CHAPITRE 15

Nous restons immobiles, ne sachant pas ce que veut le roi. N'avons-nous pas déjà tout expliqué au conseiller ?

— Et bien, qu'attendez-vous ?

— Excusez-moi, votre Altesse, réponds-je, mais je crains de ne pas avoir compris ce que vous nous demandez.

— Et bien, détaillez-moi votre plan d'action, ce que vous avez déjà mis en œuvre, tout ce que vous faites !

Durant un moment, un silence pesant plane sur la pièce. Puis Gama prend la parole :

— Et bien, nous avons un plan en plusieurs étapes. Tout d'abord, semer le chaos, la discorde. Ceci a déjà bien commencé. Le peuple doute de plus en plus de son roi. Puis nous avons rassemblé de nombreuses personnes, prêtes à se battre pour nous. La dernière étape constitue en votre soutien. Nous serons ensuite prêts à agir au plus vite.

— Vous avez besoin de financement, j'imagine ?

— Nous avons déjà de gros investisseurs. Mais il est vrai que du budget dans nos armées ne nous ferait pas de mal. Ainsi, nous pourrions avoir un plan d'action plus large et plus efficace.

— Dorlan m'a déjà rapporté tout ce que vous lui avez dit, et je dois avouer que je suis intéressé par votre offre. Cependant, je ne peux l'accepter tout de suite, sans y avoir réfléchi. Voilà ce que je vous propose donc : je m'engage à vous laisser partir vivants d'ici, et je reconsidèrerai votre cas.

Bien heureusement qu'il nous laisse sortir sans problème ! Même si je ressens l'envie de m'entraîner à nouveau, je n'ai pas besoin d'être poursuivie par toute l'armée royale. Nous avons déjà assez à faire pour y rajouter un problème de ce genre.

— J'enverrai ensuite un ambassadeur à votre organisation, qui vous apportera ma réponse. Si elle est positive, j'exige qu'il ait le droit de séjourner dans vos bases au même titre qu'un de vos dirigeants et qu'il puisse participer aux grandes réunions en mon nom. Son vote comptera dans la balance lors de vos prises de décisions.

Tout cela me paraît normal. Mais quelque chose dans le ton de Torstin me dérange. Tout laisse à penser qu'il en veut plus.

— Enfin... J'attendrai le même investissement de votre part si jamais je venais à entrer conflit avec un autre royaume.

Tous hochent la tête.

— Il est évident que toutes vos demandes seront prises en compte. Merci pour votre réponse.

— Je vous laisse indiquer l'emplacement de votre base sur cette carte, intervient le conseiller.

Gama acquiesce et place une croix vers la capitale de Naamen. Le roi sourit, mais n'en demeure pas moi effrayant pour autant. Je reste prête à agir, au cas où.

— Oh, et je garderai bien la princesse en gage de bonne foi.

Aussitôt, je me rapproche de Lizenn, tendue. Il est hors de question que nous l'abandonnions. 

— Cette mission est faite pour quatre personnes. Nous ne pouvons vous la laisser, la défend Gama, à ma plus grande surprise.

— Tu es mignon, à vouloir la protéger. Mais je ne vous laissais pas vraiment le choix. Gardes, occupez-vous d'elle, termine-t-il en Drok.

Il tourne les talons et s'en va accompagné de sa garde personnelle, nous laissant aux mains des six hommes restants. À cet instant, je me maudis de ne pas avoir été plus prévoyante en cachant un couteau quelque part dans mes vêtements. Mes yeux parcourent la salle à la recherche d'une autre arme, mais les seules que j'aperçois sont celles de nos opposants.

— Qu'est ce que vous allez faire de nous ? demandé-je.

Les soldats se regardent, sans comprendre. Je lève aussitôt les mains en l'air, en signe de soumission. L'ébauche d'un plan se forme dans ma tête.

— Laissez-nous au moins nous en aller ! Vous n'avez pas besoin de nous !

— Oui, renchérit Noah, prenez Lizenn si vous voulez !

Je m'approche doucement de la porte, et par la même occasion, des gardes. L'un d'entre eux a l'air de s'ennuyer à mourir, aussi, je jette mon dévolu sur lui. Noah, qui, à force de s'entraîner avec moi, commence à comprendre comment je fonctionne, hoche la tête.

— S'il vous plaît ! imploré-je une dernière fois, pour détourner leur attention.

Lizenn et Gama se tendent, eux aussi prêts à agir. Nous devons faire vite.

Bon, finis la rigolade. Donnez-nous Lizenn.

D'accord, prenez-la ! Mais laissez-nous tranquilles !

Gama fait mine de pousser la rousse vers les gardes, et je profite de leur petit instant d'inattention pour saisir l'épée de l'un d'entre eux et la tirer de son fourreau. Je suis déstabilisée par son poids, mais n'ai pas le temps de m'en inquiéter. Sans plus attendre, je donne un coup de coude à ma victime, et nous détalons au quart de tour. Par chance, le roi n'a pas pris la peine de fermer la porte à clé.

J'entends les claquements des chaussures des gardes qui nous suivent. Quelqu'un m'attrape le coude et je brandis ma nouvelle arme. J'entends un hurlement de douleur et le poids sur mon bras disparaît. Je suis mes compagnons à travers le dédale de couloirs du château, et prends conscience que nous ne les sèmerons pas. Ils connaissent trop les lieux pour ça. Non, nous devons ruser.

Réfléchis Ashley ! Quel est le moyen de distancer des adversaires ? La réponse me vient quelques secondes plus tard. Ne pas les distancer réellement. Mais oui ! Les propos du Maître me reviennent en tête comme si c'était hier. Lors d'une course poursuite, n'essayez jamais d'être plus rapide que l'autre. Soyez plus malins. Faites croire à votre poursuivant que vous l'avez semé, puis apparaissez dans son dos et frappez-le. Ou alors, ne réapparaissez que lorsque vous êtes sûrs qu'il vous pense partis. Utilisez son sentiment de puissance contre lui.

Je regarde autour de moi, tout en soufflant. Le terrain ici ne permet pas de se cacher. Soudain, j'ai une idée.

— Lizenn ! ahané-je.

Je me rapproche d'elle autant que je peux.

— Tu connais le chemin le plus rapide pour se rendre dans les quartiers des serviteurs, vers l'entrée ?

Comprenant là où je veux en venir, la princesse souffle :

— Je vais faire ce que je peux.

Nous bifurquons dans un couloir plus sombre, et je sens mes muscles me chauffer et congestionner peu à peu. Je soutiens néanmoins le rythme. L'épée commence à peser dans ma main, mais je ne peux me permettre de la lâcher. Elle n'est le seul avantage que nous ayons, avec le fait que les soldats soient équipés de lourdes armures qui les ralentissent dans leur course.

Je vois dans les fenêtres que nous nous rapprochons de la cour de contrôle. Lizenn ouvre une poste dans laquelle est gravée l'equivalent de domestique, en Drok. Nous refermons dernière nous et continuons notre course effrénée. Plusieurs personnes se retournent à notre passage, mais personne ne fait rien pour nous arrêter. Tant mieux.

Les soldats sont désormais plus loin. Ils perdent de la vitesse. Je n'entends plus que leurs grognements alors qu'ils interrogent les serviteurs. Nous arrivons alors devant une porte, qui mène à la salle de réception de la princesse. Nous sommes presque dehors. C'est ici que tout ce joue.

— Attendez ! Venez !

Je fais marche arrière vers une autre pièce, sans pour autant refermer la porte. Nous débouchons dans une salle sombre, qui a l'air d'être un vestiaire. Des casiers sont accrochés au mur, assez hauts pour que l'on ne remarque pas ce qui est au-dessus. Une aubaine.

— On se cache ici ! chuchoté-je.

J'espère seulement que je ne suis pas entrain de faire une erreur. Je me pends à un casier et me hisse au dessus, avec difficulté. Posant l'épée en haut, je finis de monter, poussée par Noah, et lui tends la main pour l'aider. Il vient me rejoindre quelques instants plus tard. De l'autre côté de la pièce, nos deux amis ont fait de même. Je m'efforce de ralentir ma respiration et d'en restreindre le sifflement.

À côté de moi, le brun est dans un bien meilleur état. Il est vrai qu'il avait fini premier à la course lors du tournois.

Là-bas !

Je me presse contre le meuble, tremblante, mais les gardes tombent droit dans le piège. Ils foncent tous à travers la salle de réception, sans se préoccuper du reste. Je les entends prononcer quelques jurons en la découvrant vide. Le bruit de leurs pas finit par s'éloigner. Je me détends un peu, mais reste sur le qui-vive. On entre dans la partie la plus difficile : choisir quand est-ce qu'on sort de là.

Nous tâchons de ne faire aucun bruit, au cas où l'un d'entre eux reviendrait. Mon esprit tourne à plein régime. Que faire ? Partir maintenant, alors que les gardes sont alertés et inspectent la sortie ? Ou alors attendre, mais risquer qu'ils reviennent et nous trouvent ?

— Du calme... murmure Noah, d'une voix si faible que je manque de ne pas l'entendre.

Il presse doucement mon épaule, rassurant.

— Ça va aller... On va s'en sortir, comme toujours. Grâce à toi.

Je lui adresse un petit sourire gêné. C'est aussi à cause de moi qu'il se retrouve coincé ici à attendre je ne sais quoi. C'est moi qui l'ai entraîné dans cette quête, alors que je ne suis même pas de son côté. Quelle faible je suis. Je n'aurai pas du demander à ce qu'il vienne. Je le mets en danger pour rien.

— On desc...

On va les trouver ! crie soudain quelqu'un.

Lizenn se tait immédiatement, et je me colle autant que possible contre le mur. J'entends quelques soldats repasser devant la porte. L'un d'entre eux s'arrête. Je m'arrête de respirer.

Laisse tomber c'est sans issue ici !

Ok j'arrive !

Les deux gardes s'éloignent sans plus faire attention à notre cachette. Expirant lentelement, je remercie le ciel de nous avoir gardé en vie et décide que c'est le moment.

— On y va ? chuchoté-je.

Tout le monde approuve, et nous descendons de nos perchoirs aussi silencieusement que possible. Je ne peux garder l'épée, qui attirerait trop l'attention, aussi, je la laisse au dessus du casier, avec un petit pincement au cœur. Quelqu'un la trouvera bien un jour.

— Il ne faut pas qu'on ait l'air suspects. Faites comme si vous étiez chez vous.

Je hoche la tête et entrouvre légèrement la porte. Personne derrière. Parfait. Nous sortons en vitesse et parcourons les couloirs. À deux reprises, nous devons nous tapir dans l'ombre alors que des gardes passent à côté de nous. À chaque fois, mon cœur manque de s'arrêter de battre. Pourtant, nous finissons par parvenir au barrage sans trop de problème.

— Il faut que nous récupérions nos armes. Avec un peu de chance, ils n'ont pas été prévenus.

Nous nous avançons donc dans la cour, essayant d'avoir l'air neutre.

Nous venons récupérer nos armes, annonce Gama.

Votre entrevue s'est-elle bien passée ?

— Très bien, merci.

Et bien, il semblerait que Gama ait une belle capacité de mensonge. Je ne peux lui en vouloir : depuis des semaines, je ne fais que ça, de mentir. Un grand soldat finit par nous rendre nos armes. Le contact avec le manche de mon épée me rassure, et tout de suite, je me sens mieux.

Remerciant nos interlocuteurs, nous revenons à la salle de réception, que nos poursuivants ont désertée. Nous parvenons sans problème à la sortie du château, mais ce n'est que lorsque nous passons la double porte en fer que je me sens vraiment en sécurité. Nous avons réussi. Nous sommes sortis.

— Vous pensez que c'était le dernier test du roi, pour vérifier que l'on était bien compétents ? demande Noah alors que nous arrivons en bordure de la ville.

Je n'y avais pas pensé, mais cela me paraît être le plus plausible.

— Espérons que ce soit ça. Autant éviter d'avoir un roi à nos trousses.

— Il m'a quand même fichu la frousse. Heureusement que tu étais là Aïsha.

— N'importe qui aurait fait la même chose, contré-je.

— Non, reprend Lizenn. Tu n'as pas hésité une seconde. Tu as ça dans le sang.

Ses paroles me réchauffent le cœur.

— J'avais peur, moi aussi, avoue doucement Noah.

— Avoir peur n'est pas synonyme de lâcheté, répliqué-je. Tout dépend de ce que tu choisis d'en faire. Y succomber ? Ne pas oser y faire face ? Ou au contraire l'affronter ? Vous avez tous été très courageux.

— Tu fais une bonne dirigeante, me glisse Lizenn.

Je tourne la tête vers elle, étonnée. Elle hausse les épaules.

— Crois-en mon expérience.

Je ne réponds rien, et notre groupe plonge à nouveau dans le silence. Mine de rien, cette petite dose d'adrénaline m'a fait du bien. Je me sens quelque peu libérée du poids qui pesait sur mes épaules.

Lorsque nous arrivons à l'auberge, l'après-midi est déjà bien entamée. Une bonne ambiance règne dans la grande salle, alors qu'un tournois de carte se lance. Lizenn, connaissant ce jeu, se joint à eux. Gama décide de se reposer, et avec Noah, nous entreprenons de nourrir les chevaux.

Après avoir récupéré de quoi leur donner à manger dans la réserve de l'écurie, nous les rejoignons et le leur donnons. Toutes contentes, les bêtes henissent de joie. Je caresse pensivement l'encolure de Charbon. Ce dernier me regarde de ses yeux noirs emplis de bienveillance. Je sais que, si nous venions à nous battre, il ne m'abandonnerait pas.

— Le dernier arrivé à l'auberge doit préparer les bagages ! lance soudain mon ami en démarrant au quart de tour.

— Et c'est pas juste ! protesté-je en le suivant tant bien que mal.

Je sprint le plus vite possible, mais il m'est impossible de le rattraper. Il est arrivé devant la porte bien avant moi, et rit de mon air boudeur.

— C'est de la triche ! T'es parti avant moi ! grommelé-je.

— Parce que tu m'as tout l'air d'une demoiselle en détresse, je t'aiderai, concède Noah d'un ton faussement supérieur.

J'éclate de rire.

— Il y a intérêt ! Sinon je change les règles !

— Ça c'est de la vraie triche !

Je le pousse doucement et nous nous engageons dans l'escalier, de bien meilleure humeur.

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