CHAPITRE 1 ✓

Je cours dans les rues tortueuses de la ville. Mon cœur, dont je surveille le rythme, bat régulièrement dans ma poitrine. Mes chaussures martèlent les pavés, produisant de petits claquements secs. Les rues à cette heure-ci sont peu peuplées et les gens se retournent sur mon passage, intrigués par ma course effrénée. Je fais bien attention à ne percuter personne, zigzaguant entre les différents obstacles.

Mes poursuivants sont de plus en plus loin, mais je les entends encore. Je continue ma course, serrant le petit rectangle que je leur ai dérobé contre mon ventre. L'objet ancré dans ma main, à l'apparence inutile, pourrait bien se révéler capital. Je prends donc toutes mes précautions pour semer les soldats à mes trousses. La capitale de notre royaume, Xeras, est connue pour ses maisons entassées les unes sur les autres, et ses petites rues sombres, mais je les connais par cœur, ce qui me permet de m'éloigner peu à peu d'eux.

Lorsque je suis sûre qu'ils sont loin, je grimpe avec agilité au sommet d'une maison aux murs de pierre et entreprends de me débarrasser de mon déguisement. Commençant par le haut, j'enlève rapidement la perruque qui me faisait ressembler à un homme, laissant mes longs cheveux roux apparaître.

Après cela, je me change et laisse tout ce qui est superflu sur le toit. Je glisse le carnet dans une des poches de ma tenue noire et vérifie la rue dans laquelle je vais atterrir. Ne voyant pas de soldats à l'horizon, je prends une grande inspiration, puis saute de mon refuge et me réceptionne en une roulade.

Je grimace en sentant la blessure sur mon ventre se rouvrir, mais adopte néanmoins un visage décontracté et me rends au lieu de rendez-vous. Tandis que j'avance, j'entends les disciples du roi continuer leurs recherches. Ils peuvent toujours essayer : le garçon qui leur a causé du souci a désormais cessé d'exister.

Je marche tout de même rapidement, encore essoufflée, louvoyant entre les allées brumeuses. La nuit va bientôt tomber et je tiens à être de retour chez moi avant qu'il fasse noir. Soudain, j'entends une voix m'interpeller :

— Hé, petite ! Viens là deux minutes.

Au ton employé, je suppose que c'est un soldat : mes poignards cachés dans ma veste semblent s'alourdir. Cependant, je me retourne sans peur.

— Oui, monsieur ? prononcé-je d'une voix délibérément faible, la tête baissée.

— Aurais-tu vu un jeune homme passer en courant ? demande-t-il gentiment.

— Non, désolé.

Après quelques secondes de réflexion, il hoche la tête et repart. Je souffle et reprends ma route. En chemin, je croise un groupe de jeunes qui chahute, jouant à la guerre. Si seulement ils savaient de quoi ils parlent. J'arrive finalement devant une grosse porte en bois, d'apparence fragile. Me rapprochant de la serrure, je prononce doucement : 

— Éléments, ici Flamme. J'ai la cible.

Sitôt ces mots sortis de ma bouche, un déclic retentit et la porte s'ouvre sans tarder. Celle-ci aborde de l'autre côté du mur un grand renfort en métal. Je franchis l'ouverture créée qui se referme immédiatement.

— Alissandre ! s'écrie une voix que je reconnaîtrais entre mille.

Je serre dans mes bras le jeune homme qui vient de surgir devant moi. Après avoir caressé ses cheveux roux foncés, je me détache de lui et observe ses traits que je connais par cœur. Doté d'iris marron chocolat, son visage fin a encore une forme enfantine. Son corps frêle est allongé, de ce fait, il est presque aussi grand que moi.

— Tu es blessée ? s'enquit-il.

Après mon hochement de tête et une grimace de sa part, il reprend :

— Ils étaient combien ?

— Quatre, avoué-je en sortant mes poignards, les remettant à leur emplacement d'origine, dans leurs fourreaux.

— Ali ! s'écrie mon frère Léo, en me tapotant l'épaule. Tu waurais pas dû y aller seule !

— Et attirer encore plus l'attention ? contré-je en saisissant le petit rectangle, un carnet, caché dans ma poche. Non, je n'avais pas le choix.

— Ça aurait pu être plus grave ! renchérit Léo en inspectant ma blessure. Tu ferais mieux de passer chez Plante. Elle te soignera bien mieux que moi.

Je hoche la tête en réprimant la douleur et lui tends le fruit de ma sortie. Il le prend délicatement et appuie sur une pierre du mur vierge. Un mécanisme se met alors en marche, ouvrant un passage qui s'enfonce dans le sol. Après s'être assuré que j'écouterai ses conseils, il me laisse seule.

Je m'engouffre donc dans le labyrinthe de pierre et après avoir refermé la porte, descends la volée de marches menant aux pièces du Laby. Nous avons dû apprendre le moindre recoin de cet interminable réseau souterrain, le quartier général de la Ligue, l'organisation pour laquelle je travaille.

Je dois tout à cette dernière. Elle nous a recueillis, mon frère et moi, alors que nous n'avions nulle part où aller. Elle m’a tout appris : à me débrouiller dans toute situation, à me battre, mais surtout à ne jamais abandonner. Je fais désormais partie d'elle, tout comme elle fait partie de moi.

J’arrive enfin devant l’antre de Plante, la guérisseuse assignée à notre équipe. Après lui avoir expliqué ce qui m’est arrivé, je lui montre ma blessure et m’allonge devant elle. Tandis qu'elle prépare un cataplasme, je ferme les yeux et laisse mon esprit dériver.

Plante est son nom de code. La Ligue se souciant sincèrement de la sécurité de ses membres, nous ne connaissons que les prénoms des membres de nos équipes, lesquelles sont formées en fonction de nos compétences et la période de notre arrivée ici. Au début, ça m’a paru étrange, mais maintenant, j’en comprends la nécessité.

— Tiens moi ça, s'il te plaît, me demande gentiment la soigneuse en me tendant un bol.

Je m'exécute en souriant. J'aime beaucoup la guérisseuse, toujours prête à tout pour nous aider et très talentueuse.

— J'en ai pour une seconde et tu pourras partir, m'indique-t-elle.

J'attends sagement tandis qu'elle fait pénétrer la substance dans la blessure. Ça me brûle, mais je ne dis rien. La capacité à gérer la douleur est l'une des choses les plus importantes que l'on apprend à la Ligue.

Plante termine son travail en silence puis reprend le bol qu'elle m'avait donné. Je me relève, un peu soulagée.

— Merci pour tout ! Au-revoir.

— Avec plaisir, Flamme. À bientôt.

Je lui souris avant de m'en aller. Flamme est mon nom de code. Il me représente, je trouve, très fidèlement : explosive et combattante, je n'hésite pas à prendre des risques pour protéger ceux que j'aime. Et bien sûr, mes cheveux de feu et mes yeux orangés sont en accord avec le thème. Cependant, il est ironique que ce soient les flammes qui m'aient amenée à rejoindre la Ligue.

C'est une organisation avec de nombreuses missions, comme aider les plus démunis, préserver le royaume... Nous restons néanmoins le plus discrets possible, c'est pourquoi la plupart des habitants soupçonnent seulement son existence. La légende de la Ligue se transmet de parents à enfants à travers des histoires épiques.

Bien évidemment, nous autres combattants de la Ligue n'avons pas de super pouvoirs, malgré les rumeurs, seulement beaucoup d'entraînement. Mais c'est à mon avis le principal.

Je parcours le labyrinthe, traversant ses couloirs faiblement éclairés. Il y règne un calme apaisant. L'endroit, tout de même assez propre, fait remonter en moi de lointains et heureux souvenirs. C'est ici que je me sens chez moi, ici que je vis et je l'espère, ici que je mourrai.

Des éclats de voix parviennent à mes oreilles. Souriant, je me hâte de rejoindre mon équipe, les Éléments, qui se trouve dans la pièce suivante. Nous nous appelons ainsi car, malgré nos différences, nous sommes tous unis à jamais, tout comme ceux dont nous portons le nom.

J'arrive devant la porte qui me sépare de mon groupe et la pousse avec force, pressée de retrouver mon équipe. La salle dans laquelle je rentre est simplement meublée d'une table et de chaises, ainsi que de quelques fauteuils, sur lesquels je m'attends à trouver mes compagnons. Ces derniers sont néanmoins debout, sûrement en train d'attendre ma venue.

Alors que je rentre, tous les regards se posent sur moi, passant mon corps au crible. Voyant que je n'ai pas de blessure trop grave, ils se décontractent d'un même mouvement.

— Ali ! sourit un jeune homme aux beaux yeux verts en se levant et me prenant dans ses bras. J'ai eu tellement peur !

— Tu n'as pas confiance en mes talents ? dis-je d'un ton faussement accusateur avant de l'embrasser rapidement, n'appréciant pas les déclarations d'amour en public.

— Je sais surtout que, lorsqu'il s'agit de s'attirer des ennuis, tu es une maîtresse en la matière ! rétorque mon petit-ami avant de me lâcher.

— T'es bête !

— N'empêche, tu as une belle blessure au ventre, enchérit Matt d'un ton réprobateur.

— Et moi ? intervient Ashley, la dernière personne de notre équipe. J'ai pas le droit à mon bisou ?

Je lui tire la langue mais m'approche néanmoins de la belle brune aux longs cheveux et l'enlace. Malgré nos deux ans de différence, elle est ma meilleure amie ici, et comme ma sœur. Ses yeux bleus pétillent alors que nous nous relâchons.

— Tout s'est bien passé ? me demandent mes compagnons après que nous nous soyons confortablement assis sur les fauteuils.

— On peut dire ça. Ils étaient plus nombreux que prévu. J'ai eu du mal à m'enfuir du palais. J'ai bien failli rester coincée à l'intérieur, grommelé-je. Heureusement que j'étais préparée. C'est seulement grâce à ma légendaire discrétion et à mon calme à couper le souffle que je m'en suis sortie.

À ces mots, tout le monde éclate de rire. En effet, je suis connue pour être légèrement brute de décoffrage et toujours en mouvement.

— Bien sûr, et les poules ont des dents, pouffe Ashley.

— Merci pour ton appui, ironisé-je en haussant les sourcils, déclenchant de nouveaux rires.

— Pitre, va, murmure doucement Léo à côté de moi.

Pas assez doucement pour que je ne l'entende pas cependant. Je me tourne vers lui :

— Qu'est-ce que tu m'as dit, petit chenapan ?

— Raconte-nous plutôt ce qui s'est passé, élude mon frère avec un clin d'œil.

— Puisque tu insistes.

Je m'enfonce dans mon fauteuil et me remémore les événements afin de ne rien oublier.

— Comme on le pensait, le palais du roi était ouvert le samedi pour qu'il puisse écouter les requêtes du peuple, alors j'ai pu entrer facilement. Je ne l'ai pas vu, ajouté-je en direction de Matt. J'ai évité la fouille en passant par un petit recoin en hauteur, qui n'était miraculeusement pas surveillé.

En effet, de nombreuses rumeurs affirmant que le roi serait devenu étrange courent dans la ville.

— J'ai profité du changement de garde pour rentrer chez Naamen. J'ai récupéré le carnet plutôt facilement - il était simplement posé dans son appartement. C'est alors qu'un soldat est venu vérifier que tout allait bien. Je suis restée bien cinq minutes cachée puis j'ai quitté les lieux.
C'est à la sortie du palais que j'ai eu des soucis. Les soldats fouillaient tous ceux qui passaient, et déjà que des poignards sont suspects, mais avoir le carnet en plus…

Je fais une petite pause tandis que mes coéquipiers attendent en silence, pendus à mes lèvres.

— J'ai tout observé mais je n'avais pas de moyens d'éviter la fouille. Alors, je suis passée puis j'ai refusé que le garde me touche et j'ai couru. Quatre des soldats m'ont poursuivie. Arrivée assez loin du palais, je les ai combattus. J'étais dans une ruelle étroite et ils se gênaient entre eux. J'ai fait attention à ne pas les blesser trop gravement - après tout, ce ne sont pas nos ennemis - et dès que possible, je suis repartie.
» Entre-temps, d'autres les avaient rejoints. J'ai mis pas mal de temps à les semer puis je me suis changée et je suis revenue ici.

Je reprends mon souffle alors que les Éléments hochent la tête. J'ai fait du bon boulot et ils le savent. Le Maître sera content. Léo sort alors le carnet de sa poche.

— J'avais oublié ! dit-il en me le rendant.

— C'est super Ali ! s'exclame Ashley. Même si j'aurais aimé t'accompagner.

Je hoche la tête pour la remercier. Je sais que c'est toujours dur de voir quelqu'un de son groupe partir, seul qui plus est. Cependant, je n'y suis pas allée par hasard : je suis la cheffe de notre Équipe et, même si je n'aime pas m'en vanter, la meilleure d'entre nous à la course.

— Bien, il ne manque plus que le Maître arrive.

Je serai à jamais fidèle au nôtre, dont la manière d'enseigner me convient parfaitement. Chaque Équipe, constituée de trois à cinq personnes, se voit attribuer un Maître qui lui enseigne son savoir-faire. Tous les Maîtres ont des manières différentes d'entraîner leurs protégés, mais tous sont extrêmement compétents.

Ce sont eux qui décident avec le chef de la Ligue, d'ailleurs connu d'eux seuls, qui exécutera quelle mission. Certaines Équipes, comme la nôtre - ce dont je ne suis pas peu fière - sont considérées comme "d'élite". Elles sont jugées plus à même d'assurer les missions les plus longues et les plus compliquées.

En effet, nous nous voyons souvent assignés à des mission difficiles, mais cela fait quelques mois que nous ne sortons presque plus. J'espère de tout cœur que nous allons bientôt bouger, et tous ensemble.

Soudain, un coup retentit sur la porte qui s'ouvre après quelques secondes. Nous nous levons et rejoignons la table, à nouveau concentrés : le Maître est arrivé.

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