CHAPITRE 9
Lizenn :
Aïsha. Après mûre réflexion, c'est sur elle que j'ai jeté mon dévolu. J'ai décidé que la meilleure façon d'obtenir ce que je veux est d'arriver à convaincre l'un de mes coéquipiers de se joindre à moi. Petit à petit, en lui introduisant des pensées traîtresses dans la tête. Je lui ferai trahir les traîtres.
La brune est la victime idéale. Elle est assez jeune pour croire à ce que je lui dirai, et la cheffe de cette expédition. Et en plus, elle manifeste un certain intérêt pour moi depuis le début de la quête. Je vois qu'elle cherche à m'aider, à me satisfaire. Je vais faire enfler ces sentiments, jusqu'à ce qu'elle change de camp.
Hier, lorsque nous sommes allées chasser ensemble, elle m'a encore répété qu'elle n'étais pas si heureuse que ça chez les Phénix. Peut-être que finalement, ce n'était pas un mensonge. Peut-être que cela va être plus facile que prévu pour moi. Et encore plus compliqué pour eux.
Je souris et me lève de ma couchette, pour découvrir Aïsha entrain de commencer à replier nos affaires. Je ne sais pas ce qu'elle a, mais elle semble beaucoup plus détendue que d'habitude. Un petit sourire flotte sur ses lèvres et elle se tient bien droite, comme ragaillardie par quelque chose. Ou quelqu'un. J'ai bien vu comment Noah la regarde. Je vais avoir le droit à un roman à l'eau de rose en direct. Super. Comme si j'avais besoin de ça. J'entreprends de l'aider, en réveillant les deux dormeurs qui nous servent de coéquipiers.
— Allez, debout ! lancé-je.
Gama me pousse sans ménagement lorsqu'il se lève et je lui assène une baffe monumentale en grognant. Ça fait du bien. Aïsha arrive avant que Gama ait le temps d'en venir au mains, ce qui me fait jubiler. Bien fait.
— Hé ! On dirait des enfants, là ! Vous n'avez pas intérêt à me servir des scènes comme ça arrivés à Drokan !
Dis donc, c'est qu'elle prend confiance en elle ! Je baisse la tête sans pour autant regretter mon geste. Néanmoins, cette brute me fait sortir de mes gons, alors que j'ai l'habitude depuis toute petite de ne pas réagir aux provocations. J'acquiesce enfin avant de m'éloigner, désireuse de ne plus voir mon assaillant.
Nous finissons de ranger le campement, puis retournons chercher nos chevaux. Je rejoins Azur, tâché de marron, qui m'a été assigné. Une blague de très mauvais goût, qui m'est vite sortie de la tête lorsque je me suis rendue compte que mon nouveau compagnon était très obéissant et rapide. Je le selle rapidement, remplis les bourses qui pendent à ses flancs et finis par monter sur lui. Comme à son habitude, il se laisse faire, sage.
Je cache un rire moqueur sous une quinte de toux lorsque je vois Gama peiner à rester sur sa monture récalcitrante. Aïsha me regarde avec des gros yeux, et je secoue la tête innocemment. Je jouerai à ce jeux avec elle tout le temps qu'il faudra.
D'un signe de tête, nous décidons de partir. Dans un même geste, nous mettons nos chevaux en mouvement, et progressons au milieu des arbres. Peu à peu, nous accélérons et la forêt laisse place à la plaine. Là, nous galopons à toute vitesse à travers l'herbe rase. Le vent frais d'automne bat contre mon front et gonfle ma tunique d'air. Je suis les gestes de ma monture pour plus de confort. Alors que je relève la tête, j'aperçois le lever du soleil, magique. Le ciel est bordé de rouge et d'orange, lui donnant une allure surnaturelle.
Une pointe de nostalgie m'envahit. Je pense à mon père, seul contre tous, à ma mère, que je n'ai presque jamais connue, ou du moins, pas assez pour que je me rappelle d'elle. Voilà treize ans, déjà qu'elle nous a quitté, et ça m'est toujours dur de penser à elle. À sa mort plus qu'étrange. Mon père m'a toujours dit qu'elle était décédée d'une maladie rare et inconnue, mais j'ai bien vu qu'il me cachait quelque chose.
Alors, j'ai fait mes recherches. J'ai passé beaucoup de temps à chercher, à creuser cette histoire, j'ai recueilli des témoignages, et j'ai fini par me faire ma propre version de l'histoire. Une version peut-être un peu erronée, mais qui tient la route. Pour moi, elle est morte en accouchant de mon frère caché. Elle a disparu juste après sa naissance, sans aucune raison, et l'infirmière qui s'est occupée de la faire accoucher m'a l'air de cacher beaucoup de choses. Avec le temps, j'en suis venue à détester mon petit frère pour ça. Même s'il n'y est pour rien. Je ne peux m'en empêcher.
Mes pensées se tournent vers la Ligue, qui est notre seul espoir. J'espère que Naamen pourra avoir un entretien avec l'un de ses membres. S'il sont aussi entraînés que ce qu'on raconte, et que j'arrive à convaincre Sour et un autre royaume de nous aider, nous pourrions tenir.
Nous chevauchons toute la journée, et jusque tard le soir. La nuit est déjà tombée lorsque nous arrivons auprès d'un gros rocher - l'un des meilleurs abris de cette plaine, sans aucun doute. Nous déplions le campement, et nous installons, en prenant soin de se serrer le plus possible, pour ne pas être remarqués.
— On a deux possibilités, propose Aïsha. Soit on fait un feu, pour y voir quelque chose et avoir plus chaud, avec le risque d'attirer les bêtes sauvages, soit on s'en passe.
— Dans tous les cas, l'odeur de la viande risque de les attirer.
— Oui, mais d'un côté, autant mettre toutes les chances de notre côté. Il nous reste de la biche cuite d'hier, contré-je.
Nous finissons par tomber d'accord et ne pas allumer de feu. Gama sort les restes de nourriture et nous mangeons en cercle, baignés par la lueur de la lune. Sans la forêt autour, il nous est beaucoup plus facile d'y voir.
— Nous devrions faire des tours de garde, annoncé-je soudain, brisant le silence.
Aïsha hoche la tête.
— J'y pensais. Je peux prendre le premier quart si vous voulez.
— Je ferai le deuxième, ajouté-je.
— Moi c'est comme vous voulez. Au moindre problème, réveillez-moi, lance Noah, avant de s'installer confortablement dans sa couchette.
Gama acquiesce sans un mot et va se coucher. Il devient docile. Je ne tarde pas à le suivre, après avoir souhaité bon courage à la leadeuse.
***
Je suis réveillée plus tard dans la nuit par une main pressée contre mon épaule. J'ouvre les yeux à contre-cœur, encore endormie, m'étire un grand coup et finis par me lever. Aïsha se tient au-dessus de moi, ses longs cheveux bruns rattachés en une queue de cheval.
— Je peux rester un peu avec toi ? demande-t-elle. Je suis trop stressée pour dormir.
— Bien sûr !
Voilà une occasion toute trouvée de continuer mon dessein. Nous nous asseyons côte à côte. Je prends bien soin de poser mon sabre non loin de moi, pour pouvoir agir rapidement en cas de problème.
— Dis, tu pourais m'apprendre quelques mots en ancien language ?
Je suis surprise par sa demande, mais comprends la jeune fille. Ne rien comprendre dans un monde hostile est difficile à supporter. J'acquiesce donc et entreprends de lui donner quelques bases. Des mots de politesse, de conversation. Aïsha est une élève assidue, concentrée, mais, je ne peux m'empêcher de rire quelque fois face à son accent qui laisse à désirer.
— Lebraïm, répété-je pour la troisième fois, réprimant un sourire.
— Le-bra-ïm. Lebram. Oh flûte ! peste la brune après un autre échec. Qu'est-ce que c'est dur !
— C'est pas trop mal ! je tente de la réconforter. Il faut juste jouer un peu plus sur les sonorités.
— Et donc ça, c'est bienvenue ?
— Oui. Ensuite, tu as merci, yogüm.
Aïsha répète plusieurs fois le mot, tout en maudissant les Droks de ne pas avoir changé de langage en même temps que les autres royaumes. Je tente de cacher mes doutes, mais je suis d'accord avec elle. Je ne maîtrise pas tant que ça ce language, et je ne fais pas confiance à Gama. Nous ne sommes pas dans le même camp. De toute façon, je serai docile. Je ne compte pas essayer de convaincre un peuple déjà campé sur ses opinions.
— Yogüm, répète impatiemment Aïsha, baclant le mot par la même occasion.
— Je pense que c'est bon pour aujourd'hui, décidé-je. Essaie de retenir ça, on reprendra demain matin.
Mon interlocutrice hoche la tête, la mine piteuse.
— Bon, je vais me coucher. Avec tout ça, je vais finir par être fatiguée, rit-elle.
Je la regarde se lever, un sourire aux lèvres. Je vais finir par l'apprécier, cette fille. Je tente d'ignorer la culpabilité qui me ronge le ventre. Je ne veux pas lui faire de faux espoirs, non plus. Non. Je chasse ce sentiment de mes pensées. Ce sont eux, les coupables. Pas moi.
Aïsha se relève soudain, alerte. Je scrute les alentours et vois des formes se mouvoir au loin.
— Elles viennent vers nous, assure la brune, l'air grave. Ne bouge plus, elles ne vont peut-être que passer.
Je retiens ma respiration, ma main posée sur mon sabre. Je n'ai absolument pas envie de me battre contre des bêtes sauvages. Je n'ai pas assez d'expérience pour. Ce n'est pas mon domaine. Je prie pour qu'elle soient peu nombreuses, et qu'elles aient repéré une autre proie que nous. S'il vous plaît.
Malheureusement, le destin semble contre nous. Les bêtes, des hyènes, s'approchent de notre campement, et il semble évident que nous sommes leur cible.
— Réveille les autres.
J'obéis, sans faire attention au ton autoritaire qu'elle a soudain pris. Les deux hommes se lèvent en vitesse. Je relève la tête et constate qu'Aisha a disparut. Merde ! Où est-ce qu'elle est passée ? Je relève la tête et mon cœur manque un battement. La jeune brune est entrain de courir vers les hyènes, son arc tendu. Elle décoche trois flèches avant que ces dernières l'atteignent, griffes en avant. Je remarque que ses tirs sont d'une précision remarquables, soit meurtriers, soit très handicapants.
Je me précipite vers elle, suivie de près par Gama et Noah. Aïsha laisse alors tomber son arc, dégaine son épée et se tient prête à l'affront. Sans hésiter, elle se jette sur une des bêtes. Son geste doit être réfléchit, puisqu'un désordre total règne désormais entre ses adversaires. Je comprends soudain ce qu'elle souhaite faire. Les empêcher d'atteindre le campement.
J'arrive enfin devant les animaux. Je déteste ce genre de situation. Désemparée, je tente d'aider mes camarades comme je le peux. Mais Gama et Noah peinent eux aussi à se défendre. Les hyènes n'ont aucune technique à proprement parler, elles tapent avec tout ce qui peut taper, ce qui les rend imprévisibles. Je devie un coup de griffe et plante mon sabre dans une patte.
L'odeur du sang emplit mes narines. Soudain, un poids me projette contre le sol poussiéreux et une douleur fulgurante me traverse l'épaule. Je retiens un cri et roule pour essayer de me débarrasser de la hyène. Je lâche mon sabre et tente d'attraper son cou dans la mêlée, sans succès. Je grogne rageusement. Je ne vais pas y arriver. Mon ennemie se débat sur moi, m'enfonçant la tête dans le sol. Je crache la terre qui s'est insérée dans ma bouche.
Enfin, après ce qui me semble être une éternité, le poids sur mon corps disparaît. Je prends une grande inspiration et me relève, sur le qui vive. Aïsha tient la bête dans ses bras, l'épée collée contre son cou. Elle finit par la relâcher et la hyène, comprenant qu'elle n'est pas dans une position de force s'enfuit la queue entre les jambes.
— Merci... soufflé-je.
Je regarde autour de moi et constate que les hyènes sont toutes réparties, mises à part celles qui ont péri dans la bataille. Gama et Noah s'en tirent à peu près indemnes, avec quelques griffures seulement. Aïsha, quant à elle, est couverte de sang.
— Ce n'est pas le mien, nous rassure-t-elle. Ou du moins, en grande partie.
— Où est-ce que tu as appris à te battre comme ça ? demandé-je, sidérée.
Je m'attendais à ce qu'elle se défende bien - elle a gagné le tournoi, tout de même - mais pas à ce point !
— Avec le père d'un ami, qui était armurier.
— T'avais un sacré goût pour l'interdit, sourié-je en me rappelant notre première conversation.
En effet, la brune m'avait confié que ses parents, très vieille garde, voulaient la marier à un bon parti. Je vois qu'elle a réussi à passer au-dessus de leur surveillance.
— Tu t'es bien défendue, lance soudain une voix que nous n'avions pas entendu depuis longtemps.
Surpris, nous nous tournons tous vers Gama, qui est déjà entrain de partir vers les couchettes.
— Alors là, souffle Aïsha, stupéfaite.
— Rentrons, propose Noah, qui n'a pas l'air d'être étonné par son geste.
— Il a pris un coup sur la tête, c'est pas possible !
Le jeune homme nous regarde amusé, avant de nous confier :
— J'ai peut-être eu une discussion avec lui, l'autre soir, qui a apparemment porté ses fruits.
— Tu es génial ! s'exclame Aïsha.
Je souris. Finalement, je les aime bien ces deux-là. Arrivés au campement, nous entreprenons de nettoyer nos blessures comme nous le pouvons, tant bien que mal. Mon épaule me lance énormément, mais je n'ose me plaindre face aux longues estafilades qu'a reçu la brune. Je la couve d'un regard nouveau. Elle nous a tous épatés, ce soir, et a pour sûr empêché un carnage.
— Il nous faut dormir, maintenant.
Nous nous recouchons, pendant que Gama veille. Épuisée par ce qui vient de se passer, je m'endors sans problème.
***
Je chevauche Azur avec tranquilité. Nous avons décidé de ralentir le rythme, à cause des multiples blessures d'Aïsha. Bien que cette dernière ait longuement protesté, elle a finit par accepter, à condition que nous ne perdions pas trop de temps.
J'en profite pour discuter de tout et de rien avec elle. Créer un lien assez fort est la première étape de mon plan. Et ça tombe bien, Aïsha n'a aucun mal à parler avec moi.
— Les Phénix seraient bien tristes de voir que nous nous entendons bien, glissé-je à la brune.
— Oh que oui, acquiesce-t-elle, l'air complice.
Je retiens un sourire satisfait.
La manipulation est un art complexe. Mais je ferai tout pour le maîtriser à la perfection et vraincre cette organisation. Je m'en fais la promesse.
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