Chapitre 1

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Le journal de Martin

15 mars 2012

Une mauvaise passe, encore, et une nouvelle lutte.

Je me suis parfois cru atteint de folie, de cette folie qui vous fait trembler la nuit, avec pour seule raison toutes ces questions que l'on se pose et pour lesquelles on n'a pas de réponse. Je me suis martyrisé, allant jusqu'à me poster devant mon miroir pour me scruter pendant des temps infinis, cherchant à percer la carapace de mon corps pour y sonder mon âme. Je passais la main sur ma peau, doucement d'abord, puis avec plus d'obstination, la rudoyant par endroits jusqu'à la laisser rouge, ou la griffant à d'autres, dans ce désir si obsédant de la voir disparaître. J'ai fait couler mon sang, peu, mais tout de même, n'y trouvant aucun soulagement, juste cette matière si réelle qui m'empêchait de voir au travers. Oui, je me suis cru fou, ne comprenant rien de ces pensées qui me torturaient.

Le temps est une enclume qui nous laisse amoindri et fragile, aussi peu consistant qu'une rosée du matin, un jour d'été. Il nous malmène et nous emporte dans sa course lente comme dans son pas rapide. Quelle que soit sa mouvance, il nous assourdit de son avancée inexorable, intrépide, car il l'est toujours, même lorsque les secondes durent des heures, qu'elles sont agonie ou tourment. Même dans la sueur des draps, dans cette humidité de corps mélangés où le plaisir vous prend et qu'il devient rythme langoureux. Il se fait un défi contre lequel vous bataillez pour que ça dure le plus longtemps possible et il vous lamine à chaque fois, que vous soyez enfoui dans le corps d'un autre ou que cet autre soit enfoui en vous. La fin arrive toujours, que vous le vouliez ou non, la force de votre volonté n'y peut rien, jamais rien.

8 avril 2012

Hier, j'ai erré comme une âme en peine jusqu'à finir dans la noirceur d'une back-room. J'ai écouté les gémissements et les râles rauques de tous ceux qui étaient venus y chercher du plaisir, quel que soit ce plaisir. Tous ces anonymes, à la recherche d'autres anonymes, brûlant le temps qui est le leur en se laissant toucher et entreprendre par des ombres inidentifiables. J'ai été de ceux-là. Je l'ai été ce soir-là, avec cette bouche humide et chaude qui s'activait autour de moi, avec conviction et engagement. Cette bouche sans nom, sans voix, sans vie connue, qui me prenait et me donnait du plaisir, un plaisir coupable, sans sens et sans valeur. Ce n'était que de la mécanique, ou peut-être pas, mais c'était ce que je ressentais. Mon corps a joui, il a libéré sa substance blanchâtre sans rechigner, il a tremblé sous l'orgasme et mes yeux se sonthumidifiés. C'était pitoyable et inutile, je ne me suis pas perdu. Bien au contraire, je me suis vu avec une clarté désespérante, de celles qui m'amènent devant ma glace en me demandant qui je suis, ce que je veux et où je vais. Je m'en suis voulu d'entraîner avec moi, même s'il ne le saura jamais, cet homme qui ne voulait que me faire du bien et prendre du plaisir. En me voyant si méprisable, je le méprisais tout autant, sans le connaître ni rien savoir de lui, de la raison de sa présence ou du motif de ses actes. J'ai joui et je l'ai laissé là, en plan, à genoux sur le sol, comme un con, un minable à qui je n'offrais même pas la reconnaissance d'un plaisir physique que je ne pouvais pourtant pas nier, mais qui était effacé par les merdes qui m'habitaient. J'ai rejoint le bar, sans demander mon reste et sans lui offrir quoi que ce soit. J'ai gagné le comptoir, je me suis fondu dans la masse et j'ai avalé trois whiskys sans en sentir le goût. Je voulais m'étourdir, simplement m'étourdir et oublier, m'oublier.

4 mai 2012

Mes pensées sont revenues en arrière, elles finissent toujours par le faire...

Ma mère était une femme à part, de celles qu'il est peu facile d'émouvoir. Elle vivait dans un autre monde, fait d'illusions et de fantasmes. Chaque matin, elle partait travailler, toujours à la même heure, pas une seconde de plus, pas une seconde de moins. Le soir, elle rentrait avec cette même précision. Dans ses tailleurs stricts, elle s'affichait à la face du monde comme une femme respectable et solide à qui rien ne faisait peur, pour qui tout affronter n'était rien. À peine la porte franchie, elle arrachait sa veste et la jetait sur le canapé. Son premier acte, toujours le même, courir sous la douche et y rester un temps infini. Elle se dépouillait de tout ce qui faisait d'elle une femme crainte et respectée. Le maquillage était effacé, le chignon, d'où pas un cheveu ne dépassait, défait, et ses fringues regagnaient les cintres sur lesquels elle lesretrouvait le lendemain matin. Elle enfilait de vieux jeans, des antiquités, usés, râpés, complètement délavés, et des tee-shirts trop larges dans lesquels elle s'égarait. Pendant une heure, elle m'offrait le luxe de sa deuxième personnalité, celle de la mère qui faisait face en assurant l'essentiel. J'avais toujours à manger sur la table, des vêtements propres pour me vêtir, de l'argent pour mes besoins quotidiens. Après, sa troisième vie démarrait, sa préférée, la seule qu'elle voulait ; elle s'évadait. Elle devenait inaccessible, une princesse inabordable que rien ne pouvait distraire. Elle s'enfermait dans son univers, jusqu'au lendemain.

18 mai 2012

J'ai cette bouche sur moi, je la sens encore, alors que je suis rentré depuis des heures, que l'eau de la douche m'a défait de toutes traces de cet acte et que je recherche le sommeil en vain. Pourquoi suis-je allé dans ce lieu, alors que je sais que je n'en tirerai que regret et culpabilité ? Pourquoi est-ce que je m'acharne à y retourner, par intermittence, mais tout de même ? Pourquoi cette sensation que la bouche qui me prend et me malmène est toujours la même, identique et impersonnelle ? Pourquoi ?

3 septembre 2012

J'ai fêté mes trente ans. Étrange... J'ai trente ans... Cet âge est un mirage. Je le regardais arriver depuis quelques années déjà, me disant qu'il serait un tournant, espérant qu'il soit un tournant. J'ai fantasmé sur cet âge, voulant lui donner plus d'importance qu'il n'en a, me projetant dans cette étape comme dans un lieu nouveau où tout serait différent. Je me voyais me lever avec le sourire et regarder par la fenêtre pour découvrir un soleil resplendissant. Je me suis réveillé comme tous les autres jours, j'ai bu mon café avec la même indifférence et, lorsque j'ai regardé dehors, je n'ai pu que constater qu'il pleuvait, qu'il pleuvait comme vache qui pisse, et que le vent faisait claquer les volets avec violence. Rien n'avait changé, rien. Que de douleurs derrière les faux-semblants, les remises à plus tard, derrière ces faiblesses où l'on attend que l'extérieur fasse le travail à notre place.

28 septembre 2012

Je suis retourné dans ce bar, bien plus vite que je ne l'aurais voulu. J'ai pris sur moi pour ne pas courir vers les coins sombres auxquels on accède par un escalier illusoirement caché. J'ai tenu la bride à mon désir de perte, m'obligeant à me rappeler que c'était vain. J'ai bu mes trois whiskys avant et j'ai pris mon temps pour une fois. J'ai senti un regard peser sur moi, lourd et insistant. Je l'ai cherché, je ne l'ai pas trouvé. C'était étrange, il a glissé sur ma peau et a caressé mon sexe, le faisant réagir sans que je ne puisse rien contrôler. J'ai flippé, vraiment flippé. J'ai avalé mon troisième verre cul sec et je me suis sauvé comme une vierge effarouchée. J'ai peu et mal dormi cette nuit-là, mais comme ça m'arrive souvent, je ne m'y suis pas attardé.

20 octobre 2012

Mon père m'a appelé et je n'avais qu'une envie, lui dire d'aller se faire foutre. Il m'agace au possible. Pendant les seize premières années de ma vie, il m'a ignoré, comme on ignore le destin d'un caillou coincé sous sa chaussure et que l'on a délogé pour le jeter au loin, n'importe où. Quand ma mère est morte, il n'a plus eu le choix ou, tout du moins, ceux qu'il avait lui laissaient peu de marge. C'était soit sa sœur, soit les services sociaux, soit lui. Ma tante, c'était afficher aux yeux de sa famille qu'il n'assumait pas ses responsabilités. Les services sociaux, ce n'était pas mieux. Il m'a pris chez lui. Je n'ai rien dit, je n'avais rien à dire. Je connaissais déjà l'indifférence. Si elle était souffrance, elle était aussi connue. J'ai habité sa maison comme un étranger.

Il a fait de nombreux pas vers moi, je dois le reconnaître, mais je n'ai jamais été prêt à les accepter. Seize années à l'espérer et ne devoir son intérêt qu'à la mort de ma mère a fait naître ma colère. Elle ne s'est pas éteinte. Il s'acharne, me rappelle à lui régulièrement, je n'affiche qu'une politesse de surface. Je ne dis pas que j'ai raison, mais c'est ainsi. Quand je le regarde, je ne me reconnais pas en lui, je ne vois rien qui nous rattache, juste cette mort spectaculaire.

22 octobre 2012

Je tourne en rond comme un lion en cage. Mon appartement me donne l'illusion de ne posséder que quatre murs, il m'oppresse et me rend dingue. Je dois me défouler.

J'ai couru, couru des kilomètres, avant de m'arrêter à la salle de sport et de faire crier mon corps. Je sais pourquoi on me reluque sans cesse, les femmes comme les hommes. Mon corps est sculpté dans du marbre. Un mètre quatre-vingt-dix pour quatre-vingt-douze kilos de muscles. Une santé de fer et un physique que j'entretiens, même si je me demande souvent pourquoi je tiens tant à cette apparence attirante. Ma mère était belle, mon père est bel homme, je ne suis pas en reste. Les regards glissent sur moi, ils m'admirent et se veulent attirants. Je n'y prête que peu d'attention. Ils me galvanisent, me plaisent et me rendent vivant, mais ils se suffisent à eux-mêmes. Je n'ai jamais eu de relation, juste des plans cul sans lendemain, ou alors, très peu de lendemains. Ces activités, je ne les admets qu'en dehors de ma ville, loin des cancans possibles et des réputations dont il est si difficile de se défaire. Je suis gay, je l'ai toujours été et je ne m'en cache pas, mais je n'en parle pas non plus. Au bout du compte, personne ne le sait et c'est très bien ainsi. Il y a peu de chance que l'on vienne m'emmerder sur le sujet, on ne m'emmerde pas souvent, faut dire. Je ne suis pas facile d'accès, mon caractère a fait ses preuves et je fais plutôt peur. Ici, je ne m'autorise que le sexe anonyme, dans la noirceur de pièces sombres. Je ne laisse que des mains et des bouches me toucher, des plaisirs rapides et peu satisfaisants. Des libérations qui font à peine redescendre la pression.

1er novembre 2012

Encore le passé, toujours le passé...

J'ai couché avec une femme une fois, par curiosité. Pas facile, mais tant qu'on réussit à bander, c'est faisable. Il suffit de fermer les yeux et d'imaginer d'autres corps plus attirants, plus fermes, avec des courbes plus discrètes. Bien sûr, à ce moment-là, je ne pensais pas que ça se passerait ainsi. J'étais jeune et je voulais essayer, pour ne pas mourir bête et pour me donner l'illusion du choix. Parfois, ce souvenir me fait sourire. J'aurais pu choisir une femme mince, avec de petits seins peu développés, fermes sous les mains, un petit cul tentant et peu de hanches. J'aurais pu choisir une femme quelque peu masculine ou, au minimum, androgyne. Mais non. Fort de la vigueur de ma jeunesse, imbu de moi-même, il a fallu que je porte mon choix sur une femme plus que féminine, avec tout ce qui va avec. Son corps, découvert dans une nudité sans pudeur, m'a laissé froid. Elle n'était qu'un beau tableau qu'on admire. Je ne dois mon salut, cet évitement de l'humiliation et du ridicule, qu'à sa nature entreprenante et à son goût pour le sexe avec un orgasme à la clé. Elle connaissait parfaitement son corps, savait comment s'en servir, tout autant que ce qu'elle aimait, et n'avait aucun complexe à exprimer ce qu'elle voulait. L'exciter n'a pas été trop difficile, y prendre plaisir, un combat perdu d'avance. Je n'ai rien trouvé de mieux à faire, pour être à la hauteur, que de fermer les yeux et d'imaginer les mains et la bouche de mon dernier amant en date. Ça a marché, mais je n'ai jamais renouvelé l'expérience. Je n'y ai pas gagné grand-chose, si ce n'est des certitudes et une femme dont j'ai eu un mal fou à me défaire. Je n'ai jamais su, je n'ai pas été jusqu'à lui poser la question, si c'était parce qu'elle avait aimé notre partie de sexe, pas terrible de mon point de vue, ou si c'était parce que, déjà à l'époque, j'étais plus que reluqué.

Si je sais une chose, une seule chose, c'est que j'aime les hommes et qu'eux seuls peuvent me donner du désir et du plaisir.


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