35. La tombe


On rapporte que l'alchimiste Alleris Bombastus visita la tombe du chevalier Galahad. Il en revint fort déçu, car la tombe avait été pillée, et n'enfermait plus aucun objet de valeur. Suite à ce compte-rendu, l'épée Excalibur fut considérée comme perdue ou détruite.

Caelus, Histoire de l'Omnimonde


Ils entraient dans une salle ronde plus vaste ; Reida se mit en devoir d'inspecter les murs. Le faisceau de sa lampe rencontra d'abord des ossements humains éparpillés sur le sol, rongés par l'humidité et l'acidité de l'air. Des crânes aveugles, les orbites obstruées par le lichen, avaient roulé au sol comme de vulgaires cailloux.

« Je m'attendais à une tombe, remarqua-t-il. Que s'est-il passé ici ?

— Ce sont les derniers ouvriers, dit Éléana. Ceux qui ont dû sceller la crypte avant d'être tués par la verlame.

— Vous avez raison, Éléana-sen, ce n'est pas une destination de vacances. »

Le centre de la salle semblait légèrement surélevé. Éléana dégagea des tibias et des côtes sans propriétaire et arracha des brassées de mousse humide. Elle commença à tracer les contours d'une grosse pierre ronde placée ici pour condamner la crypte.

« Quelque chose m'intrigue, avoua-t-elle. Je sais qu'Adrian avait visité la tombe du roi Arthur et y avait récupéré Ohn Sidh, l'épée du rocher. Si je me souviens bien, la tombe d'Athur était un labyrinthe retors, truffé de pièges et d'épreuves.

— La verlame est déjà une dissuasion honorable, nota Reida.

— Oui, mais Galahad est venu ici exprès pour se faire enterrer. Il a eu des années pour tout préparer. Je ne peux pas croire qu'il ait juste fait bâtir un caveau de famille.

— Il ne pouvait peut-être pas faire mieux. »

Reida illuminait jusqu'ici des pierres de taille et des moellons approximatifs, dont le mortier s'effritait, traversés par des racines. Mais sa lumière accrocha une surface plus lisse, parsemée de pointes sévères, de la taille d'un bras humain. On aurait dit du calcaire mal dégrossi, encore strié des marques de découpe.

« C'est en-dessous, dit Éléana.

— J'ai vu. Mais la pierre sera trop lourde à soulever, même à trois, et même avec le soutien des exosquelettes. Ce mur ici n'est pas très invitant, mais on dirait qu'il est amovible... »

Son pistolet rangé, Reida tâta les alentours du mur à l'aide de son couteau éteint. Il cherchait les imperfections, les trous qui trahiraient quelque mécanisme secret. Il suffisait d'appuyer sur un bouton, et la lame de céramique serait soumise à une vibration d'amplitude millimétrique, mais de fréquence assez élevée pour trancher sans effort dans la pierre et le métal.

« Sinon, je peux essayer de découper le mur.

— Ça a l'air épais, dit Mid'len. Je proposerais bien de l'enfoncer avec une impulsion, mais ça risque de tout faire s'effondrer sur nos têtes. »

J'ai déjà vu ça quelque part, songeait Éléana en regardant les pointes acérées.

Puis elle se figea.

« Écarte-toi, Reida.

— Tu as vu quelque chose ?

— Écarte-toi du mur. Lentement. »

Reida s'exécuta sans discuter. Un profond silence était retombé dans la crypte ; Éléana ne s'entendait même pas respirer.

En reculant, l'okrane marcha sur une cage thoracique flottant dans la mousse, qui s'enfonça sous son poids avec un craquement sec.

Le mur frémit.

« Par où est-ce qu'on est rentrés ? murmura Éléana.

— Derrière nous » dit Mid'len en pointant son fusil.

S'il existait un endroit, dans tout l'univers, où l'on pouvait croiser des escargots géants, résultat d'une expérience d'alchimie un peu trop ambitieuse de la famille von Zögarn, ce ne pouvait être qu'ici, sur Daln, dans l'archipel Zélane, interdit pour de bonnes raisons.

Le mur coulissa à toute vitesse sur le côté. Les piques acérées heurtaient la pierre environnante en lui arrachant des éclats.

« On s'en va ! » s'écria Mid'len.

À sa décharge, sa caméra thermique ne pouvait pas lui permettre de repérer un invertébré à sang froid.

Ayant raclé le mur de sa coquille gigantesque, l'escargot passa sa tête dans l'ouverture. Son corps gélatineux avait la même couleur grisâtre que ses petits congénères ; il était légèrement translucide, et la lumière fit briller ses globes oculaires, gros comme des lustres de baccara, qu'il expulsa de son corps avec un bruit de succion.

Mid'len fit feu entre les cornes ainsi formées. Les tirs de précision frappèrent la masse gélatineuse avec le même effet qu'un mauvais coup de poing dans un sac de sable ; l'escargot glissa vers eux en inondant le sol de bave brunâtre. Sa coquille cognait contre le plafond et lui arrachait des monceaux de pierre.

« Reida ! Reida !

— Ça va, ça reste un escargot. »

L'okrane dégaina deux pistolets à plasma et visa les yeux. Il les manqua, non sans marquer la peau épaisse de deux sceaux incandescents, qui continuèrent de briller quelques secondes comme deux lanternes. L'escargot gronda et s'agita de plus belle. Il redressa son corps, et de multiples tentacules en émergèrent, chacun portant un œil.

Reida en fit éclater plusieurs. Le suivant s'enroula autour de sa jambe ; il perdit l'équilibre. Une pierre détachée du plafond cogna contre son casque.

« Je vais bien ! » cria-t-il alors que le tentacule le soulevait de terre.

Mid'len jura dans sa langue natale, éteignit son fusil et d'une pression sur une commande mécanique, fit surgir une lame sur toute sa longueur. Elle traversa la pièce circulaire d'un seul bond, trancha un tentacule qui se trouvait sur sa course, manqua de peu celui auquel était suspendu Reida, qui le secouait comme un prunier.

L'escargot roula sur le côté. Son corps se déforma mollement et son poids écrasa l'ingénieure contre le mur de pierre. Éléana entendit un craquement métallique ; des alarmes automatiques retentirent sur l'intercom, informant de multiples défaillances du système d'assistance de Mid'len.

Reida pendait toujours au-dessus du sol, désormais ceint par quatre tentacules. Ces derniers se rétractaient pour le tirer vers la bouche de l'escargot. Pour cet omnivore habitué à grignoter les arbres de l'archipel, il devait être une proie originale, donc intéressante.

« Ce machin a des dents ! » s'exclama l'okrane.

Il parvint à dégager un bras, chercha dans une de ses poches et saisit sa deuxième vibro-lame. En l'activant, elle émit un sifflement continu. Reida fit de grands moulinets du bras ; un tentacule, puis un deuxième, explosèrent en une tornade de morve bleuâtre. Il retomba sur l'escargot, planta la lame au-dessus de sa tête, ou ce qui s'y apparentait, et y traça un long sillon. Un torrent de boue organique se déversa sur lui.

L'escargot, frappé par l'ampleur des dégâts, fit ce qu'ils faisaient de mieux : il rentra dans sa coquille.

La dalle centrale s'effondra sous son poids.

« Mid'len ? Reida ?

— Je suis là » dit l'ingénieure d'une voix enrouée.

Elle fit un geste de la main. Son armure avait plié sous le choc ; une pièce de son bras s'était enfoncée, révélant une mécanique hors d'usage.

« Le problème avec les exos, c'est quand ils ne marchent plus » ajouta-t-elle en boitant vers Éléana.

Le centre de la pièce avait disparu, l'obligeant à longer le mur en priant pour la solidité des dernières pierres en place. Elles reculèrent dans le couloir, leur regard tourné vers le puits ainsi formé. Leurs lumières tombaient sans retour, rapidement happées par le brouillard.

« Reida ?

— Ouais... j'ai foiré sur ce coup-là, Éléana.

— Tu es encore là ?

— Je suis en-dessous. J'ai dû tomber de quatre ou cinq mètres, mais l'exo m'a amorti. Le monstre a roulé plus bas. Je crois qu'il a son compte. »

Éléana émit un soupir.

« On ne te voit pas d'ici. Tu crois que tu pourras remonter ?

— J'espère bien. J'ai trouvé la tombe.

— Qu'est-ce que tu vois ?

— Un gisant de pierre, avec la même tête qu'à l'entrée. Je pense que c'est Galahad. Attends voir... le cercueil est ouvert. Quelqu'un a défoncé le couvercle. C'est Adrian qui a fait ça ?

— Adrian n'était pas un vandale.

— Le squelette est encore en place. Je pense que le pillage est ancien... le gars venait tout juste de mourir.

— Ça veut dire que quelqu'un a déjà volé Excalibur ? s'exclama Mid'len.

— Je n'en sais rien.

— Mais est-ce que vous voyez l'épée ?

— On n'y voit pas grand-chose, Ina-sen. Les mains de Galahad sont refermées sur quelque chose... mais ça ne va pas beaucoup vous impressionner... on dirait un vieux bout de métal rouillé.

— Montre-moi, dit Éléaa. Envoie la vidéo. »

L'image s'afficha sur l'intérieur de son casque, comme si elle se trouvait à la place de Reida. Galahad se cramponnait à ce objet. On aurait dit une barre de ferraille arrachée à du béton armé, longue comme l'avant-bras.

« Je la prends ?

— C'est une blague, lâcha Mid'len. Les voleurs se moquent de nous. »

Éléana secoua la tête.

Les phalanges paraissaient soudées entre elles. Galahad était descendu ici pour mourir, tué lui aussi par la verlame, les mains crispées sur le secret qu'il devait emporter avec lui.

« Quelles tombes ne sont jamais pillées, Ina-sen ?

— Celles qui sont bien défendues.

— Non. Aucun piège ne suffit, car les pillards ont tout leur temps de les défaire, de les franchir, l'un après l'autre. Les grandes pyramides d'Égypte ont été pillées quelques années à peine après leur édification. Quelles tombes ne sont jamais pillées ?

— Je voudrais qu'on prenne une décision, insista Reida.

— Celles que personne ne trouve, dit la remsienne.

— C'est vrai. Mais que faire si quelqu'un comme nous trouvait la tombe de Galahad ? Quelles tombes ne sont jamais pillées ?

— Celles qui l'ont déjà été.

— Exactement. Je crois que nous sommes les premiers à pénétrer dans le caveau. Et je crois que c'est Galahad lui-même qui se moque de nous. Je vais te faire descendre une corde, Reida. Retire ce vieux bout de métal des mains du chevalier et ramène-le ici. C'est Excalibur, l'épée de la légende. »

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