CHAPITRE 7

Un silex dans la main, j'affute en silence les flèches de mon arc. Je me suis levée tôt ce matin : j'étais incapable de dormir à cause de notre départ imminent. Et oui, le jour est arrivé. Je pars pour les royaumes étrangers cet après-midi, en compagnie de Lizenn, Noah et Gama. Un mal pour un bien.

Je frotte vivement la pierre contre la pointe fine de mes armes pour les rendre plus tranchantes encore. Je ne sais pas ce qu'il va nous arriver, et préfère être parée à toute éventualité. Une fois le travail répété sur l'ensemble de mes projectiles, je passe à mon épée. En effet, si l'arc reste mon arme préférée, cette dernière peut être très utile en cas de combat rapproché. Les Phénix m'en ont donc fait cadeau pour le voyage.

Hier, nous avons décidé de l'itinéraire à suivre. Nous commencerons par le royaume de Drokan, qui est un ennemi déclaré de Naamen. Le choix le plus logique : c'est le lieu où nous avons le plus de chance de gagner du soutien. Puis nous continuerons par Sour, qui est notre allié depuis que notre roi lui a cédé une partie de notre territoire, menant aux grottes sacrées dans lesquelles les Soriens vénèrent leurs dieux.

Nous traverserons ensuite le continent vers les royaumes d'Asteria et de Nemas pour compléter notre tournée. Ces deux sont restés très neutres sur leurs positions lors des précédents conflits, alors je n'ai aucune idée de ce qu'il va se passer. Tout ce que je sais, c'est que les Nemis sont très à cheval sur les entrées et sorties dans leurs terres depuis la pandémie qui a décimé leur peuple.

Ayant terminé mon travail, je me lève et saisis un sac à dos, dans lequel je dispose plusieurs vêtements de rechange. J'y ajoute le silex et une carte d'Ernakan avant de le fermer : la nourriture et l'eau seront dans des sacoches pendues aux selles de nos chevaux. Fin prête, j'attends patiemment la sonnerie de réveil, qui ne tarde à sonner.

Léna et Anastasia se lèvent lentement, encore ensommeillées. Une fois qu'elles sont habillées, nous descendons petit-déjeuner. Dans les couloirs, je croise Elena, qui elle aussi se rend au refectoire. Dès que je pose le regard sur elle, je sens que quelque chose ne va pas. Quelque chose a changé. Elle ne marche plus de la même manière.

— Je vous rejoins tout de suite, lancé-je aux filles avant de rejoindre la brune.

— Je me suis faite attaquer, avoue la jeune femme aux yeux violets.

— Quoi ? Comment ? m'exclamé-je.

— Au retour de chez mon père. Ils m'ont prise par surprise. J'ai dû donner bec et ongles pour me dégager de ce merdier, ronchonne-t-elle.

Mais je vois bien qu'elle est perturbée. Pourtant, ce n'est pas risquer sa vie qui la mettrait dans cet état.

— Qu'est-ce qu'ils t'ont fait ?

— Ils m'ont seulement assommé. Lorsqu'ils ont vu que je ne m'étais pas évanouie, ils se sont battus. Je les ai bien amoché, sourit la membre de la Ligue.

Je vois bien que quelque chose la tracasse, mais n'insiste pas. Elle a le droit de garder ses démons pour elle, et je ne suis personne pour juger cela.

— Prends soin de toi quand même. Tu devrais aller voir les guérisseurs.

— Et donner une raison à Christophe pour ne plus me laisser sortir ? Non, c'est trop risqué. Mon père a besoin de moi.

Je hoche la tête. Je comprends. Elle doit continuer à assurer la messagère entre ici et la Ligue, surtout maintenant qu'il n'y a plus Léo.

— Et bien, je vais y aller. Au revoir, Elena.

— Je crois en toi, répond-elle simplement avant de s'en aller.

Je soupire, mais rejoins en vitesse les filles. Noah nous attend déjà à table avec quelques garçons et nous les rejoignons, tout sourire.

— Salut les filles ! nous accueille-t-il.

— Salut ! nous lui répondons en chœur.

— Alors ! Prête pour la grande aventure ? me demande le brun.

J'avale une bouchée de brioche avant d'affirmer :

— Et comment ! Ça va nous changer d'air !

Il acquiesce tout en buvant son lait. Je continue le repas en silence, écoutant les diverses conversations. Tandis que d'habitude je suis ravie de discuter avec mes amis, aujourd'hui, trop de pensées se bousculent dans ma tête. Mais c'est la dernière fois que je les revois avant un bon bout de temps, alors je fais un effort pour y participer.

La sonnerie ne tarde pas à retentir et je soupire. Tout passe définitivement trop vite. Avec Noah, nous saluons le groupe qui part en cours pendant que nous nous dirigeons vers la salle où nous attendent nos coéquipiers et instructeurs. Je ne peux empêcher le stress de monter : c'est la première fois que notre équipe va se trouver au complet, et c'est de ma responsabilité de la diriger comme il se doit.

Noah doit le remarquer puisque sans attendre, il saisit ma main et la presse avec douceur. Le contact de sa main tiède me détend immédiatement. Je le remercie d'un geste de la tête, plus sereine. Nous marchons dans les couloirs. Éclairés par de grosses torches qui dégagent une lumière vacillante, ils me rappellent les souterrains sombres de la Ligue. Comme j'aimerai y être à cet instant, voir le Maître, Ali, Léo et Matt puis m'entraîner avec eux !

Ce n'est que lorsque nous arrivons devant la salle de l'audience que Noah me lâche la main. Je ne fais pas attention à la chaleur qui me réchauffe les joues et entre d'un pas décidé. Lizenn s'y trouve déjà, sans son escorte cette fois-ci. Cette dernière va devoir s'habituer à l'idée que la protection de la princesse ne dépend plus d'eux, mais bien de notre groupe, désormais.

— Bonjour, Christophe, messieurs. (Je me tourne vers la rousse). Princesse.

Aux côtés de cette dernière se tiennent le directeur, les combattants Lorin et Sheela et le professeur d'histoire Mécha, un grand homme blond à la silhouette élancée. Je l'ai déjà eu comme enseignant, et il est difficile de faire plus ennuyant. Sa manière de parler, toujours lente et grave, a le don d'en endormir plus d'un pendant ses cours.

Après les diverses salutations, nous attendons Gama en silence. Il ne tarde pas à nous rejoindre, dans une tenue noire bien lustrée. Tout en cet homme me dérange. Il a constamment l'air prêt à sauter sur ceux qui sont en face de lui et me paraît aussi apte à réfléchir qu'un scarabée. Et encore, pauvre scarabée...

— Bien. Maintenant que vous êtes tous là, nous pouvons commencer. Tout d'abord, Mécha va vous expliquer tout ce que vous avez à savoir sur les royaumes que vous allez visiter, puis nous vous brieferons sur votre itinéraire et quelques stratégies.

Je hoche la tête. Heureusement qu'ils ne nous laissent pas partir comme ça, ce serait la cerise sur le gâteau. Mais je me tais et écoute attentivement l'historien. Même si la Ligue m'a déjà beaucoup appris sur nos voisins, je peux peut-être grappiller quelques informations. On ne sait jamais, je pourrais être surprise...

— Nous sommes entourés de quatre royaumes, enchaîne Mécha. Tout d'abord, il y a Asteria. Sa capitale est sur une île située au milieu du lac d'Amaris. Le palais se trouve au cœur de celle-ci, vous devrez donc vous y rendre. Faites attention à ne pas vous retrouver piégés dans cette enclave.
Ensuite, nous avons Nemas. Vous risquez d'avoir des difficultés à rentrer : ils ont été ravagés par une épidémie il y a une cinquantaine d'années, et sont depuis très à cheval sur le côté sanitaire.

J'acquiesce. À côté de moi, Noah boit les paroles du professeur. Je souris devant son envie d'apprendre. Lizenn, elle écoute avec désinvolture. Elle doit déjà savoir tout cela. En tant que future reine, elle se doit d'être renseignée sur ses potentiels rivaux.

— Il vous faudra vous attendre à des coups dans le dos à Sour. Vous connaissez déjà l'alliance qui les lie à Naamen, alors je vous en exempt. Faites attention : ils vouent un culte très particulier aux dieux, n'attirez pas leur foudre.
Enfin, Drokan est le royaume où vous avez le plus de chances de réussite. Ils seront ravis de se dresser contre Naamen. L'inconvénient est qu'ils parlent toujours l'ancien langage, mais nous avons instruit Gama à ce niveau. Vous ne serez donc pas impactés.

Sournois ! Ils pensent que nous ne comprenons pas l'ancien langage et ainsi, espèrent que Gama prendra le dessus à Drokan. Ils ne veulent pas me faire totalement confiance. Dommage pour eux que je fasse partie de la Ligue et que je maîtrise cette langue autant que l'Ernien, celle parlée dans les autres royaumes ! Grâce à cela, je pourrai être au courant de tout sans que quiconque ne s'en rende compte. Un avantage de taille.

— Je parle également l'ancien langage. Pas couramment, mais assez pour le comprendre et entretenir une conversation, intervient Lizenn d'un ton ferme, signe qu'elle ne se laissera pas faire.

Je retiens un sourire. Décidément, elle semble avoir plein de ressources inattendues ! Et elles ne seront pas de trop pendant le voyage... Je tourne la tête vers Lorin, qui peine à cacher son mépris. Christophe, lui, paraît seulement déçu de cette surprise. Et pour cause ! Il vient de perdre un atout précieux.

— Tant mieux ! Comme ça, à deux, ils seront sûrs de bien décrypter les propos des Droks ! N'oubliez pas qu'ils ne sont pas tendres de nature.

Sheela a l'air heureuse que Gama puisse être arrêté en cas de problème. Lui, comme à son habitude, semble confiant. Trop, même. Et pourtant, il a de quoi s'inquiéter : je serai sans arrêt sur mes gardes, et prête à faire ce qu'il faudra pour l'empêcher de nous causer des ennuis.

— Ainsi, comme nous l'avons dit hier, reprend Christophe, vous commencerez par traverser la forêt et les monts Esmeray pour vous rendre à Drokan, puis vous rejoindrez Sour. Ensuite, vous traverserez Naamen pour rejoindre Asteria, et finirez par Nemas. Des questions ?

— Oui, intervient Noah, à ma grande surprise. Devons-nous repasser par ici vous faire un rapport lorsque nous traverserons le royaume ?

— Bonne question. Pour le moment, je n'en vois pas l'utilité, mais ce sera à vous de juger si cela est nécessaire au moment venu.

Le silence envahit la pièce, mais il ne tarde pas à être rompu par la voix dédaigneuse de Lorin.

— Bien que tu sois la dirigeante de l'opération, Aïsha, tu ne dois pas oublier que tes camarades seront là pour toi. Ne gâche pas l'aide qu'ils peuvent t'apporter.

— Je n'y comptais pas, répondé-je calmement.

— Parfait. Je vous rappelle aussi que votre but est de gagner du soutien. Si vous devez cacher ou changer quelques petites informations pour cela, faites-le. Nous passerons outre cette dérogation.

Le professeur n'essaie même plus de camoufler ses propos. Il nous demande juste de mentir pour l'intérêt des Phénix. Inhabituel, mais pas surprenant. C'était sûr qu'à un certain moment, ils allaient arrêter de nous baragouiner des idées rebelles, à moitié cachées sous du miel.

Les professeurs continuent de nous donner diverses informations, certaines utiles, d'autres complètement logiques. Rien de ce qu'ils disent ne m'apprend quelque chose de nouveau, et nous finissons par quitter la pièce, les membres engourdis par notre immobilité.

Nous nous dirigeons vers le réfectoire : nous devons manger tout de suite pour pouvoir partir au plus tôt.

— Viens manger avec nous, proposé-je à Lizenn alors que cette dernière s'apprête à s'éloigner.

Elle hoche la tête, un petit sourire aux lèvres. Gama, lui, ne se joint pas à notre petit groupe et préfère manger seul. Tant mieux. Je sens que le supporter au quotidien va être compliqué, alors autant que ça commence le plus tard possible.

— Tu es Noah, c'est ça ? demande la rousse à mon ami. Enchantée.

— De même ! approuve le jeune homme. N'hésite pas si tu as besoin de quoi que ce soit. On est là pour s'entraider !

Je me retiens de sourire face à sa gentillesse. De son côté, Lizenn a l'air touchée, même si elle reste méfiante. C'est compréhensible. Après tout, nous sommes ses ennemis. Et ça, elle ne risque pas de l'oublier.

— Ça va te manquer, tout ça ? demandé-je.

— Je suppose, hésite-t-elle.

Devant mon air interrogateur, elle continue avec réticence :

— Ça va faire du bien d'être dans l'action. En tant que dirigeants, nous ne bougeons pas beaucoup.

J'acquiesce en silence. Je conçois parfaitement ce qu'elle veut me dire. C'est bien, de se poser, réfléchir, prendre des décisions, mais agir est une toute autre chose. Sentir l'adrénaline envahir peu à peu mon corps est une sensation qui m'est bien trop chère pour que je m'en sépare.

Nous finissons rapidement de manger, alors que les élèves commencent à entrer en trombe dans la salle, affamés. Nous retrouvons nos amis. Les au-revoir sont rapides, pressés par le temps qui nous manque, mais restent empreints d'émotions. Nous ne savons pour combien de temps nous partons, et ce que nous réserve le voyage.

Nous sortons finalement du bâtiment, et je découvre avec surprise une grande écurie qui se trouve derrière lui. De nombreux chevaux y siègent. Quatre d'entre eux sont déjà scellés, de gros sacs attachés sur leurs flancs.

— Aïsha, le cheval noir est pour toi. Les blancs seront pour vous, Gama et Noah. Lizenn, tu prendras le tacheté.

Je vois du coin de l'œil la princesse tiquer. Et pour cause, si les chevaux noirs et blancs sont réservés aux dirigeants et aux personnes importantes, ceux tachés de marrons ont toujours été désignés pour les serviteurs, de rang inférieur. Un moyen facile de ridiculiser et délégitimer Lizenn. Ils ont beau faire croire à tous qu'elle est dans leur camp, les Phénix font tout pour qu'elle se sente le moins à l'aise possible. Ne t'inquiètes pas. Je ferai tout pour que tu aies ta place dans les négociations.

— Il s'appelle Charbon, m'indique un petit homme, que je suppose être le propriétaire.

Je hoche la tête pour le remercier, me dirige vers mon destrier et accroche mon sac à l'endroit prévu à cet effet. Je garderai mon arc dans mon dos pendant le voyage, au cas où j'aurais besoin de m'en servir rapidement. Ceci fait, je glisse mon pied dans l'étrier et me glisse sur la selle.

— Bien. C'est le moment que nous attendions tous. Suivez toutes nos instructions, et vous ne rencontrerez pas de problèmes... Faites attention à vos arrières, ajoute Christophe en me jetant un regard entendu.

Il parle de Lizenn. Mais moi, je pense plutôt à Gama. Il me faudra empêcher son côté bagarreur et provoquant de ressurgir au moindre problème.

— Au-revoir, et que les dieux vous protègent. Puissiez vous trouver de l'aide dans les royaumes alentours.

C'est le signal. Nous nous élançons tous vers les monts Esmeray, à une journée environ de galop. Je talonne ma monture qui prend la tête. Noah et Lizenn me suivent, Gama ferme la marche. Je savoure la sensation que me procure le vent sur mon visage alors que nous accélérons peu à peu.

J'ai appris à monter il y a environ deux ans, une année après mon arrivée à la Ligue. J'ai toujours aimé la sensation de liberté qui me saisit lorsque je galope. Tous mes problèmes semblent s'envoler loin de moi, comme emportés par la vitesse. Je me courbe et tire doucement sur les rênes pour orienter Charbon.

Tournant la tête, j'aperçois Noah, qui semble découvrir peu à peu comment monter à cheval. Lizenn, elle sait déjà faire. Ses mouvements sont ceux, souples et légers, de quelqu'un qui a passé des journées entières sur sa monture. Je ne peux voir mon dernier coéquipier, mais je sais déjà quel est son air : renfrogné. Sa grande taille et sa large carrure ne doivent pas l'aider à être stable, et il a horreur de se sentir inférieur aux autres.

Je me tourne à nouveau vers les monts Esmeray, vers mon futur. Notre groupe n'est pas celui des Éléments, il ne sera jamais aussi fort, aussi lié que celui-ci, mais c'est mon équipe. Je me dois de mener à bien ma mission. Celle que la Ligue m'a confiée des semaines auparavant. Celle pour laquelle j'ai passé tant de temps ici.

L'avenir n'est pas figé, mais ce que je sais, c'est que si je veux à nouveau vivre dans un monde tranquille, sans les Phénix, je dois réussir. Alors, je réussirai. Pour nous. Pour les Éléments. Pour la Ligue. Je serai là.

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