CHAPITRE 14

Ashley :

— Aisha ! Il est temps de partir !

Je me réveille en sursaut. Flûte ! Je me suis rendormie ! Je me lève en vitesse et suis mes compagnons hors de la chambre. Nous descendons les escaliers et sortons du bâtiment, pénétrant dans la fraîcheur matinale. La princesse nous a donné rendez-vous dans une heure à peine, et nous avons beaucoup à marcher.

— Hé !

Noah se place à ma hauteur.

— Tu es sûre que ça va ? Tu dors correctement, la nuit ?

Je soupire. Forcément, il a remarqué. La pression qui pèse sur mes épaules m'empêchait déjà de dormir pendant le trajet jusqu'ici, mais maintenant que nous sommes arrivés à Drokan, cela s'intensifie. La nuit dernière, j'ai passé plus de temps à penser qu'à me reposer. Ce qui explique que je me sente épuisée.

— Ça va aller ne t'inquiètes pas ! nuancé-je, même si je n'y crois pas. Mais merci.

— Tu sais, tu n'es pas seule. Nous sommes là pour t'aider, me glisse gentiment le brun. Ne te fais pas trop de bile.

Si seulement c'était aussi simple. Je hoche néanmoins la tête en le remerciant, touchée. Nous arrivons bientôt devant le palais, à l'instar de la veille. Cette fois-ci, l'attente est moins longue puisque la princesse ne donne pas de réception. Nous rejoignons cette dernière dans la même salle que la dernière fois. Tiara tique en voyant Lizenn.

Que fais-tu là ?

— Je viens en paix. Je suis avec eux.

Au moindre geste suspect de ta part, je fais venir les gardes.

Lizenn, qui semble avoir compris les grandes lignes de ce qu'à dit la jeune femme aux cheveux noirs, hoche la tête, non sans marmonner quelques jurons dans sa barbe. Ces deux là ont l'air de s'entendre comme chien et chat. Ça ne va pas faciliter les échanges.

Nous suivons Tiara dans les méandres du château, et nous débouchons dans une grande cour. Là, je comprends pourquoi il n'y avait pas de contrôle à l'entrée. Les salles précédentes doivent être dédiées aux réceptions populaires et aux domestiques. Les vrais quartiers royaux se trouvent sûrement derrière la ligne de gardes qui se trouve devant nous.

Levez les bras !

Je copie mes compagnons, et laisse les gardes saisir mon épée, ce qui me laisse le sentiment d'un vide. Sans arme, j'ai l'impression de ne pas être complète. Je frissonne alors que le soldat pose ses mains contre mon corps pour vérifier que je ne cache rien d'autre. Je m'efforce de maîtriser mon cœur qui s'affole face à cette intrusion dans mes barrières. Je réussis néanmoins à me contrôler et à surmonter cette étape nécessaire.

Dès que le garde s'écarte, je relâche lentement mes épaules et expire l'air que j'avais gardé coincé dans mes poumons. Je détends peu à peu mes muscles, et suis mes compagnons qui se sont eux aussi fait dépouiller de leurs armes. Alors que nous entrons dans un nouveau bâtiment, j'observe les lieux. Je cherche le moindre problème, le moindre détail anormal qui annoncerait un piège. Mais rien ne paraît suspect : les couloirs sont beaucoup plus décorés que les précédents, ornés de dorures et de tableaux.

Je jette un coup d'œil aux autres, qui ne paraissent pas plus alarmés que ça. Ils n'ont pas reçu l'entraînement de la Ligue. Je n'oublierai pas de qu'on m'a appris sur le roi. Je ne veux commettre aucune erreur. Les personnes ici ont l'air de raisonner d'une toute autre manière que nous, et nous devons nous préparer au pire.

— Demande lui, si on va voir le roi, glissé-je à Gama.

Une fois la question entendue, la princesse me regarde en souriant. Elle acquiesce en douceur, un léger sourire aux lèvres. Ce dernier m'interpelle tout de suite. S'il pourrait être pris pour de la politesse, j'y vois du malice. Il va nous arriver quelque chose dans peu de temps.

Tout en essayant de ne pas montrer mon interrogation, je scrute le couloir dans lequel nous nous trouvons. Il est faiblement éclairés, mais je parviens à apercevoir une intersection un peu plus loin. Lorsque je reporte mon attention sur la princesse, je remarque qu'elle a changé de posture. Tout en elle montre l'attente de quelque chose. C'est tout ce qu'il me fallait.

— Tiens-toi prêt, chuchoté-je à Noah, qui se trouve près de moi. Il va se passer quelque chose.

Je tapote discrètement l'épaule de Lizenn, et désigne le fond du couloir, qui se rapproche de plus en plus. Cette dernière semblé comprendre, puisqu'elle se met sur la défensive. Je ne peux prévenir Gama, qui est trop proche de Tiara.

Plus que quelques secondes. Pourvu que je ne me sois pas trompée ! Je tente de me rapprocher de Gama. Le seul moyen de nous en sortir est de les prendre par surprise. D'invserser la tendance.

— Maintenant, soufflé-je en courant vers l'angle.

Je saisis le bras de Gama au passage, qui me suit en vitesse, perplexe. Deux soldats arrivent soudain du coin, et se ruent vers nous. Je réprime un cri de victoire et nous les percutons de plein fouet. Aux grands mots les grands moyens. Je tombe à la renverse sur le soldat, et plaque aussitôt au sol.

Dégage de là, strakaï !

Je ne peux m'empêcher de tressaillir face à l'insulte du soldat, et je m'efforce de retrouver mon impassibilité.

— Autant pour moi, j'ai cru voir une menace, m'excusé-je d'un ton qui laisse clairement comprendre que j'ai saisit leur petit manège.

Lizenn leur traduit mes propos, et les gardes s'éloignent en grommelant. Tiara semble déçue de ce qui vient de se passer.

D'habitude, les visiteurs se prennent une belle frousse, marmonne-t-elle.

Je souris intérieurement, contente d'avoir senti le piège venir. Merci la Ligue pour ta prévoyance. Parfois, je me demande comment font le commun des mortels pour survivre sans entraînement. Je suppose qu'ils vivent une vie moins dangereuse.

Bien. Je vous laisse ici, annonce Tiara alors que nous arrivons devant une grande porte en bois. Vous pourrez déjeuner avec un conseiller du roi. Tâchez d'être convaincants.

Elle s'éloigne sans attendre de réponse, avant de se retourner.

J'attendrai ma récompense. 

Ce sera fait. Merci pour ton aide.

— Nous devons faire plus attention. On a failli tout faire rater au premier test, intervient Lizenn alors que je pose ma main sur la poignée de la porte.

— Ils peuvent vous tendre une embuscade. Le repas peut être empoisonné. Ou alors ils vont tenter de nous faire signer quelque chose d'avantageux pour eux. Dans tous les cas, ils nous faut être attentifs au moindre détail, approuvé-je.

— Alors, entrons.

Je pousse la porte porte et pénètre dans une grande salle. Une magnifique table y trône, sculptée dans un bois clair. Un homme imposant s'y trouve. Un détail me frappe tout de suite : il lui manque un bras. Je suis étonnée : il est extrêmement difficile de survivre suite à la perte d'un membre, surtout que nous n'avons aucun moyen de redonner du sang aux victimes.

L'homme tourne deux yeux froids vers nous et nous toise, sans montrer aucune réaction.

Puis-je parler ma langue ou dois-je me contenter de l'Ernak ? demande-t-il sèchement.

Notre langue serait plus appropriée, en effet, merci. 

Je remercie Lizenn d'avoir fait ce choix. Ne pas pouvoir intervenir alors que je comprends tout est très frustrant, et je tiens à ce que Noah et moi puissions participer à la conversation.

— Bien. Je suis le conseiller Dorlan. Je vous consacrerai le temps d'un repas. À vous de me convaincre que votre demande est assez sensée pour en parler au roi.

Il s'exprime avec fluidité, peu gêné par ce changement de langue. Je suppose qu'en tant que conseiller, il doit être capable de parler avec les autres rois et reines sans trop de problèmes.

— Venez, venez ! Prenez place.

Je sens que ceci est plus un ordre qu'une invitation, mais je ne réagis pas. Nous nous asseyons donc autour de la table, et des serviteurs ne tardent pas à arriver. Ils disposent devant nous des plats fumants, auxquels je jette un regard suspicieux.

— Qu'est-ce que c'est ? demandé-je innocemment. Ça a l'air succulent !

— C'est du poisson cuit dans du sel, accompagné de maïs et de sauce au champignons, madame, répond une jeune femme.

Elle ment. Il y a autre chose.

— Quel plat avez-vous empoisonné ? interrogé-je le conseiller.

Ce dernier semble surpris de cette question directe, mais ne m'en blâme pas.

— À vous de le trouver.

— C'est le mien, lance Lizenn. Et ne me faites pas croire le contraire, je sais différencier la muscarine des autres champignons.

Dorlan ne semble pas s'en inquiéter et continue de manger tranquillement.

— Prends un peu de ma part, proposé-je à la rousse. Je ne mangerai pas tout.

— Bon, intervient Noah. Il me semble que nous sommes là pour parler de quelque chose.

Je hoche la tête, l'invitant à continuer.

— Nous venons vous proposer, à vous et à votre roi, une alliance.

Le conseiller ne réagissant pas, Noah enchaîne :

— Comme vous, nous pensons que le roi Naamen n'est plus apte à gouverner correctement. Nous sommes à la recherche de soutiens pour réaliser un coup d'état.

— Et pourquoi nous vous aiderions ?

Cette fois-ci, Dorlan semble intéressé.

— Parce que vous avez autant que nous à gagner dans cette affaire, soutient Gama. Vous voulez voir Naamen destitué, voilà une occasion en or.

— Vous savez, de nombreuses personnes me proposent des alliances, tous les jours. Pourquoi accepterais-je la vôtre, et pas une autre ? Rien ne me prouve que vous dîtes la vérité.

— J'ai sur moi une lettre officielle de notre organisation, que je peux vous donner.

Je fronce les sourcils. Je n'ai jamais entendu parler ce ce document.

— Non. Je veux que vous me convainquiez vous-même.

Je ne dis rien. Gama est celui qui connait le mieux les Phénix, aussi, il est le plus à même de parler.

— Nous avons de nombreux soutiens, qui sont prêts à débourser une bonne part de leur fortune. Nous avons des moyens, de nombreux adhérents qui se battrons avec nous. Avec votre aide, nous pourrions vraiment gagner.

— Mais encore ?

— Vous gagneriez un allié stable au lieu d'avoir une grande frontière avec un ennemi de toujours, m'agacé-je par son manque de réaction.

— Et bien voilà ! Nous y sommes enfin ! Que comptez-vous faire du royaume de Naamen si vous gagnez ?

— Le dirigeant des Phénix se fera couronner roi, reprend Gama. Nous récompenseront tous ceux qui nous ont aidé dans notre entreprise, laisserons vivre ceux qui n'ont pas prit parti, et condamnerons ceux qui se sont opposés à nous.

— Et nous ?

— Nous serons prêts à mobiliser notre armée pour vous suivre si vous entrez en guerre avec d'autres pays.

— Nous savons que vous n'avez pas d'allié politique qui vous soutiendrait dans vos actions. Laissez-nous devenir le vôtre, renchérit Lizenn.

— Comment pourrais-je faire confiance à la fille du roi ennemi ?

— Si je n'avais pas été de confiance, je ne serais pas là.

— Gardes !

Une demi-douzaine de soldats entrent immédiatement dans la pièce et se mettent au garde à vous.

— Cela ne me semble pas nécessaire, interviens-je. Lizenn est venue ici de son plein gré, et elle nous a plus d'une fois démontré sa loyauté.

— Elle nous est indispensable, ajoute Noah.

Dorlan lève le bras, et les gardes disparaissent.

— Bien. Avez-vous une dernière chose à dire avant que je m'en aille ?

À ma grande surprise, c'est Noah qui prend la parole.

— Vous savez, je pense qu'il est grand temps que Drokan retrouve sa puissance d'autant, et sa souveraineté sur les autres royaumes. Nous pouvons vous aider à mettre tout cela en œuvre.

Le conseiller hoche la tête et s'en va, nous laissant seuls face à la table. J'en profite pour manger un peu, étant auparavant trop plongée dans la conversation pour y penser.

— Ça a l'air mal parti, s'attriste Noah.

— Au contraire, cela me semble parfait. 

Lizenn sourit avant de plonger ses couverts dans mon assiette.

— C'est délicieux.

Pour ma part, je suis partagée. L'évidente froideur du conseiller ne me semble pas jouée, mais au fil de ses questions, il m'a semblé entre-apercevoir un intérêt grandissant. Et ceci serait plutôt bon signe pour les Phénix. Mauvais signe pour la Ligue, mais c'était inévitable.

— Il y a plus qu'à espérer maintenant.

Je me lève et fais les cent pas. J'aimerai tant retrouver les quartiers de la Ligue, auprès de mes amis ! Alissandre, Léo et Matt me manquent terriblement.

Je veux revenir à l'époque où ma seule préoccupation était de savoir qui allait arriver le premier à la cantine, qui allait pouvoir se battre contre le Maître, et de tirer le plus de flèches à la minute. Je veux retrouver la dureté du Maître, nos lits superposés, et les entraînements qui nous fatiguaient tellement que l'on s'endormait à peine rentrés dans nos chambres.

Je soupire. Je ne pensais pas avoir le mal du pays aussi tôt. Mais le fait est que je me sentais tellement bien à la Ligue que je ne peux que souhaiter y retourner. Seulement, j'ai encore à faire chez les Phénix. Je cligne des yeux pour m'éclaircir les idées. Je ne peux me permettre de faiblir.

— Si le roi nous donne une réponse aujourd'hui, nous devrons repartir demain matin. Plus nous traînons, plus la situation peut s'envenimer.

La voix de Gama romp le silence qui s'était installé. Il semble pensif, à moitié présent, à moitié absent. J'imagine qu'il pense à ce qu'il a fait hier. J'espère qu'il aura pu se libérer un peu.

— De toute façon, je ne pense pas que nous aurons une réponse immédiate. Ils nous feront peut-être parvenir un messager, ou un ambassadeur qui les représentera.

Soudain, la porte s'entrouvre. Un homme d'une soixantaine d'années entre, encadré de quatre gardes. Les six autres soldats qui étaient rentrés tout à l'heure suivent le cortège. Ses cheveux grisonnants sont coupés ras, et une barbe de plusieurs jours parsème ses joues. Je suis tout de suite frappée par la dureté de ses traits et la blancheur extrême de son teint. Pâle comme la mort, il a l'air d'un fantôme. Sur sa tête est posée une couronne faite de métal noir, surmontée de rubis. 

Je m'incline poliment face au roi de Drokan. J'espère que mes compagnons font de même. J'attends avec impatience la réponse de Torstin.

— Vous pouvez vous relever.

J'attends encore quelques secondes avant de me redresser, comme le veut le protocole.

— Très bien. Prouvez-moi pendant cet échange que vous n'êtes pas des bons à rien et je daignerait me pencher sur votre projet. Sinon... Je verrai ce que je fais de vous.

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