CHAPITRE 2
À peine Elena m'a-t-elle jeté un coup d'œil qu'elle se détourne pour harceler le sac de grands coups vengeurs. Je ne peux m'empêcher de m'imaginer le pire : la dernière fois que je l'ai vue dans cet état, Alissandre et Léo ont dû fuir pour sauver leurs vies.
Je pense savoir mieux que personne que dans ces moments-là, on n'a pas envie d'être pressé alors je m'assois sur le sol et attends la boule au ventre qu'elle se sente de parler. Après ce qui me semble être une éternité, la jeune fille se laisse tomber à côté de moi, l'air affligé. Lorsqu'elle se décide enfin à parler, sa voix est dure malgré ses petits tremblements.
— Une amie de longue date a eu un accident.
— Quoi ? m'exclamé-je soudainement, avant de baisser le ton. Qu'est-ce qu'elle a ?
— Elle a été blessée gravement. Elle est plongée dans un coma profond et sa seule chance de survie est sa guérison inespérée...
— Oh, Elena je suis désolée !
Si un membre de son equipe est blessé, je comprends sa réaction. Il suffit d'imaginer ce que je ressentirais si un Élément... Non. Je ne veux même pas y penser.
— Elle va s'en sortir, reprené-je. Je suis sûre qu'elle est forte !
— Je ne sais pas si ça suffira. Les guérisseurs sont très peu optimistes sur sa guérison.
Je ne réponds pas : je sens qu'Elena n'a pas envie de s'attarder sur le sujet.
— Mais tu n'es pas venue ici pour m'écouter me plaindre. Qu'est-ce que tu voulais me dire ? demande la jeune femme après un silence.
Je regarde autour de moi. La salle commence à se remplir, notamment les terrains de combat et l'espace libre, mais les personnes les plus proches de nous sont assez éloignées pour ne pas entendre ce que nous disons.
— J'ai été informée de ma récompense.
Elena relève la tête, intriguée. Elle aborde à nouveau son habituel air impassible et serein, s'avoisinant beaucoup avec du mépris pour ceux qui ne savent pas détecter les petites expressions du visage.
— Je t'écoute.
— Ils m'ont dit de ne pas en parler à tout le monde, je peux te faire confiance sur ça ? demandé-je.
— Bien sûr.
Son visage laisse transparaître une unique question, à laquelle je m'empresse de répondre.
— Si je me permet de te mettre au courant c'est parce que j'aimerais bien que tu viennes avec moi.
C'est la seule raison que j'ai trouvé pour rapporter à Elena les motifs de ma mission. Bien évidemment, je sais qu'elle ne pourra pas venir, mais il est important que quelqu'un soit au courant de ce qu'il va se passer et je n'ai pas vraiment établi de lien avec Matt depuis que nous sommes ici.
— Continue, je t'en prie.
— Je dois partir en périple vers les royaumes voisins pour les convaincre de nous aider à renverser le roi.
Si Elena reste impassible, je suis certaine qu'une tempête de pensées fuse dans son esprit.
— La princesse elle-même nous accompagnera ! Tu te rends compte ? Elle aussi veut du changement, et pense que Naamen n'est plus apte à régner.
L'agent de la Ligue ne répond rien, exprimant son désaccord. Elle aussi n'en croit pas un mot.
— Bref, Gama viendra aussi, et je dois choisir une dernière personne. Tu as l'air bien débrouillarde alors, je me disais que peut-être tu pourrais m'accompagner ? demandé-je.
Elena plisse les paupières, signe qu'elle réfléchit. Je prie pour qu'elle sache comment dire non, sinon je n'ai pas de solution.
— C'est très gentil à toi de me proposer ça, mais je dois rester pour m'occuper de mon père, décline-t-elle, trouvant à ma plus grande joie une raison valable.
— Oh, je suis désolée... Il a tous mes vœux.
— Merci d'avoir pensé à moi. Au-revoir, conclut Elena avant de se remettre à frapper dans son sac.
Je hoche la tête et m'en vais tranquillement, la laissant continuer à expulser sa peine. L'échange a été bref, mais nous avons mis les choses au clair, et c'est tout ce qui compte.
Je retourne au dortoir. Léna et Anastasia doivent être éveillées, maintenant. Au tournant d'un couloir j'aperçois Adam, un blondinet que j'ai vu de nombreuses fois avec Alissandre. Son visage est traversé par un mélange d'incompréhension et de réflexion. Il doit se demander où elle est.
Sans plus me poser de questions, je m'approche rapidement de lui. Il a le droit de savoir.
— Elle va bien, murmuré-je alors que nos épaules se frôlent.
Le temps qu'il se retourne pour me voir, j'ai disparu. Vu son regard vide lorsque je suis arrivée, je ne pense pas qu'il ait pu me reconnaître. Tant mieux. Je préfère qu'il ne sache pas que c'est moi qui ai parlé.
J'arrive devant ma chambre. Après avoir toqué, j'entre et pose mon arc. Mes deux amies sont en train de finir de se préparer.
— Salut les filles !
— Aïsha ! Alors, raconte ! Qu'est-ce que tu as gagné ?
Je souris devant l'enthousiasme de Léna.
— J'aimerai bien que Noah soit là aussi, pour ne pas tout répéter.
— Je vais le chercher, intervient Anastasia.
Je la remercie d'un signe de tête. Décidément, elle est toujours là pour aider les autres. Léna s'assoit avec impatience, tortillant ses cheveux bruns autour de son doigt.
J'aurai tant aimé rester ici. Continuer à épauler Matt et Elena dans cette recherche de faiblesses et de points importants. Cependant, je ne peux pas. Tout d'abord, parce que c'est censé être un grand honneur que de diriger une quête d'une telle importance.
Mais aussi d'un point de vue de la Ligue. Je dois y aller, pour essayer de convaincre un maximum de rois de rester passifs, de ne pas aider les Phénix. Je n'ai aucune idée de comment j'y parviendrai, mais je dois le faire. Sinon, nous sommes perdus. Nous ne sommes pas assez nombreux pour lutter contre plusieurs armées royales en plus de nos opposants.
Je soupire. Parfois, il est difficile d'être aussi attaché à une cause. Je suis extrêmement reconnaissante à la Ligue pour tout ce qu'elle a fait pour moi, et jamais je ne reviendrai en arrière. Mais je me serais bien passée de partir vers d'autres royaumes, avec Gama, qui plus est.
Je relève la tête, traversée par un sentiment d'obligation : je dois absolument faire comprendre à la princesse que nous sommes dans le même camp. À deux, il sera beaucoup plus facile d'œuvrer. Voilà aussi pourquoi je compte demander à un de mes trois amis de m'accompagner : ils me font confiance - du moins pour l'instant.
J'ai tout de même décidé de garder ce que je sais sur les enfants du roi et la princesse pour moi. Je ne veux pour le moins du monde compromettre la mission. C'est pourquoi je dévoilerai tout cela à mon coéquipier et seulement en cas d'extrême nécessité.
— Ça y est, ils arrivent. Vite ! s'impatiente Léna.
— Salut les filles, sourit Noah tout en s'asseyant près de moi.
— Coucou !
— Maintenant, tu peux y aller, Aïsha. On t'écoute, lâche Anastasia après avoir refermé la porte.
J'inspire profondément puis prends la parole. Je leur raconte mon entretien aussi fidèlement que possible, sans ajouter ce que je sais à propos de Lizenn. Quand vient le moment de révéler ma mission, des hoquets de surprise retentissent. Cependant, personne ne me coupe et je finis mon récit sans accros.
— Waouh, c'est incroyable !
— Tu te rends compte ? Tu vas pouvoir leur prouver ta valeur !
Je souris devant les commentaires de mes amis. Si seulement tout était si simple.
— Je me demande quand même pourquoi la princesse est tout d'un coup de notre côté, intervient Noah.
Merci, soupiré-je intérieurement. Plus le temps passe, plus je me dis que mon ami ferait un compagnon idéal pour ce voyage. Mais je me garde bien de lui dire et réponds calmement :
— Apparemment, elle ne valide plus tant que ça les choix de Naamen.
— Peut-être que les Phénix lui ont offert gros, propose Léna.
Elle aussi a des réflexions intéressantes, même si ce n'est pas la bonne réponse.
— Elle ne ferait pas ça ! contre Anastasia, ses yeux innocents écarquillés.
— Tu sais, Ana, bien des gens feraient bien des choses pour s'en sortir, même si ce n'est pas très moral.
Quelle ironie de dire ça alors que je suis la preuve même que tout n'est pas toujours tout blanc...
— Enfin, peu importe, reprends-je. Je dois choisir une dernière personne pour m'accompagner, en plus de Gama et la princesse. Si l'un d'entre vous est partant, il pourra venir avec moi. Je ne vous oblige en rien, bien sûr, ajouté-je rapidement après avoir vu leurs mines sidérées.
J'attends avec patience leurs réponses, tout en regardant la multitude d'émotions qui passe sur leurs visages. Anastasia affiche un air triste qui en dit long sur son avis, tandis que je vois déjà à son regard déterminé que Noah va se porter volontaire. Léna, elle, est plus difficile à déchiffrer. Elle oscille entre l'envie et la réserve.
C'est la jeune blonde qui répond en premier.
— J'aurais tellement aimé t'accompagner Aïsha ! Mais on sait toutes les deux que je ne serais qu'un boulet pour toi. Je ne me bats pas bien et je suis bien trop gentille pour faire de la politique... s'excuse-t-elle.
Je hoche la tête. Même si Anastasia est de très bonne compagnie, il est sûr, sans être méchante, qu'elle n'est pas la personne parfaite pour ce genre de tâche. Je me tourne vers Léna, dont l'air ne me dévoile rien de plus que tout à l'heure.
— Je ne sais pas, Aïsha... Je t'accompagnerai avec plaisir, mais... Je n'aime pas l'idée d'aller vers l'inconnu. Être dépendante de l'avis des rois sur les Phénix. Être dépendante de Gama, frissonne-t-elle.
Elle fait une pause, le regard dans le vague.
— Mais d'un autre côté, j'ai vraiment envie de venir, tu comptes pour moi, tu sais...
Je ne peux m'empêcher de sourire face à la déclaration de mon amie, tandis qu'une douce chaleur se reprend dans ma poitrine. Cependant, elle est vite remplacée par un sentiment de honte. La honte qu'elles me fassent tant confiance alors que je ne suis absolument pas celles qu'elles pensent.
Non. Il faut que j'arrête de penser ça. C'est comme ça, point. J'ai décidé d'accepter cette mission, et je dois en affronter les conséquences. Je m'efforce de faire le vide dans ma tête avant de répondre.
— Tu n'as pas à t'en vouloir ! Ce n'est pas parce que vous dites non que ça signifie la fin de notre amitié ! Ne vous inquiétez pas, si personne ne pense venir, je trouverai quelqu'un d'autre, nuancé-je.
— Ne t'en fais pas. Tu n'auras à chercher personne. Je t'accompagne, lâche Noah, qui n'avait pas ouvert la bouche jusque là.
Je tourne la tête, soudain de bien meilleure humeur.
— C'est vrai ? demandé-je, émerveillée.
— Non non, je disais ça pour rire, ironise-t-il. Bien sûr que c'est vrai !
— Oh ! Merci, tu es génial ! m'écrié-je en le prenant dans mes bras.
— S'il ça te fait plaisir, alors, argumente-t-il.
Je m'écarte de lui, un sourire béat sur les lèvres. Noah est le compagnon idéal. Nous ne nous prenons jamais la tête - en même temps c'est normal, c'est un garçon - et il est assez fort, physiquement, pour se battre et mentalement, pour supporter une éventuelle "trahison" de ma part.
Je soupire de soulagement. Mine de rien, avoir au moins une personne sur qui je peux compter comme compagnon m'enlève une importante part du poids sur mes épaules.
À mes côtés, mes deux amies paraissent contentes, sûrement du fait que ce soit quand même quelqu'un que je connais qui m'accompagne.
— Bon, et bien il ne me reste plus qu'à annoncer ça au directeur !
— Je t'accompagne, intervient mon ami. Et après, j'irai bien m'entraîner un peu, vous en pensez quoi ?
Après que nous ayons tous approuvé, Noah et moi partons en direction du bureau de Christophe, tandis que les filles se dirigent vers le terrain.
— J'ai hâte de partir ! Je commence à n'en plus pouvoir de rester enfermé, se plaint-il alors que nous descendons les escaliers.
— C'est vrai que ça devient pensant. Tu serais venu, si tu avais su que tout serait comme ça ? risqué-je.
Le brun réfléchit un instant.
— Honnêtement, je ne sais pas. Surtout que j'étais bien, dans ma famille. Parfois, vouloir aider les autres nous amène à prendre les mauvaises décisions.
Si j'affiche un air compatissant, je jubile à l'intérieur de moi. Enfin un qui n'est pas totalement attaché aux Phénix, qui pourrait ne pas trop m'en vouloir ! Je suis presque convaincue que si je lui disais tout... Non. Je ne risquerai pas de ruiner nos plans. Mais, si jamais cela devient une nécessité, je garde en tête ce qui vient d'être dit.
— Je comprends. Mais, peut-être qu'il fallait que tu sois là, justement pour savoir tout ça.
— Peut-être...
— Tu es fort, Noah. Tu les reverras, ne t'en fais pas, asséné-je.
— J'en doute de plus en plus. Je n'ai jamais vu personne partir avant Sky et son frère. Et je ne suis pas sûr qu'ils soient dans les bonnes grâces des Phénix, ajoute-t-il.
Je lui prends la main et la serre fort, décidée. J'inspire un bon coup, puis me décide à parler.
— Je t'aiderai à les revoir. J'en fais la promesse.
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