CHAPITRE 18
— Il est trop tôt, revenez dans quelques heures !
Je pousse un soupir de protestation. Après nous être échappés, Gama et moi avons dormi dans une petite auberge chaleureuse avant de prendre la route le plus tôt possible pour le palais. Nous avons supposé que Lizenn et Noah s'y sont rendus, vu que la princesse est en bon terme avec ses occupants.
Cependant, comme les fêtes de Yulé ont commencé, les portes du château ouvrent plus tard que prévu. Tout le monde dort encore, épuisé par la nuit passée. Ce qui est loin de m'arranger. J'aimerai bien pouvoir arrêter Lizenn avant qu'elle envoie tout un bataillon contre les amis du Maître. Ça m'éviterait des problèmes supplémentaires.
— Laisse tomber, on va s'asseoir.
Je lève la tête vers Gama, qui n'a pas ouvert la bouche depuis un moment, et acquiesce. Ça ne sert à rien de s'énerver. D'autant que je ne suis pas connue pour être la personne la plus patiente de notre équipe. Je suis donc mon compagnon jusqu'à un banc en bois sombre et me laisse tomber dessus.
Aucun de nous ne parle, mais le silence n'est pas pesant. Je pense que je pourrais presque finir par l'apprécier, s'il mettait de côté son besoin d'écraser les autres. S'il prenait confiance en lui.
— Je ne pensais pas que tu viendrais me chercher.
Je manque de sursauter, surprise.
— Comment ça ?
— Je les ai entendu parler, et j'ai compris qu'il ne restait plus que toi. Et, je n'aurais pas parié sur le fait que tu me sauves avec toi, je l'avoue.
Je feins l'incompréhension.
— Gama, je n'allais pas t'abandonner là-bas ! Je sais que nous ne sommes pas les plus proches mais ce n'est pas pour autant que je te laisserait souffrir en riant !
— Peut-être, oui.
— Oui sommes une équipe. Ce qui veut dire qu'on ne laisse personne derrière nous.
Les mensonges traversent ma bouche sans aucune difficulté. Même si ça m'attriste de le faire, j'ai été entraînée pour ça. Je suis faite pour mentir, que je le veuille ou non, alors autant m'en servir.
— Merci, en tout cas.
Je lui fais un petit sourire.
— Pourquoi tu penses qu'ils nous ont kidnappé ?
Je fais mine de réfléchir. Je m'attendais un peu à cette question.
— Tu crois que quelqu'un nous aurait dénoncé ?
Flûte. Je vais devoir répondre à cette possibilité.
— Je vois deux options, avancé-je prudemment. La première est que la nouvelle de notre visite au roi de Drokan a pu être racontée et arriver jusqu'ici. Mais ça me paraît très difficile étant donné la vitesse à laquelle nous sommes allés et le nombre de secrets que garde le roi.
— Et puis cela n'expliquerai pas pourquoi ils n'ont pas pris Lizenn et Noah.
— Enfaite, ils les ont pris aussi. Mais ils les ont tout de suite relâchés, corrigé-je. J'étais attachée à côté à ce moment là.
— Tu les a entendu dire quelque chose qui pourrait nous aider ?
Je secoue la tête, l'air attristée.
— Je ne cesse de me repasser leur conversation en boucle, mais ça ne donne rien.
Gama ne répond pas et s'adosse au banc.
— Alors dans ce cas on nous a peut-être vendu.
— C'était ma deuxième option.
— Mais par qui ?
Je me braque et réfléchis à toute vitesse. Faut-il nous vendre ou lancer une autre piste ? Mais je je vois rien d'autre.
— La Ligue s'est toujours opposé aux Phénix.
Voilà, c'est dit. À mon grand soulagement, Gama ne pose pas plus de questions.
— Ça se tient.
Il crois les bras et reprend son air renfrogné habituel. Je me demandais quand cette couverture allait ressortir.
Je soupire, impatiente.
Il va falloir attendre encore un peu. Alors que je me repositionne plus confortablement, mes pensées se tournent vers Alissandre et Léo. Je ne sais pas ce qu'ils vont faire pendant tout ce temps. Vont-ils retourner auprès du Maître, ou vont-ils plutôt continuer nos desseins de leur côté ? Je n'en ai aucune idée.
Contre toute attente, le temps passe plutôt vite et après ce qu'il me semble un court moment, les portes du château s'ouvrent enfin. Nous nous engouffrons avec entrain dans le bâtiment, pressés de retrouver nos compagnons.
— Comment est-ce qu'on va les réussir à les trouver ? C'est immense !
Le château, tout en pierre grise claire, a l'air d'être un véritable labyrinthe. Heureusement, les grands fenêtres et les tapis colorés rendent le tout bien plus attrayant qu'à Drokan. Alors que nous l'arpentons de long en large, je remarque d'étranges individus couverts de rouge de la tête au pied. Un voile opaque recouvre leurs visages.
— Qui sont-ils ? demandé-je à Gama, intriguée.
Il me lance un regard perdu qui en exprime long sur sa réponse. Je balaye ma question d'un mouvement de la main et me tourne vers une dame.
— Excusez-moi, savez-vous où est-ce que nous pouvoir voir les rois ?
— Ma chérie, sourit-elle, ça ne marche pas comme ça. Il y a une procédure pour obtenir un entretien privé avec eux !
— Nous sommes amis avec une de ses invités, tenté-je à nouveau.
— Tout ce que je peux faire, c'est vous mener à leurs domestiques.
— Ce serait très gentil de votre part, merci !
— Bon suivez-moi, mais pas un mot !
Je lui lance un grand sourire et nous la suivons à travers les larges couloirs. La dame s'arrête plusieurs fois poser quelques questions à des domestiques, puis repart d'un pas déterminé. Je suis presque obligée de courir pour suivre son rythme. Au bout d'un long moment, elle s'arrête enfin auprès d'une vieille femme aux cheveux argentés.
— Qu'y a-t-il, Sonia ?
— Ces jeunes gens te cherchaient. Je vous laisse vous expliquer, j'ai à faire.
— Merci beaucoup ! lancé-je alors qu'elle s'en va.
La domestique se tourne vers nous, attendant que l'on parle.
— Nous sommes avec la princesse Lizenn, qui vient d'arriver au palais. Nous devons les rejoindre, elle et notre ami Noah.
— Vraiment. (Elle pince les lèvres, dubitative.) Vous savez, celle-là, on ne me l'avait jamais faite. Bravo pour votre imagination ! La princesse Lizenn, répète-t-elle d'un air moqueur.
Elle se retourne et commence à s'en aller, non sans lever les yeux au ciel.
— Qu'est-ce qu'ils allaient s'imaginer, que j'allais les croire sur parole ? marmonne-t-elle dans sa barbe en s'éloignant d'un pas raide.
Je tente de protester, mais rien n'y fait. Bredouilles, nous revenons vers la pièce centrale du château, qui est déjà animée par des musiciens, des magiciens, et autres artistes. Comment allons-nous les retrouver dans ce fouillis ? Je me tourne vers Gama, qui n'a pas l'air d'avoir d'idée non plus. Allez, Ash. Réfléchis.
Je scrute les alentours, à la recherche de quiconque pourrait nous aider. Les gens ont l'air de profiter de la fête, dansant, buvant, riant à pleine gorge. Tout le contraire de Drokan. Cela me fait du bien de voir à nouveau des sourires, des personnes profitant de la vie sans crainte de représailles.
Soudain, du mouvement au fond de la salle attire mon regard. Une chevelure rousse se fraie un chemin parmi la foule, suivie par quatre soldats, et Noah. Mes lèvres s'étirent.
— Ils sont là !
Nous nous enfonçons dans la salle le plus rapidement possible. Je slalome entre les Soriens, joue des coudes pour me dégager un chemin et arrive enfin près de la princesse.
— Lizenn !
La rousse se retourne et son air soucieux disparaît lorsqu'elle me voit. Elle comble les derniers mètres qui nous séparent et me serre dans ses bras. Je lui rend son étreinte chaleureuse, surprise par cet élan d'affection. Lizenn semble s'en rendre compte elle aussi, et s'éloigne, gênée.
— Gama ! Vous avez réussi à vous échapper ?
Je souris à Noah, qui a l'air aussi soulagé que sa compagne.
— Dieux merci vous êtes sains et saufs, retentit une nouvelle voix.
Un homme à la peau foncée, comme la plupart des habitants de Sour, s'avance vers nous. Il porte une épée au côté, et a un port de tête digne des plus grands.
— Je suis le capitaine de la garde royale, Delaim. C'est donc vous que nous cherchions.
— Enchantée. En effet, je suis Aisha, et voici Gama.
— Suivez-moi. Nous pourrons parler plus au calme dans les salles privées.
Nous acquiescons en cœur et le suivons, prenant garde à ne pas le perdre. Les soldats qui les accompagnaient rompent les rangs et nous laissent progressivement seuls. Alors que je m'engouffre à nouveau dans le dédale de couloirs, Noah ralentit pour se placer à ma hauteur.
— J'ai eu tellement peur...
Je me tourne vers lui, surprise par son ton faible.
— Hé, c'est normal. On s'est fait enlever, Noah. C'est tout à fait légitime de ta part d'avoir peur.
J'hésite un peu avant d'ajouter.
— J'ai eu peur, moi aussi.
Je ne suis plus à un mensonge près.
— On ne dirait pas. Quand les choses te tombent dessus, tu réagis toujours comme si tu étais faite pour ça. Moi, je reste quoi à essayer de limiter les dégâts.
C'est parce que je suis née pour faire ça. J'ai été entraînée sans relâche pendant des années, j'aimerai lui répondre. Mais ce n'est pas possible, alors je mens encore une fois :
— Je ne sais pas... Je fais ce qui me semble être le mieux pour tous. Mais c'est normal de perdre ses moyens.
Je m'arrête, hésitante. Je décide pour une fois de dire la vérité.
— Je n'ai pas eu ce choix. J'ai été obligée d'apprendre à m'en sortir.
Je frémis en repensant à cette sombre période de ma vie. Je ne souhaiterai à personne de vivre l'enfance que j'ai vécue, pas même au chef des Phénix. Elle m'a brisée plus que ne je veux moi même me l'avouer.
— Oh... Je- Excuse-moi, ne je savais pas... chuchote le brun.
— Tu n'y es pour rien, ne t'en fais pas !
Je secoue la tête pour remettre de l'ordre dans mes pensées. Je ne peux pas me permettre d'avoir des moments de faiblesse. Pas maintenant.
Delaim nous entraîne plus profond encore au sein du château. Après de longues minutes de marche, nous arrivons dans un espace richement orné, où le capitaine de la garde glisse quelques mots à plusieurs domestiques, qui partent prestement. Après encore un petit moment d'attente, une jeune femme entre dans la pièce. Je devine tout de suite son haut range grâce à des habits riches et soyeux.
— Princesse Lizenn.
Elle s'incline devant la rousse, qui lui rend son salut.
— Mes chers hôtes, continue-t-elle en se tournant vers nous. Je suis Layla, la conseillère de nos bien-aimés rois. Je vous guiderai le long de votre séjour à Sour. Vous residerez dans l'aile du château réservé à nos invités de marque.
— Merci bien, Layla. Mais nous ne comptons pas vous opportuner trop longtemps. Nous avons encore beaucoup à faire.
— Vous savez bien que vous ne m'embêtez jamais, Lizenn.
Je peux ressentir une réelle affection pour la princesse dans la voix de la conseillère, qui semble réciproque.
— Nous aimerions rencontrer les rois au plus vite si c'est possible, entraîne Lizenn en souriant.
— Le fait est qu'ils sont bien occupés par les fêtes de Yulé, et prennent une pause bien méritée. Ces dernières ce terminent dans deux jours. Pensez-vous pouvoir attendre jusque là ?
Nous nous regardons, hochant la tête. S'il faut attendre jusqu'à après demain, cela ne posera pas de problème. La journée est de toute façon déjà bien entamée.
— Bien. Si tout est bon pour vous, je vais vous guider à vos appartements. Là-bas, une domestique prendra soin de vous.
— Merci infiniment !
— C'est normal, sourit Layla.
Lorsque nous arrivons aux appartements, le repas est déjà prêt, et une soupe fumante nous attend tous. Mon ventre gargouille à la vue de la nourriture appétissante. Après avoir remercié la conseillère royale, nous nous installons autours de la table.
À ce moment là, nous entendons la voix de Layla s'élever derrière la porte.
— Madame, j'aimerais que vous preniez bien soin de nos invités jusqu'à nouvel ordre. Ils doivent avoir tout de dont ils ont besoin, et disposent d'un pass droit dans le château.
Elle laisse passer un moment de silence.
— Oh, et veillez à leur organiser une petite visite de l'île des Prophètes. Cela pourrait les intéresser.
À ces mots, je vois Lizenn tiquer. Si cela m'arrange m'interpelle, je ne m'y attarde pas et continue d'écouter. Layla ajoute quelques mots plus bas, si bien que je n'arrive pas à saisir le sens de ses paroles.
— Bien, madame la conseillère. Ce sera fait.
On toque alors à la porte, la domestique aux cheveux argentés apparaît au coin de la porte.
— Vous ! souffle-t-elle lorsqu'elle reconnaît Gama et moi. Alors vous ne mentiez pas... Veuillez m'excuser. On trouve de plus en plus de jeunes garnements pressés de contourner les règles de nos jours.
— Ne vous en faites, pas, c'est oublié, souris-je alors que Gama s'apprêtait à répliquer.
Je lui intime de ne pas s'embêter avec ça d'un regard, et à ma grande surprise, il se ravise et pince les lèvres. Et bien, c'est une première.
— Vous pouvez vous reposer pour cette fin de journée. Demain, si cela vous convient, vous visiterez l'île des Prophètes. En l'occasion des fêtes de Yulé, elle est exceptionnellement ouverte aux visiteurs. Vous pourrez découvrir les fondements de notre religion et de cet ordre qui prospère dans notre royaume et même au-delà. Des questions ?
— Non, c'est tout bon, la remercie Lizenn.
— Bien. Alors à demain.
Sitôt la poste refermée, Lizenn se tourne vers Gama et moi.
— Qu'est ce qu'il s'est passé ? Comment vous êtes partis ? Qui était-ce ?
Je souris face à son flot de questions et, devant le mutisme retrouvé de Gama, entreprends le récit de ce qu'il s'est passé. Je leur explique ce que j'ai entendu, et conclus en leur donnant les différentes explications dont nous avons discuté avec notre camarade.
— Et bien !
À ces mots, mon ventre gargouille à nouveau. Qu'est ce que j'ai faim ! Le rire de Noah sonne comme une cascade de cristal à mes oreilles alors que j'engloutis ma soupe à toute vitesse. Je soupire de plaisir face au goût raffiné de ma nourriture.
— Désolée pour la bienséance, princesse ! plaisanté-je.
— Je m'en remettrai. Par contre, on a intérêt à ne pas aller dormir trop tard. La journée a été longue, et je sens que les prochains jours vont être bien remplis aussi.
Nous acquiesçons en cœur. Alors que nous nous dirigeons vers les différentes salles de bain mises à notre disposition, - avec, je l'espère, des bassines d'eau bien fumante - , je glisse à Noah :
— Ça te dit un petit entraînement demain matin ? On va finir par s'encrasser !
— Toujours ! On se retrouve aux aurores !
Je le regarde s'éloigner, le sourire aux lèvres. Décidément, il semblerait que j'ai trouvé un compagnon d'arme des plus sympathiques.
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