CHAPITRE 4

Lizenn

Je marche rapidement à travers la plaine ensoleillée. Le bruissement des herbes sous mes pas atténue quelque peu la tension qui s'est emmagasinée en moi et je respire profondément, essayant tant bien que mal de me calmer. Je n'en reviens pas.

À côté de moi, mes deux gardes scrutent les alentours, prêts à réagir au moindre problème. Eux aussi sont tendus : ils ne savent rien de ce qui c'est passé pendant mon entretien avec la jeune fille des Phénix. J'ai préféré attendre d'être en présence de mon père pour tout leur raconter.

Un tumulte infernal de pensées envahit ma tête. Je ne me remets toujours pas du piège qu'ils m'ont tendu. Ils ont vraiment cru que je me ferai avoir par la première venue ? Secouant distraitement la tête, je me reconcentre sur le moment présent. En ce moment, il ne fait pas bon d'être la fille de l'homme que tout le monde ou presque déteste - le roi, en l'occurrence.

Ce serait bête de mourir par simple étourderie. Mon heure n'est pas venue. J'ai l'intime conviction que je peux encore apporter beaucoup à notre royaume, et s'il faut pour cela que je fasse un long voyage vers d'autres royaumes, ou même que j'aille plaider ma cause auprès de ces pseudo-justiciers que sont les membres de la Ligue, je n'hésiterai pas. Rien ne peut me repousser.

— Mademoiselle, il vaudrait mieux que vous vous couvriez. Vos cheveux sont trop reconnaissables, intervient Hanz.

Je soupire, mais, malgré mes réticences, monte au-dessus de ma tête la lourde capuche dont est pourvue ma cape. Ma garde rapprochée se resserre autour de moi, tout en recouvrant de leurs propres vêtements leurs longues épées. De tous mes protecteurs, c'est ceux en qui j'ai le plus confiance : je m'entraîne avec eux depuis mon plus jeune âge, et ils me tirent de moments compliqués sans jamais demander d'explication. Je mettrai ma vie entre leurs mains.

Nous arrivons enfin en bordure de ville. Le palais n'est plus très loin, désormais. Cependant je ne peux m'empêcher de craindre le pire. Ce ne sont pas les révoltes envers nous qui manquent en ce moment. Mais que faire ? Révéler à tous les habitants du royaume que les Phénix ne sont que des usurpateurs, et ainsi mettre fin à la vie de deux adolescents qui n'ont rien demandé ?

Non, il nous faut absolument trouver une solution. Plus le temps avance, plus je suis persuadée que nos potentiels alliés se trouvent sous nos yeux. Il faut que j'arrive à convaincre mon père.

Devant nous, le mur d'enceinte se profile. À notre arrivée devant la lourde porte de fer, une dizaine de soldats nous interceptent. Je baisse ma capuche et ils s'inclinent avant de nous ouvrir la voix. Heureusement, Naamen a pris ses précautions, et nous avons encore près de deux cent gardes qui nous sont dévoués. Mais cela ne suffira pas contre le nombre d'opposants, même s'ils ne sont pas aussi bien formés qu'ici.

Pourquoi tout est-il toujours si compliqué ?

— Votre père vous attend dans ses appartements, princesse.

— Bien. Vous pouvez retourner à vos postes, le remercié-je, tout en me dirigeant à l'intérieur.

Mes deux gardes me suivent tandis que je pousse la porte et gravis les marches d'escaliers couvertes de rouge. Je m'empresse de rejoindre Naamen. Je sais qu'il a beaucoup à faire en ce moment et ne voudrais pas chambouler son programme.

Trois coups sur la porte plus tard, j'entre, suivie par mes deux acolytes. Effectivement, en plus d'être mes gardes rapprochés, Hanz et Ereria sont mes conseillers les plus fiables. Ceux de mon père attendent déjà à ses côtés.

— Bonjour, père.

Le roi incline légèrement la tête et m'invite à m'asseoir en face de lui, sur l'un des somptueux fauteuils dorés. Je m'exécute malgré la tension qui parcourt mes membres. Mes deux gardes se postent chacun d'un côté de mon siège et se courbent gracieusement.

— Bien, commence le roi après leur avoir fait un signe de la main. Nous avons beaucoup à faire. Raconte-moi ce qu'ils t'ont dit, puis j'écouterai ta requête.

En effet, cela fait plusieurs jours que je réfléchis à tous les moyens que nous pouvons mettre en œuvre pour nous en sortir. Une seule solution m'a traversé l'esprit, mais ce n'est pas la moins risquée.

— Le directeur Christophe a une apparence assez trompeuse. Malgré son air détendu, il n'hésite pas à recourir à la menace, qu'elle soit voilée ou non.

— Jusque là, nous l'avions compris.

Je hausse les sourcils face à ce qui ressemble le plus à de l'humour pour mon père. Il balaie mon étonnement d'un geste de la main et m'incite à continuer.

— Quant à Aïsha, elle m'a semblée très attachée à leur cause, enchaîné-je. Trop, même. Elle a tenté de me tromper. Alors que je lui demandais si elle était heureuse chez les Phénix, elle m'a répondu par la positive, tout en niant de la tête. Christophe a vraiment cru qu'une petite entourloupe comme ça allait me convaincre de me livrer à elle ?

— Du calme, Lizenn.

Je soupire.

— J'ai fait comme si je n'avais rien vu, mais je pense qu'elle sait que ce n'est pas le cas. Enfin, peu importe. Je pense qu'elle a les compétences pour ce voyage. Ça va être dur d'œuvrer dans son dos.

— Ne penses-tu pouvoir la convaincre ? intervient Dorian, l'un des conseillers de Naamen.

— Honnêtement, je ne sais pas. Mais je ferai tout pour, asséné-je. Et s'il faut que je passe mes nuits à investiguer et à comploter pour que notre plan réussisse, je le ferai.

Mon père hoche la tête.

— Il me semble donc que tu vas devoir partir. Je sais déjà que tu feras ton maximum pour le royaume, alors je ne peux que t'encourager.

Je le remercie d'un signe de la tête. Même s'il n'a que peu parlé, je sais que ces informations tournent en boucle dans sa tête. C'est de famille.

Après quelques minutes de silence, où nous réfléchissons tous à ce qui va se passer, j'enchaîne :

— J'ai longuement réfléchi à notre condition, à nos options pour le futur. Je pense que nous devrions mettre toutes nos chances de notre côté. Et pour cela, je ne vois qu'un seul moyen. Demander de l'aide à la Ligue.

Si le roi est troublé par ce que je viens de dire, il n'en laisse rien paraître.

— Penses-tu vraiment qu'ils répondront à notre appel ? demande-t-il, curieux.

— Ils se sont toujours placés en défenseurs du peuple. S'ils sont aussi informés qu'ils le laissent paraître, alors ils sauront que notre camp est celui qu'il faut défendre. 

Mon interlocuteur plisse les yeux, réfléchissant.

— Sont-ils à la hauteur ? Nous n'avons aucune idée réelle de leur force, de leur entraînement. Seulement des suppositions basées sur des légendes et des rumeurs.

— Nous devons au moins essayer. Quitte à les mettre à nouveau à l'écart si notre arrangement ne nous convient plus.

— Vous savez que c'est risqué, intervient Ezeria. Ils savent sûrement beaucoup de nous, mais nous ne connaissons rien d'eux. Ils pourraient retourner cette situation à leur avantage pour nous mettre encore plus à mal.

Je réfléchis un instant. Je sais que ce choix, bien que très compliqué à faire, sera décisif pour nous. Un faux pas, et le gouffre duquel nous essayons de sortir depuis des mois se referme sur nous. Ça promet.

— J'ai également envisagé cette possibilité, enchaîne le roi. Les hommes de la Ligue n'ont jamais manifesté d'hostilité à notre encontre - ce qui n'est pas le cas d'à peu près toute la population de notre royaume. Mais nous devons être sur de ce que nous voulons leur demander avant de faire quoi que ce soit.

Je hoche la tête. Surtout, il nous faut continuer de paraître forts. Si nous avons l'air faibles et sans défense, nous ne gagnerons aucun soutien.

— Si cela ne te dérange pas, je vais aller réfléchir à tout ça, interviens-je, prenant congé de mon père.

Ce dernier hoche la tête et mes gardes me suivent tandis que je rejoins mes appartements. J'ai fini par m'habituer, tant bien que mal, à cette surveillance constante et plus que nécessaire.

Je reste à procrastiner pendant une bonne heure, durant laquelle je tente de faire le tri dans mes pensées. Allongée sur mon lit, les bras écartés, je laisse le temps couler autour de moi, les secondes s'égrenant tels des grains de sable. Je finis par réussir à atténuer quelque peu le hurlement qui a envahit ma tête. C'est seulement alors que je me relève, décidée à mettre à profit le temps que j'ai.

Il est grand temps que je passe à la vitesse supérieure dans mon entraînement. Même si je combats depuis toute petite, je suis plus prompte à diriger. Et en ma qualité de princesse - qu'est-ce que je déteste ces futilités ! - les gardes avec qui je m'exerce n'ont pas le droit de me blesser. Ce qui réduit fortement leurs chances de gagner. Et, par la même occasion, mes chances de progresser.

Et, à mon grand dam, à la guerre, les soldats ne font pas attention à la bienséance. Il faut donc que j'apprenne à combattre vraiment. Avec une vraie douleur, de vraies blessures. À combattre contre quelqu'un qui ne retient pas ses coups et qui s'incline toutes les minutes. Et je connais la personne idéale.

***

Toc. Toc. Toc.

Je frappe trois petits coups à la porte d'une petite maison de pierre. Quelques secondes plus tard, elle s'ouvre dans un grincement, dévoilant peu à peu un jeune homme aux cheveux noirs, musclé par le travail de la terre. Aziriel. Je l'enlace, malgré le regard réprobateur de ma garde personnelle. Je ne peux vraiment rien faire !

— Tu as besoin de moi ? s'enquit-t-il, son grand sourire laissant apparaître ses fossettes.

Je hoche la tête tout en lui rendant son geste.

— Prends une arme. Je t'expliquerai en chemin.

Mon interlocuteur acquiesce puis disparaît à l'intérieur de son logis. Aziriel est mon meilleur ami depuis des années maintenant, et l'une des seules personnes avec qui je peux être vraiment moi. Avec lui, pas besoin d'avoir la tête haute, d'être gracieuse et polie comme une bonne princesse.

Et je sais que c'est la seule personne susceptible de bien vouloir me taper dessus. Me taper véritablement. En me traitant comme une égale et non une jeune femme fragile qu'il faut protéger. Je veux qu'on me craigne et qu'on me respecte, en tant que future reine, mais aussi en tant que guerrière. Je veux que le peuple puisse me suivre sans avoir peur.

Aziriel ressort de chez lui, et nous nous engageons sur la route du retour. Sa maison étant très proche du palais, nous ne mettons que quelques minutes à le regagner. Lorsque nous arrivons devant ma salle d'entraînement privée, je me retourne vers mes gardes qui ont l'air un peu trop pressés de me suivre.

— Est-ce trop demander de pouvoir être seulement tous les deux pour cette fois-ci ? rouspèté-je, irritée.

— Nous devons veiller à votre protection, princesse, répond Hanz mécaniquement, trop habitué à me répéter ces mots.

— Aziriel est mon meilleur ami, et nous sommes déjà restés seuls ensemble. S'il avait voulu me tuer, ou me faire du mal, il l'aurait fait il y a bien longtemps déjà, rétorqué-je.

— Vous m'accordez quelques secondes ? intervient Ezeria de sa voix douce.

Je hoche la tête avec réticence mais la suis tout de même à l'écart. Je l'invite à parler d'un geste de la tête.

— Et bien, commence-t-elle, hésitante. Nous connaissons maintenant ton ami, et le savons sans danger pour toi. Mais...

Elle s'arrête un instant. J'attends avec impatience.

— Nous avons reçu l'ordre, continue la brune, cherchant ses mots. D'éviter tout...  rapprochement entre vous deux.

Elle incline la tête, et me lance un regard éloquent. C'est alors que je comprends où elle veut en venir.

— J'aurai deux réponses à vous apporter, soufflé-je froidement, malgré le fait que ce ne soit pas sa faute. Premièrement, mon père n'a pas à se préoccuper de mes amours. Et deuxièmement, si ça peut vous rassurer, Aziriel est un ami et restera un ami.

Je pars sans lui laisser le temps de répondre, pour ne pas voir la peine qui va forcément remplir ses yeux. Je n'aime pas être distante avec elle, mais j'en ai plus que marre de ma semi-captivité.

Mais mon énervement s'envole dès que je rejoins le jeune homme aux cheveux noirs. Je saisis son bras et l'entraîne à ma suite, prenant soin de bien refermer la porte derrière nous. La salle dans laquelle nous arrivons a été construite il y a quelques mois à ma demande : je voulais un endroit calme où m'entraîner.

— Qu'est-ce qu'elle te voulait ?

— Mon père voulait s'assurer que je ne tombe pas amoureuse de toi, sourié-je.

Mon ami ne peut s'empêcher de glousser.

— Quelle drôle d'idée !

— S'ils savaient que je suis sortie avec ta sœur ! soufflé-je malicieusement.

Le paysan éclate de rire.

— Quel bonheur ce serait ! Un bon coup de pied aux fesses.

Je souris avant de le rejoindre près du mur où sont entreposées mes quelques armes. 

— Trêve de plaisanteries, j'aimerai bien que tu m'apprennes à combattre.

Devant le regard inquisiteur de mon interlocuteur, j'ajoute :

— Combattre pour de vrai. Sans me ménager comme le font les gardes. Avec de vrais coups, de vraies attaques, et de vraies blessures.

Le regard d'Aziriel s'illumine alors qu'il acquiesce. Je soupire de soulagement, contente qu'il soit d'accord. S'il n'avait pas voulu, qui l'aurait fait ? Pas besoin d'attendre, j'ai déjà la réponse : personne.

— Dans ce cas, prends ton arme favorite, et c'est parti !

Je le remercie intérieurement pour son entrain tout en saisissant mon sabre. C'est l'une des seules armes que j'arrive à bien manier. Sa courbe m'aide à préciser mes attaques.

Je me campe sur mes deux pieds, prête à recevoir mon adversaire. Celui-ci ne tarde pas à venir vers moi, levant son arme. J'esquive avec difficulté son coup puissant et riposte sans tarder. Mais Aziriel dévie sans problème le coup et, sans me laisser le temps de réfléchir, se jette sur moi et me plaque au sol, la lame contre mon cou.

Déçue, je le laisse m'aider à me relever. Je pensais tenir un peu plus longtemps.

— Tu veux savoir pourquoi tu as perdu aussi vite ? demande mon ami.

Je hoche la tête.

— Ta force, c'est ton agilité. Tu n'es pas spécialement musclée, mais tu es vive. Et ça, tu dois t'en servir contre tes adversaires. Ne me laisse pas le temps d'attaquer en premier. Monopolise toute mon attention et tu réussiras à porter des coups là où je ne m'y attends pas.

J'écoute attentivement ses conseils, étonnée par la véracité de ce qu'il dit.

— Où as-tu appris tout ça ?

Il me fait un clin d'œil mystérieux avant de se placer sur ses appuis. Déterminée à faire mieux que la fois d'avant, je décide d'entamer moi-même le combat. C'est avec détermination que je lui fonce dessus, prête à en découdre.

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