CHAPITRE 13 ✓

C'est le jour de mes huit ans. Je me réveille tôt, toute excitée à l'idée qu'aujourd'hui, je gagne une année. Huit ans, c'est grand. J'ai toujours été fascinée par le fait qu'un jour, on se sente plus vieux que la veille, comme ça, alors qu'en soit ce n'est qu'une journée de plus.

Je me précipite vers mon armoire et réfléchis à la tenue idéale à porter pour ce jour si particulier. Il faut que je trouve quelque chose de bien sinon mes parents vont me mettre en robe, ce que je déteste par dessus tout. Les robes, c'est pour les princesses. Moi, je ne veux pas en être une : je veux être une guerrière.

Je finis par opter pour un joli tee-shirt imprimé de mon héroïne préférée : Elenor. Depuis que j'ai appris à lire, je ne lâche plus ce livre. Je l'ai déjà lu trois fois. Je ne m'ennuie jamais avec : les récits de batailles et de victoires inespérées sont à mes yeux les plus intéressants.

Elenor est la fille la plus forte du monde. Elle combat plein de méchants super puissants à l'aide de ses armes et de ses pouvoirs de démone. Mon plus grand rêve est de lui ressembler. Le soir, dans mon lit, je m'imagine souvent en tenue de combat, deux épées noires de nuit dans les mains, les cheveux au vent. Mais, le problème, c'est que je finis toujours par m'endormir et je n'ai jamais le temps de finir ce que je voulais faire...

Perdue dans mes pensées, j'enfile le tee-shirt et passe un large pantalon noir. Après m'être passé de l'eau sur le visage comme me l'a si souvent répété maman, je file réveiller mon petit frère, qui dort encore dans la chambre à côté de la mienne.

- Léo ! Léo ! Réveille-toi !

Il n'a que quatre ans, mais hier il m'a promis d'être le premier à me souhaiter un bon anniversaire. Je n'ai pas envie qu'il brise sa promesse parce qu'il dormait ! Il ouvre deux petits yeux ensommeillés et me dit d'une voix faible :

- Alissandre ? Il se passe quoi ?

Je le regarde, les yeux brillants et il se lève d'un coup, soudain totalement réveillé.

- Mais... C'est ton anniversaire ! Joyeux anniversaire Alissandre ! crie-t-il en me sautant au cou.

Je recule sous le poids de mon frère mais j'essaie de ne pas le montrer. Il est si mignon ! Je ne voudrais pas lui faire de la peine...

- Merci Léounet !

Je souris devant le surnom affreux que je viens d'inventer. Mon petit frère me regarde, les sourcils froncés.

- Tu préfères Léonounet ? demandé-je en souriant.

- C'est encore pire ! pleurniche-t-il.

- D'accord ! Bon bah on garde Léo alors ?

- Oui ! s'exclame Léo, sa petite bouche formant à nouveau un sourire éclatant.

Je lâche mon petit frère et sautille de partout, impatiente. Mes parents m'ont bien dit qu'il ne fallait pas les réveiller avant huit heures. C'est tard, pour une quelqu'un d'énergique comme moi !

Pour éviter de me mettre à crier comme une hystérique, je sors dans le jardin pour courir. Cela m'a toujours détendue et me permet d'évacuer mon trop plein d'énergie. Je suis comme ça. Une bombe à retardement, prête à exploser.

Je cours bien vingt minutes. Enfin je crois. Je n'ai jamais eu une bonne notion du temps qui passe. En tout cas, je comprends que je l'ai encore mal évalué quand Léo sort de la maison, me criant qu'il en a marre d'attendre tout seul, que le temps devient long.

Je reviens vers lui, quelque peu honteuse de l'avoir laissé s'ennuyer ainsi. Cependant, je sens que je n'ai plus envie de taper dans tout ce qui bouge alors je ne regrette pas d'être sortie.

- Excuse-moi... J'avais besoin de décompresser. Je suis tellement excitée !

- C'est pas grave, me rassure-t-il, je comprends. Ce serait vraiment dommage que tu abîmes mon cadeau !

Je souris. Léo est adorable. Je lui fais un gros câlin et nous rentrons main dans la main à l'intérieur de la maison.

Maman est en train de préparer le petit-déjeuner. Deux grosses crêpes nous attendent déjà, l'une fourrée au chocolat pour mon frère et l'autre à la confiture d'orange. C'est la mienne. J'ai toujours adoré le goût acidulé de l'orange.

Le seul problème, c'est qu'il me donne encore plus d'énergie. Heureusement que je suis allée courir ! Tout sourire, je me jette dans les bras de maman. Elle me serre fort et me caresse le dos.

- Bon anniversaire, ma chérie !

Une larme coule sur sa joue. Elle s'empresse de l'essuyer mais j'ai le temps de la voir.

- Tu vas pas bien maman ? Tu es triste ? demandé-je, intimidée.

Elle sourit et me prend les épaules.

- Tout va bien, ma puce. C'est juste que je suis tellement fière de toi !assure-t-elle.

Sa voix tremble un peu mais je n'y fais pas attention. Une chaleur emplit doucement mon corps et je me sens bien. Je souris et vais faire un gros câlin à mon papa qui vient d'entrer, deux paquets dans les mains.

Il les pose sur la table et me prend dans ses bras.

- Comment va ma petite fille ? s'enquit-il de son habituelle voix grave.

- Maintenant que tu es là, je vais super bien !

Il sourit et je décèle un éclat de tristesse dans son regard. Je ne relève pas, parce que je me dis que c'est comme maman : ça lui fait mal de me voir grandir.

Je mange ma crêpe en vitesse, pressée d'ouvrir mes cadeaux. Dès que j'ai fini et que mes parents me donnent l'autorisation, je saisis le premier.

C'est un gros paquet tout mou. Et les gros tous mous cachent souvent des vêtements. Je me dépêche d'arracher le papier et reste bouche bée. Devant moi se trouve une magnifique tenue de combat noire. Je cligne plusieurs fois des yeux et me pince pour vérifier que je ne rêve pas.

- Ça te plaît ? me demande papa.

- C'est... C'est le meilleur cadeau que j'ai jamais reçu ! Merci !

Je ne suis pas loin de pleurer. Maman me montre le deuxième paquet et je retiens mes larmes. Mais, quand je l'ouvre, je ne peux pas m'empêcher de crier plus fort que jamais, des sillons mouillés se créant sur mes joues.

Je regarde mes parents, encore toute chose et me réfugie dans leurs bras.

- Merci !

Ils m'ont offert deux magnifiques poignards courbés, gravés de runes étranges. Ce sont les plus beaux cadeaux de ma vie. Revenant près d'eux, je touche délicatement le métal de ma main, secouée. Tremblant sous l'émotion, je le soupèse délicatement : il est parfait.

Léo s'approche à son tour et me tend une feuille de papier. Je la retourne et découvre un dessin représentant notre famille. Je le serre dans mes bras en lui murmurant que je le garderai toute ma vie, puis cours enfiler ma tenue de combat.

- Papa ! Tu peux m'apprendre à combattre ? demandé-je, pressée de mettre à profit mes lectures.

Mon père travaille auprès du roi. D'après ce que j'ai compris, il s'occupe du recrutement des soldats de sa garde personnelle. Il est très proche de Naamen, et sa position nous a toujours assuré une bonne situation de vie, d'après maman.

- Je peux te montrer quelques bases, mais d'abord il va falloir m'écouter, commence-t-il.

Je le suis donc dans le jardin, mes nouvelles armes en main. Il me fait assoir par terre et je me demande pourquoi.

- Bien. Avant d'apprendre à combattre il faut que tu comprennes bien quelque chose. Tes poignards peuvent blesser quelqu'un. Blesser, et même tuer. C'est pourquoi il faut que tu fasses extrêmement attention à ce que tu en fais, et à pourquoi tu les utilises.

Je réfléchis quelques secondes à ce qu'il me dit puis hoche la tête.

- Si tu provoques quelqu'un et qu'il voit tes poignards, surtout quand tu seras plus grande, il risque de te prendre pour une menace et ne retiendra pas ses coups. Tes armes peuvent te sauver la vie, mais elle peuvent aussi causer ta perte. Ne l'oublie jamais.

Les yeux écarquillés, je prends lentement conscience des propos de mon père et de leur véracité.

- C'est promis, assuré-je.

- Bien, alors tu peux te lever. Cela fait déjà beaucoup pour une petite fille comme toi ! rit-il en me pinçant la joue. On va passer à la pratique.

- Je ne suis pas petite ! protesté-je en me mettant tout de même debout, pressée de commencer.

Mon père récupère son arme, une longue épée et s'approche de moi.

- Nous avons choisi des poignards, parce qu'étant de petites armes, tu peux les manier sans trop de difficultés à ton âge et que tu peux les dissimuler facilement. De plus, tu pourras les garder toute ta vie.

Je me rends soudain compte de la valeur de mon cadeau et serre d'autant plus mes poignards contre moi, buvant avidement les propos de mon géniteur.

- Contre une longue épée, tu n'as aucune chance si tu restes éloignée. Les poignards sont fait pour le combat rapproché, m'apprend-il. Voyons voir comment tu te débrouilles.

Nous combattons pendant un long moment, tantôt en improvisant, tantôt grâce aux indications de mon père.

- Tu t'y prends bien ! me félicite-t-il une fois que notre entraînement est terminé. Tu as ça dans le sang, c'est sûr.

Je suis aux anges, comblée. La journée se termine rapidement dans la joie et la bonne humeur. Le soir, après un gros baiser appuyé de mes parents, je m'endors dans ma tenue de combat, bercée par les ronflements de Léo.

Je suis réveillée en plein milieu de la nuit par une grande chaleur et une odeur de brûlé. Encore endormie, je remarque un papier jauni posé sur mon ventre. J'allume la lumière et lis le simple mot qui se trouve dessus : "Adieu".

Soudainement bien réveillée, je jaillis du lit et cours dans la chambre de mes parents. Et là, horreur ! Ils ne sont plus là ! À la place, un feu brûle, se répandant facilement dans notre maison faite de bois.

La panique m'enserrant le cœur, je fais le tour de la maison et dois me rendre à l'évidence : mes parents que j'aime tant sont partis. D'où le "Adieu" marqué sur le papier.

Retenant mes larmes, je cours chercher Léo et le secoue.

- Vite ! Lève toi !

Il dort seulement en slip vu la chaleur, alors je l'aide à s'habiller.

- Alissandre ? Pourquoi ça sent le brûlé ?

- Tout va bien, Léo, essaie seulement de faire vite, je tente de le rassurer.

Même lui remarque l'absurdité de ma réponse mais il se garde de répliquer, ce dont je lui suis extrêmement reconnaissante.

- Alissandre ! J'ai envie de faire pipi !

- Oh non Léo ! Il faut qu'on se dépêche !

- Je ne peux pas me retenir !

En même temps, ses habits seront sûrement les seuls dehors, alors il vaut mieux qu'ils soient propres. Saisissant mes poignards posés sur la table de chevet et fourrant son dessin dans une de mes poches, je prends la main de mon petit frère et l'emmène aux toilettes.

- Léo. Il faut que tu fasses le plus vite possible d'accord ! C'est pas grave si tu en mets à côté ! le pressé-je.

Il hoche la tête d'un air déterminé et entre dans les toilettes heureusement intacts. Quand je me retourne, je m'aperçois que notre chambre commence à être ravagée par les flammes.

Je veux pleurer mais je me retiens. Il faut que je reste calme, pour Léo. Je réfléchis à ce que ferait Elenor et m'empresse d'aller aider Léo à s'essuyer.

- C'est bon ?

- Oui !

Je lui prends la main et nous courons dans la maison en évitant d'approcher trop les flammes. Mais la porte d'entrée est bloquée par celles-ci. Derrière nous, l'incendie se rapproche, meurtrier.

Alors, je me décide. C'est ce qu'Elenor ferait. Si elle le peut, moi aussi. Emplie d'une détermination soudaine, je fais monter Léo à califourchon sur mon ventre. Je ploie sous son poids mais résiste et reste debout.

- Léo. Il faut que tu t'accroches de toutes tes forces, d'accord ?

Il hoche la tête et mon instinct de survie prend le dessus sur ma raison.

Je recule pour prendre le plus d'élan possible et m'élance. Je cours aussi vite que mes jambes me le permettent, et peut-être même plus.

Et, faisant un grand bon, je franchis les flammes, ouvre la porte et me précipite dehors, tombant à terre. Je me relève, prends une grande inspiration, et repars. Je ne m'étais pas rendue compte qu'à l'intérieur, l'air était plein de gaz.

Après m'être éloignée, je fais descendre Léo et nous regardons ce qui reste de la maison partir en fumée. Mais une chose encore plus horrible me tire le ventre.

Mes parents, que je croyais parfaits, nous ont abandonnés, Léo et moi après avoir mis le feu à notre maison.

Je regarde mon petit frère, qui a tout compris, puis ma maison en cendres. Et, malgré mes deux poignards, rangés dans leurs fourreaux et la main de Léo, serrée dans la mienne, je me sens soudain très seule.

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