CHAPITRE 5

Ashley

Lorsque je sors de la réunion, je n'ai aucun appétit. Je décide donc de retourner au dortoir pour me calmer. Je marche silencieusement dans les couloirs désertés pas les jeunes affamés et prends soin de bien fermer la porte derrière moi avant de m'asseoir par terre. Je m'efforce de faire le vide dans mon esprit, comme tant d'autres fois avant. Peu à peu, le nœud dans ma poitrine se défait légèrement et ma respiration se fait plus tranquille. Je suis enfin en paix.

***

Je me réveille, l'esprit embrumé. Mince, je me suis assoupie ! C'est pas vrai, Ash ! Fais des efforts ! Je cours vers la fenêtre pour vérifier l'heure et soupire de soulagement : je n'ai dormi qu'une petite heure.

L'après-midi arrive cependant très vite et je me rends en cours de logique. Si la matinée m'a été banalisée pour que je puisse rencontrer Lizenn, je dois dès lors reprendre mon emploi du temps habituel, malgré mon envie de me poser. Allez, Ash ! Ça va te faire du bien de te remettre dans ta routine, m'encouragé-je.

La sonnerie retentit alors que j'arrive au détour du couloir. Quelques secondes plus tard, je suis devant la salle et attends le professeur. Léna ne tarde pas à me rejoindre et me harcèle immédiatement de questions.

— Alors ! Comment ça c'est passé ? La princesse va vraiment t'accompagner ? Tu l'as trouvée comment ?

— Du calme, rie-je avant d'être interrompue par l'arrivée du professeur Kyriel. Je t'expliquerai tout pendant le cours ! Pour l'instant, on doit y aller !

Nous rentrons dans la salle. Elle me paraît bien vide sans Alissandre. Je soupire. Il va falloir que je m'habitue à son absence. Elle n'est pas près de revenir. Nous qui avions prévu de ne pas nous séparer, voilà que deux d'entre nous sont sûrement dans les monts Esmeray au moment où je parle, que je m'apprête à partir aux confins d'Ernakan et que Matt va rester ici aux côtés d'une alliée inespérée. Ce dernier point étant le seul positif de cette histoire. Moi qui suis d'habitude si optimiste, notre situation me paraît peu enviable.

J'espère tout de même qu'Elena a prévenu mon compagnon de mon futur départ. Je n'ai pas pu le mettre dans la confidence, n'ayant ici pas de lien avec lui, ni de cours en commun. Mais d'après ce que j'ai pu comprendre de la jeune fille, elle doit l'avoir déjà fait. Il faudra tout de même que je lui en touche deux mots pour m'en assurer.

— Bien ! appuie Kyriel pour demander aux élèves de taire. Aujourd'hui, je vais vous dispenser un cours assez inhabituel. Vous avez l'habitude maintenant que je vous fasse réfléchir, trouver des solutions et contrer des inconvénients inattendus.

Soudain, le coupant dans ses paroles, la porte s'ouvre avec fracas et un jeune blond que je reconnais tout de suite déboule.

— Bonjour m'sieur, lance Adam avant de s'asseoir sur une chaise vide. 

Je ne suis pas surprise face à ce retard, qui est devenu une évidence, et suis même heureuse de cela. Depuis qu'Alissandre n'est plus là, ses entrées se font discrètes et silencieuses, contrairement à ses habitudes. Lorgnant mon camarade, je souris quand je vois qu'il a repris des couleurs. J'ai bien fait de le rassurer quant à la condition de mon amie rousse.

Dès que le jeune homme est installé, Kyriel reprend son monologue, comme s'il ne s'était rien passé.

— Je disais donc que j'ai décidé de passer à l'étape supérieure. Nous allons dans quelques minutes quitter cette salle pour rejoindre le terrain d'entraînement.

À ces mots, des murmures joyeux s'élèvent.

— Si je fais cela, c'est seulement parce que vous êtes un peu moins abrutis que vos autres camarades, qui savent à peine lacer leurs chaussures, explique-t-il avec dédain.

C'est fou comme les Phénix ont réussi à tant se faire bien voir du peuple, alors que rien n'est vraiment exceptionnel chez eux. Ils ont seulement profité d'une bonne occasion pour s'emparer de la bonne vision du peuple. Je me demande vraiment comment c'est du côté des adultes. Peut-être sont-ils mieux entraînés ?

— Nous allons donc étudier pendant ces heures l'art compliqué du combat anticipatif. Prévoir les gestes de vos adversaires et agir en conséquence. Le professeur Sheela a accepté de m'aider à vous faire comprendre tout cela. Nous allons donc la rejoindre sans tarder, termine le petit homme.

— Trop bien ! me chuchote Léna.

Je hoche la tête, revigorée. Combattre va me remettre les idées en place. Et puis, je pense pouvoir réaliser ce que le professeur nous demande : je ne fais que ça, au quotidien. Analyser, déduire, contrer. Ma manière de me battre a d'ailleurs toujours étonné le Maître. Ce que je ne lui ai jamais raconté, ce sont les raisons de tout cela. J'aurai préféré ne jamais l'apprendre.

Je secoue la tête et chasse ces pensées noires de ma tête. Je me suis jurée de ne parler à personne de mes faiblesses, et ai déjà brisé ma promesse en me livrant à Ali - ce que je n'ai jamais regretté bien sûr. Mais je ne me laisserai pas dépasser de nouveau.

— Allez, c'est le moment ! intervient Léna. Que t'as dit la princesse ?

— Pas grand chose, avoué-je. Elle voulait connaître mes compétences et mes objectifs à court et long terme. Voir si je mérite d'être suivie, ou si elle ferait une erreur en me faisant confiance dans cette quête.

Devant son regard interrogateur, je continue.

— Je pense qu'elle va venir. Ce n'est pas comme si elle avait le choix, ajouté-je en mon fort intérieur.

— Mais c'est super ! Tu te rends compte ! La princesse même est de nôtre côté !

— J'ai du mal à y croire moi aussi ! Mais pourtant, c'est bien ce qui est entrain de se passer !

Si seulement tout pouvait être aussi simple. Je n'ai pas hâte d'annoncer à mes amis la grande nouvelle. Je me vois mal arriver vers eux et dire "salut, alors enfaite je viens de la Ligue, l'organisation contre laquelle vous luttez, je suis là pour sauver le roi, vous venez avec moi ?" Et je les vois encore moins me répondre "mais bien sûr ! Avec plaisir ! Et du coup, tu t'appelles comment ?". Mais bon, je me débrouillerai, comme toujours. Je ferai tout pour ne pas les perdre.

Nous arrivons enfin devant la salle d'entraînement dans laquelle se tient Sheela, tout sourire. Une fois à l'intérieur, je suis éblouie par la lumière que produisent les grandes baies vitrées par lesquelles se déversent de nombreux rayons de soleil, contrastant avec l'obscurité des couloirs.

— Bonjour ! nous accueille la professeure.

Nous lui répondons en chœur alors que nous nous asseyons sur le sol en pierre. Voyant qu'Adam reste seul de son côté, je lui fais un petit signe. Il vient se poser à mes côtés, reconnaissant. Le professeur Kyriel rejoint la jeune femme à l'imposante chevelure noire en vitesse. Je souris devant leur différence : alors que ce dernier est petit, grisonnant et bougon, la combattante est grande, bronzée et éclatante.

— Le combat anticipatif, commence Kyriel en haussant la voix, est l'un des plus complexes. Mais une fois qu'il est maîtrisé, il peut faire des ravages et permettre à quelqu'un sachant le pratiquer de battre un adversaire à un niveau supérieur à lui. Mais arriver à ce stade requiert des années de pratique assidue. Ce que vous allez être capable de faire après ce cours, même si vous continuez à vous y entraîner, sera insignifiant face à des combattants bien entraînés.

Des murmures s'élèvent. Et oui, tout n'est pas gagné sans rien faire !

— Aujourd'hui, nous allons vous en apprendre les bases, enchaîne Sheela. Ensuite, il sera libre à vous de choisir de seulement garder en mémoire tout cela au cas où cela vous servirait un jour, ou de continuer dans cette voie. Mais si tel est le cas, nous serons ravis de vous aider à progresser.

Les deux professeurs se lancent alors dans une explication complexe de la détection de gestes et de postures, d'apparence normales, mais qui indiquent un mouvement prochain. J'écoute attentivement, mais j'ai déjà compris tout cela.

— L'important est donc dans un premier temps d'arriver à détecter les futilités dans les gestes de vos adversaires. Sans ça, rien n'est possible.

— Cependant, prenez garde ! Chacun a sa propre manière de se battre bien à lui, surtout les combattants avec un haut niveau. C'est pourquoi avant d'engager le combat, il est intéressant d'observer sa manière d'être, qui en décrit beaucoup sur sa technique. Cette dernière va beaucoup influencer ses mouvements.

Je hoche la tête. Alissandre en est le parfait exemple. Très directe et sanguine dans la vie de tous les jours, elle ne trompe personne quant à ses coups francs et brutaux lors de ses combats.

— Et si vous n'avez pas l'occasion d'examiner votre futur adversaire avant, n'hésitez pas à tenter de petits mouvements faciles à détourner pour ce faire.

— Ça m'a l'air bien compliqué, chuchote Adam.

— Ça l'est, approuvé-je.

Il soupire dramatiquement. Je retiens un sourire tandis Léna ne peut s'empêcher de gousser, ce qui lui vaut un regard noir de notre professeur. Elle presse sa main contre ses lèvres pour étouffer son rire.

— Vous allez vous mettre en groupe. L'un choisira un futur geste, et l'autre devra trouver duquel il s'agit. Allez, c'est partit !

Léna, Adam et moi nous levons et nous mettons en place, après avoir récupéré une arme sur le mur. 

— Commencez, dis-je, pressée de les voir à l'action.

Mes coéquipiers se placent l'un en face de l'autre. Adam commence à faire mine d'attaquer. J'aperçois tout de suite sa jambe gauche légèrement plus tendue sur cette le droite et ses yeux fixés vers le haut, qui présagent un coup sur l'épaule gauche.

— Le ventre ! s'exclame Léna, sûre d'elle.

— Épaule gauche, dément le blond ! Dommage t'y étais presque !

Après plusieurs essais infructueux, Léna et Adam réussissent à anticiper une fois le geste de l'autre. Je les félicite avec joie et me lève pour participer à mon tour. C'est le jeune homme qui reste face à moi.

— La tête ? demandé-je.

Alors qu'il hoche la tête, je décide de mon objectif : la jambe droite. Mais je ne bouge pas pour autant. Cela ne sert à rien d'anticiper les attaques de l'adversaire si lui l'a déjà fait pour moi avant. J'ai donc également appris à gommer ces tics que j'avais et qui en montraient trop sur moi. Alors que j'attends, mon ventre se met à gargouiller, protestant face à l'absence de repas.

— Mis à part que tu as l'air d'avoir drôlement faim, je ne vois rien ! soupire Adam.

J'éclate de rire et exécute un mouvement qui vient coller mon épée contre sa cible.

— Flûte ! Moi qui croyais avoir compris !

— Tu y es presque ! l'encouragé-je.

Après quelques autres tentatives, Sheela vient nous voir.

— Nous allons passer à des combats. Essayez de bouger en fonction de votre adversaire. Le but ici n'est pas la gagne mais l'apprentissage. Aïsha, tu viens avec moi ?

Surprise, je la suis néanmoins jusqu'à un coin éloigné de la salle.

— Je t'ai déjà vu combattre pendant nos leçons d'entraînement. Tu n'as pas besoin de tout ça. Je te propose donc un petit face à face !

— C'est gentil à vous ! Ça sera avec plaisir !

Elle dégaine son épée, qui est à peine plus longue que la mienne. Ce duel va aussi me permettre d'évaluer le niveau considéré comme haut pour les Phénix. Puisque Sheela est professeure de combat, elle est censée avoir un niveau au-dessus des adultes qui se trouvent dans le deuxième établissement.

Même si Elena a déjà dû enquêter de ce côté, un second point de vue ne peut être que bénéfique. Je m'avance donc vers mon adversaire, honteuse de l'utiliser pour mener ceux qui l'ont accueillie à leur perte. Elle n'a rien demandé et a au contraire été très bienveillante avec moi. Mais le doute n'existe pas à la Ligue. C'est donc sans aucun remords que j'inspire et engage le combat.

Dès lors, tout s'enchaîne très vite. Je fais en sorte de ne trahir aucun de mes mouvements en bougeant sans cesse, à la vitesse de l'éclair. Ma petite taille est un avantage à ce moment-là, puisque je peux me faufiler entre les coups bien placés de mon adversaire. Cette dernière fait également attention à ne pas être trop prévisible, mais j'arrive quand même à entrevoir quelques tics entre deux enchaînements.

Alors que je lève mon épée pour parer une énième botte, haletante, je décide de passer à l'attaque. Je détecte une faille dans la défense de la professeure. Après l'avoir poussée à la créer de nouveau, je plonge en avant, et dérive  pour échapper à son arme mortelle. Elle bloque mon coup au dernier moment, grâce à une parade complexe.

C'est alors qu'elle change complètement d'appuis. Je me rends compte avec quelques secondes de retard que la jeune adulte est repassée à son mode de combat habituel, laissant tomber l'anticipation. Le temps de comprendre ce qui m'arrive, je suis à terre, et mon bras se retrouve sous la longue épée. Je frémis face à la piqûre du métal contre ma peau, mais me relève sans plus attendre.

Je ne me laisserai plus déstabiliser. Surprise, Sheela approuve néanmoins ma démarche par un hochement de tête et repart à l'attaque. Cette fois, je suis prête : j'ai déjà pu l'observer un peu pendant ses cours et ai compris sa manière de faire. Comme je m'y attendais, les coups qu'elle donne ne sont pas les plus forts, mais sont extrêmement précis.

Après quelques minutes, je me rends à l'évidence : je ne pourrais pas le vaincre sans ruser. Ma blessure me fait mal, même si elle n'est pas du côté de mon arme. Alors que je me prépare à bloquer la lame de mon adversaire, un plan me traverse l'esprit. Sans préambules, je le mets en pratique. Je me baisse, esquive un coup, et dans un même mouvement, change mon épée de main, l'agrippant de toutes mes forces avec mon bras blessé.

Mais c'est sans compter sur les réflexes de Sheela, qui, avec difficulté, arrive à détourner mon arme. Déstabilisée, je n'ai pas le temps de me retourner qu'elle m'a plaqué au sol et désarmée. Je force sur mes bras pour me libérer, tente de la déloger, mais rien n'y fait. Je suis coincée. Je me tortille, place mes jambes derrière les siennes pour essayer de gagner du terrain, mais sans succès. Après quelques secondes de lutte intense, je pose ma tête par terre, relâche mes muscles, et m'autorise enfin à respirer.

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