Chapitre 1: Combats de rue et équations à trois inconnues

          Un réveil sonna quelque part dans la chambre, tirant Athénaïs du sommeil dans lequel elle était plongée. L'alarme fut rapidement éteinte avec un grognement de protestation, puis une lampe fut allumée, faisant râler le reste des dormeuses. Athénaïs entendit quelqu'un se lever, puis ouvrit un oeil lorsqu'une voix s'écria:

- Allez les filles, courage! c'est la dernière avant le week-end!

Un concert de grognements et de protestations suivit l'encouragement de Jeanne, l'une des camarades de chambres d'Athénaïs. La jeune femme blonde aux yeux noisette était toujours la première levée, et était de loin celle qui motivait le plus les autres à aller en cours le matin depuis maintenant un mois et demi. 

          "Plus qu'une semaine", pensa Athénaïs en se frottant les yeux pour en chasser la fatigue. "Plus qu'une semaine et je pourrai enfin dormir..."

          Elle se redressa, repoussa sa couverture et s'étira en bâillant. Elle avait hâte d'être en vacances, comme tout le monde: le rythme était difficile à tenir, et elle était épuisée, mais elle adorait ce qu'elle faisait. Chaque jour était un nouveau défi qu'elle se plaisait à relever, chaque nouveau cours un pas supplémentaire vers le métier de ses rêves. Elle savait qu'elle majorait largement la promo et travaillait dur afin de continuer dans ce sens, mais elle n'en restait pas moins humaine et était ravie d'arriver aux vacances afin de pouvoir enfin se reposer avant la reprise.

          Elle entendit sa camarade de chambre allumer la douche alors qu'elle descendait de son lit pour aller préparer ses vêtements. Elle ne se cassait pas la tête à chercher comment s'habiller et prenait les premières choses qui lui tombaient sous la main, préférant passer du temps à relire le dernier point de cours juste avant d'arriver en classe afin d'être prête à prendre en note la suite du chapitre. Oui, Athénaïs était une bosseuse et savait que c'était la clé pour réussir son concours et entrer dans une grande école afin d'y préparer son futur métier.

          La jeune fille avait de grands projets d'une grande ambition: elle désirait intégrer les écoles nationales afin d'y devenir chercheuse et soutenir la cause animale, notamment en travaillant sur la possibilité de réintroduire des espèces potentiellement éteintes en travaillant directement sur leur ADN et celui d'espèces proches de ces dernières. Elle n'avait, contrairement à la plupart des gens de sa classe, jamais envisagé d'être vétérinaire, peu intéressée par les contacts avec les gens et le sauvetage d'individus isolés. Elle préférait travailler à grande échelle sur la possibilité de sauver une population d'un coup grâce aux progrès de la science dans le domaine de la recherche et de la génétique.

          Athénaïs prit la direction de la salle de travail, sachant que Jeanne avait besoin d'une dizaine de minutes pour se préparer, et sortit son cours de physique pour le relire. Elle n'aimait pas trop le chapitre actuel, qui traitait du condensateur, mais faisait de son mieux pour comprendre et intégrer les différentes notions réclamées par ses professeurs. Elle s'en sortait assez honorablement, bien qu'elle ait plus de facilités en chimie, matière qui l'intéressait davantage.

          Lorsque Jeanne sortit de la salle de bains, Athénaïs prit le relais pendant que leurs deux autres camarades se levaient. Les deux autres filles avec qui elles partageaient leur chambre étaient elles aussi dans leur classe, et elles s'entendaient plutôt bien toutes les quatre malgré de nettes différences entre elles: en effet, alors qu'Athénaïs était le cerveau du petit groupe, Jeanne peinait parfois à suivre les cours, même si elle cachait ses difficultés derrière un sourire quasi-permanent et une bonne humeur que même les pires notes de colle ne pouvaient altérer. A l'inverse, Clarisse était plus sensible et pleurait souvent à cause du stress, mais il lui suffisait de quelques mots pour se remettre et mieux comprendre les cours, surtout lorsqu'Athénaïs se chargeait de lui donner un coup de main. Enfin, Manon était la plus rêveuse des quatre, et si chacune de ses amies avait une idée du métier qu'elles voulaient faire, elle ne savait pas du tout quel métier tenter... Elle savait juste qu'elle aimait la biologie et qu'elle voulait travailler dans ce domaine.

          Pendant que les deux dernières des quatre filles se préparaient, Athénaïs attacha ses longs cheveux dorés en une queue de cheval, pratique pour les TP qu'elle allait avoir dans la journée, puis fit son sac pour la matinée. Elle avait deux heures pour manger le midi et pourrait donc repasser prendre ses affaires à ce moment-là. Enfin, lorsque toutes les filles furent prêtes, elles descendirent à la cantine pour aller prendre leur petit déjeuner.

          Toutes les quatre avait leur petit rituel commun: pendant qu'elles mangeaient, elles mettaient les infos et s'amusaient à deviner de quoi allait parler la journaliste, dans quel ordre et l'importance accordée à chaque sujet. Suivait un débat entre les quatre amies sur leurs avis sur le sujet, les changements qu'elles auraient aimé apporter ou encore la façon dont elles auraient annoncé la chose... Elles étaient surtout très imaginatives lorsqu'il s'agissait d'annonces de meurtres ou d'assassinat, et chacune sentait naître en elle un instinct de détective qui les poussaient à analyser chacun des détails exposés afin de déterminer qui pouvait être le coupable et pour quel motif.

          Ce jour-là, elles furent servies: alors qu'Athénaïs lançait la radio pour avoir les infos, la journaliste disséquait déjà les dernières nouveautés concernant un meurtre commis pendant la nuit en ville. Aucun témoin, disait-elle, juste les traces d'un combat de rue particulièrement violent et la mort mystérieuse d'un mendiant, visiblement égorgé par un animal.

- Je suis sûre que ce n'est pas un animal, commença Jeanne en tartinant généreusement de chocolat une biscotte. Un meurtre aussi près d'un lieu de combat? C'est sûrement l'un des combattants qui a fait le coup!

- Ca tombe, l'un d'entre eux avait un chien, fit Athénaïs en mâchouillant un bout de pain. Un gros chien d'attaque style pit-bull ou rottweiler...

- Le rottweiler est un chien de catégorie 2, fit remarquer Clarisse. C'est un chien de défense, pas d'attaque.

- On s'en fiche! s'écria Jeanne. Ça reste un chien dangereux!

- Ça dépend... répliqua Clarisse. J'en ai trois, ils sont plus affectueux que le chihuahua de ma grand-tante!

Sa remarque fit rire ses amies.

- C'est parce qu'ils ont été éduqués pour être des nounours, fit Manon.

- Oui... N'empêche que c'est pas un rottweiler qui a fait ça, j'en suis persuadée.

- Toi, à force de croire en l'innocence des chiens... commença Jeanne.

- En tous cas, vous avez vu ces marques sur le mur? s'étonna Athénaïs. Il faut être vachement fort pour causer des dégâts pareils...

- C'est sûrement des gangsters style armoire à glace, fit Clarisse d'un air rêveur. Tu sais, comme Antonio Delivente dans MAFIA: Le Gang de la nuit...

Athénaïs leva les yeux au ciel.

- Me dis pas que t'aimes les armoires à glace... soupira-t-elle.

- Antonio est si beau... soupira son amie. Tu l'as vu dans Seigneur des sept mers? C'est le meilleur acteur de l'année...

- Et le seul qui arrive à faire craquer les filles intelligentes comme toi, répliqua Manon. remets-toi, Clarisse! C'est juste un mec!

- Qui ça? fit une voix masculine derrière elle, la faisant se retourner en sursautant.

Ses amies furent prises d'un fou rire en voyant le géant brun debout derrière elle, son plateau vide dans les mains.

- Oh, salut Louis... fit-elle en rougissant légèrement. Je... On parlait d'un acteur, ajouta-t-elle en cherchant le soutien de ses amies du regard.

- Ah... fit le jeune homme, l'air déçu.

Il se reprit rapidement.

- Bon, je file, faut que j'aille chercher mon sac avant les cours. A plus!

Le jeune homme prit la direction de la sortie avant même que les filles aient eu le temps de lui répondre. Une fois qu'il fut hors de vue, Clarisse adressa un petit sourire lourd de sens à Manon:

- Je crois que tu l'as vexé en disant que tu parlais d'un acteur... fit-elle. Je crois qu'il espérait que tu parles de lui.

Manon rougit violemment.

- Mais qu'est-ce que tu racontes?

- Fais pas l'innocente, continua Jeanne, on a bien vu la façon dont tu le regardes... Avoue, t'es amoureuse de lui!

- Mais n'importe quoi! fit Manon en rougissant de plus belle. C'est juste que je m'attendais pas à...

- Bon, désolée de vous couper, les filles, intervint Athénaïs, mais si on se dépêche pas, on va être en retard!

- Je ne vais nulle part tant que Manon a pas avoué! répliqua Jeanne.

- Mais j'ai rien à avouer! se défendit cette dernière. 

          Le petit groupe continua ses chamailleries en sortant de la cantine, convaincu par Athénaïs de se dépêcher quand même. Aucune des filles ne voulait arriver en retard, et comme elles savaient que toutes les places de devant avaient tendance à être prises rapidement, elles se dépêchèrent afin d'en avoir quatre.

         Elles arrivèrent juste à temps pour avoir les dernières places au premier rang: la plupart des autres internes était encore à la cantine, et les externes avaient tendance à arriver pile à l'heure ou cinq minutes avant la sonnerie, ce qui leur laissait la possibilité de prendre les places tant convoitées. Comble de hasard, Louis se trouvait juste à côté, et Clarisse, Jeanne et Athénaïs se mirent d'accord silencieusement pour laisser Manon s'asseoir à côté du jeune homme. La jeune fille aux cheveux bruns leur lança un regard assassin et s'assit à côté de lui en rougissant légèrement, ce que ses amies ne manquèrent pas de remarquer.

          Une dizaine de minutes plus tard, un brouhaha sans nom résonna dans le couloir, et un groupe de six élèves arriva en chantant à tue tête "Joyeux anniversaire" à l'attention d'une des filles déjà présentes. Cette dernière rougit légèrement, surtout quand le reste des élèves présents dans la salle se joignit au groupe pour chanter. A la fin de la chanson, l'un des garçons, un jeune homme à la silhouette athlétique et très musclée, cria à la cantonade:

- Ce soir, pour fêter l'anniversaire de notre Miss, direction l'un des cafés du centre ville!

La nouvelle plut aussitôt à toute la classe, et cette dernière marqua son enthousiasme à grands renfort de cris et de sifflements. Des élèves de terminale passant dans le couloir les regardèrent sans comprendre, ce qui était normal puisqu'ils n'étaient pas en prépa, et d'autres élèves reprirent les cris des premiers en arrivant dans la salle.

          La dernière personne à faire son entrée fut le prof de maths, et le silence s'installa rapidement sur la classe alors que le cours commençait. Athénaïs et ses amies se plongèrent rapidement dans le sujet, la première par intérêt réel, les trois autres plus par obligation.

          Athénaïs aimait beaucoup les maths, et ce depuis le CP. Toutefois, son intérêt pour cette matière qui avait tendance à faire râler la plupart des étudiants s'était développé au lycée, et notamment à partir de la première, lorsque les profs avaient commencé à expliquer les démonstrations et les équations. La jeune femme comprenait qu'il s'agissait de la clé de compréhension du monde, que tout était fait de maths et qu'il fallait ces dernières pour comprendre ne serait-ce que l'origine de la vie, et elle aimait beaucoup mettre ses capacités de raisonnement et de logique à l'épreuve sur les exercices donnés en cours par le professeur. Elle ne comprenait pas toujours tout tout de suite, mais avec du travail et de la réflexion, elle finissait par saisir ces notions en apparence compliquées qui faisaient tant pleurer Clarisse et Manon, les deux allergiques de chiffres.

         Le cours du jour portait sur les matrices et la résolutions de systèmes d'équations à trois inconnues. Athénaïs avait rapidement compris la méthode et s'amusait à résoudre les exercices donnés par le professeur, mais ses amies ne riaient pas autant qu'elle et semblaient même peiner à comprendre comment faire.

         Lorsque la fin du cours sonna, toutes trois soupirèrent de soulagement, le cerveau engourdi à cause de tous ces calculs. Athénaïs était un peu déçue de quitter le cours de maths pour aller affronter celui, pour elle, plus compliqué qu'était le cours de physique... toutefois, elle ne se plaignit pas et c'est même avec entrain qu'elle entra dans la salle de physique, en discutant avec ses amies de tout et de rien.

          Le cours se déroula tout aussi simplement, quoique plus laborieusement pour l'ensemble du petit groupe: en effet, aucune des filles ne saisissait la théorie du condensateur, et même Athénaïs se sentit perdue face à ce dipôle étrange que la prof décrivait au tableau. Elle remarqua que Manon avait déjà décroché et que la plupart des autres élèves semblaient aussi perdus qu'elle, alors elle se décida à poser plusieurs questions afin d'éclaircir les mystères qui pesaient sur ce chapitre.

          A la fin du cours, elle n'avait toujours pas compris, mais ça lui était égal. elle espérait en effet comprendre chez elle, quitte à passer le week-end sur ces notions... Mais pour l'heure, elle avait faim et s'apprêtait à rejoindre la cantine avec ses amies pour aller prendre un repas bien mérité.

          Une fois à table, le petit groupe reprit sa discussion du matin sur le meurtre dont les infos parlaient encore. Visiblement, les médias tenaient à ce que l'affaire fasse du bruit, probablement à cause des traces manifestes de la violence du combat... Les quatre filles s'amusèrent à imaginer quelles têtes pouvaient bien avoir les coupables.

- Je te parie que c'est deux armoires à glace sans cervelle! disait Clarisse à Manon en entamant son plat.

- Vu les marques, c'est probablement des colosses, acquiesça Athénaïs, mais je pense pas qu'ils soient sans cervelle... Personne ne les a remarqués, c'est qu'ils sont assez intelligents pour s'échapper.

- Qui vous dit qu'ils n'étaient que deux? proposa Jeanne avant d'enfourner une pleine fourchette de carottes râpées.

Elle fit aussitôt une grimace et menaça de la recracher.

- Punaise, c'est trop salé! fit-elle en poussant l'assiette.

Athénaïs laissa échapper un petit rire.

- Toujours, ici... Tu n'avais jamais fait attention?

- J'ai jamais goûté... avoua Jeanne.

- Mais on te l'a déjà dit, pourtant! fit remarquer Clarisse. Tu nous écoute, quand on parle?

- La dernière fois que t'as dit qu'un plat était trop salé, je l'ai trouvé juste bien, se défendit la jeune fille.

- T'es une bouche à sel, aussi... répondit Clarisse, visiblement vexée par sa remarque.

- Bref, fit Jeanne, vous êtes sûres qu'il n'étaient que deux?

Athénaïs haussa les épaules.

- C'est ce qu'a dit la police, fit-elle. Mais à mon avis, ils étaient probablement plus...

- Qu'est-ce qui te fais dire ça? demanda Manon.

Athénaïs haussa les épaules.

- Je pense que vu les traces sur le mur, ils devaient pas être que deux à se battre...

          Elles continuèrent la discussion jusqu'à ce qu'elles aient terminé de manger. Elles sortirent ensuite de la cantine et prirent la direction de leur salle de cours, et s'assirent devant la porte pour relire le cours de biologie en attendant le début du TP. Ce dernier portait sur la dissection d'une souris: Clarisse était déjà un peu pâle à l'idée de disséquer le petit mammifère, et ses amies faisaient de leur mieux pour la rassurer. Elles réussirent à lui remonter le moral peu de temps avant que leur professeur ouvre la porte, et entrèrent dans la salle motivées pour leur dernier cours de la journée, qui durait tout de même trois heures!

          La fin de la journée arriva rapidement. Athénaïs et ses amies sortirent de la salle de TP en parlant de tout et de rien. Clarisse était un peu pâle, mais la dissection s'était mieux passée que prévu et la jeune fille souriait en sortant de cours. Les quatre filles coururent presque jusqu'à leur chambre pour y chercher leurs valises. Manon et Clarisse rentraient en voiture, la mère de Manon venait les chercher et les ramenaient en covoiturage car elles habitaient la même ville. Jeanne et Athénaïs, en revanche, devaient se rendre à la gare et s'y séparaient pour prendre le train, chacune dans une direction différente. Sur la route, elles se prirent à parler des cours, mais également de ce qu'elles avaient prévu de faire ce week-end. Jeanne abandonna Athénaïs à la gare de Lille-Flandres, et cette dernière descendit un arrêt de métro plus tard, à la gare de Lille-Europe. Il était tôt: elle avait encore une heure à attendre son train. Elle passa sa carte au composteur, puis descendit sur le quai en attendant le train. Elle s'assit sur les sièges disposés le long du quai et sortit un livre de son sac en attendant le train. L'ouvrage n'était pas très épais, et racontait l'histoire d'une jeune cavalière et de sa monture blessée par un chasseur. La jeune femme aimait beaucoup lire, bien qu'elle ait dû abandonner sa passion pour les livres le temps de ses études. Elle appréciait donc énormément cet instant du vendredi soir, lorsqu'elle attendait son train sur le quai, et qu'elle pouvait lire sans se soucier des cours et des colles. C'était son petit rituel entre la semaine et le week-end, quelque part, et elle y tenait énormément.

          Au bout de dix minutes à peine, Athénaïs sentit une étrange impression l'envahir. Elle leva les yeux de son livre et regarda autour d'elle: il n'y avait personne sur le quai, hormis elle, mais elle entendait clairement le brouhaha qui descendait depuis les plateformes au-dessus d'elle, où se trouvaient les restaurants et boutiques du hall principal de la gare, dans lequel se pressaient les voyageurs. Elle fronça les sourcils. Il n'y avait personne autour d'elle, mais elle avait l'impression d'être épiée... Elle leva les yeux vers la passerelle et les escalators qui menaient au quai, mais personne ne semblait faire attention à elle. Pourtant, son instinct lui criait que quelque chose, quelqu'un, de dangereux l'observait... Elle scruta le quai, mais n'aperçut rien, ni personne, hormis un pigeon boiteux qui béquetait un emballage de gâteau un peu plus loin. Elle tourna les yeux vers le quai de l'autre côté des voies ferrées, mais n'y vit rien, hormis un train qui passa à toute allure à ce moment-là. Toutefois, elle aurait juré avoir vu, une fraction de secondes, une étrange lueur rougeoyante sur l'autre quai...

          Pas rassurée, la jeune femme rangea son livre dans son sac et remonta sur la passerelle. Elle y patienta, entourée de touristes et d'une classe en voyage scolaire. La sensation d'être observée était toujours présente, et elle frissonna légèrement, mais elle eut beau scruter la foule autour d'elle, et même à l'extérieur de la gare, elle ne repéra aucun regard braqué sur elle, aucune personne louche qui l'observait, aucun air inquisiteur plus ou moins tourné dans sa direction. Elle regarda passer un groupe de militaires armés, et repensa au clochard tué pendant la nuit et aux images de la scène de crime que les médias avaient pu diffuser tout au long de la journée. Elle s'imagina un instant le physique que pouvaient avoir les agresseurs du pauvre homme, et frissonna de plus belle. Un instant, elle s'imagina qu'ils étaient toujours en liberté et pouvaient la surveiller dans l'ombre de la gare... Puis son esprit logique reprit le dessus: pourquoi deux brutes pareilles s'intéresseraient-elles à une jeune fille innocente comme elle? C'était absurde!

          Elle fut toutefois soulagée d'entendre l'annonce de l'arrivée de son train. Elle redescendit sur le quai, entourée cette fois d'une foule dense. Le train arriva quelques instants plus tard, et s'arrêta le long du quai dans un grincement strident qui lui fit mal aux oreilles. Les portes des wagons s'ouvrirent, et une foule compacte et pressée en sortit et se dispersa le long du quai, alors que les voyageurs prêts à monter regardaient leurs montres et téléphones en voyant l'heure du départ approcher, poussaient discrètement d'autres voyageurs pour espérer monter plus vite dans le train, et se pressaient le long des wagons en attendant que ceux-ci terminent de se vider. Athénaïs se sentait toujours épiée, et se pressa de monter à bord du train, dans un compartiment plein à craquer, et s'assit en compagnie de trois autres personnes pour être certaine de ne pas être seule. Elle ne prévint toutefois pas ses parents, afin de ne pas les inquiéter pour rien: elle était fatiguée, elle le savait, et avait déjà eu des impressions étranges dans le même style plus jeune, et pourtant rien ne lui était jamais arrivé.

          Elle soupira de soulagement lorsque le train quitta la gare. Lille disparut rapidement dans l'obscurité de la nuit, et, avec la ville, la sensation qui suivait la jeune femme. Elle reprit son livre et s'y replongea le temps du trajet, soulagée que son impression ait disparue...

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