10. Le plan
« Il faut que je change la fréquence de votre intra » dit Ocel après dix minutes de vol.
Au loin, les lueurs de Cyra formaient la seule démarcation entre la steppe et le ciel obscur. La brillante cité, comme toute la Terre peut-être, n'était déjà plus qu'un feu mourant.
Mikhail fit sauter son bouchon d'oreille électronique et le lui rendit. Le pentacoptère avait rétracté ses pales et allumé ses réacteurs. Il ne pouvait pas voler plus de cinq heures à ce rythme, mais c'était bien assez pour changer de latitude.
« Au moins, on sait pourquoi ils vous ont nommé directeur du BPS, nota Ocel en réglant un minuscule bouton sur l'intra-auriculaire.
— C'est-à-dire ? »
L'intérieur de l'appareil était totalement insonorisé, et toutes ses vitres étant fermées, ils s'entendaient parler malgré la fureur des flammes rageant dans les tuyères. Des vibrations à peine perceptibles secouaient l'habitacle, qui semblaient modifier leur timbre de voix.
« Vous êtes le bouc émissaire, annonça le pilote. L'ONU vous a déclaré traître à la cause terrienne. Le délégué général a annoncé que vous étiez de mèche avec le complot organisé par la Division 1, Mars et les planètes étrangères.
— Lui aussi ? C'est délirant ! »
Mais la Terre faisait face à de grands malheurs, encore jamais vus dans son histoire, et faute d'adversaire bien déterminé, de coupable bien visible, ils en étaient réduits à le créer de toutes pièces.
« Il y a bien plus délirant que ça, rétorqua Ocel. Vous vous souvenez de Tor Seyer, le gars persuadé que l'espèce humaine allait être éliminée par les élites dirigeantes et être remplacée par les okranes ? Eh bien il en roue libre. Le gars appelle aux émeutes néo-hégémonistes pour reprendre la Terre et sauver la race humaine.
— Il faut... il faut qu'on fasse quelque chose.
— La moitié du Bureau ne nous obéit plus, Mikhail-sen. »
Le pluriel attira son attention.
« Je croyais que vous étiez seulement ma garde du corps, agent Ocel.
— Je pense que vous avez grand besoin d'une secrétaire.
— Une idée de Vel Sunday ?
— Souvenez-vous de ce qu'elle vous a dit. Vous êtes dans la merde. »
Mikhail hocha la tête. Sur ce point, Sunday avait vu juste. Du reste, il se moquait qu'Ocel fût une agente infiltrée de la Division 1, ou une officière de haut grade sous couverture, ou encore, une vendeuse de bonbons arrivée ici suite à une petite annonce postée dans un journal. Elle avait déjà beaucoup fait pour l'aider.
L'okrane remit son implant en place. En quelques commandes vocales, il constata que tous ses comptes professionnels du BPS avaient été verrouillés et son accès prioritaire au Starnet révoqué.
« Passez par ma connexion, l'encouragea Ocel. Matricule GZ550-B2, code : Abrilosophalaximulé.
— Ce qui veut dire ?
— Trop long à expliquer. »
Mikhail accéda aux fil de notifications du B2, sorte de panneau d'affichage public de son réseau privé, et constata avec soulagement que le Bureau dans le Bureau le suivait toujours, au grand dam du Bureau. Cette maigre consolation le jeta dans l'embarras, tel un sportif qui, sous les encouragements, réalise la pire performance de sa carrière. Mikhail envisageait sérieusement de se rendre, pour éviter d'ajouter au chaos qui dévastait déjà la Terre.
« Que devrais-je faire ? demanda-t-il à Ocel. Me battre ? Nous n'avons rien à gagner.
— Si, directeur-sen. Nous devons sauver la civilisation terrienne.
— N'est-il pas trop tard pour ça ? Nous sommes en lutte contre notre propre administration. Le Bureau. L'ONU. Ils veulent se battre avec Mars, je veux creuser des bulles écologiques sous la surface de la Terre. Nous n'avons pas les moyens d'imposer nos idées par la force.
— Faites comme si la bataille avait déjà eu lieu. Présentez-vous comme le vainqueur. Dites au monde que vous êtes le héros venu le sauver.
— Vous croyez qu'un tel retournement prendra dans l'opinion ?
— Il n'y a plus d'opinion. Les seuls que vous entendrez désormais, ce sont les gars descendus dans les rues pour casser des voitures. Les autres sont enfermés chez eux. Vous n'avez pas besoin que le monde vous suive, mais que l'ONU se déchire à votre sujet, et donc, vous laisse tranquille le temps qu'il faudra. »
Mikhail laissa échapper un soupir.
« J'apprécie votre aide, agente Ocel, mais cela ne résoudra jamais notre problème principal. Pour que nos bulles écologiques souterraines voient le jour, il faudrait que des pays entiers nous allouent leurs ressources durant plusieurs semaines, que des alephs soient mobilisés pour le chantier, que des ingénieurs, des écologues...
— Ah, attendez, j'ai trouvé un écran. »
L'agente Ocel lui mit la tablette entre les mains comme s'il s'agissait d'un carnet de coloriages et lui d'un enfant qui fait un long voyage en train. Elle tapota sur l'engin jusqu'à ce qu'un visage inconnu leur apparaisse, celui d'une femme assise dans un bureau austère, entourée de murs en béton.
« Ocel-sen ? Vous êtes encore en vie ? C'est formidable ! »
Cette indienne sympathique était la première personne qui souriait sincèrement à Mikhail depuis sa nomination au poste de directeur. Peut-être le dernier sourire sur Terre, songea-t-il. Il aperçut plusieurs barrettes argentées sur sa veste pare-balles du B2, signe que la montée en grade n'avait pas entamé son savoir-être, contrairement à ces huiles cénobitiques qui le poignardaient dans le dos avec snobisme.
« Directeur-sen, je vous présente la commandante Indrasena Ramanian, qui dirige le B2 sur le sous-continent indien.
— Commandante Ramanian-sen, c'est un plaisir, malgré les circonstances... mais j'ignore pourquoi...
— Nous avons reçu votre mémo au sujet des bulles écologiques, directeur-sen. Nous en sommes en train d'en mettre une en place. Le B2 nous a fait part de son accord, ou plutôt, de son absence de désaccord. J'estime que nous serons prêts d'ici trois ou quatre jours, en fonction des délais d'approvisionnement. Je vous donnerai tous les détails sur place. Ocel-sen, quand est-ce que vous arrivez ?
— Je ne sais pas. Ça dépend de la météo. Trois, quatre heures.
— Entendu. »
Ramanian sortit brusquement du champ de l'écran pour parler à quelqu'un, et les laissa face à un mur de béton fort peu loquace. Ocel haussa les épaules et coupa le contact.
« Elle est très occupée, expliqua-t-elle.
— Où allons-nous ?
— Dans un monastère, au Népal. »
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