CHAPITRE 16
Je frissonne. Le vent qui souffle de plus en plus fort depuis ce matin me glace le sang. Voilà deux jours déjà que nous avons quitté Drokan, après avoir refait le plein de provisions pour le voyage. Nous arrivons désormais en vue de la frontière. Une fois ce point passé, nous devrions arriver dans la journée qui suit.
L'automne s'installe de plus en plus, et, nous recommençons à croiser des arbres aux feuilles de milles couleurs. Alors que je chevauche Charbon, je regarde avec joie la verdure reprendre place. Il est vrai qu'à Drokan, la plupart des lieux sont infertiles ou grillés par le soleil.
Au loin, un poste de garde se profile. Il y en a d'après Lizenn tout le long de la frontière, à distance régulière. J'ai été assez étonnée d'apprendre ça. Je ne pensais pas que conflit entre Naamen et Drokan s'étendait jusqu'à Sour. J'espère seulement que tout va bien se passer : j'ai hâte d'arriver dans un endroit plus hospitalier.
- Veuillez descendre de vos montures ! nous hèle un soldat Sorien alors que nous arrivons au pas devant la maisonnette.
Je remarque à travers la brume qu'un bâtiment similaire, mais cette fois-ci, aux couleurs de Drokan, se trouve un peu plus loin. Je tourne à nouveau mon attention vers le Sorien. Avec sa peau foncée, ses cheveux crépus, et ses yeux marrons clair, il est le parfait opposé du peuple que nous venons de quitter. C'est fou comme nous avons tous des traits physiques différentes selon les royaumes.
- Bien le bonjour. Quel bon vent vous amène ?
- Nous sommes en voyage.
- Je vois que vous avez des armes. J'imagine que vous comptez vous en servir ?
- Oh, c'est seulement de la prévention ! Nous ne comptons pas semer de trouble.
- Vous venez de Drokan. Pourquoi ?
- Nous voulions visiter la capitale avant de nous rendre ici.
Le soldat semble dubitatif.
- Vous savez, je ne vous bloquerai pas. Mais j'aimerai savoir ce qu'une bande de jeunes voyageurs comme vous fait aussi équipée.
Je regarde mes compagnons, inquisitrice. Doit-on lui dire ?
- Nous accompagnons la princesse Lizenn, du royaume de Naamen, glissé-je enfin.
Le soldat plisse les yeux. Il ne me croit pas.
- C'est bien moi, intervient la rousse en abaissant sa capuche. Soldat Loan, si je ne m'abuse ? Nous nous sommes déjà croisés par le passé.
- Princesse ? Oh ! Excusez-moi, je ne vous avais pas reconnue !
Le garde s'incline maladroitement et enchaîne :
- Laissez-moi vous offrir le repas ! Vous devez être fatigués par le voyage. Que nous vaut le plaisir de votre visite ?
Bien qu'il en fasse des tonnes, je sens que Loan ressent une réelle affection pour Lizenn. Peut-être même qu'il a un petit beghin pour elle !
- Nous ne pouvons réellement en parler, concède cette dernière. Mais nous venons nous entretenir avec les rois à propos d'un sujet assez important.
Je vois Noah tiquer à cette mention, qui est pourtant bien juste. À Sour, tout est beaucoup plus libre, notamment l'expression de sa sexualité. Les rois actuels n'ont jamais caché leur homosexualité, et ça n'a pas empêché le peuple de les adorer, bien au contraire.
- Votre père n'a-t-il pu se déplacer ?
- Il a préféré rester à la capitale pour s'assurer que tout irait bien.
- Quel bon souverain... Je l'admire.
Je sens Gama se tendre à ces mots, mais il ne dit rien.
- Resterez-vous donc ?
Après une petite concertation, nous acceptons l'offre du petit homme, qui nous laisse entrer dans sa maisonnette.
- Ce ne sera pas du grand luxe, mais c'est tout ce que j'ai.
- Et c'est parfait ! le rassuré-je.
Nous nous installons tous autour de la petite table pendant que le soldat fait chauffer notre repas. Ça fait du bien de se poser un peu après un si long voyage à cheval. Surtout que je suis entraînée à ça. Lizenn, elle, a l'air de plus souffrir de notre condition, même si elle fait de son mieux pour le cacher. J'imagine qu'elle doit être habituée à une vie plus posée, même si elle doit s'entraîner un peu. Quant à Noah et Gama, des cernes commencent à apparaître sous leurs yeux, mais ils semblent tenir le coup. Tant mieux : le voyage n'est pas prêt d'être terminé.
- Combien de temps allez-vous rester à Sour ? demande Loan.
- Nous espérons repartir le plus vite possible. Nous avons encore un long chemin à faire.
Le soldat acquiese avant de s'en retourner nous amener les plats. Mon ventre gronde en les apercevant. Enfin quelque chose de chaud ! Ça va faire du bien. Je mange lentement et savoure mon repas. Une fois le tout terminé, nous prenons vite congé de notre hôte, pressés d'arriver à destination.
Tout le long de l'après midi, mon esprit tourne à plein régime. Il va me falloir commencer le double jeu. Car si, à Drokan, j'ai décidé de ne rien tenter, notre prochaine destination est la cible idéale. Je ne peux laisser passer l'occasion de rallier Sour à notre cause. Mais une chose me tiraille : dois-je dévoiler tout de suite à Lizenn qui je suis ? Ou ferais-je mieux d'attendre que nous avancions pour limiter le risque de me faire démasquer ?
- Tout va bien ?
Une voix féminine interrompt mes pensées alors qu'un cheval tacheté se place à mes côtés. Lizenn. Quand on parle du loup...
- Oui, pourquoi ?
- Tu m'avais l'air troublée.
- Oh ! Je réfléchissais au meilleur moyen d'aborder les rois.
- Il m'es avis qu'il faut y aller directement, sans passer par quatre chemins.
- Tu penses ?
Je souris intérieurement. D'après le maître, les rois sont assez fermés aux propositions de ce type. Torin et Kerei risquent de nous expulser avant sinon ait le temps de dire Ligue. Mais je suppose que c'est ce que la princesse veut. Elle aussi, commence à entrer dans le jeu des mensonges. Il reste plus qu'à espérer que nous ne tomberons pas de haut...
- Si on prend trop de pincettes, ils seront ennuyés. Tu peux me faire confiance.
Je réprime un petit rire. Lui faire confiance ? Oui, je le peux, mais pas pour les raison qu'elle imagine.
- Je te crois, ne t'inquiètes pas. Tu les connais bien mieux que nous, après tout.
Nous continuons à galoper, et nous nous taisons alors que nous accélérons, toute conversation devenant impossible. Je regarde autour de moi, à l'horizon, sur ma droite, une forêt se profile. Autour de nous, je commence à apercevoir de petits hameaux, ayant réussi à subsister malgré la distance avec la capitale.
Nous continuons cependant toute l'après-midi, espérant arriver le plus proche possible à la tombée de la nuit. Quelques heures plus tard, nous sommes toujours en route alors que nous ralentissons, le soleil couché nous empêchant de voir correctement. Un petit village se trouve pas loin de nous, et nous nous dirigeons vers lui.
- Hé, Lizenn ? Je peux te poser une question, demandé-je soudain en baissant la voix.
Comprenant que je ne veux être entendue par les autres, la rousse fait ralentir son cheval.
- Je t'écoute.
- Qu'est ce que tu sais de tes frères et sœurs ?
La princesse ne masque pas sa surprise face à cette question. Elle réfléchit un instant, avant de déclarer :
- Honnêtement, je ne sais pas grand chose d'eux. Ils étaient tellement jeunes lorsque mon père a décidé qu'il était temps qu'ils quittent le château !
- Tu sais pourquoi ?
- Même si je savais, je ne te le dirai pas. Mais j'en ai aucune idée. Ça me travaille souvent d'ailleurs. Enfin, je sais pas pourquoi je te dis ça. Toujours est-il qu'on n'en parle jamais.
- Et tu as une idée d'où ils pourraient être en ce moment ?
- Pourquoi toutes ces questions ?
- Parce que tout tourne autour d'eux. Ça me semble assez important pour que j'essaie de me renseigner dessus.
Depuis plusieurs jours, je tente de rassembler le peu d'informations que j'ai sur les deux jeunes. Si j'en crois les calculs, ils doivent être dans ma tranche d'âge. Et puisque tout semble partir de leur captivité, j'aimerai en savoir plus. Mais tout est trop flou. Personne n'a l'air de les connaître. Le seul susceptible de pouvoir m'aider doit être le roi lui-même.
- Je ne sais pas comment tu as accédé à cette information, mais laisse tomber, soupire Lizenn, confirmant mes pensées. Rien n'a été dévoilé. Personne n'en sait rien.
Elle a l'air sincère. J'acquiesce distraitement, bien que je ne sois pas d'accord. Au contraire, cette piste a grand besoin d'être creusée. Nous nous sommes peut-être trop concentrés sur les Phénix, et pas assez sur des détails évidents.
- Ça me fait bizarre, continué-je, tentant de jouer la carte de l'innocence. J'en ai entendu parler vaguement lors de mon séjour chez les Phénix, mais je ne comprends toujours pas le rôle qu'ils ont à jouer.
La princesse semble hésiter, avant de répondre :
- Tu sais, les Phénix ne sont pas aussi blancs qu'ils n'y paraissent.
- Plus le temps passe, plus je m'en rends compte, murmuré-je. Ton choix a du être difficile...
- Lequel ?
- Celui de te ranger du côté des Phénix.
Les yeux de la rousse s'éclairent.
- Oh ! Et bien, pour être honnête, je n'ai pas trop eu le choix.
Je prends un air mi-étonné, mi-horrifié.
- Vraiment ?
Lizenn hoche la tête, et je fais mine de réfléchir à ce qu'elle vient de me dire. Je vois qu'elle est passée à l'étape supérieure : me faire voir les Phénix sous un autre jour. Mais je ne pensais pas qu'elle le ferait si directement, sans préambules. Toujours est-il que ça m'arrange : peut-être que je pourrai lui dévoiler mes propres informations plus tôt que prévu.
Nous nous taisons, et lançons à nouveau nos chevaux au galop pour rattraper notre retard. Je savoure quelques instants la sensation de liberté et de plénitude que cette vitesse me procure. Nous arrivons désormais à proximité d'un hameau où, je l'espère, quelqu'un nous laissera dormir sous son toit.
La première dame qui nous ouvre est assez âgée, et tient la main d'une petite fille dans la sienne. En voyant les épées qui pendent à nos ceintures, elle referme précipitamment la porte, et je parierai avoir entendu un verrou se fermer.
- Et bien, ça a été rapide, souffle Noah.
- Allons chez quelqu'un d'autre, il ne faut pas perdre de temps.
À nouveau, nous toquons contre une grosse porte en bois. Celle-ci s'ouvre sur une jeune femme, qui nous sourit avec gentillesse.
- Bonjour ! Que voulez-vous ?
- Bonjour ! Excusez-nous pour le dérangement, mais nous cherchons un toit pour passer la nuit. Accepteriez-vous de nous héberger jusqu'à demain matin ?
Notre interlocutrice se tourne vers l'intérieur, faisant voler sa longue tresse noire.
- Leylo ? Des...
Elle se tourne vers nous.
- Vous êtes des voyageurs je présume ?
Nous acquiescons et elle pivote à nouveau.
- Des voyageurs veulent passer la nuit ici ! Nous avons assez à manger ?
- Bien sûr, fais-les entrer !
Un homme charpenté arrive dans notre champ de vision. Doté de cheveux noirs crépus également, il semble fait de muscles. Lorsque je serre sa main, je sens qu'elles ont la rudesse d'un travailleur de la terre.
- Enchanté ! Moi c'est Leylo. Et voici ma femme, Anna.
- Merci mille fois ! souris-je. Votre aide nous fait chaud au cœur.
Anna balaie mes remerciements d'un geste de la main.
- Allez, entrez ! On allait manger.
Nous entrons donc à la suite du couple. L'intérieur de la maison est en désordre, des dizaines d'objets sont entreposés de partout, mais l'ensemble est confortable et coquet. C'est exactement comme ça que je l'avais imaginé en voyant notre hôte.
- Merci beaucoup à vous ! On a aussi de quoi manger si vous voulez, propose Noah.
- Je veux bien. Je n'avais pas prévu que l'on soit autant ! rit Leylo.
Je ne peux m'empêcher de sourire face à la joie de vivre et à l'amour qui émane de nos hôtes. Ça fait du bien de se retrouver dans un petit cocon bienveillant après notre séjour à Drokan qui a été marqué par les courses poursuites.
Nous nous mettons donc à table, puis je sors nourrir nos chevaux, qui ont trouvé refuge dans l'étable de nos hôtes. Je m'attarde quelques minutes aux côté de Charbon. Cela pourrait paraître étrange, mais je me sens liée à lui. Nous avons déjà partagé tant de choses...
- Vous avez de la chance, intervient Anna à la fin du repas. Comme c'est le début des fêtes de Yulé, j'ai cuisiné quelques spécialités Soriennes !
- Vous verrez, elle a un don, ma petite Anna !
Je me réjouis à cette idée et mon estomac se remet à gronder face aux gâteaux débordants de crème que nous présente notre hôte.
- Ils sont à quoi ?
- Goûtez, vous verrez bien !
Je saisis un petit met et croque dedans. Immédiatement un goût boisé envahit mon palais. Je savoure ma bouchée avant d'en reprendre une sans attendre. C'est excellent. Je regarde Noah en riant. Il a raté sa bouche et de la crème s'est étalée sur son nez. Je décide de laisser mon plan de côté et entreprends de lui essuyer le visage, non sans l'embêter par la même occasion.
Je surprends Lizenn et Anna échanger un regard complice, et interroge la princesse d'un froncement de sourcil.
- Ce n'est rien laisse tomber !
À la fin du repas, Leylo sort une viole d'une armoire et se met à jouer une valse endiablée. Sa femme le rejoint vite aux chant, et la musique vire aux chants traditionnels Soriens. Nous tapons des mains pour accompagner nos hôtes, et finissons par reprendre les refrains avec Anna. Même Gama finit par se prendre au jeu et se met à battre la mesure.
Une fois ce moment de gaité terminé, nous allons tous nous coucher, épuisés par la journée passée.
***
- Ça y est, on y arrive !
Je relève la tête. Devant nous se tiennent les premières maisons Tewey, la capitale. Contrairement à Lurion, aucune muraille n'entoure la ville. Les maisons sont ordonnées, avec de l'espace entre chacune d'être elles. Tout est propre et soigné, des buissons aux portails en passant par les pavés bien alignés.
- C'est beau... soufflé-je.
Toutes les maisons sont décorées d'objets colorés, et de petites sculptures, qui doivent représenter les différents dieux. Comme nous l'a expliqué Anna, les Soriens sont en pleine fêtes de Yulé, qui célèbrent les dieux. Sour est le royaume le plus attaché à ces croyances, contrairement à Naamen, où la plupart s'en sont peu à peu détachés, au fil des générations. Je cligne des yeux émerveillée par la beauté de ce qui m'entoure.
Nous pénétrons dans la ville, mais peu de gens se trouvent dans la rue. Ils doivent être rassemblés quelque part. Charbon hennit et je passe distraitement ma main sur son encolure. Soudain, des bruits de pas m'interpellent. Ils ont l'air précipités, comme si quelqu'un avait besoin d'aide.
Un homme surgit devant moi, suivi par trois autre individus, tous cagoulés. Ils foncent dans ma direction.
- Tout va bien ? demandé-je précipitamment.
Mais l'homme ne me répond pas. Ma respiration s'arrêtant, je dégaine mon épée et me prépare à l'aider.
- Capturez-le, c'est bien lui ! lance soudain le premier homme, avant de se jeter sur Gama.
Je talonne Charbon, qui refuse d'avancer. Sans l'en blâmer, je saute à terre pour m'interposer. Je sens un frottement derrière moi, et me baisse juste à temps pour éviter un coup d'épée. Mais je n'ai pas le temps de me relever avant qu'un second homme s'approche et qu'une douleur fulgurante me traverse le crâne. Sonnée, je tombe à terre. J'essaie avec difficulté d'ouvrir les yeux, mais une silhouette s'approche et tout devient noir.
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