duo. Ensemble et faisant fit de la violence des eaux, elles menèrent Nora à la surface.

-On ne peut pas aller plus loin.

-Laissons le courant se charger d'elle.

Les mains quittèrent une à une le dos de la blonde. Lorsque la dernière d'entre elle s'apprêta à partir, une nouvelle paire vint prendre le relais.

-Que fais-tu ?

-C'est contre notre magie.

-Tu ne dois pas aller à la surface.

Une femme aux formes voluptueuses se tourna vers ses camarades, retenant Nora. Deux paires d'ailes translucides brillaient d'un éclat bleuté derrière chacun d'eux. Gardant toujours une main sur la naufragée, elle porta l'autre à l'arrière de sa nuque et fit battre sa longue chevelure bleue marine dans son dos.

-Je ne suis pas de ce pays. Vos lois ne sont pas les miennes, et je lui en dois une.

'''***'''

-Félicitations ! Chef Maïori.

Une vieille dame ressortait d'une hutte plutôt rustique. Les murs étaient un mélange de bambous et de tressages de feuilles de palmiers. La toiture était charpentée par un bambou plus flexible, plus jeune, puis recouvert d'un tissu surmonté de feuillages.

Un grand homme, à la musculature saillante et aux yeux de tous au-dessus de son pagne, s'avança dans le sable. Il aida son aînée à descendre du promontoire sur lequel était installé la bâtisse.

-Tout s'est bien déroulé ? demanda le chef d'une voix forte mais légèrement préoccupée.

La vielle femme hocha légèrement la tête tout en affichant un sourire ravi.

-Allez-y. Chef Maïori, allez à la rencontre de votre fils.

L'homme entra dans sa demeure, rassuré par l'ancienne. La lueur blafarde des torches tamisait la pièce avec amusement. Au fond de la salle, derrière un drap de soie blanche, les ombres de plusieurs femmes se dessinaient. Sans hésitation, Maïori le traversa, capable de la reconnaître même aveuglé par le soleil, il s'approcha de sa femme. Encore alitée, couverte de sueur, mais le sourire aux lèvres. Un éclat qui ne fit qu'amplifier à la vue de son mari.

-Père Maï est là. Regarde Maïadox...

Le nouveau né dormait paisiblement dans les bras de sa génitrice. Il n'avait hurlé, ni pleuré à sa naissance. Immédiatement assoupi, il en avait même inquiété les sages femmes et ses parents. Malgré cela, le petit se démarquait tout de même. Que ce soit le chef, sa femme, l'ancienne, les sages femmes qui l'avaient accompagnée, tous se partageaient une peau brunie par les efforts du soleil, et ce, depuis leur naissance. Maïadox, lui, était d'un blanc immaculé. L'enfant de la lune et non du soleil.

'*'

-Comptes-tu épier mon passé encore longtemps ? Si ma mémoire est bonne, les gens de ton espèce n'ont fait qu'ignorer les miens. Pis encore des miens à la peau de lait bien que j'en fusse le seul existant sur l'île...

Une pause fut marquée par la voix. Un homme à la longue crinière blonde, un bouc châtain pour contraster, et deux tracés verts sur les joues, s'avança dans la lumière. Grand, robuste, il se présentait tout à fait capable d'égaler la montagne de muscle du chef. Malgré sa carrure, sa prestance, et la couronne de platine trônant sur son crâne, cet inconnu ne revêtait qu'une tenue paysanne d'un tissu similaire à celui présent dans la hutte.

-Oho... Voilà qui est intéressant. Tes marques ne sont pas celles de la Volonté, mais tu parviens à communiquer avec nous. Dis-moi, jeune fille. Que penses-tu des Dieux de roches ? Non ! Mieux encore. Des démons de feu, oui que penses-tu de ces démons ?

-J... Ils... intervint l'adolescente, encore perplexe par ce qu'elle visionnait.

-Non... Ne me réponds pas. Je me suis permis d'entrer en ton esprit et d'y trouver la réponse sans attendre une quelconque falsification par ton corps.

Bien que précédemment neutre, le souverain plongea son regard sanguin dans les yeux glacés de la jeune fille. Elle n'aurait pu s'y méprendre, les marques vertes sur les joues de ce dernier, la peau aussi laiteuse que la lune. L'homme qui se tenait face à elle était le petit garçon répondant au nom de Maïadox. Celui de son rêve. D'ailleurs, était-elle r...

-J'ai bien peur de devoir te décevoir sans attendre. Les rêves ne sont pas si éloignés de la réalité. Ils en font même partie intégrante si nous devions considérer l'irréel comme inexistant. Et nul besoin de t'inquiéter, tu ne pourras me voir que lorsque tu le souhaiteras.

-Êtes-vous ?...

-Oui. soupira Madox. Je suis bel et bien mort. Mais mieux encore pour toi, je suis le haut-traître de la Volonté. Celui qui a fait de toi ce que tu es aujourd'hui, des siècles plus tard. Jeune disciple du Devoir.

'''***'''

Meïola se réveilla brusquement. Les premiers rayons du soleil peinaient encore à percer le tressage des murs en bambou. Elle pouvait entendre les premières mouettes chasser sur le rivage, mêlées aux appels des pêcheurs du village. Couverte de sueur, elle se hâta de sortir de sa hutte. Le vent lui offrant une douce caresse malgré la tempête qui avait éclaté tard dans la nuit. Passant une main rapide dans ses cheveux frisés et noires, elle prit la direction de l'ouest.

Dos à l'aurore, la brise s'immisçant dans son paréo et le sable se glissant entre ses orteils. C'était une promenade rituel pour elle. Son père, le chef du village, lui avait très tôt enseigné les tâches qu'elle devait et devrait accomplir. De ce fait, elle n'avait presque jamais de travail si ce n'était lorsqu'une tâche lui incombait, ce qui restait rare. Néanmoins sa promenade du jour n'était pas aussi dénuée de sens que toutes les précédentes.

Elle revoyait encore, et encore, cet homme à la peau blanche qui semblait connaître son peuple, son île... Qui semblait même y être né il y a des centaines d'années selon lui. Elle ne comprenait pas ce qu'il s'était passé. Bien sûr, comme tout le monde au village, elle connaissait l'histoire du haut-traître de la Volonté. L'enfant qui naquit de l'union de la femme d'un ancien chef et d'un démon de feu. Mais si tel avait été le cas, pourquoi l'enfant avait-il la chevelure du soleil et non des flammes ? Tous sur l'île n'ignorait pas que les déités possédaient chacune une couleur capillaire leur étant unique. Le chef Maïori avait lui aussi les cheveux jaunes... Les adultes leur mentiraient-ils sur l'histoire du traître ?

-Jeune fille... appela soudain une voix.

Tous connaissaient son nom et personne, pas même les anciens, ne l'avait ainsi nommée. Elle quitta ses pensées pour s'apercevoir qu'elle ne se tenait qu'à quelques pas de son interlocutrice. Plus imprévisible encore, la chevelure bleue marine de celle-ci, les ailes translucides d'une teinte similaire, elle se tenait face à une déité de l'océan.

-Pourrais-tu t'occuper d'elles ? Je n'ai que peu de temps devant moi si je veux les aider à mon échelle. demanda l'Aquildre.

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