08. Matamore

Matamore, n.m. et adj. : Faux brave, vantard plus courageux en parole qu'en acte.



Le temps a passé depuis ma fameuse découverte et, malheureusement pour moi, je deviens de plus en plus accro à Jonas.

Après le réveillon de Noël où j'ai totalement assuré dans la conception de mon histoire, je me suis octroyé des vacances bien méritées. Bon, bien sûr, je n'ai pas été capable d'abandonné Arthur. Je ne suis pas allé à l'atelier jusqu'au Nouvel An mais je suis resté chez moi en compagnie de mon bloc à dessin. J'y ai perfectionné la bibliothèque où Arthur va travailler. J'ai même pu penser un peu à la configuration de la pièce où se trouve l'organisation ainsi qu'à la technologie très particulière utilisée.

On est maintenant au mois de février, j'ai repris le travail à l'atelier peu après la nouvelle année, ce qui signifie que j'ai recommencé mes échanges avec Jonas à travers la fenêtre. Et c'est pire qu'avant. J'ai vraiment failli craquer à plusieurs reprises.

Pas craquer pour lui, parce que ça, c'est malheureusement déjà le cas. Mais craquer dans le sens tout lui avouer, que ce soit pour mon attirance que pour ma découverte.

En même temps, est-ce que c'est humain d'être aussi charmant et parfait ? Il a fallu que je tombe sur homme poétique, qui aime Bedrich Smetana et Gregorio Allegri, même si pour le deuxième, je ne suis pas étonné vu que lui-même était prêtre et chanteur d'église en plus d'être compositeur. Ces dernières semaines, on a reparlé art. Déjà, c'est une chose pour laquelle je n'ai pas l'habitude. Ma famille fuit l'art à part lorsque c'est pour vanter son intelligence. Pas avec Jonas. Il aime la peinture _ même si là aussi, son amour pour Le Greco me plonge dans ma malheureuse certitude qui est dans les Ordres _ la musique dans toutes ses formes, le cinéma, etc. Il est cultivé et aime échanger sur ça. Il semble même être ouvert d'esprit sur certains sujets. J'ai malgré tout fait en sorte d'en éviter certains.

Plus on a parlé et plus j'ai réalisé que ce mec est vraiment tout ce que je cherche. Il est beau, gentil, intelligent et intéressant, il a un sourire éblouissant et j'en passe. Mais il a bien sûr fallu qu'il ait un défaut et pas des moindres. Il est prêtre. C'est bien ma veine. Et c'est pour ça que je ne lui dis rien. J'ai vraiment été tenté de lui demander s'il était vraiment religieux. J'ai failli lui dire plusieurs fois qu'il me plaisait. Pourtant, je n'en ai rien fait. Je sais que ça ne servira à rien de le lui dire. C'est comme aller dans un restaurant végétarien et demander un steak de bœuf. Ça n'a aucun intérêt si on sait que dans tous les cas notre demande ne sera pas exaucée.

Et je veux vraiment me faire croire ça ? Je suis qu'un matamore. J'ai juste beaucoup trop peur de souffrir et de ne pas m'en remettre. J'ai besoin de vivre encore un peu sur mon nuage d'espoir même si je sais qu'il est un cumulo-nimbus et qu'à n'importe minute il peut exploser et abattre sa foudre sur moi.

Ce n'est pas que j'ai peur de voir la réalité en face mais ça implique beaucoup trop de choses. J'ai déjà de plus en plus de mal à le savoir dans la maison à côté de mon atelier, inaccessible, alors si en plus je me déclarais _ confessais serait peut-être plus approprié pour le coup _ et qu'il me rejetait, il ne voudra sûrement plus m'adresser la parole et je serai obligé de ne le voir que par la fenêtre. Je ne pourrais plus avoir droit à un sourire, un haussement de sourcil, un petit mot sur son tableau. Puis, je commence à avoir de plus en plus envie de le confronter de vive voix. J'en viens à rêver que je lui dis « bonjour » et qu'il me répond. Sauf qu'à ce moment-là, sa voix est étouffée et je ne parviens pas à l'entendre. Je me réveille juste après, frustré comme jamais je ne l'ai été. Et pourtant, ça m'est déjà arrivé pour d'autres genres de rêve.

Et là, maintenant, je suis à mon poste d'observation et, fait peu étonnant, j'attends 20 heures, l'heure à laquelle Jonas arrive dans la pièce pour discuter. Ma jambe se secoue d'impatience et mes doigts triturent mon crayon au lieu d'en faire quelque chose d'utile comme dessiner.

Je suis totalement accro et mes réactions me font peur.

J'aperçois de la lumière s'allumant dans mon champ de vision et sans perde une seconde, je me retourne dans cette direction. Il est là, dans des habits confortables qu'il porte souvent le soir, une serviette sur la tête. Pour le moment, il n'a pas encore tourné la tête vers moi et une partie de mon cerveau espère que ça continuera. Mais c'est lui qui m'a donné ce rendez-vous _ enfin, rendez-vous ... _ et je comprends qu'il est simplement en train de chercher un feutre pour écrire.

Pour m'écrire.

Il faut que j'arrête de penser à ce genre de choses. Ça ne m'aidera pas à calmer mes sentiments et à juste profiter de cette amitié hors-norme.

Après tout c'est vrai ! Qui peut dire qu'il est ami avec un prêtre ? Je n'ai rencontré personne à qui ce soit arrivé alors je me considère quand même chanceux. C'est vrai que rien ne nous prédestinait à nous parler et à bien nous entendre.

« Journée ? »

Je ne peux pas m'empêcher de sourire. Ce simple mot est celui qui annonce le début de la discussion entre Jonas et moi. Ce seul mot revient à chaque conversation, comme en introduction.

« Comme d'hab. Toi ? »

« Pareil. »

Réponses courtes, concises, et identiques aux autres jours mais c'est pas grave, c'est juste une habitude qu'on a prise tous les deux. Ce sont les mots qui suivent qui ont le plus d'importance. Ceux qui me permettent d'en apprendre plus sur lui et de succomber toujours un peu plus qu'hier.

Alors on parle. Du temps qui change. De la neige qui semble avoir définitivement disparu. Des températures qui remontent tout doucement mais ne sont pas encore assez bonnes pour ouvrir les fenêtres sans risquer une pneumonie. Chaque mot me donne l'impression qu'il veut lui aussi pouvoir me parler de vive voix. Et ce sentiment s'intensifie lorsqu'il me demande de lui décrire ma voix. Mais très vite, il me dit de ne rien dire, de le laisser deviner. Une sorte de défi personnel. Un simple jeu.

« Voix ni trop grave ni trop aigue. »

Pour le moment, il n'a pas tort.

« Accent de la région. »

J'hausse les sourcils. Comment est-ce qu'il a pu deviner ? Il ne s'entend pas beaucoup mais il devient très marqué lorsque je suis fatigué, énervé et ... dans d'autres circonstances. Il semble donc que ma voix corresponde à mon physique. C'est plutôt bon signe je pense. En tout cas, je ne m'en plains pas. J'ai très mal vécu mon adolescence à cause de ce moment où ma voix a commencé à se chercher sur la gamme musicale et qu'elle a mis plusieurs années à trouver la bonne octave. Mais maintenant que c'est fait, j'en suis assez satisfait.

Je commence à noter quelque chose jusqu'à ce que je le voie me faire de grands signes.

« Ne dis rien. »

Je meurs d'envie de lui demander pourquoi. Mais il ne m'en laisse pas le temps, efface ce qu'il a écrit pour laisser place à d'autres mots qui envahiront sûrement mon rêve de cette nuit et sûrement des vingt prochaines nuits.

« Laisse-moi le découvrir par moi-même. »

Avant même de pouvoir assimiler cette phrase et d'y réfléchir, ma main bouge de sa propre volonté et commence à écrire sur le tableau blanc.

« Quand ? »

Je me fige. Je suis censé être un matamore ! Un faux brave ! Alors pourquoi est-ce que je lui ai demandé ça ? Si ça se trouve, il me dira dans un an ou deux. Si ça se trouve, il me dira que c'est une blague et qu'il n'a jamais espéré pouvoir m'entendre ! Ou alors il va se douter de quelque chose. Après tout, j'ai répondu très vite et si en plus il a pu voir distinctement mon visage, je devais sûrement avoir l'air d'un fou.

Fou d'impatience.

« Bientôt. »

Mon regard fixe ces quelques lettres et j'ai l'horrible envie de lui demander combien de temps c'est bientôt. Est-ce que ça se compte en heure ? En jour ? Ou pire encore. En mois ? En année ?

« Et toi ? »

Je ne comprends pas ce qu'il essaye de me dire. Et moi quoi ? Je le lui fais comprendre et il se met à rire. Pourtant, je n'ai rien dit de drôle pour une fois.

« Ma voix ? »

Oh ... OH ! A quoi doit ressembler sa voix pour moi ? J'y ai tellement pensé que je pourrais remplir le tableau blanc dans son intégralité. Mais je me contente de quelques mots, les plus importants je pense.

« Chantante. Chaude. Rassurante. »

J'attends sa réaction. Il semble plongé dans mes mots comme si un message était caché derrière eux. Comme s'il essayait de comprendre quelque chose que je n'ai pas écrit mais qui me parait au final tellement flagrant. Je commence à avoir peur d'avoir fait une bêtise. Ces trois mots qui me paraissaient tellement anodins sur le coup me renvoient à la figure tous mes sentiments.

Parce qu'en réalité, ce n'est pas qu'à sa potentielle voix qu'ils correspondent. Non, ils vont à tout son être. A son existence qui fait chanter mon cœur. A cette chaleur qui m'envahit quand je lui parle à travers ces fenêtres. A ce sourire qui a le don de me rassurer. Comme celui qu'il m'adresse à cet instant alors que je le vois reprendre son tableau et réécrire ces quelques lettres qu'il a déjà marqué un peu plus tôt.

« Bientôt. »

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top