CHAPITRE 10 ✓

L'entraînement sportif se termine assez rapidement. Un silence écrasant s'installe entre Elena et moi, qui exécutons les tâches dictées par Lorin sans un bruit. Ce dernier se désintéresse par ailleurs très rapidement de nous, pour aller parler à un autre professeur présent lui aussi dans la salle.

Je ne peux m'empêcher de repenser au duel et je ne vois que deux solutions : soit la jeune fille aux yeux violets a un talent inné pour le combat, soit elle s'est entraînée avant d'arriver chez les Phénix. J'ai vu les autres élèves combattre et je peux affirmer, grâce à leurs performances peu élevées, que ce n'est pas l'organisation dans laquelle nous sommes qui lui a appris tout ce qu'elle sait.

- Tu as fait exprès de ne pas me blesser gravement, intervient soudain ma coéquipière, sourcils froncés.

- Comment ça ? demandé-je, voyant néanmoins très bien où elle veut en venir.

- J'ai vu comment tu as combattu. Si tu avais voulu que ton poignard me transperce le bras, ou même le ventre, il s'y serait planté. J'étais entièrement à ta merci.

- Oui, avoué-je.

- J'apprécie ce geste, même si je le trouve très dévalorisant, m'assure-t-elle avant de s'éloigner, me laissant dans mon incompréhension.

Dès que Lorin nous en donne l'autorisation, je quitte la salle, ravie de m'éloigner de lui. Le cours suivant, sur l'histoire de l'Ernakan, et plus particulièrement les relations entre les royaumes dans le passé, ne m'apprend rien que je ne savais pas. La Ligue m'a déjà enseigné tout cela depuis bien longtemps.

Profitant d'une heure de pause avant le repas de ce soir, je décide de rendre visite à Léo. Seul connaisseur des identités et positions des agents que le Maître a posté pour que nous puissions l'informer, mon frère est le membre le plus en danger de notre équipe, et je n'aime pas ça.

Je me dirige donc vers l'aile des guérisseurs, au deuxième étage elle aussi, afin de répondre à l'éventualité d'une blessure en sport. Et même après plusieurs essais, je ne peux comprendre comment les novices font pour s'endurcir s'ils ne souffrent pas un peu. Si à la moindre goutte de sang, ils finissent à l'infirmerie, ils sont mal partis.

Alors que je parcours les couloirs, je croise Matt, au milieu d'autres garçons. Il ne me regarde pas, mais je sais qu'il m'a vue. Il croise les doigts de sa mains droite, pendant le long de son corps. RAS. Comprenant où il veut en venir, je ferme mon poing et laisse mon index pendre. J'ai quelque chose, c'est assez important. Puis je pose ma main sur mon ventre, dessinant une blessure. Je vais voir Léo.

Il hoche imperceptiblement la tête et me dépasse sans me jeter un regard, comme s'il ne s'était rien passé. Souriant, je revois le jour, où, pour nous amuser, nous avons inventé ce langage codé, propre à notre équipe.

Ce jour-là, il y a plus de trois ans, était le début de deux longues semaines de vacances. Ne sachant quoi faire nous nous étions réunis avec notre équipe pour réfléchir à quelques activités que nous pouvions exercer. Le temps dehors était pluvieux et nous n'avions aucune envie de finir trempés, d'autant plus qu'il faisait un froid à couper le souffle.

C'était Ashley, ayant à cette date tout juste douze ans, qui avait émis l'idée de créer un langage signé. Cela pourrait nous occuper pendant de nombreuses heures. Nous avions tous adhéré à ce projet et nous étions empressés de commencer à établir un codage, déterminés.

Pendant deux semaines, nous avions passé notre temps à chercher, inventer, et mémoriser tous les signes possibles. Dès que vous voyions une défaillance dans notre système, nous inventions un autre mot, et tout reprenait. Jamais nous ne pensions à cet instant que ce jeu nous servirait à l'avenir, mais on ne sait jamais ce qui peut arriver...

Reprenant mes esprits, je m'empresse de rejoindre mon frère. Très protectrice avec lui depuis mon plus jeune âge, il m'est difficile de le laisser se débrouiller seul longtemps, même si je fais des efforts. Cependant, je sais que toute cette attention lui fait plaisir et l'aide à prendre confiance en lui.

Arrivée dans l'espace réservé aux guérisseurs, j'entreprends de jeter un œil à travers les portes ouvertes, cherchant mon frère. Après quelques essais infructueux, je finis par l'apercevoir, penché sur une plante à l'aspect étonnement repoussant : dotée de longues feuilles grasses au bout plein de poils, elle est d'un vert sale. Je toque doucement, ne voulant pas le déranger dans son travail, et une femme que je n'avais pas vu vient m'ouvrir.

Je me retrouve devant une dame souriante, avec des yeux marrons, rieurs et emplis de bonté. Sa chevelure gris argenté, coupée aux épaules, vient joliment encadrer son visage parcheminé de rides. Tout en elle respire la paix, l'honnêteté et le respect des autres, des valeurs merveilleuses.

- Bonjour, jeune fille ! Que me vaut le plaisir de ta visite ? me demande-t-elle d'une voix douce et chaleureuse qui correspond très bien à l'image que je me faisais d'elle.

- Bonjour, je suis venue voir mon frère, Maurice, expliqué-je sans pouvoir m'empêcher de sourire.

- Tu dois donc être la valeureuse Sky ! Ton frère m'a déjà beaucoup parlé de toi. Je suis sa tutrice, madame Lolera.

La dame âgée s'écarte et je pénètre dans la petite pièce. De nombreuses plantes sont posées sur les meubles ou sèchent sur les murs et des cataplasmes en cours de réalisation sont entreposés sur un grand plan de travail. Éclairée à l'aide de nombreuses torches et d'une fenêtre prenant la presque totalité d'un mur, la salle est lumineuse et accueillante.

Je m'approche de Léo, qui s'est relevé et lui ébouriffe gentiment les cheveux. Il se nettoie les mains avant de se tourner vers moi.

- Comment ça va ?

- Super ! Je suis en train d'etudier de l'amnorière. Cette plante permet à la peau de cicatriser plus vite et sans laisser de trace, m'explique-t-il en désignant les feuilles repoussantes.

- Super ! C'est dommage que tu n'aies pas connu ça avant, ça nous aurait aidé d'en avoir pendant notre voyage jusqu'ici.

- Ce n'est pas faux. Madame Lolera dit que bientôt, on ira en chercher ensemble, puis que, quand j'aurais mémorisé l'endroit et la manière de les récolter, je pourrais y aller seul, dans le calme et la sérénité des lieux qui sont propres aux guérisseurs, m'informe mon frère.

- Mais c'est super ! Tu pourras en apprendre beaucoup plus ! m'exclamé-je, ravie. Par contre, tu es sur qu'il ne vaut mieux pas que je t'accompagne ? demandé-je.

En effet, que Léo ait déjà abordé le fait de sortir avec les guérisseurs veut dire qu'il pourra rapporter au plus tôt nos informations et estimations au Maître. Et plus on gagne de temps, plus on pourra les prendre par surprise.

- Les lieux où les guérisseurs vont chercher leurs biens sont sacrés, jeune fille. La violence et la haine n'y ont pas leur place, intervient calmement madame Lolera. Tu n'y serais pas tolérée.

- Oh, je comprends... murmuré-je.

Je souris intérieurement : Léo ne sera pas accompagné par des gardes, il lui sera donc plus facile de faire un petit détour par la ville et ainsi informer les agents postés.

- Madame ? Je dois aller chercher des herbes dans la réserve, mais j'ai un peu peur du noir. Sky peut-elle m'accompagner ? demande soudain Léo, ce qui me confirme qu'il a compris que je voulais lui dire quelque chose.

- Bien sûr, mon petit, vas-y ! se réjouit la vieille femme.

Je sors donc de la pièce, suivie de près par Léo, qui prend les devants. Il me mène jusqu'à une petite porte donnant sur un escalier mal éclairé.

- Elle a l'air d'être une crème, ta tutrice. Tu as eu de la chance, commencé-je.

- Oui, elle me laisse faire ce que j'ai envie et surtout, ne me brusque pas, éclaircit Léo. Comment s'est passé son après-midi ?

- Et bien, j'ai eu sport. Je me suis battue contre une autre fille, Elena mais aucune d'entre nous n'a réussi à vaincre l'autre, avoué-je.

À ces mots, Léo écarquille les yeux.

- Vraiment ?

- Oui...

Je décide de garder pour moi mon impression de la connaître tant que je ne serai pas sûre de ce que j'avance.

- Nos parents m'entraînaient mieux que notre professeur. Le niveau ici est plus bas que ce que je pensais, dis-je soudain.

- Ah oui ?

- Oui, je pense qu'ils n'ont pas eu d'entraînement avant de venir ici. C'est leurs débuts, ça se voit. Mais bon, il y en a au moins une avec qui les combats vont être pimentés, argumenté-je, donnant au passage un maximum d'informations à mon frère.

Ce dernier hoche la tête, signe qu'il a compris puis saisit quelques paquets en tissu et me fait comprendre que je peux y aller. Nous retournons dans la salle, bavardant à voix basse pour ne pas déranger les autres guérisseurs.

Je reste encore quelques minutes pendant lesquelles madame Lolera m'explique ce qu'elle et Léo font et feront pendant les prochains mois. Je comprends alors quelque chose : si on peut entrer ici plutôt facilement, en sortir est plutôt ardu, voire impossible.

L'esprit empli par cette révélation, je finis par quitter mon frère, après un encouragement de sa part pour la suite. Décidée à retourner dans les appartements, j'arpente les couloirs jusqu'à eux. Lorsque j'arrive, aucune de mes camarades de chambre n'est présente. Cela me convient : j'ai besoin de réfléchir un peu à tout ce qui s'est passé aujourd'hui.

Cependant, Elena ne semble pas être du même avis que moi. À peine ai-je fermé les yeux que la jeune fille aux yeux violets entre dans la pièce, pose ses dagues sur son lit et me regarde fixement. Résignée, mais surtout intriguée, je me relève, attendant ses paroles à venir.

- Peut-on faire un bras de fer ? demande-t-elle de but en blanc.

Hochant la tête, je l'aide à déplacer sa table basse afin qu'elle se trouve entre nos deux lits et me pose d'un côté. Mon coude contre le bois, j'attends que la main d'Elena vienne trouver sa place dans la mienne. Je suis étonnée par la rudesse de sa peau ferme qui semble être dûe à de nombreux entraînements.

La jeune fille me regarde, puis finit par lancer le départ du bras de fer.

Mes muscles se contractent et je force contre son bras. Concentrée à l'extrême, je dose l'intensité de la pression que j'effectue sur son poignet. Ni trop fort pour m'économiser au cas où cela durerait, ni trop faible pour qu'Elena ne me batte.

Je ne réfléchis pas et me laisse porter par le jeu. J'adore ce genre d'activité, mais n'en fais pas souvent. Cela ne m'étonnerait pas que mon adversaire gagne : je n'ai désormais aucun doute sur ses compétences et sa force maintenant que je l'ai vu combattre.

Cependant, une autre option trotte dans ma tête et j'ai envie de voir si elle va être vérifiée. Je pense que c'est pour ça qu'Elena m'a demandé un exercice de force. Elle doit connaître les égaux et veut savoir si nous en sommes bien. C'est l'explication la plus plausible.

Le bras de fer se prolonge. Aussi, je décide de mettre toute ma force dans une tentative de mort subite. Je me prépare à utiliser toute ma puissance. Et, alors que je m'apprête à pousser, Elana me prend de court en lançant une soudaine offensive brutale.

Elle a fait exactement la même chose que moi. Ou plutôt que je voulais faire il y a deux secondes. Je riposte en forçant de toute ma puissance. Mon bras tremble tout comme celui de ma partenaire. Ce n'est plus un combat : nous luttons désormais ensemble, pour voir si nous allons résister ou non.

Nous nous regardons désormais dans les yeux. Yeux violets et yeux orangés. Quel assemblage étrange... Nous voulons toutes les deux voir si notre théorie est la bonne. Je sais qu'Elena pense la même chose que moi.

Et, tandis que nos bras lâchent en même temps, tremblants de fatigue, je comprends que j'ai vraiment trouvé mon égale.

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