Chapitre 21 - 2

II

La nuit venait de tomber, et déjà un lourd silence gazouillait dans le noir. Le duo se trouvait près de l'entrée d'une forêt, dans laquelle plusieurs arbres voyaient leur tronc garni de rayures plus ou moins profondes. Les grands feuillus et conifères qui couvraient entièrement le ciel, ne laissaient à peine pénétrer quelques rayons de lune, créant ainsi un environnement propice au développement des Garou-Nocturnes qui pullulaient aux alentours. De la terre humide émanait une odeur de carcasse, certainement à cause des Vers blancs, ou Vers Carnivores, qui y grouillaient. Dormir à même le seul semblait bien difficile en ces conditions... C'est d'ailleurs ce que fit remarquer le Possèdeur, inquiet de son confort.

- Si tu m'avais dit que tu voulais dormir sur la terre, jamais je ne t'aurais suivi. On va dormir dans un arbre, mais pas le même. Au cas où un Garou-Nocturne viendrait nous déloger, répondit sereinement Kal.

- Bien, en attendant je vais chercher du bois pour le feu. Tu installes les pierres et attaches les chevaux ?

- Très bien, mais fais attention. On ne sait pas ce qui rôde dans les parages.

- Entendu.

Ils mirent pied à terre, et s'affairèrent à leur tâche. Kal empoignait les rennes des filets des deux chevaux, et en fit un nud autour d'un tronc d'arbre. Ensuite, il dessella en priorité son cheval qui montrait des signes évidents de fatigue tel que l'essoufflement et une abondante transpiration. Le Chasseur déposa la selle au pied de ce même arbre, puis recommença le même travail avec la monture d'Evrard. Seulement, après deux ou trois caresses à l'adresse d'Écho, une petite lumière s'alluma dans son esprit, et Kal réalisa une chose à laquelle aucun des deux n'avait songé. Les Vers qui habitaient la terre avait pour habitude de dévorer les êtres vivants, et plus particulièrement les chevaux des voyageurs. Ces derniers ayant les pieds directement au contact du sol. Les petits êtres gluants procuraient alors d'atroces souffrance à la victime, et si elle n'était pas soignée, l'hôte succombait quelques jours plus tard, des vers pleins les jambes, le corps, parfois même les poumons et le cerveau.

Si le grand brun était si méfiant à l'égard de ces petits monstres, c'était parce qu'il avait déjà été confronté à un tel cas, et ne voulait pour rien au monde revivre une scène similaire

À cette époque, Kal ne devait être âgé que d'une dizaine d'année, et accompagnait son père au marché de Martimilar, pour dénicher un bijou pour sa mère. Ses parents fêtant leur dix ans de mariage, le petit garçon trouvait important d'aider à choisir présent si significatif. Pendant leur long voyage le père et le fils durent faire un crochet au château pour régler une affaire avec le Roi, car paternel demeurait conseiller suppléant. Cela lui valait une estime et un amour sans pareil de son fils, notamment parce qu'il défendait ses idéaux avec une certaine hargne. Lors de cette visite, Kal n'accompagna pas son père jusqu'à la salle où se tenaient les Conseils, mais resta avec des gouvernantes, et joua pendant plusieurs heures avec des enfants de son âge, qu'il trouva assez superficiel. Quand ils se retrouvèrent, le petit brun sentit bien une tension chez son père Il semblait déçu, presque triste. Mais le petit ne posa aucune question. En continuant leur périple dans la joie et la bonne humeur, le petit se souvint avec un fin sourire sur les lèvres, que sur le chemin il avait croisé plusieurs biches et cerfs, et qu'il avait pu en approcher un. Quelques jours plus tard, lorsque les voyageurs pénètrent dans ce coin de la région, l'idylle s'arrêta. La jument de son père se fit dévorer par les Vers, et comme ils ne pouvaient la soigner, les dernières heures qui précédèrent sa mort furent terribles. Que ce soit en éternuant ou en toussant, elle recrachait des asticots. Il était même possible en palpant sa peau du doigt de sentir les petits Vers Carnivores bouger dans tous les sens mangeant peu à peu la jument de lintérieur.

Après s'être remémoré tout cela, Kal entoura les jambes des chevaux de linges qui servaient pour protéger le pain de certains insectes. Le jeune Chasseur d'Ombre privilégiait la santé de leur moyen de transport à un bout de pain qui ne leur apporterait pas forcément garantie de survie. Il apporta un très grand soin à la couverture totale du sabot, de façon à ce qu'il n'y ait plus de contacts directs entre les pieds du cheval et le sol. Enfin, il remonta jusqu'aux genoux et jarrets des chevaux. Sa tâche achevée, il grimpa à un arbre, et se plongea dans diverses réflexions. Il n'y avait pas de bruit, et une douce brise soufflait sur son visage. Quand il fermait les yeux, Kal aurait pu se croire dans un cadre idyllique.

Ce fut froissements des feuilles mortes aux pieds de l'arbre lui indiquèrent le retour de son compagnon de voyage.

- Où es-tu ? appela Evrard peu rassuré de ne pas le voir.

- En haut, au-dessus de ta tête. Je n'avais pas envie de me faire croquer un bout de chair.

Aussi tôt, Evrard leva la tête en direction de la voix grave du jeune homme, et un sentiment de soulagement l'envahit.

- Tu ferais mieux de te mettre en hauteur, toi aussi, quand tu auras fini d'allumer le feu.

- Oui, j'y compte bien. Par contre, pourquoi as-tu couvert les chevaux des tissus qui servaient à protéger nos aliments ?

- Ne prends pas cette voix pleine de reproches. Je possède des qualités de réflexion, tout comme toi. Vois-tu, je n'avais pas envie que nos montures se fassent dévorer de l'intérieur. Faire le voyage à pied n'est vraiment pas quelque chose qui m'inspire.

- Tu as bien fait, merci.

Puis tout en gardant un visage dénué de toute expression, il lui dit :

- Je pensais que tu allais me faire tout plein de reproches.

- Non, rassure-toi.

Evrard déposa méthodiquement, au centre du cercle de pierre, les divers branches qu'il avait récolté. Puis avec sa magie, il alluma le feu sous les yeux presque jaloux de son apprenti. Ce dernier qui prenait parfois un temps monstrueux pour n'obtenir qu'une seule petite flammèche.

- Tu veux quelque chose à manger ? proposa le Possèdeur en se coupant un morceau de pain blanc.

- Non, merci.

Tandis que l'homme grimpa à un vieil arbre, dont certaines branches tombèrent aux passages, Kal demanda :

- Tout à l'heure, tu avais commencé à me parler de toi. Tu t'en souviens ?

- Oui. Ça t'intéresse ?

- Connaître la vie de tout le monde n'est pas ce que je préfère. Mais je vis avec toi pour l'instant. Toi, on dirait que tu me connais depuis longtemps déjà, tandis que moi, je ne sais rien de toi. Ça me laisse assez perplexe à vrai dire.

- Je comprends, c'est tout à fait normal. Je suppose que je serai comme toi, à ta place.

Kal regardait le ciel sombre de la nuit, et les nuages qui couvraient la lune. Evrard observait Kal du haut de son arbre mort, en vérifiant qu'il était concentré sur autre chose que lui. De ses grandes mains, il se gratta le visage. Comme toutes les nuits, il ôta sa capuche, pour enfiler un masque en bois. Après cela, il appliqua sur ses yeux deux petites gouttes d'un liquide qui ravivèrent une teinte noisette à ses iris. Une fois, Kal l'avait surpris en train de faire ce rituel, mais à sa grande déception, n'avait jamais découvert la vraie couleur de ses yeux. Puis, avec un foulard, il se recouvrit l'arrière et le sommet du crâne, de façon à ce que l'on ne puisse plus rien deviner de lui. Il resta mué un long moment, songeant à ce qu'il devait dire, et ne pouvait pas, au risque de laisser une miette de son secret aux mains de Kal.

Il se gratta la gorge, et entama ses premiers mots :

- Je disais donc, que j'étais originaire de Drung, à la frontière avec Fiara. Ce sont deux magnifiques régions, quand on y pense. Tu as déjà visité ?

- Une fois, je me suis rendu à Drung avec l'école, mais, je ne connais pas Fiara.

- Un jour peut-être, je t'y emmènerais.

Kal ne répondit rien, se contentant de sourire, forcé, puisqu'il savait qu'Evrard s'était mis en hauteur pour l'observer.

- J'ai grandi avec mon frère et ma sur, nous étions orphelins. Étant le plus grand, j'ai toujours veillé à les protéger. Je leur ai appris à lire, à écrire, à compter, à maîtriser leur pouvoir.

- Ce sont aussi des Possèdeur ? demanda Kal, intrigué.

- C'était. Ils sont décédés, il y a maintenant quatre ans, ou presque. C'était de faux jumeaux qui ne se séparaient jamais. Oh ça non ! Qui se risquait à se glisser dans leur union, finissait mort.

- C'est curieux. Comment se fait-il ?

- Les premiers pouvoirs que je leur ai fait posséder ont été ceux d'un seul et unique Elfe.

Le brun tourna la tête vers son interlocuteur, laissant paraître l'incompréhension dont il faisait preuve.

- Pour faire simple, nous devons absorber les pouvoirs d'un être entier, pour que nos forces soient à leur maximum. Mais, ce jour-là, il devait absolument recueillir la puissance de quelqu'un au risque de devenir très faible. N'ayant trouvé qu'un seul et unique Elfe, ils se sont partagés les pouvoirs. On dit que chez deux êtres ne partageant pas le même sang, ils deviennent frères. Que chez deux frères, ils deviennent jumeaux. Que chez deux jumeaux ils deviennent presque la même personne. Mais chez des faux jumeaux, il y a deux possibilités, soit ils vont encore plus se ressembler et devenir de vrais jumeaux, soit, étant déjà très proche sentimentalement et génétiquement, ils partageront un lien unique. C'est ce lien qui permettait aux deux de se comprendre sans se regarder, et de se compléter en toutes circonstances. Chez des vrais, ils auraient pensé la même chose très souvent, auraient eu les mêmes faiblesses, et ainsi de suite.

- Fascinant commenta Kal très attentif aux paroles de l'homme.

- En effet. Mais c'est cette connexion qui les a perdus tous les deux, et cela par ma faute, alors que j'étais conscient du risque.

Brusquement, de multiples questions fusèrent dans l'esprit de Kal. Tout le baratin que lui servait Evrard à propos des recherches qu'il devait effectuer seul, était-ce pour ne pas se retrouver coupable à nouveau ? Serait-il moins suspect qu'il ne le pensait ? Kal remit en question toutes ses pensées en vers Evrard. Il n'aimait pas ça, mais il ne pouvait garder une haine envers un innocent. Cela serait contraire à ses principes.

- Tu comprends, pourquoi je suis mal à l'aise avec le sujet ? lui dit-il tout penaud.

- Je pense, en effet.

Mais le jeune homme ne s'excuserait pas, encore trop méfiant à l'égard de cet individu si mystérieux. Il y avait encore trop de zones d'ombre chez lui, à commencer par le secret de sa face.

- Ton visage. Tu ne le montres pas, parce que ça a un lien avec la mort de tes frères.

- Je ne te répondrai pas. J'aime avoir ma part de secret, tout comme tu as la tienne.

- Je n'en ai pas vraiment pour toi.

- Je connais tes pouvoirs, certes, mais ils ne te définissent pas. Rien ne te définit véritablement. Tu es un corps, et un esprit. Mais cela non plus, n'est pas une définition de toi-même.

- Je suis un Chasseur d'Ombres, voilà qui je suis. J'ai un objectif, vaincre lOmbre originelle et retrouver l'Ombre des Anges.

- Non, tu es bien plus que ça. Un jour peut-être, tu comprendras. Ne serait-ce quand tu vas méditer, qui es-tu là-bas ?

- Je suis la flamme qui fait vivre mon réceptacle.

- Es-tu capable de débusquer et de tuer seulement une Ombre ?

- Non.

- Tu vois. Tu nes pas uniquement un Chasseur d'Ombres. La définition de nous-même est la déclinaison de nos différentes facettes et talents.

Kal respirait calmement, adossé contre le tronc de l'arbre et écoutant attentivement les paroles de l'homme masqué. Il trouvait très intéressante cette analyse, mais elle le poussait à se poser encore plus de question, et ça, il naimait pas du tout.

- Que cherches-tu à me dire ?

- Je veux te dire que, ton apprentissage ne fait que commencer, et que temps que tu n'arriveras pas à te définir par autre chose que ton profil de Chasseur, ta force ne sera pas à son maximum. Alors, au lieu de chercher à savoir qui sont les autres, cherche-toi. La phase d'Éveil est celle qui va déterminer ta puissance, et la performance de tes capacités, ainsi que le nombre de ses dernières.

- Tu es en train de me dire que je vais acquérir d'autres sens ?

- Potentiellement, oui. Mais pour cela, il faut que tu suives un entraînement excessivement dur, pour équilibrer avec les changements que ton cerveau va subir. Sinon tu risques de devenir fou, j'ai déjà vu ça, il y a une trentaine d'années environ. Mais tu dois aussi méditer, pour garder ton esprit vif et éveiller, ainsi que pour te reconcentrer sur toi et reposer son corps endolori par leffort. À côté, tu devras étudier, ou faire quelque chose que tu aimes, pour te découvrir et développer à travers ça, tes sens et capacités de Chasseur d'Ombres.

- Si cela peut m'aider à devenir puissant et à me venger, je le ferais sans une once d'hésitation.

- Très bien ! Tu es d'une détermination sans faille, ça se voit. On dirait mon petit frère.

- Quel âge avaient-ils ? se renseigna Kal.

- Ils avaient plus de cent ans.

Kal retint de justesse une exclamation, et ne montra rien de sa surprise. S'il ne mentait pas, cela voudrait dire qu'il avait plus de cent ans lui aussi, et cette perspective étonnait Kal. Du haut de sa branche, le centenaire ria, avant de lui confier :

- Malgré leur âge, ils étaient encore assez jeunes. Le plus vieux Possèdeur connu à ce jour est décédé à l'âge de trois cent deux ans.

- Je n'avais jamais entendu parler d'humanoïdes ayant une durée de vie aussi longue. C'est exceptionnel.

- En effet.

La soirée se passa, ils discutèrent assez bien sur plusieurs sujets. Mais Kal ne pouvait retenir une certaine méfiance, malgré les révélations de la soirée.

Bonsoir !

Je tiens à m'excusais de la piètre qualité de ce chapitre

J'espère tout de même que vous allez bien !

Bonne soirée :)

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