CHAPITRE 25 ✓
Je me campe sur mes deux pieds. Je n'en reviens pas. Le Maître est en face de moi ! Le revoir m'emplit de nostalgie et je lutte pour ne pas prendre des nouvelles de la Ligue. Je ne peux qu'essayer de lui prouver que je n'ai pas régressé, au contraire.
Je remarque que Léo nettoie son couteau. Il a fini de ramasser son plant et se dirige vers un deuxième, un peu plus loin. Je dois empêcher le Maître de le toucher. Et ça, ça ne va pas être facile.
Sans plus attendre, je bondis, projette mon bras vers lui et me retourne en l'air, feintant. Je reprends place face à son esquive. Nous enchaînons coups, attaques et défenses, virevoltant entre les arbres majestueux. La brise qui souffle depuis notre départ du bâtiment des Phénix s'intensifie, rendant le combat d'autant plus intéressant.
Mue par mon instinct, j'avance d'un coup. Peu à peu, je le laisse m'emplir et guider mes gestes. Les vieilles habitudes ressurgissent dans mon esprit alors que je me revois combattre mon adversaire il y a quelques semaines. Je m'écarte quelques secondes pour permettre à mon cœur de se reposer.
Soudain, la glace se brise et je fond sur mon adversaire. Je lui assène un grand coup de pied dans la jambe, qu'il évite sans problème puis me retourne pour l'attaquer sur le flanc. Il saisit ma manœuvre et se baisse pour m'éviter. J'atterris derrière lui et continue de combattre. Le Maître ne me laisse aucun répit. Je peine à bloquer tous ses coups et recule pour souffler quelques secondes.
Ma blessure à la joue me brûle mais je n'y fais pas attention. Je me concentre sur mon cœur, dont je m'efforce de ralentir les battements. Cependant, le Maître me fonce dessus avant que j'ai le temps de faire quoi que ce soit.
Je jette un œil sur Léo et croise son regard. Effrayé, il me fait un grand signe et je m'écarte précipitamment, évitant de peu le poignard de mon assaillant, qui profite de son élan pour me projeter contre un arbre.
Ma tête percute l'écorce et je lève les bras pour me protéger du coup suivant. Le monde tournant autour de moi, je marche difficilement en arrière. Dès que l'effet d'hallucination disparaît je m'avance à nouveau tandis que mon adversaire attend que je fasse le premier pas.
Je plonge et taillade sa jambe gauche Je ne réfléchis plus. Je bouge à la vitesse de l'éclair, virevolte, cheveux au vent. C'est comme si quelque chose s'était débloqué en moi : pour la première fois, je me sens puissante.
Alors que la cicatrice sur ma joue me brûle encore, le Maître abat sa lame sur mon épaule. Ma grimace est peu à peu remplacée par un sourire lorsque je comprends que cela aurait pu être bien pire : j'ai réussi à bloquer un peu le coup, rendant la blessure minime.
Mais, avant que j'ai le temps de comprendre ce qui ce passe, le Maître repart à l'attaque, ne me laissant aucune répit. Malgré ma défense acharnée, je sens que je perds du terrain. Alors qu'il pourrait facilement en finir avec moi, je le vois me jetter un regard éloquent avant de me laisser une grande ouverture.
Je comprends alors où il veut en venir. Il doit perdre, pas gagner. Je secoue la tête : j'avais oublié le but de notre rencontre. Haletante, j'exécute la manoeuvre finale et pose mon poignard sur le cou de mon adversaire. Après un petit clin d'œil discret, il s'éloigne en courant. J'inspire longuement et rejoins Léo, ne pouvant m'empêcher de sourire. Ça m'a fait du bien de revoir mon professeur.
- Merci... souffle mon petit frère en finissant de ranger les herbes dans sont sac.
Je lui tends une main encore tremblante et l'aide à se relever. Il époussète ses vêtements sales et se campe sur ses deux jambes. Son regard se dirige vers ma tête et il équarquille ses deux grands yeux marrons.
- Sky ! s'exclame-t-il. Par tous les dieux !
Je fronce les sourcils. Oui, ma joue me fait mal. Mais normalement, la blessure n'est pas trop grave... Je porte la main à mon visage tâte doucement ma peau à vif. Mes doigts se retrouvent immédiatement teintés de rouge.
- Tu saignes beaucoup ! La blessure est grande ? s'inquiète mon frère.
- Non... Je ne crois pas...
- Attends, viens là.
Le vent s'est presque calmé, mais il reste rafraîchissant. Je laisse Léo m'asseoir et plonger dans son sac. Il ressort une gourde d'eau grise qu'il s'empresse d'ouvrir. Alors que je m'attends à ce qu'il verse son contenu sur ma joue, il se met sur la pointe des pieds pour voir ce qu'il fait. Je comprends alors d'où vient le sang : j'ai dû m'ouvrit un peu la tête lorsque je me suis pris l'arbre. Je soupire d'aise quand le liquide vient soulager ma chair meurtrie. L'eau retombe sur le sol, colorée de rouge. Mon frère répète les mêmes gestes sur ma joue et il s'éloigne.
- Voilà, c'est mieux. Je te donnerai un cicatrisant chez les Phénix.
- Merci ! m'exclamé-je, soulagée.
Je me sens mieux. L'eau a atténué la douleur de la blessure, me laissant avec une simple brûlure, et ma tête ne me lance plus. Quant à la plaie à mon épaule, elle ne saigne déjà plus.
- Il faut qu'on y aille. Tu viens ?
- J'arrive !
Nous marchons dans les plaines herbeuse qui séparent le bâtiment des Phénix à la ville. Je prends la main de Léo et pars en sautillant, l'entraînant avec moi.
Nous marchons rapidement, malgré la fatigue qui me prend, jusqu'au poste du garde, qui nous laisse passer avec un petit signe de tête.
Arrivés à la grande porte que j'ouvre doucement, nous apercevons la vieille dame qui enseigne l'art de la guérison - Madame Lolera, si je me souviens bien - à Léo. Elle se précipite vers nous et s'écrie, soulagée :
- Sky ! Maurice ! Vous êtes rentrés !
- Bonjour, madame Lolera. Oui, nous avons les plantes, je lui réponds en souriant.
- Mais tu es blessée ! s'inquiète-t-elle en prenant mon visage dans ses mains.
- Tout va bien, ne vous inquiétez pas.
- Tant mieux. Vous êtes attendus dans le bureau de Shangha. Je vous conseille de ne pas traîner, enchaîne notre interlocutrice aux cheveux argentés. Il n'aime pas trop attendre.
- D'accord, merci Madame.
Léo m'entraîne vers la partie gauche du rez-de-chaussée, dans laquelle se trouvent les bureaux.
- Heu... Juste une question. C'est qui, ce Shangha ? je demande, curieuse.
- C'est le dirigeant des guérisseurs. Il a l'air un peu bourru, mais au fond il est gentil.
- D'accord, merci.
Nous nous taisons à nouveau et arrivons devant une porte ornée d'un trèfle vert. Faite de bois foncé, elle est grande et paraît usée par le temps.
Je tape trois coups distincts. Quelques secondes plus tard, des pas se font entendre et la porte s'ouvre sur un homme quadragénaire. Il a un faciès élégant, malgré ses cheveux grisonnants. La couleur de ses yeux est semblable à un ciel d'été, bleu et sans nuages.
- Entrez donc ! nous propose-t-il en s'écartant, me laissant voir l'intérieur de la pièce.
Petite et chaude, la salle sent l'herbe fraîchement coupée. Au centre trône un bureau de bois, à côté duquel un autre homme est assis. Et, malheureusement, ce n'est pas n'importe qui.
- Bonjour, Sky, lance une voix mielleuse. Je suis heureux de te voir.
Je me contracte aussitôt. De tous les professeurs du bâtiment, il a fallut que ce soit lui qui vienne m'accueillir. J'ai une poisse énorme. Je sens la main de Léo sur mon épaule et m'efforce de détendre mes muscles.
- Tu ne me dis pas bonjour ? ricane doucement le combattant.
Je déglutis mais réponds :
- Bonjour, professeur Lorin.
Cet homme me dérange. Avec lui, j'ai l'impression de ne rien maîtriser, et j'ai horreur de ça. À mon arrivée ici, nous nous entendions déjà peu. Mais, petit à petit, notre paix fragile s'est dégradée, et maintenant, j'ai l'impression qu'il me voue une haine sans fin, et c'est réciproque.
- Asseyez-vous, reprend Shangha, qui n'a pas l'air de se rendre compte de la tension qui règne à présent dans l'air.
Je tire donc la chaise la plus loin de Lorin et m'assois, imitée par mon frère qui se pose juste à côté de moi. Le chef des guérisseurs, quant à lui, se pose derrière son bureau, ses mains bien à plat sur le bois.
- Bon. Fais moi voir ce que tu as récolté.
Léo saisit son sac et le tend à Shangha. Il l'ouvre et étale notre butin sur ses papiers. Tout en hochant la tête, il continue le dialogue.
- Tout s'est bien passé ? Tu saignes ? me demande-t-il.
- Nous avons été attaqués, je déclare.
Le maître guérisseur fronce les sourcils. Il a vraiment l'air préoccupé. Tant mieux. Malgré tout le respect que j'ai pour lui, il reste mon ennemi.
- Où ? Par qui ?
- Là où étaient les plantes. Ils étaient plutôt bien entraînés.
C'est un bel euphémisme que de dire ça, ricané-je intérieurement.
- Et tu les as battus ? questionne le guérisseur. Ils étaient combien ?
- Oui. Ils étaient trois adultes.
Je me retiens de leur dire que, contrairement à eux, ils n'envoient pas d'adolescents en mission de suicide sans qu'ils soient au courant. Ce serait très très mal placé.
- Maurice, as-tu été touché ?
- Non, monsieur. Sky a remplit son rôle à merveille.
Je souris en l'entendant vanter mes mérites.
- Bien. Racontez-moi en détail ce qui s'est passé.
Pendant plus d'une dizaine de minutes, nous expliquons précisément ce qui s'est passé.
- Vous allez me faire croire que Sky battu trois adultes correctement entraînés à elle seule ? susurre froidement Lorin.
- Suggérez-vous que vous m'ayez mal entraîné ? je réplique en le fusillant du regard.
- Il ne me semble pas t'avoir enseigné le combat contre plusieurs adversaires ! s'exclame le professeur.
- Paix, mon ami, intervient Shangha en se levant, sa grande silhouette intimant le silence.
Lorin se tait immédiatement, mais je lis dans son regard flamboyant qu'il n'en a pas fini avec moi. Je serre les dents pour ne pas aggraver la situation, même si j'ai bien envie de lui crier quelques malédictions.
- Bon. Lorin, je vais te demander de me répondre honnêtement. Sky est-elle capable de vaincre trois hommes armés et entraînés ?
Des hommes entraînés, oui. Mais la vérité est que c'était des agents de la Ligue. Ils sont plus qu'entrainés et je n'aurai jamais pu en vaincre trois. Mais ça, ils n'ont pas besoin de le savoir.
Avec un grognement de rage, l'homme aux yeux verts siffle :
- Oui. Elle le peut.
Je soupire de soulagement.
- D'accord.
Il se lève et s'approche de moi.
- Sky Marinier, tu as réussi ta mission. Acceptes-tu de devenir la protectrice de Maurice Marinier ?
J'écarquille les yeux. J'ai déjà entendu parler des protecteurs. Ce sont des guerriers qui combattent toute leur vie pour le même guérisseur, qui le protègent et l'aident dans ses quêtes. Je crois même que le Maître est celui de Plante, notre soignante à la Ligue.
Léo sourit. Je sais ce que ça signifie pour lui : si j'accepte, il deviendra un guérisseur à part entière. Et je lui dois bien ça. De plus, ça me permettra de m'assurer qu'il ne lui arrive rien, ma priorité dans la vie.
Alors, j'incline légèrement ma tête en avant et prononce :
- Moi, Sky Marinier, j'accepte de devenir la protectrice de Maurice Marinier.
Léo accepte à son tour et Shangha me demande de répéter après lui.
- Je m'engage à protéger Maurice Marinier jusqu'à mon dernier souffle...
Je prononce ces paroles.
- Je fais le serment de ne jamais le laisser tomber...
- Et que je ferais de mon mieux pour le garder en vie, quel qu'en soit le prix à payer.
Je me tais, ayant terminé. Effectivement, les guérisseurs sont les premières cibles des ennemis, car sans eux, il y aurait beaucoup plus de morts et blessés graves.
- Vous êtes maintenant liés, et ce jusqu'à la mort. Vous pouvez disposer.
Nous sortons et Léo m'embrasse sur les deux joues. Ce serment n'ajoute rien à ma vie déjà bien remplie. Car lorsque j'avais huit ans, je m'étais juré de protéger mon petit frère pour la vie. La seule chose qui change, c'est que cette fois-ci, il en est conscient.
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