Chapitre 41 - 2

Kal fut propulsé à toute vitesse à l'extérieur du portail, et aurait chuté si Emrus ne l'avait pas rattrapé de justesse. Mais l'émerveillement qu'il eut en redécouvrant les splendides hauteurs qui confectionnait sa région, lui fit bien vite oublier les légères brûlures que la téléportation lui avait infligées. Le portail était sur les hauteurs du Sud de Targhon, où était implantées végétation et faune sauvage. En face de lui, au loin, il voyait s'écouler une grande cascade, qui donnait vie à un lac bordé par les immenses parois du plateau où il se situait. L'air lourd qui l'enveloppait lui était très agréable.
Cela faisait plusieurs minutes maintenant qu'il avait franchi le portail en un seul morceau, et qu'il se dirigeait vers le vers le Sud de Targhon. Les Anachric n'était pas difficile à trouver, mes assez féroces. Dans les forêts de Targhon, notamment dans le Sud, il n'était pas rare de se faire attaquer par une de ces Créatures, qui défendait son territoire. Kal en avait déjà éliminé un certain nombre.

- Tu ressens un monstre en approche ? interrogea le Sorcier.

- Non. Tu sembles avoir très chaud, mais je te déconseille d'enlever ta chemise. Les moustiques, quand on n'est pas habitué à leurs piqûres, sont des ennemis redoutables.

- Tu fais bien de me le dire. Tu n'as pas chaud ?

- Bien au contraire. J'apprécie beaucoup.

- Tu es vraiment spécial, ma parole...

Kal ne répondit rien, tandis que les deux hommes continuaient à s'enfoncer dans l'humide forêt étouffante. Tout en évitant les racines, le jeune Chasseur jetait régulièrement des coups d'œil à Emrus, pour s'assurer qu'il ne tournait pas de l'œil. Ce genre d'environnement, pour qui n'était pas habitué, était une réelle épreuve. Pourtant, le Sud, même s'ils étaient encore loin de la frontière avec Drung, était assez froid comparé au Nord.

- Attends. J'ai entendu du bruit, prévint Kal.

Puis quelques secondes après, une Chevrole arriva à leur gauche. C'était une Créature de taille moyenne, qui appartenait à la famille des chèvres. Elles se montraient être des sortes de chèvres assez grandes, qui vivaient en groupe. Ses congénères ne tardèrent d'ailleurs pas à débarquer. Leur barbiche blanche, virant au gris, était plus ou moins longue en fonction de l'âge.

- Elles sont inoffensives, mais leur manières de secouer leur sabot montre qu'elles sont en danger, et leurs plus grands prédateurs sont les Anachrics. Suivons leurs traces.

- On ne risque rien ?

- Bien sûr que si, mais nous n'avons pas le choix. Si tu te sers de ta baguette, évites de me jeter un sort. De plus, prépares maintenant un récipient pour récupérer le sang. Cela nous évitera de perdre trop de temps.

- Bien, bien. Je sors ça de suite.

Il se dépêcha de retirer son sac, et d'en sortir une fiole, avec un petit bouchon en liège. Il la serra bien fort dans sa main moite, et suivit Kal qui semblait sûr de lui. Ce fut d'ailleurs bien la seule chose qui le rassura. La région était constituée de falaises, montagnes, toutes recouvertes d'une épaisse verdure, et enveloppée de chaleur. Il y avait aussi beaucoup de rivières, ruisseaux et cascades. Là où ils marchaient, était un endroit très en hauteur, mais la forêt était si vaste que l'on pourrait se croire sur un terrain plat, puisqu'on ne croisait aucun précipice. Le Sorcier talonnait de près le Nominé, qui était dans son élément. Revenir ici lui faisait un bien fou. Les températures, les sensations, les odeurs... tout était un pur régal. De plus, sa mission était pour lui une sorte de banalité, au vu du nombre d'individus à qui il avait déjà ôté la vie.
Après plusieurs centaines de mètres, ils entendirent enfin des petits cris aigus.

- C'est eux. Ils vivent en colonie. Si on veut éviter d'attirer leur courroux, il vaut mieux en écarter un de la colonie. Suis-moi.

Emrus obtempéra. Ils se cachèrent tous deux derrière un gros arbre, où Kal chuchota :

- Ils sont assez curieux par nature, mais n'ont pas bonne ouïe. Fait bouger une herbe où quelque chose, à mon signal.

Le Sorcier sortit sa baguette et se tint près au signal qu'allait lui donner Kal. Ce dernier pivota sur lui-même, pour se retrouver face au tronc. Il se débrouilla ensuite comme il put pour grimper à l'arbre. En arrivant, les doigts un peu humides, au sommet du tronc d'où partaient ensuite les branches, il eut la place de s'y accroupir. Il observa la tribu de monstres qui couinait un peu plus loin. C'était des Créatures assez laides, qui pour la plupart mesuraient la taille de la jambe de Kal. Elles étaient couvertes d'un assez long pelage brun, mais très peu épais. Leur museau était long et fin, pour aller chercher les petits animaux dans les terriers, et les Anachrics étaient munis de petites dents pointues, idéales pour déchiqueter des lapins, par exemple. Ils avaient aussi de petits yeux noir, et deux trous en guise d'oreille. Leurs pattes étaient, elles, munies de six assez longues et grosses griffes. Kal attendait le moment propice pour lancer le signal, le moment où le plus faible de tribu se fera attaquer par ses congénères. Il sera momentanément mis à l'écart et sera attiré par la moindre chose qui pourra le faire quitter cet environnement malsain pour lui. Le feuillage dissimulait très bien Kal, qui pouvait tranquillement attendre. Le Sorcier, même s'il savait qu'il ne craignait rien, ne pouvait s'empêcher d'imaginer le pire.
Après un assez long moment à attendre, des couinements, grognements, commencèrent à se faire entendre. Tous se jetèrent sur l'un des leurs, lui arrachant au passage des touffes de poils, et lui trouant la peau. Kal avait les yeux rivés sur la scène. La première fois qu'il avait assisté à ce phénomène fut lors de son premier voyage seul, quand il avait une douzaine d'années. Il fut si surpris par cela, que dès qu'il fut rentré au village, malgré la nuit, il était allé toquer chez un Ancien pour lui demander des renseignements.
Soudain, l'Anachric fut balancé au sol, à quelques mètres du groupe. Les autres se concentrèrent sur le cadavre de Chevrolle, qu'ils s'apprêtaient à dévorer. Kal tapa deux fois dans ses mains. Emrus comprit directement, et jeta une pierre. Le Monstre, qui la vit, se précipita en direction de la pierre. Kal, en profita pour remettre délicatement pied à terre, et lança un de ses poignards dans le dos de la Créature, puis un deuxième dans le coup, avant qu'elle n'eût le temps de crier ou de faire un autre geste qui aurait attiré l'attention de ses congénères. Les deux hommes se hâtèrent donc ensuite d'aller au près du Monstre, encore vivant. Kal ressortit de l'Anachric un des couteaux, mais avant de faire quoi que ce soit, il demanda au Sorcier :

- Tu as besoin d'un organe de la bête, que son sang provienne d'un endroit en particulier ?

- J'allais te le dire, il faut qu'il soit le plus pur possible.

- Donc du cœur.

- C'est exact.

Kal prit donc un autre couteau, qui lui, était propre, pour conserver une certaine pureté. Pour ne pas trop faire souffrir la Créature, Kal lui trancha la gorge. Ensuite il lui ouvrit le corps en deux, tendit la main pour récupérer le bocal, et l'approcha prêt du cœur. Il fit une légère entaille dans celui-ci, faisant en sorte que le liquide ne gicle pas partout, et pressa l'organe au-dessus du contenant. Quand elle fut presque pleine, il la rendit au Sorcier, qui arborait un grand sourire.

- Mille mercis Kal.

Le concerné ne répondit rien, mais ne put s'empêcher d'avoir une pensée pour Elaïa.
Kal replaça le cœur dans la débrouille, et ils se dépêchèrent de retourner au portail. Emrus avait un sacré poids en moins dans la poitrine, et semblait presque totalement détendu.
Le chemin se passa comme à l'aller. Les deux hommes étaient silencieux. Kal prenait un immense plaisir à redécouvrir le paysage de sa région natale.
Ils finirent par atteindre le portail, sans trop de difficulté, puis Emrus prit la parole :

- Merci pour ce que tu as fait. J'ai une dette envers toi.

Les deux hommes se serrèrent la main, avec une bonne poigne, puis le Sorcier continua la conversation :

- Tu rentres voir Evrard ?

- À ce propos...

- Oui ?

- Payer ta dette dès maintenant te dérangerait ?

- Si cela ne me ralentit pas trop pour la fabrication du remède, non.

- Oui, cela va de soi.

- Très bien, je t'écoute.

- Evrard ne veut pas que j'aille aux Ruines, est-ce que tu sais pourquoi ?

Le Sorcier détourna les yeux, tandis que Kal s'approchait de lui tout en le dominant.

- Réponds-moi.

- C'est compliqué. Tu me demandes de violer un pacte que l'on a fait.

- Mais tu sais des choses, donc.

- Pascal en sait bien plus que moi...

- Je n'ai pas le temps d'aller le voir. C'est à toi que je m'adresse. Donc tu vas me répondre.

- Je... demande-moi autre chose. Mais pas cela, je t'en prie.

- Tu ne me réponds pas, je balance ton sac contenant la fiole par terre.

- Non !

- Alors réponds !

Le Sorcier ne savait quoi faire. Il était en danger s'il répondait à la question de Kal. Mais s'il ne le faisait pas, ça serait sa femme...

- Tu ne ferais pas ça...

- Et pourquoi pas ?

Kal ne mentait pas. Même s'il avait été heureux d'aider le sorcier, ses réponses importaient encore plus à ses yeux.

- D'accord. Je vais tout te-

- Dernière chose. Je sais que cette préparation est assez longue à faire mijoter. Donc si jamais tes informations sont fausses, il se pourrait que tu aies quelques petites surprises.

- Oui, je l'entends bien, mais je ne comptais pas pipeauter avec toi.

- Tant mieux. Tu peux continuer.

- Alors, il nous a dit qu'il comptait mener des expériences à l'abri de tout contrôle, mais je ne sais pas à quel propos. Je peux aussi te dire que ses idées sont sombres, et qu'il ne nous a pas tout dit. Je n'en sais pas plus, je suis désolé...

- T'a-t-il parlé de jumeaux ?

- Des jumeaux ?

- Oui.

- Non... Jamais. De qui s'agit-il ?

- Je ne peux pas t'en dire davantage. Moi aussi je risque gros.

- Je comprends. Sur ce, à une prochaine, je l'espère.

Mais avant même que le Sorcier ne fasse un pas, Kal ajouta :

- Une dernière chose, tu pourrais te rendre aux écuries de la librairie ? Si mon cheval y a encore, peux-tu lui faire une caresse de ma part ?

Le Sorcier haussa les sourcils, très étonné par cette requête.

- Oui, mais pourquoi ? Ce n'est qu'une monture pour vaguer à travers le continent.

- C'est surtout le seul qui ne l'as jamais trahit... Et pour tout te dire, Evrard m'a menacé de tuer Écho.

- Je comprend mieux. Evrard est capable de tout, c'est ça ?

Kal acquiesça, le visage fermé.

- Je lui dirais de lui donner un bon coup de sabot, si jamais l'autre l'approche.

- Merci beaucoup, au revoir.

- Au revoir, mais merci à toi surtout.

Puis le mage passa à travers le portail, sous le regard songeur de Kal.
Quelques minutes plus tard, il fut une nouvelle fois propulsé des mètres plus loin du nouveau portail qu'il venait de traverser. La chaleur pesait sur lui, la forêt environnante, les piaillements d'oiseaux, les jeux de couleur de cette nature sacrée... tout y était encore, comme figé après toutes ses années. La terre humide dégageait une odeur agréable aux narines de Kal, qui se mit rapidement en marche, pour atteindre, en fin d'après midi, plus à l'Ouest, les Ruines du Temple. Son cœur battait la chamade, rien que d'y penser. Son pas était vif et puissant, tout comme son expression faciale demeurait déterminée. L'envie insatiable de retourner sur les lieux de sa mort le dévorait petit à petit. Pourtant, plus il s'y approchait, plus il se sentait mal à l'aise. La pression qu'il avait ressenti ses dernières semaines marquait son grand retour, sans être, pour l'instant, accompagnée d'une vision floue.
La forêt qui l'entourait était pour lui un vrai regain d'énergie, et de force. Pourtant, il sentait comme un poids dans son ventre. Le poids du regret de ne pas traverser ce chemin avec son meilleur ami, dont il ne savait même pas s'il était toujours en vie ou non. La simple idée que ça ne soit plus le cas le rendait comme malade. Perdre un autre être cher par sa faute lui était insupportable. Cependant, il devait y aller. Pour avoir des réponses à ses questions. Pour retrouver les jumeaux. Pour trouver la trace de cette Ombre, qu'il avait plus que jamais envie de tuer. Retrouver celle qui avait tout détruit, pour la détruire à son tour. Le Chasseur d'Ombre avait bien compris que les Ombres possédaient des sentiments, ou au moins un instinct de protection fort pour leur Doyenne, pourquoi passeraient-elles leur temps à être à sa recherche pour la libérer, sinon ? Alors, une nouvelle question se posait. Que ressentirait le bourreau d'Elaïa en devenant la force qui permettra la mort de l'Ombre Originelle ? Puis, il devait se rendre aux Ruines pour enfin passer à autre chose. Pour enfin accepter la mort d'Elaïa, même s'il en est le fautif. Sa punition demeurait le manque. C'était une punition à vie, qu'il lui permettrait de la venger. Mais il devait avancer, pas l'inverse. Il ne pouvait pas se punir plus que ce que le Grand Dragon lui avait infligé.

Hey !!
Comment vous portez-vous ?

J'espère que ce chapitre vous a plu :)
Et à demain !

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