Chaputre 29 - 3

III

    Le soir, après son bain, Kal resta longtemps à contempler les étoiles. Il ne savait quoi penser. Il appréciait beaucoup Lélia, mais de là à la considérer comme une seconde mère ? Il ne savait même plus ce que c’était d’avoir une famille… il avait oublié. Il n’avait fait que de se renfermer depuis cette tragédie, et en avait oublié des choses qui lui étaient chères auparavant. Maintenant il se raccrochait à son seul désir : assassiner l’Ombre des Anges, qui avait tué sa famille.

    Soudain, il entendit frapper à la porte :

- Kal… On peut parler s’il te plaît ?

- Oui, entre.

    Elle s’exécuta, mais lui ne bougea pas d’un pouce.

- Je sais que tu ne vas pas apprécier la question, mais il faut que je sache. C’est important. Tu es complètement perdu je pense, et je pense aussi que je peux éclairer ta lanterne.

- Je t’écoute. De toute manière tu ne me lâcheras pas.

    Kal l’entendit s’asseoir sur son lit.

- Tu m’as dit que tu avais réussi à passer dans l’autre monde, n’est-ce pas ?

- Oui.

- Tu as vu quoi ?

- Qu’est-ce que cela va t’apporter ?

- Bon… Qu’as-tu fait avec Evrard ?

- Il m’a entraîné durement, avant que nous partions pour Martimilar.

- Pour compenser tes forces, c’est ça ?

- Pourquoi ce ton irrité ?

- Parce que tu es bel et bien rentré dans la phase que je voulais à tout pris éviter.

- C’est-à-dire ?

- Tu le découvriras bien assez tôt.

- Tu vois, tu recommences. Tu ne me dis pas toute la vérité. Je suppose que c’est encore pour me protéger ?

- Non. C’est parce que c’est à toi de le découvrir.

- Pourquoi ça ?

- Puisque tu dois comprendre qui tu es.

- Vous m’avez tous les deux dit ça…

- Il n’a pas tort sur ce point.

- Tu peux donc être objective…

- C’est une de mes principales qualités…

   

    Silence se fit. Kal ne ressentait que du vide en lui. Pas la moindre émotion ne faisait surface.

- Tout à l’heure tu as parlé de deux méthodes d’Éveil. Quelles sont-elles ?

- L’une passe par la méditation, la prière, et le repos. On essaye de chercher ce que l’on ressent, qui l’on veut devenir, et on cherche à maîtriser la puissance qui grandit en nous. On apprend à vivre avec. En communion avec, sans qu’elle ne vienne par pulsion.

    À ses mots, Kal tressaillit, et déglutit difficilement.

- Et la deuxième ?

- Tu t’entraînes beaucoup, et tu fais quelques pauses pour prier. Tu repousses tes limites, pour pousser ton corps à accepter rapidement cette puissance qui grandit en toi. Sauf qu’au niveau cérébral et cardiaque, ça ne suit pas forcément, et tu as tendance à vriller. De plus, tu augmentes de beaucoup la puissance que tu devrais avoir, elle peut doubler, voir tripler chez un Nominé. Mais si tu utilises une telle force, il y a moyen que tu y restes. Alors pour compenser les dégâts internes, pour éviter que cette puissance ne t’abîme trop de l’intérieur, tu t’entraînes toujours plus, pour l’évacuer.

- Et quand on ne l’évacue plus ?

- Elle continue de grandir, et elle peut te dévorer petit à petit de l’intérieur.

- Pourquoi il ne m’a rien dit ?

- Je ne sais pas. Tu as peur ?

- Peur de la mort, peur de la destruction ?

- Oui…

- Dois-je te rappeler que j’ai vu ma famille, mes amis, mon amour, mourir devant moi ?

    Elle se tut.

- Ce que je crains, c’est de ne pas maîtriser cette force, et qu’elle m’emporte avant que je n’aie pu assouvir ma vengeance. Je veux les tuer, tu m’entends ? Je veux toutes les exterminer. Je veux les voir disparaître une par une, devant moi. Je veux qu’elle souffre autant qu’ils ont souffert.

- Autant que tu as souffert…

- Autant que j’ai souffert, qu’ils ont souffert. Je veux leur infliger le chaos. Elles crèveront toutes, tu m’entends ? chuchota-t-il, la haine en bouche.

- Kal… tu ne peux pas dire ça.

- Qu’est-ce qui m’en empêche ?

- Elles sont utiles.

    Au quart de tour il se retourna, et fixa dans les yeux celle qui lui faisait face. Il s’approcha d’elle, et la domina de toute sa hauteur.

- Qu’est-ce que tu viens de dire ?

- Ne prends pas ce ton menaçant avec moi.

- Tu trouves que ces chiens de monstres sont utiles ?

- Elles régulent la population.

- Comment oses-tu dire ça ! Tu as vu ton mari mourir à cause de ces atrocités !

- Oui. Mais ce que je veux dire c’est-

- Ce que tu veux dire, c’est ce que tu cautionnes leurs actes ! Tu es de leur côté ! Tu dis que c’est moi qui tombe du mauvais côté, mais tu t’es vu, toi ? Tu es d’accord avec l’assassina de personnes innocentes ! hurla-t-il.

- Regarde-toi Kal ! Tu es rongé par la haine ! répliqua-t-elle en se levant brutalement.

- Elle m’a volé les deux femmes les plus importantes à mes yeux. Tu veux que réagisse comment ! Que je saute de joie ?

- Que tu essayes de comprendre ce qui s’abat sur notre monde !

- Ce qui s’abat sur notre monde, c’est très simple ! Des centaines d’Ombres deviennent totalement folles et détruisent des innocents !

- Non Kal ! C’est bien plus profond que ça ! Et tu es le seul qui peut arrêter toute cette tragédie !

    Il devenait fou de rage. Il tournait en rond dans la chambre, sous le regard désemparé de Lélia.

- Comme je te l’ai dit, les Ombres veulent retrouver l’Ombre Originelle. Alors elles s’attaquent à la population pour libérer des Auras mauvaises qui attireront l’Ombre ! Mais cela leur permet aussi d’éliminer leurs potentiels ennemis.

- Tu m’as dit que tu ne savais pas tout à l’heure ! Et tu m’avais donné une version différente quand je suis parti ! Tu m’as encore menti !

- Quand tu es parti je ne savais vraiment pas, et j’ai essayé de te donner une de mes hypothèses les plus probables. Tout à l’heure, je ne suis pas allé jusqu’au bout, pour t’en parler plus calmement après.

- Autant tout me dire, ou ne pas m’en parler, alors.

- Je suis maladroite, je sais. Mais je sais que c’est dur pour toi, alors je voulais y aller doucement. Et puis c’est un sujet qui est aussi douloureux pour moi.

    Kal s’arrêta en plein milieu de la pièce, le visage fermé, et regarda la flamme d’une bougie. Il n’était pas du tout en accord avec l’attitude de Lélia.

- Je ne te mentirai plus. Tu es grand, et tu peux encaisser les choses.

- Ce ne sont que des paroles. Les mots, contrairement aux actes, ne sont pas concrets, et n’ont aucune valeur à mes yeux. Je te croirais quand tu m’auras prouvé que ce que tu me dis est vrai.

    Elle acquiesça.

- J’ai une autre chose à te dire, reprit-elle. Je ne sais pas vraiment ce que tu as vécu, ni comment, si je ne prends pas en compte les rumeurs… mais il n’y a quelque chose qui ne change pas. Tu as un lien avec l’Ombre qui a fait le carnage.

    Le cœur du jeune homme tressaillit. Kal tourna doucement la tête, et la fixa.

- Répète ça.

- Tu voulais connaître la vérité crue ? Eh bien tu l’as.

- Tu es en train de me dire que j’ai un lien avec le carnage qui s'est produit lors de cette fête ?

- Oui. L’Ombre a dû sentir qu’il y avait un Chasseur d’Ombre dans les parages et a tué tout le monde pour te trouver. Quand elle t’a enfin trouvé, elle voulait certainement te tuer, car tu es un danger pour l’espèce. Mais tu as résisté à l’attaque, et tu as été baptisé.

    Il se mit à trembler. Un mélange de colère et de tristesse l'envahit peu à peu. Il avait les larmes qui lui montaient aux yeux, et il sentit une boule se former dans sa gorge. S’il prononçait un mot, il allait s’effondrer. Il était le criminel qui avait tué la vie des autres, en plus de la sienne…

Ne sois pas faible. Ne sois pas faible, se répétait-il.

    Il était terriblement en colère. Contre Lélia et Evrard qui lui avaient caché cette vérité. Mais surtout envers lui-même. Tout se bousculer dans sa tête. Il n’avait plus les idées claires. Après trois ans passés, il apprenait qu’il était le seul fautif. Le seul coupable. Le seul responsable de son malheur.

    La tête baissée, il serrait son poing. Fort. Très fort.

    Lélia sortit de la pièce. Elle savait très bien qu’elle venait de le détruire et qu’il avait besoin de temps pour accepter cette nouvelle. Mais, si on écartait l’évidence qu’il aurait dû l’apprendre à un moment où à un autre, il l’avait voulu.

    Quand le jeune homme entendit la porte d’entrée se fermer, il hurla à plein poumons. Il hurla encore et encore, jusqu’à s’étouffer dans ses larmes, jusqu’à entendre sa voix se briser en sanglots, jusqu’à ce qu’il ne puisse plus respirer. Mais avait-il à peine repris un peu d’air qu’il s’égosillait à nouveau :

- J’ai tué Elaïa ! Je l’ai tué ! C’est de ma faute ! Elle est morte par ma faute ! Comme mon père et ma mère ! Comme mes amis ! Comme mon village ! Je suis un monstre !

    Sa voix se brisa.

    Ses jambes tremblaient si fort qu’elles ne purent tenir bien longtemps, et il finit par s’écrouler sur le sol, les larmes dévalant ses jours, comme des chevaux lancés en plein galop. Il se recroquevilla sur lui-même, avant de glisser jusqu’à un mur où il s’y adossa. Le jeune homme continuait à s’époumoner à crier le nom de sa défunte dulcinée. Sa respiration était haletante. Il avait chaud. Son cœur battait la chamade.

    Tous leurs souvenirs lui revenaient en tête. Tous les souvenirs de ses amis remontaient d’un coup. Il avait mal.

    Le jour de leur rencontre quand ils n’avaient que six ans. Tous leurs moments passés à jouer ensemble, avec Bellori et Rosar. Toutes les fois où ils avaient ri, s’étaient chamaillés pour se réconcilier ensuite. Chaque moment passé à quatre. Le jour où il avait embrassé Elaïa pour la première fois, sous ce fameux arbre au bord du lac. Puis quand ils rataient les cours pour passer du temps ensemble à se bécoter au bord du lac. Il y avait aussi les épreuves de la dernière années, qu’il n’aurait jamais pu réussir sans l’aide d’Elaïa. Mais ce qui lui fit le plus mal, c’est la vision, les souvenirs, les sensations de cette dernière nuit passée avec elle, qui lui revinrent en tête. Sa dernière nuit avec elle, avant qu’elle ne soit assassinée par sa faute. À cause de lui.

    Il avait mal. Horriblement mal. Son cœur se compressait. Ses joues étaient collantes et humides à la fois. Il tremblait toujours comme une feuille, et craquait sous le poids de la culpabilité.

    C’était un tueur. Un assassin. Un meurtrier.

- Maman… papa… les amis… Elaïa ! Si vous saviez comme je suis désolé ! Je vous ai tous tué ! C’est à cause de moi si vous avez tant souffert ! s’époumona-t-il. Vous me manquez… depuis trois ans je vis sans vous ! J’en veux à tout le monde ! Je suis seul, et vous me manquez ! Pour au final, apprendre quoi ?

    Il ne termina pas sa phrase. Sa voix se brisa avant.

    Il était brisé, démoli, détruit, écrasé, par la colère, la tristesse, la culpabilité, le manque. Kal ne savait même pas vraiment ce qu’il ressentait.

- Elaïa… j’aurais encore pu te serrer si fort contre ma peau, si… si tu n’étais pas… pas… Si tu n’étais pas morte par ma faute ! Je t’aime tellement si tu savais…

    La tête rentrée dans le ventre, il pleurait à chaudes larmes. Il s’effondrait. Toute sa vie, il l’avait heureuse, entourée des personnes qui lui étaient chères. Mais depuis cette foutue nuit d’été, tout ce qui l’animé était la haine, et son envie immuable de vengeance. Il voulait venger ses amis, sa famille, son amour et tuer le monstre qui leur avait infligé ça. Mais maintenant ? Maintenant qu’il savait que tous avaient péris par sa faute, que pouvait-il bien faire ici ?

Bonjour!
Comment allez vous ?
Alors ! Surtout si vous commencez à remarquer des incohérences dites le moi s'il vous plaît :)
Sur ce, bonne fin d'après midi x)

Dernière chose ! Il y aura plusieurs tomes, 2 ou 3... Mais je n'ai pas d'idée pour le nom de
ce tome. Enfin j'avais bien une idée, mais finalement ça ne rend pas bien. Donc toute proposition est la bienvenue :)

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