Salmigondis, n.m. : Ragoût constitué de différentes viandes réchauffées. Au figuré, représente un ramassis d'idées, de paroles ou d'écrits formant un tout disparate et incohérent.
Je retourne l'entièreté de mon atelier. Déjà qu'à la base, je ne suis pas le roi du rangement mais maintenant, la pièce est un vrai capharnaüm. J'ai étalé une tonne de dessins sur les tables, au sol, j'en ai même accroché certains au mur et je continue encore à fouiller dans tous les recoins pour en sortir des nouveaux.
Je ne sais pas comment je vais m'en sortir. Je me retrouve face à un problème de type urgence vitale. Je ne peux même pas me dire que ce n'est pas grave, parce que ce qui arrive EST grave.
Je suis fichu.
Je suis nul.
Je ne sers strictement à rien.
Je ferais mieux de rentrer chez moi et de m'enterrer sous ma couette. Ou mieux, sous mon lit avec ma couette pour tenir compagnie au monstre qui me terrorisait lorsque j'étais gosse même si je pense que je ne le trouverai pas. C'est lui qui doit avoir peur de moi maintenant.
Moi et mon manque flagrant de talent.
Je veux mourir.
— Mazette. Il s'est passé quoi ici ?
La porte claque et je n'ai pas besoin de me retourner pour savoir de qui il s'agit. Après tout, il est mon seul visiteur ici, si on ne compte pas mes élèves. Puis je serais sûrement capable de reconnaître sa voix dans une foule de poissonniers.
J'ai beau être stressé et au bout de ma misérable vie, je ne peux pas m'empêcher de lâcher un petit rire. Depuis que Jonas m'a entendu jurer à ma manière, il s'amuse à répéter certaines de mes expressions les plus courantes. Mazette est de loin sa favorite.
Mais très vite, je ne ris plus. Je n'esquisse même pas l'ombre d'un sourire et recommence plutôt à mettre mon atelier encore plus sens dessus dessous.
— Est-ce que tu peux t'arrêter deux secondes pour m'expliquer pourquoi on a l'impression que les russes ont lancé un missile nucléaire droit dans ton atelier ?
— Je peux pas. Impossible. Si je ne continue pas à chercher, je vais devoir aller me jeter d'un pont ce soir en sortant d'ici.
— Pourtant, c'est ce que tu vas faire.
Il me force à m'arrêter en m'attrapant par les épaules et en m'obligeant à m'installer sur le seul siège encore disponible. Il me dit de me calmer et de ne plus bouger dans tous les sens et c'est ce que je fais. Pas parce qu'il me l'a ordonné. Mais parce que j'ai l'impression qu'il n'a jamais été aussi proche de moi. Il m'avait guidé pour m'emmener au saule pleureur, mais là, je ne ferme pas les yeux. Alors forcément, moi, ça me fait quelque chose dans l'intégralité de mon corps. Des fourmis, des papillons ou même des lucioles. J'en sais rien. Je sais juste que je sens mon cœur battre dans tout mon corps et que je ne sais pas si j'aime bien ça ou non.
En plus, il sent bon. Je ne sais pas si c'est son parfum ou son odeur naturelle, mais il dégage de lui une odeur fruitée qui me donnerait presque envie de le croquer. Rectification, je n'ai pas besoin de son odeur pour avoir envie de le croquer. Mais elle ajoute quelque chose à l'équation. Ça le rend encore plus rassurant. J'aurais presque envie de me fondre dans ses bras à l'instant même.
— Alors, tu m'expliques ?
Je me souviens alors de ce que je faisais juste avant et mon esprit recommence à s'embrouiller et à sombrer dans la panique. J'essaye pourtant de lui répondre clairement.
— Le château que tu m'as fait visiter fait régulièrement des expositions. Et il se trouve que la prochaine exposition est en parti organisée par un de mes élèves.
— Et ?
— Il m'a invité à exposé mon travail. J'aurai droit à un coin qui me sera réservé.
— Mais c'est génial ! Ton travail mérite tellement d'être exposé ! Et c'est quoi le problème ?
— Le thème, c'est le portrait. Mais j'ai absolument rien de potable pour l'exposition !
J'ai presque envie de pleurer en y repensant. Rien ne va. Je vais être obligé de dire à mon élève que je ne pourrai pas participer à l'expo parce que je manque cruellement de talent.
— Mais tu rigoles ?
Il attrape plusieurs des dessins que j'ai étalés un peu partout et me les montre.
— C'est magnifique !
— Tout ça ? Ce sont que des salmigondis de dessins. Ça ne mérite même pas d'être montré à qui que ce soit. Je suis nul.
J'ai envie de me taper la tête contre le bureau à côté de moi. Mais ça risque de me défigurer et en plus, Jonas me prendrait pour un fou furieux et voudra me faire interner ou dans tous les cas ne plus me voir. A la place, je vais peut-être me mettre à pleurer. Ça me défoulera un peu en même temps. Puis il me prendra peut-être dans ses bras s'il le fait.
— Alors dessine en des nouveaux. Qui te plairont.
Je sursaute et lui adresse un regard torve.
— Parce que tu penses vraiment que je suis capable de faire ça aussi rapidement ?
— Tu veux savoir ? Je ne sais pas combien de temps ça te prendrait pour faire ça. Par contre, je sais que tu as du talent et que lorsque tu en as envie, tu peux enchaîner les chefs-d'œuvre. Tu l'as fait lorsque je t'ai montré le jardin. Alors pourquoi tu pourrais pas le faire pour l'exposition ?
Je ne sais pas quoi lui répondre. J'ai toujours envie de pleurer, mais cette fois parce que je me sens touché par ce qu'il vient de me dire. Est-ce qu'il trouve vraiment mes dessins aussi beaux ? J'ai presque du mal à y croire. Peut-être que je devrais me mettre une claque pour savoir si je ne suis pas juste en train de faire une crise de nerf à cause de l'exposition.
Bon, j'évite la claque mais je me pince fortement le dos de la main et vu la douleur que je ressens, je ne suis pas en train d'halluciner.
Après cette conclusion, je me mets à réfléchir à ce qu'il vient de me dire. Faire de nouveaux dessins pour l'exposition et ne pas me contenter de ceux que j'ai en stock. Ça peut valoir le coup. Mais il me faut quand même au moins cinq illustrations. Allez, quatre et je pourrais peut-être me calmer pour compléter avec deux ou trois portraits que j'ai et qui pourraient éventuellement ne pas être si catastrophique que ça.
— Je peux le faire.
— Super ! Tu vois, je te l'avais dit ! Bon, il te faut quoi pour ça ?
— Des modèles.
— Logique. Je peux t'emmener où tu veux pour ça. Tu pourras peut-être trouver des personnes qui te donneront envie de les dessiner et ...
— Non.
Je le vois sursauter. J'ai moi-même mis du temps avant de comprendre que je venais de parler. Je lui ai dit non. Non pourquoi ? Je crois qu'il se le demande. Non à son aide ? Si c'est ce qu'il pense, il est tellement loin de la vérité. Parce que moi, je sais pourquoi ce non a fusé sans même que je m'en rende compte.
— Je ne veux pas d'un modèle pris comme ça, en me baladant.
Oui, c'est ça. Mais il n'a pas vraiment l'air de comprendre ce que je veux dire. A sa place, je ne comprendrais pas non plus.
— Je veux un modèle. Un modèle qui m'inspirera des milliers de choses. Il faut que ce soit une personne particulière.
— D'accord ... et on la trouve comment cette personne ?
J'ose ? C'est peut-être la seule opportunité que j'aurais à le faire. Alors, j'ose.
— C'est toi que je veux.
Quand je vois ses yeux s'écarquiller, je me demande pendant quelques secondes s'il n'a pas compris de travers ... ce qui s'avèrerait vrai malgré tout, mais ce n'est pas ce à quoi je pensais à ce moment-là.
— Je veux te dessiner, je me reprends. Tu es ma muse, tu l'as oublié ? Donc, accepterais-tu d'être mon modèle pour cette exposition ?
C'est comme si je le demandais en mariage. Le stress est le même en tout cas. Enfin, je suppose, puisque je n'ai jamais demandé qui que ce soit en mariage. Mais si dans ce cas-là on a l'impression que notre estomac s'est retourné et menace de se vider, que nos jambes sont tellement tremblantes qu'elles risquent de lâcher n'importe quand et qu'on est en train de jouer sa vie entière à cause d'une réponse ... alors oui, je ressens la même chose que si je le demandais en mariage.
— Tu veux vraiment me dessiner pour cette expo ?
— Oui.
Je ne peux pas être plus direct. J'ai même réussi à retenir les chevrotements de ma voix.
— Vendredi matin, tu n'as pas de cours et exceptionnellement moi non plus.
Ça veut dire qu'il accepte ?
— Bon, faut que j'y aille. Et range-moi ce margouillis, me dit-il avec un clin d'œil avant de sortir et de me laisser comme ça, un sourire extrêmement idiot sur les lèvres.
Mais bon, après tout, l'amour ne rend-il pas idiot ?
Enfin ... quoi ? ... J'ai réellement pensé l'amour ?
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