31. La convergence


Êtes-vous tous ici ?

Bien ; commençons.

Parole de l'Oracle


Il fut convenu que Rygor, le plus proche conseiller du Dauphin Gandar, accompagnerait Sunday sur l'Antartica. Gandar et Dsa commandaient ensemble les armées de l'Empire.

L'amirale fut accueillie sur son vaisseau sans cérémonie. L'annonce de l'entrée en lice des Gharíen ne déclencha pas de vague de réjouissances. En son absence, plusieurs membres d'équipage avaient été portés disparus. L'ombre avait totalement englouti le système Sol et rampait désormais jusqu'à eux.

« Alors, ne traînons pas ici. Cap sur le point de convergence, au système Raven. Faites-moi un briefing sur le chemin. »

À peine assise dans son siège attitré, ayant offert à Rygor une place à côté d'elle, le vaisseau alluma sa propulsion intrasystème, en direction du pont d'Arcs de Raven. Rygor, qui n'avait sans doute jamais abordé de croiseur de la Division 1, faisait preuve d'un étonnant mutisme, comme s'il était sur le point de s'endormir. L'équipage faisait peu de cas de sa présence. Ils étaient surtout pressés de partir.

« Il paraît qu'il existe une étoile encore active dans l'Omnimonde, expliqua son second, alors que les planètes du système inhabité se mettaient en branle autour d'eux. Omn connaît sa position, mais il ne l'annoncera à l'Armada qu'au dernier moment. Ce sera notre point de convergence. Pour l'heure, tous les vaisseaux se sont rassemblés autour de Raven. Ah, et nous avons complètement perdu le contact avec Stella Rems.

— Quel est le décalage temporel avec l'Armada ? J'ai besoin d'envoyer un message à l'amiral Rostov. Les ponts d'Arcs...

— Oui, il nous reste quelques jours. Omn le sait déjà.

— Omn sait tout, grommela Sunday.

— Je peux vous faire un état des forces. Mars a envoyé plusieurs vaisseaux civils qui ont été convertis en croiseurs de guerre sur l'orbite de Raven. Le groupe de Rems a déployé une force de deux mille vaisseaux. Je ne sais pas d'où ils les sortent. Nous avons toutes les forces de la Division 1, à l'exception des croiseurs qui étaient en maintenance sur Nemus, que personne n'a pu récupérer. Omn nous a affectés à la protection de l'Orbe.

— C'est quoi, l'Orbe ?

— Une machine qu'il a fait construire par les alephs de Raven. Je vais vous montrer. »

En quelques clignements d'yeux et gestes de la main, le second activa le projecteur tactique de la passerelle et le système holographique traça des images dans l'air, faites de lumière tamisée. Ce fut d'abord une vue générale de Raven, la planète des okranes. Elle était encerclée de milliers de points lumineux figurant les vaisseaux de l'Armada. Certains se laissaient guider sur leurs orbites, d'autres circulaient par grappes entières en direction de stations spatiales construites en quelques jours par les alephs, pour s'y approvisionner en vivres et en énergie.

La Division 1 formait un groupe à l'écart, sur l'orbite la plus éloignée, une formation sphérique. Le second avisa en son centre une petite étincelle estampillée « orbe », comme la perle dans l'huître, la captura d'un geste et en fit une autre image agrandie.

On aurait dit un second modèle de l'Ophelia, sorte d'oursin parsemé de barres de métal où se logeaient des générateurs de champ. Mais l'Orbe était beaucoup plus gros que son cousin sphéroïde, il disposait d'une propulsion plus sommaire et il n'était pas armé. Dans une myriade de petites incrustations de sa coque, comme les algues symbiotiques des polypes coralliens, dormaient trois ou quatre mille satellites Égide, prêts à s'élancer pour le défendre.

« L'Orbe est notre arme principale, dit le second sur le ton d'une récitation.

— Que fait-il ?

— Personne ne le sait. C'est un secret encore plus important que le point de Convergence. »

Rygor observait tout ceci avec flegme. Ses yeux allaient d'un point à un autre sur l'hologramme, comme un acheteur hésitant entre deux paires de chaussures de la même couleur et du même prix.

« Peut-être qu'il ne fait rien, proposa le Gharíen.

— Vous avez le talent pour les hypothèses audacieuses, commenta Sunday.

— Quels que soient les adversaires qui fondront sur l'Armada au point de Convergence, ils seront rusés, et Omn envisage sans doute de nombreux moyens pour retourner ces ruses contre eux. »


***


L'Antartica guida la flotte gharíenne jusqu'à l'orbite de Raven. Tout au long de leur traversée du système, Sunday garda les yeux rivés sur les hologrammes. Plus ils s'approchaient de la planète, plus les vaisseaux se faisaient nombreux. Il y avait assez de place pour eux tous sur l'orbite ; leurs coques métalliques, plastiques et céramiques, parfois grisâtres, brillantes, peintes en blanc ou en noir, étaient encore distantes de dizaines de kilomètres, même dans les formations les plus resserrées de la flotte remsienne. Mais des alarmes de proximité ne cessaient de se déclencher.

Le Réseau aleph prenait désormais racine entre ces vaisseaux. Pour chaque membre d'équipage almain, l'Armada emmenait dix alephs, qui prendraient le contrôle des drones et des canons automatiques. On pouvait presque sentir ces fantômes numériques s'agiter eux aussi, téléchargeant les données les plus importantes sur les croiseurs, et laissant derrière eux, sur la ceinture computationnelle de Raven, l'essentiel de leur monde.

Sunday observait le mouvement des vaisseaux lorsque l'amiral Rostov surgit de l'hologramme comme un acteur caché dans le gâteau de mariage. L'okrane en uniforme s'appuyait d'un bras sur sa canne. Il fit un signe de tête à son intention, puis s'adressa aussitôt à Rygor :

« Je viens de parler avec le Dauphin. Merci de vous joindre à nous.

— Nous n'avions rien de mieux à faire, souligna le Gharíen, qui avait décidément une conception personnelle de la diplomatie.

— C'est ce qu'il m'a dit. Seuls deux choix nous sont donnés : nous terrer en attendant que les ombres viennent nous emporter, ou lutter jusqu'au bout pour la lumière. Je ne doutais pas que vous feriez ce choix. »

Rygor émit un double claquement de langue..

L'image de Rostov était une illusion de son système d'Interface Mentale, dans lequel l'okrane était plongé depuis des décennies. De temps à autre, un léger flocon apparaissait sur la manche, ou sur l'épaule de sa veste vert sapin, comme un pixel esseulé dans une simulation. Si cela troublait le Gharíen, il n'en laissait rien paraître.

« Amirale Sunday-sen, reprit Rostov, nous avons décidé avec Gandar qu'en attendant d'adapter tous les protocoles de communication des Sept Armées impériales, l'Antartica jouerait le rôle de balise pour la flotte gharíenne. Mais ce sera fait d'ici notre arrivée au point de convergence.

— Il a été annoncé ?

— L'ordre a été donné aux premières flottes. Le point de convergence se trouve dans le système Magedôn. »

Sunday tapota son bracelet, ce qui afficha sur l'hologramme une carte de l'Omnimonde. Le système était atteignable depuis Raven sans trop d'efforts. Elle vit une petite planète tellurique, qui présentait la même face à son soleil.

« C'est une des rares planètes de l'Omnimonde à disposer de sa propre biologie endémique, souligna Rostov. Comme sur Raven, elle n'a pas été apportée par le Draconis, mais par le hasard.

— Est-ce là notre dernière étoile ? » Demanda Rygor.

L'okrane hocha la tête.

« Sol Magedôn. La seule étoile de l'Omnimonde qui brille encore.

— Par quel miracle ? La planète serait-elle habitée par une civilisation plus puissante que les nôtres ?

— Magedôn est inhabitée, dit Rostov.

— Mais Omn vous a-t-il fourni une explication ? insista Sunday.

— Selon Omn, ceci est l'œuvre d'un dieu. »

Sur cette réplique, l'okrane s'effaça de la passerelle, et les indications de trajectoire leur parvinrent du Réseau. Sur l'hologramme, des bancs de milliers de lucioles ondoyaient au-dessus de Raven, qui s'élevaient en vagues rougeoyantes.

« Je trouve que depuis peu, on parle de « dieux » avec une certaine indifférence, commenta l'amirale en suivant le déplacement des premières flottes.

— C'est la fin des temps, remarqua Rygor. Nous avons ôté tous nos masques ; les dieux et les almains cheminent désormais côte à côte. Ou face à face. »

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