CHAPITRE 10

Aïsha

Je pousse un soupire de douleur. Bien que je le cache autant que possible, chevaucher blessée me fait souffrir plus que prévu. Les à coups de Charbon envoient des décharges électriques dans tout mon corps. Noah se tourne vers moi, ayant remarqué ma tension soudaine.

— Tout va bien ?

Je hoche difficilement la tête. Il est hors de question de nous arrêter. Nous avons déjà perdu assez de temps. Surtout que nous arrivons bientôt à la capitale. Galopant depuis plusieurs jours déjà dans la plaine aride, nous pouvons désormais apercevoir la ville au loin. Lurion est étalée tout autour du château, et abrite la quasi-totalité des Droks. Le reste du territoire est laissé à l'abandon depuis d'anciennes guerres.

Nous traversons la dernière portion de terre, avant d'arriver devant la grande muraille qui protège la ville. Plusieurs personnes attendent déjà de pouvoir rentrer. Nous nous plaçons à leur suite. Je prends le temps d'observer ce qui se trouve autour de moi. Mon esprit forgé par la Ligue chercher tout de suite une issue par laquelle nous pourrions nous échapper. Mais le seul passage semble être la grande porte en fer qui se trouve en face de moi.

Et comme si cela ne suffisait pas, elle est gardée par de nombreux gardes, tous en armure. Je retiens un souffle stupéfait. Les Droks ont la réputation d'être grands, mais je ne m'attendais pas à ça ! Même Gama paraît petit à côté d'eux !

— Et bien !

Nous nous approchons de la petite file qui attend. En tout, une dizaine de personnes se trouve devant les soldats, pressée de rentrer dans la ville. Je suis moi-même impatiente de voir ce qu'il s'y cache. Je n'ai jamais rien vu d'autre que Xeras, la capital de Naamen, et il me tarde de découvrir Lurion. D'autant plus qu'on raconte que la ville est tout faite de pierre noire.

— Devons-nous mentionner que tu es la princesse ? demandé-je à Lizenn. Ton nom risque de les faire réagir.

— À mon avis, il vaut mieux éviter. Mais le roi et son fils vont sûrement me reconnaître. Nous nous sommes déjà croisés lors de conseils.

J'acquiesce tout en jettant un œil à Gama. Ce dernier m'a l'air bizarre depuis que nous approchons la ville. Quelque chose me dit qu'elle ne lui est pas inconnue...

— Ça va bientôt être à nous. Gama, tu veux t'occuper de leur parler ?

Le jeune homme hoche la tête fermement.

— À vrai dire, ajoute-t-il, je veux bien que tu écoutes aussi, au cas où.

C'est sûr, il a pris un caillou sur la tête. Depuis quand admet-il pouvoir se tromper ?

Nous arrivons enfin devant les gardes. Noah se raidit à mes côtes, sûrement impressionné par leur arsenal. Je lui lance un sourire rassurant avant d'écouter l'échange.

Qui êtes-vous ? demande un garde en ancien language.

Nous des voyageurs. Vouloir entrer dans la ville et parler au roi, répond Gama avec hésitation.

Les soldats éclatent de rire et se donnent de grandes tapes dans le dos.

Parler au roi ? À moins que vous soyez des princes, ce dont je doute, je ne pense pas qu'ils vous écoutera !

Je jette un regard à Noah, qui semple désemparé. J'imagine combien ça doit être dur de ne pas pouvoir comprendre la conversation.

— Nous pouvons entrer ? s'impatiente Lizenn.

Faites, faites ! Le capitaine rira bien quand on lui rapportera ça ! ajoute le garde à son collègue.

Je me retiens de lui dire mes quatres vérités et suis Lizenn et Gama, qui nous font signe que c'est bon.

— Pourquoi riaient-ils ?

— Une blague de mauvais goût, répond Lizenn en défiant Gama de la contredire.

Elle ne veut pas nous dire que c'est perdu d'avance.

Je commence à la connaître. Je sais qu'elle a encore à prouver sa loyauté, elle qu'elle fera tout pour parler au roi. De toute façon, nous avons déjà perdu ici. Jamais le roi ne se rangera du côté de Naamen, alors autant prouver notre bon vouloir.

— Bienvenue à Lurion, lance théâtralement Noah.

Je ris et relève la tête. Tout est exactement comme je me l'étais imaginé. Les maisons sont noires, à l'instar des rues, et même des vêtements des passants. Tout cela contraste avec la peau pâle des droks, qui ressort au milieu de toutes ces nuances de sombre. Je m'attarde sur les passants, dont la plupart a l'air d'être pauvre. J'aperçois malgré moi de nombreux voleurs parmi la foule, qui font les poches des plus innocents.

— Attention à vous. Il paraît qu'il y a un taux de criminalité très élevé ici, nous informe soudain Lizenn.

Je talonne Charbon pour qu'il se remette en route, et nous entreprenons de contourner la place. Pas besoin de chercher les ennuis, à mon avis, ils viendront assez facilement. Pendant que nous avançons, j'entends des conversations, des gens qui se plaignent, d'autres qui parlent de tout et de rien, et je remercie silencieusement le Maître et la Ligue de nous avoir aussi bien entraîné à maîtriser cette langue.

— On devrait chercher une auberge, intervient Noah. La nuit va bientôt tomber, et je ne sais pas vous, mais j'aimerai bien être à l'abri.

Nous nous dirigeons donc vers ce qui nous semble être un lieu très traversé. Nous croisons une auberge, mais décidons d'en chercher une autre en voyant l'état dans lequel elle se trouve. Je scrute attentivement les alentours, sans succès. Ce n'est qu'après une vingtaine de minutes à tourner que nous en trouvons à nouveau. Je pousse un soupir soulagé. J'en peux plus d'être assise !

Je mets pied à terre, imitée par mes compagnons. Il y a une petite écurie à côté de l'auberge, et nous y disposons nos chevaux avec un peu de nourriture et d'eau, sans oublier de prendre avec nous tout ce qui peut avoir de la valeur. Mais nous sommes contraints de laisser les campements trop imposants à l'intérieure des sacs. Il n'y a plus qu'à espérer qu'ils seront encore là demain matin.

— Bien. On ne parle à personne sauf au gérant et on monte tout de suite poser nos affaires.

Lorsque nous entrons dans le bâtiment, je suis tout de suite assaillie par une odeur piquante, inconnue. Ça doit être ça, l'alcool. L'ambiance est au rire, et de nombreuses conversations fusent dans tous les sens. Nous nous approchons du comptoir.

Bonjour, il reste des chambres ?

Vous avez de la chance ! Il m'en reste tout juste deux ! tonne l'aubergiste.

Nous en prenons une, merci, avance Lizenn.

Si le gérant est surpris, il ne commente pas et nous tend une clé, en l'échange d'un bon nombre de pièces.

Le repas est dedans ?

Pour ça, il faudra en rajouter encore un peu, ma ptite dame !

Gama lui tend encore quelques pièces et homme finit par acquiescer et nous montrer l'escalier.

C'est par là. Mes demoiselles, je vous conseille de faire attention. Ce n'est pas un lieu pour les personnes comme vous.

Nous le remercions, et nous engageons dans le couloir.

— Je n'ai pas bien saisi sa dernière phrase, soupire Lizenn.

— C'était question de filles il me semble, mais il a parlé trop vite.

— C'est rassurant, commenté-je, ayant très bien compris les propos.

— On fera attention.

Nous arrivons devant la chambre. Noah la déverrouille et nous découvrons une petite pièce avec un lit deux places et deux chaises. L'ensemble, très sobre, ne laisse place à aucune fioriture. Une salle de bain avec le strict minimum l'accompagne.

— On va pouvoir prendre une douche ! m'exclamé-je avec bonheur. Ça fait deux jours que j'en rêve !

Je pose tout ce que je tenais dans mes bras et m'assois sur le lit. Lizenn reluque la bassine d'eau avec envie.

— Vas-y en premier, lui propose Noah.

Reconnaissante, la princesse n'attend pas plus longtemps et s'enferme dans la pièce. Il est vrai qu'elle doit être habituée au luxe de la vie au château. J'oublie parfois que nous ne venons pas du même monde, elle et moi. À la Ligue, lors de missions, il m'arrivait souvent de me retrouver en bien piètre état. Ce n'est pas un peu de saleté qui vont me tuer, néanmoins, ça fait toujours du bien de se sentir propre.

— Je vais voir les chevaux, annonce Gama.

— Fais attention à toi, l'avertit Noah.

Il hoche la tête et sort sans plus attendre. Je sens le lit qui se creuse à côté de moi, alors que le brun me rejoint.

— Ça fait bizarre, de ne plus être à Naamen, hein ?

— Oui !

— Je sens pas trop les Droks. Je les trouve... étranges. Ils m'ont tout l'air de ressembler à des assassins.

— On ne sait pas trop à quoi s'attendre, approuvé-je. C'est pour ça qu'il faut qu'on reste soudés. D'ailleurs merci d'avoir parlé à Gama ! Je ne sais pas ce que tu lui as dit, mais ça a l'air de marcher.

— Oh, tu sais, parfois les mots viennent tous seuls...

Il se tait et nous restons là, à attendre en silence.

— Je voulais te dire. Merci de m'avoir accompagnée ! Vraiment.

— C'est normal, tu es mon amie.

Je ressens un pincement au cœur en entendant ça, mais je n'ai pas le temps de m'en préoccuper. Lizenn sort de la douche, et me propose d'y aller à sa suite. Je m'éloigne à contrecœur de Noah, et entre dans la salle de bain. Après avoir rempli la bassine d'eau tiède, je me glisse dedans.

J'entreprends de frotter toute trace de crasse qui se trouve sur moi. L'eau sur ma peau me fait l'effet d'un pensement. J'imagine toutes mes préoccupations partir en même temps que ma saleté, se diluant dans le liquide chaud. Une fois ma tâche terminée, je me rince et me sèche dans l'une des serviettes rêches qui sont entreposées à côté.

Je me sens beaucoup mieux. Sans que je m'en rende compte, un stress conséquent s'est accumulé sur mes épaules, et je me sens plus détendue maintenant que nous sommes entrés à Drokan. Je jette un coup d'œil à mes blessure : maintenant quelles sont propres, elles ont bien meilleure mine.

Je remets mes habits sales : je préfère garder ceux propres pour les rencontres importantes. Une fois vêtue, je libère la place. Noah se hâte d'aller se laver à son tour.

— Ça va ? me demande Lizenn.

Je décide de la jouer innocente.

— Oui ! Ça fait bizarre de ne rien comprendre mais vous êtes là avec Gama, alors c'est bon !

— En parlant de Gama, j'espère qu'il va bientôt rentrer. Ce n'est pas bon de se séparer.

Comme pour confirmer ses propos, Gama entre quelques secondes plus tard, essoufflé.

— Pour l'instant tout va bien. Mais j'ai vu des gens qui reluquaient mes poches. Il faudra faire attention.

En même temps, nous nous trouvons quand même dans l'une des villes avec le plus grand taux de criminalité de l'Ernakan. Ce n'est pas rien.

Nous patientons les temps que les deux garçons se douchent. Je ressens l'envie de m'entraîner, mais je ne peux pas le faire maintenant. Même si tous m'ont déjà vu à l'action, je préfère ne pas attirer les soupçons. J'attends donc avec difficulté, prenant mon mal en patience.

Lorsque nous sommes tous prêts, nous descendons manger. Je laisse mon arc dans la chambre, mais prends tout de même mon épée. Il vaut mieux être prêts à tout.

Lorsque nous arrivons dans la pièce principale, l'ambiance joyeuse qui régnait tout à l'heure est toujours présente. De nombreux hommes et quelques femmes parlent fort, rient à gorge déployée et boivent autour de grandes tables. Les torches disposées aux murs plongent la salle dans une lueur jaune. Le patron de l'auberge, également barman, distribue des chopes à tout vient.

Après avoir laborieusement commandé à manger, nous nous asseyons dans un coin, à l'abri des regards.

— Et bien ! C'est bruyant par ici !

— Oh, il y en a aussi à Naamen, tu sais.

— Peut-être.

Lizenn se tait et balaie la pièce du regard.

— En tout cas, ils ont l'air de se faire plaisir.

Nos plats arrivent devant nous quelques minutes plus tard, nous embaumant d'une odeur piquante. Nous mangeons en silence, sans attirer l'attention. Je grimace face au goût acide de la nourriture mais finis quand même mon assiette. J'aurai bien besoin de force, demain.

Autour de nous, le ton commence à monter. Les jeux vont de bon train, et, bien vite, il nous devient impossible de nous entendre. Alors que nous nous apprêtons à nous lever pour nous coucher, un homme monté comme une armoire à glace nous aborde.

Tu ne viens pas jouer ? demande-t-il à Gama d'un ton bourru. Je vois pourtant que tu as de belles pièces.

Il nous regarde, Lizenn et moi, comme si nous étions des morceaux de viande, et relève les yeux vers notre compagnon, avec un sourire.

Je t'en prends une si je gagne. Je te laisse le choix du jeu.

— Elles ne sont pas à vendre... déclare Gama de sa voix dédaigneuse.

Si d'habitude, cette dernière me donne envie de lui mettre des claques, cette fois-ci, je remercie Gama de protester, bien que je ne sois pas sûre qu'il ait totalement saisit ce que lui a dit l'homme.

Bien que ça me déplairait pas de me débarrasser de celle-là, ajoute-t-il avec difficulté en lançant un regard noir à Lizenn.

Le salaup ! Je m'efforce de faire comme si je n'avais rien compris Lizenn, elle, fulmine. Elle a compris les grandes lignes de ce qu'il a dit, malgré ses nombreuses fautes. Le barbu rit plus fort que nécessaire et renchérit.

Allez, j'te la rend demain !

Mais Gama ne réussit pas à saisir ce qu'il dit. L'homme, qui commence à s'échauffer, s'avance encore d'un pas.

Espèce d'enfoiré ! Je t'ai pourtant demandé gentiment ! Apparemment avec toi, il faut employer la manière forte.

Il fait sinistrement craquer ses doigts.

— Merde, souffle Lizenn, qui semble avoir traduit les grandes lignes de ce qu'à dit l'homme.

— Qu'est-ce qu'il y a ? demande Noah, qui les a laissé se débrouiller jusque-là.

— Je crois que le gars veut notre peau. Et... l'une d'entre nous, ajoute-t-elle en ma faveur après une petite hésitation. 

— On doit s'en aller.

— Oui, venez ! On se dépêche.

Nous nous levons, mais notre opposant se dresse sur notre passage.

Où allez-vous comme ça ?

Immédiatement, j'essaie de trouver un moyen de nous en sortir. Si l'homme déclanche une bagarre, ici, tous ses amis se joindront à lui, et nous ne feront pas le poids. Essayant d'ignorer la peur qui me tord le vendre à l'idée de ce que je vais faire, je glisse à Lizenn.

— Dis lui que je l'accompagnerai.

— Quoi ? Non ! proteste Noah. On ne te laissera pas !

— C'est la seule solution. Je me débrouillerai, ne t'inquiètes pas.

Très bien, lance Lizenn au géant. Nous t'accompagneront, toutes les deux.

Je lui jette un regard, surprise. La rousse me sourit, déterminée.

— Tu pensais que j'allais te laisser te battre toute seule ? me chuchote-t-elle, l'air malicieuse.

— Merci.

Salut les gars ! Ce soir, vous finirez sans moi ! crie l'armoire à glace, victorieux, déclanchant des acclamations dans toute la salle.

— Mettez-vous à l'abri, soufflé-je aux garçons. On se débrouille.

Allez Thora ! Bonne nuit !

Je donne un petit coup à Lizenn pour attirer son attention et prends un air soumis. Elle fait de même et nous suivons le géant dans l'escalier principal. Je m'efforce de ne pas prendre mon arme en main, de peur d'attirer son attention dessus. Il nous faut garder l'avantage de la surprise.

Nous arrivons à l'étage, et Thora déverouille sa chambre. Nous le suivons, dociles. La princesse me lance un regard décidé et je comprends qu'elle a un début de plan. Lorsque nous sommes entrées, Lizenn s'approche soudain de lui, passe une main derrière sa tête et approche ses lèvres des siennes.

Et bien, tu es pressée ma belle.

Je vois la princesse frissonner de dégoût, mais elle reste droite. D'une poussée, elle emmène le géant sur le lit. Ce dernier resserre son emprise sur elle. Il semble avoir oublié ma présence. Parfait. Je balaye rapidement la pièce du regard, et finis par m'arrêter sur un petit tabouret. Ça fera l'affaire.

Sans un bruit, je me rapproche du lit, l'arme entre les mains. Pendant que je ne regardais pas, Thora s'est retourné et est désormais à califourchon sur Lizenn. Cette dernière acquiesce, presque imperceptiblement. Je prends un peu d'élan, et m'approche de l'homme.

Celui-ci, entendant le bruit, se retourne, mais il est trop tard. Le tabouret s'abat violemment sur sa nuque, et il sombre dans l'inconscience. J'aide Lizenn à se débarrasser du poids qui tombe sur elle.

— J'ai cru que j'allais vomir !

— Merci de l'avoir fait.

— C'est normal. Sacré coup de main d'ailleurs !

Je souris et ouvre l'armoire. Nous avons de la chance, plusieurs vêtements sont accrochés dans la penderie. Nous en prenons quelques-uns et entreprenons d'attacher Thora. Si tout ce passe bien, lorsqu'il se réveillera et se libérera, nous serons déjà partis. Je serre bien mon nœud. Il sera forcément moins efficace que s'il avait été fait avec une corde, mais nous avons appris à en faire avec n'importe quoi à la Ligue.

— Bon travail ! lancé-je à Lizenn.

Nous fermons la chambre à clé de l'extérieur pour plus de sécurité et prenons le chemin du retour. Lorsque nous arrivons dans notre chambre, Noah et Gama nous attendent déjà, inquièts. Nous leur faisons un bref récit de ce qui c'est passé.

— Il ne nous embêtera plus, conclus-je.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top