06. Oaristys
Oaristys, n.f. : Idylle, entretien tendre.
Je dois l'avouer, j'ai tenté de raccourcir toutes mes conversations avec Jonas ces derniers jours. A partir du moment où je voulais lui demander s'il était réellement prêtre, j'ai prétexté devoir bosser. D'un côté, c'est une bonne excuse, parce qu'effectivement, depuis que j'ai découvert que Jonas vit dans un presbytère, je n'ai pas trop travaillé. Je suis beaucoup trop occupé à me morfondre dans un coin.
Alors oui, je pourrais lui demander s'il est vraiment un prêtre, mais je crois que pour le moment j'ai besoin de rester dans cette illusion que je me fourvoie totalement sur la situation. J'ai envie de continuer à lui parler. Jonas est une personne intéressante et je n'ai pas envie de savoir que ces discussions ne sont simplement que ...
Simplement quoi d'ailleurs ? Juste des discussions ? Que je suis là juste pour faire passer le temps ? Ou pour faire sa bonne action auprès de quelqu'un qui est seul ?
Vraiment, je préfère rester dans mes illusions et penser qu'entre nous il pourrait y avoir un peu plus qu'un simple passe-temps. Mais plutôt une oaristys, comme dirait sûrement Arthur. J'ai encore envie de croire que je ne suis pas attiré par quelqu'un de totalement indisponible. Même si, en fin de compte, quel est le mieux ?
Être attiré par quelqu'un qui vous rejette ?
Ou être attiré par quelqu'un qui est dans Les Ordres ?
La deuxième solution est peut-être la meilleure. Parce que peut-être que je pourrais lui plaire mais qu'à cause de son engagement religieux, il ne peut pas vouloir de rapprochement avec lui ?
C'est bien beau de rêver. Créer des histoires, c'est mon truc. Pourtant s'il y a bien une chose que je m'interdis résolument, c'est celle de m'inventer une vie. J'imagine, des milliers de choses. J'invente une vie aux gens que je croise. Mais ça n'a aucune incidence sur leurs vies. Ils ne sont pas au courant de ce que j'imagine. Alors que m'inventer une vie, c'est le meilleur moyen pour plonger dans les ténèbres, de se créer une vie bien trop différente de la sienne et de sombrer lorsqu'on revient dans la réalité. Alors pas d'histoire.
Jonas est à 99% un prêtre. Je dois faire avec. Maintenant, je dois surtout me demander si j'ai envie d'en avoir la confirmation et si quelle que soit la réponse, je voudrais toujours lui parler.
Les réponses sont simples.
Non.
Et oui.
Pas que je veuille garder de l'espoir, mais je n'ai pas envie de risquer une réponse positive et sentir la partie de mon cœur à qui Jonas plait se briser. C'est une sorte de sursis. Mais est-ce que pour autant j'ai envie de couper les ponts avec lui alors que je le connais à peine ? Non. Bien plus que de m'attirer, il me plait vraiment. Ses questions surprenantes, ses sourires qu'il me distribue à la pelle, ses sourcils qui expriment tant de choses.
Et j'aimerais entendre sa voix.
Je ne dis pas que j'aimerais sortir avec Jonas. Pour l'instant, c'est une attirance qui s'installe jour après jour et je reste conscient qu'on ne se connaît pas encore beaucoup lui et moi. Mais si par hasard, un jour, je change d'avis et estime que ce mec, c'est vraiment un coup de foudre que j'ai pour lui et que je veux vraiment sortir avec lui. Je préfèrerais que son refus et son explication se fassent de vive voix et pas par écrit. Même si l'avantage de l'écrit, c'est que je peux fermer le store et couper toute communication visuelle en l'espace d'une seconde.
Malgré cet avantage, indéniable soit dit en passant, j'ai quand même envie d'entendre sa voix. Si elle est grave ou plutôt aigue. Les intonations qu'elle prend lorsqu'il est heureux, triste, étonné. Est-ce qu'il a un petit accent qui va avec ses traits hispaniques ? Ou alors un accent qui trahit sa provenance de la région ?
Je me rends compte que pour le moment, ma rencontre avec Jonas est comme la lecture d'une bande dessinée. Elle est purement visuelle et ce qui a attrait aux autres sens n'a plus qu'à être imaginé. Parce que la vue est satisfaite, mais on ressent malgré tout le besoin de combler les autres sens.
L'ouïe. Quel est le son de sa voix ?
L'odorat. Quelle est son odeur ? Est-ce qu'il porte un parfum ?
Le touché. Est-ce que sa peau est chaude ? Ses doigts sont-ils calleux ? Et ses cheveux sont-ils aussi doux qu'ils en ont l'air ?
Le goût. Est-ce que ses lèvres ont le goût de l'orange qu'il aime tant ?
Je finis par me donner des coups sur la tête. Avec un peu de chance, ça me détruira les neurones qui se sont mis en tête que même sans le voir, Jonas me plaît de plus en plus.
Et lorsque je finis par me tourner vers la fenêtre, il est là. Il me regarde bizarrement et finit par me demander si tout va bien. Je lui réponds que tout va bien et fait croire que c'est parce que mon travail me demande énormément d'effort et que ça traîne un peu, ce qui n'est pas faux même si ce n'est pas la raison pour laquelle j'en viens à me violenter.
« Ta journée ? » me demande-t-il.
« Epuisante. »
J'efface rapidement et lui demande comment s'est passé la sienne. Peut-être qu'il va me donner des indices sur sa carrière. J'ai beau m'être convaincu de ne pas lui poser la question, c'est pas pour autant que je ne vais pas tenter d'en apprendre un peu plus malgré tout.
« Enrichissante. »
Mais non, pour le coup, ça ne m'avance à rien du tout. Et il n'efface pas ce qu'il a écrit, ce qui signifie qu'il n'a rien à ajouter sur le sujet. Alors je prends les devants. Enfin, un petit peu.
« Anecdote ? »
Je n'ai pas à dire quoi que ce soit de plus. On a instauré implicitement cette règle. Si l'un de nous deux a envie de poser une question à l'autre, il n'a qu'à la poser, sans fioriture, sans introduction. De toute façon, pourquoi faire dans la dentelle et la broderie lorsqu'on voit notre moyen de communication ? Ça deviendrait très vite illisible.
Alors je le vois écrire sa réponse. Il me fait signe qu'elle sera en plusieurs morceaux.
Il me raconte que plus jeune, il s'était perdu dans la forêt. Il était sur le point de pleurer quand il a vu une lumière. Comme divine. Qu'il s'en est approché et qu'elle l'a guidé jusqu'à un chien, attaché à un arbre. Abandonné. Il a libéré ce chien qui l'a conduit jusqu'à la sortie. Leur rencontre était un signe du destin et c'est à partir de là, qu'il a su ce qu'il voudrait faire dans la vie.
J'ai envie de pleurer.
Pas à cause de l'histoire même si elle est vraiment mignonne et qu'en plus de ça l'abandon des animaux est vraiment ignoble. Mais parce qu'il me raconte ce qui semble parfaitement être le début de son envie d'entrer dans Les Ordres.
Si seulement je pouvais lui demander son orientation sexuelle. Mais ce serait légèrement _ beaucoup _ déplacé, surtout s'il est prêtre.
Lorsqu'il me demande d'en raconter une à mon tour, j'hésite presque à lui parler de la première fois où je l'ai vu. Pourtant, je me retiens et préfère la garder pour une autre fois. Comme pour un hypothétique jour où je serais vraiment accro à Jonas et que je devrais libérer tout ce que j'ai sur le cœur.
Alors à la place, je lui raconte un souvenir assez cocasse. Je lui raconte mon premier râteau. Je le vois froncer des sourcils. Il doit sûrement se demander pourquoi j'ai choisi cette anecdote. J'efface ces mots et lui raconte que j'étais jeune. Dix-huit ans je crois. Qu'il faisait ma taille mais était en bois massif et qu'il m'est arrivé à pleine vitesse dans l'arcade sourcilière, parce que je lui avais marché dessus, provocant l'une des plus grosses douleurs que j'ai pu ressentir dans ma vie.
Je le vois lire attentivement chacun de mes mots avant d'éclater de rire en comprenant mon histoire.
« Un râteau ? Littéralement ? »
Je prends mon air le plus dépité et opine du chef, le faisant à nouveau rire aux éclats. N'empêche. C'est dingue comme de loin il est déjà aussi beau. Je ne peux pas m'empêcher de le regarder rire. Ce serait bien d'entendre son rire aussi. Peut-être qu'il fait des bruits de cochon un peu tue l'amour. Peut-être qu'il postillonne sur tout le monde. Si au moins il avait un défaut, je pourrais le trouver moins attirant. Enfin, un « défaut » autre que d'appartenir aux Ordres. Mais j'ai beau me dire ça, je suis sûr que même son rire est craquant.
Mine de rien, s'il est réellement prêtre ... je devrais peut-être me convertir.
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