CHAPITRE 3

— Allez, Aïsha, tu peux le faire ! m'encourage Noah.

Je soupire de frustration. Voilà déjà deux tirs que je rate, les flèches se plantant in extremis sur la cible. Distraite, je lâche la corde tendue de mon arc, et laisse partir le projectile. Cependant, je ne tarde pas à baisser les épaules : je n'ai même pas atteint le petit rond de bois qui se trouve à une dizaine de mètres de moi.

— C'est pas possible ! marmonné-je.

— C'est pas grave ! Tu feras mieux une prochaine fois, tente de me rassurer mon ami, qui a senti ma tension.

— Mais quand même ! Je n'ai jamais autant raté mes tirs. D'habitude, tout vient tout seul !

— Hé ! s'exclame-t-il en me donnant une petite tape sur l'épaule. Où est passé ton éternel optimisme ?

— Quelque part au fond de mes chaussettes, ironisé -je.

— Allez, ne t'en fais pas ! Tout va bien se passer. Crois en toi !

C'est bien ça le problème. Je soupire. Ce matin, un agent est venu me prévenir que la princesse voulait me parler seule à seule avant de partir, pour me rencontrer. Je suis sûre que c'est pour me tester, voir si elle peut tenter quelque chose avec moi. Il va falloir que je sois aussi persuasive que possible, que j'ai l'air plus qu'attachée aux Phénix. Et ça, ça va être dur.

Avec tout ça, j'ai de quoi stresser. De quoi perturber mes tirs d'habitude précis et rapides. S'ils m'enlèvent la seule chose que je sais faire... Décidément, être Ashley, aka Eau, aka Aïsha n'est pas toujours facile. Toujours est-il que je dois être à la hauteur. Je n'ai pas le choix. Dans une demi-heure, je dois être au top.

— Bon, asséné-je en relevant la tête, je ne vais pas me laisser aller à cause d'un petit rendez-vous. Tout va bien se passer.

À côté de moi, Noah hoche la tête. Je me voile un peu la face, mais tant pis. Si ça peut m'aider à ne pas commettre d'imprudence...

— Allez, tu m'aides à décompresser ?

— Avec grand plaisir !

Le brun saisit son épée et se met immédiatement en position d'attaque. Ses bras sont plus musclés qu'il y a quelques semaines, lors de mon arrivée. Mine de rien, nos combats fréquents l'ont beaucoup fait progresser, et il me devient de plus en plus difficile de le vaincre.

Après avoir récupéré une épée sur le mur d'armes, je m'approche de mon ami. Je suis trop stressée pour lui lancer mes habituelles piques, alors j'engage directement le combat. Mon compagnon répond, toujours aussi vif. Sans plus attendre, j'attaque à nouveau, mais il esquive mon coup.

Je tourne sur moi-même pour éviter l'arme de mon adversaire, puis tente de le frapper au coude, mais rien y fait. Je finis par perdre du terrain sous les coups incessants du brun. Je n'arrive pas à réfléchir. Tout se brouille dans ma tête : les gestes à faire, d'habitude si clairs dans ma tête, sont flous et je n'arrive pas à en tirer des conclusions pertinentes.

Je tente de me laisser enporter par le combat, de laisser de côté ce trait qui caractérise ma manière de me battre. Noah avance de nouveau. Dans une dernière tentative, je plonge en avant, bloque sa lame, puis me relève. Mais je n'ai pas la dextérité de Matt, ni la fougue et la férocité d'Alissandre, et je ne tarde pas à défaillir.

Un instant plus tard, mon adversaire m'a désarmé et, me tenant les bras d'une main, plaque son épée contre mon cou de l'autre. Je soupire à nouveau.

— Je n'ai jamais aussi mal combattu, maugréé-je tout en récupérant mon arme.

— Ce n'est pas de ta faute ! Tu n'es pas dans ton état normal. Tout le monde aurait réagis comme toi, tente de me rassurer mon ami.

Sauf que moi j'ai été entraînée pendant plus de trois ans pour ça. Pourquoi est-ce qu'il est si facile de se battre ou de tirer lorsqu'on risque ça vie mais qu'un simple entretien avec Lizenn me met aussi mal ? Si j'avais cru un jour défaillir à cause de ça...

— Bon, tranché-je. Ça ne sert à rien que je reste là à me mordre les doigts. Je vais y aller. Merci de m'avoir changé les idées !

— Tu veux que je t'accompagne ?

— C'est gentil, mais je vais y aller seule. J'ai besoin de réfléchir.

Je vois à ses yeux que je lui ai fait de la peine. Pleine de remords, je me reprends :

— Ce n'est pas contre toi, hein ! Je vais simplement faire le vide dans ma tête, pour être au top avec la princesse. Il va falloir qu'on s'entende si on passe des semaines ensemble. 

— Bien sur, je comprends, sourit-il, rassuré.

Je hoche la tête, reconnaissante qu'il ne pose pas plus de questions. Noah n'est pas intrusif, et ça m'arrange. Cela me fait moins de mensonges à sortir. Je préfère être le plus sincère possible avec mes proches. Autant que c'est possible en tout cas.

Nous nous séparons donc et, après avoir récupéré mon arc, je marche doucement vers le lieu de rendez-vous, situé au fond de l'étage. Je suis un peu en avance, mais au pire, j'attendrai. Alors que j'arrive au détour du couloir, j'entends des éclats de voix.

— Tu as intérêt à bien te comporter, princesse. Sinon tu sais ce qu'il arrivera à tes adorés frère et soeur.

Je me plaque vivement contre le mur, retenant ma respiration. Pitié, qu'ils ne m'aient pas vue. Heureusement, la chance semble être de mon côté, puisque la discussion continue.

— Je sais très bien à quoi je m'expose, et je me tiendrai comme il me conviendra, cingle une voix que je ne connais pas.

Sûrement la princesse. Je jette un rapide coup d'œil à la scène avant de faire machine arrière. Lizenn se tient bien droite, la tête haute face à Christophe, qui la dépasse d'une bonne tête. Elle a du courage. Ce dernier à l'air menaçant, pour la première fois que je le vois. Il cache bien son jeu.

— Bien. Alors nous n'avons plus qu'à attendre.

Il jette un regard vers le couloir où je suis cachée. J'inspire difficilement. Il ne peut pas m'avoir vu. Je m'efforce d'apaiser mes tremblements plus retourne sur mes pas. Une fois que je suis assez loin, je fais tout pour paraître détendue. Après une longue expiration, je me décide à y aller.

Lorsque j'arrive en face des deux ennemis, je me rends compte que des gardes, que je n'avais pas vu, se trouvent autour d'eux. Je tâche d'effacer mon stress et de me montrer sûre de moi. Cela je peut que m'aider. 

— Bonjour, Mr le directeur. Princesse, continué-je en m'inclinant.

Un geste risqué, mais qui peut faire croire à Christophe que j'ai confiance en ses choix.

— Bonjour Aïsha. Nous t'attendions.

Je remarque que deux des gardes se tiennent sur la défense. Ça doit être ceux de Lizenn. L'un d'entre eux prend d'ailleurs la parole.

— Puis-je récupérer votre arc ?

Je fronce les sourcils, mais c'est le directeur qui répond.

— Je doute que mon élève veuille faire du mal à la princesse. Elle peut donc conserver son arme. Et puis, je ne pense pas qu'elle l'ait amené spécialement pour l'occasion, élude-t-il.

Bien évidemment, ça l'arrange que je sois armée. Si jamais la jeune rousse a prévu un attentat contre moi, je pourrai me défendre. Mais à mon avis, ce n'est pas le meilleur moyen pour elle de rester dans les bonnes grâces des Phénix. Sentant un regard peser sur moi, je me rends soudain compte que Christophe attend une réponse de ma part.

— Excusez-moi si vous ne trouvez pas cela approprié. Je reviens du terrain d'entraînement.

On ne sait jamais, peut-être que des belles paroles pourront les amadouer... Malgré son air tendu, le garde hoche la tête. De toute façon, je ne pense pas qu'il soit en position de protester.

— Bien, et si nous y allions ? propose la princesse.

— Je vais donc vous laisser, enchaîne Christophe. J'ai des choses à faire. (Il se tourne vers ses propres gardes) Lorsqu'elles auront fini, vous les raccompagnerez dehors.

Une façon polie de dire qu'ils ne les laisseront pas semer la pagaille. Sympathique. Il finit cependant par cesser ses menaces à peine voilées et partir, après un dernier mot à mon encontre. Je soupire discrètement, soulagée. Une pression de moins.

— Après toi.

J'entre donc dans la pièce et comprends qu'elle n'a pas été choisie au hasard. En effet, la seule petite fenêtre dont elle est pourvue empêche un potentiel visiteur qui lèverait un peu trop la tête de voir ce qu'il s'y passe. Et de plus, nous sommes au fond d'un couloir avec une seule issue : il est facile de rattraper un éventuel fugitif.

— Pourquoi vouliez-vous me voir ?

— Laissons tomber les formalités, s'il te plaît. Nous allons passer plusieurs semaines ensemble, et je serai sous tes ordres.

Je hoche la tête, et me demande soudain : pourquoi ne pourrais-je commencer ici à lui faire comprendre que je suis de son côté ? Les gardes de l'autre côté de la porte peuvent nous entendre, mais pas nous voir. Mon esprit tourne à cent à l'heure : je dois prendre une décision, et vite.

— Alors comme ça, c'est une jeune fille comme toi, la gagnante de ce tournoi.

— Oui, répondé-je, les sourcils foncés.

Se pourrait-il que je l'ai mal jugée ?

— Bien, continue-t-elle un sourire aux lèvres.

Elle s'assois et m'invite à faire de même, mais je dois bouger pour évacuer mon stress. Le choix que je vais faire pourrait bien être décisif.

— J'aimerai apprendre à te connaître avant de m'engager à partir avec toi. Non que je ne te fasse pas confiance, après tout, les Phénix croient en toi, mais pour me faire ma propre opinion.

Qui que je sois, tu n'as pas le choix, ma pauvre.

— Je comprends, bien sûr. Qui suivrait une petite effrontée qui ne sait pas lacer ses chaussure ?

— Parle moi de toi. Pourquoi as-tu rejoins les Phénix ?

Très bonne question. Je rassemble toute ma mémoire et m'apprête à débiter, en résumé, tout ce que j'ai appris sur les feuilles qui caractérisent Aïsha.

— J'ai fugué de chez moi. Mes parents voulaient m'éduquer comme une fille bonne à marier, pour ensuite me trouver un bon parti. Je n'étais pas du tout d'accord avec ça. Je m'entraînais en cachette, rié-je. Mais, lorsque j'ai appris que pour calmer mes ardeurs, ils voulaient m'envoyer chez les religieux, j'ai décidé de partir pour venir ici.

— Et tu y es heureuse ?

C'est à partir de ce moment que la bombe peut exploser à tout moment, pensé -je en frissonnant. De toute façon, elle risque de penser que je fais tout cela seulement pour la tromper et non sincèrement.

— Bien sur ! Les Phénix m'ont sauvé ! appuyé-je, tandis que ma tête tourne presque imperceptiblement de gauche à droite.

Assez, cependant, pour que la princesse le remarque : même si elle tente de cacher sa surprise, je la vois esquisser un mouvement des sourcils.

— Ils font cet effet à beaucoup de jeunes, enchérit Lizenn, l'air approbatrice.

Je souris doucement lorsque je vois qu'elle réfléchit à ce que je viens de dire.

— Et donc, sincèrement, tu penses avoir toutes les qualités pour mener cette quête ?

— Je pense pouvoir contribuer à l'avancée de ce en quoi je crois, éludé-je.

Une réponse qui peut être vue de bien des façons.

— Et ?

— Je suis habituée à me débrouiller seule, et bien sûr, je sais que je peux compter sur votre soutien pour les pourparlers avec les rois. C'est vous la spécialiste dans ce domaine.

Encore une phrase à double sens. Le Maître n'a plus qu'à bien se tenir. Il adore ces dernières. La nostalgie m'envahit et je me revois essayer de comprendre ce qu'il attendait de moi. Que de souvenirs...

— Je serai ravie de t'aider pour cela, renchérit la princesse, sautant sur l'occasion.

Je devine bien ce qu'elle a en tête. Une victoire pour les Phénix signifie une défaite pour elle. Et, en l'occurrence, pour moi.

S'ensuit alors une longue discussion, durant laquelle nous parlons de la manière que je compte utiliser pour convaincre nos potentiels alliés. Je ne lui cache pas que j'y réfléchit encore et que je modifierai ma façon de faire en fonction de chaque roi.

Finalement, après presque deux heures de conversation, la princesse se lève et prend congé. Je retiens un soupire de soulagement. Elle est intelligente et rusée et pose exactement les bonnes questions, et la concentration demandée pour ne pas comettre d'erreur m'a complètement vidée.

Je ne sais pas quoi penser de tout ça. D'un côté, je sais qu'elle sera un allié de taille si je réussis à lui prouver mon innocence, mais d'un autre, elle va être difficile à convaincre. Sa méfiance va à mon avis l'empêcher de m'écouter pendant un long moment.

Et je n'ai pas de temps à perdre. Chaque jour, chaque semaine perdue est synonyme de nouvelles recrues pour les Phénix et de nouveau ennemis pour Naamen et la Ligue. Il n'y a désormais plus qu'une solution : réussir cette quête, quoi qu'en soit le prix à payer.

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