1.
La salle d'attente était dotée d'immenses baies vitrées. Le paysage offert en contrebas distrayait les clients. Au loin, près de la bordure de l'horizon, on devinait des immeubles qui, bien que certainement aussi hauts que cette tour, semblaient ridiculement petits. Entre cette ville et la suivante s'étalait un marécage sans grande saveur, recouvert d'une brume épaisse qui ne laissait apparaître que quelques touffes d'un vert gris banal. De l'autre côté de la pièce, on pouvait contempler l'océan et les vagues s'écraser tout près de la base du bâtiment.
Pourtant, si le spectacle de la mer en fascinait beaucoup, j'observais la première vue. Au-dessus de la ville, au loin, de lourds nuages s'accumulaient, menaçants dans la lumière flamboyante du soleil qui se couchait. Ils se paraient des reflets incandescents et pourpres de l'astre, avant que des éclairs d'un blanc argenté les déchirent. Un orage laissait libre cours à son ire, à des centaines de kilomètres de là.
Un indicible pressentiment s'insinua en moi, me tirant un frisson. Mon chat miaula dans le creux de mes bras. Ma crainte inexplicable s'ajoutait à celle qu'il ressentait déjà de bientôt voir le vétérinaire. Je le rassurai d'une caresse, et il laissa échapper un ronronnement qui s'étrangla sur la fin.
Devant mes iris embrasés par le couchant, un avion se découpa sur la toile du ciel. Quelque chose me perturbait pourtant, alors que la scène ressemblait à tant d'autres. Peut-être était-ce l'énorme cellule orageuse. Je me tendis et mon chat laissa échapper un gémissement, ses griffes se plantèrent dans la manche de mon pull. L'appareil joua un instant avec la foudre avant que l'un des éclairs ne s'abatte sur lui, telle une épée mettant à mort un guerrier.
Je me figeai tout à fait. L'engin se brisa en larges morceaux, virevoltant au gré d'une bourrasque qui devait facilement arracher les arbres, là-bas. Ici, tout demeurait calme, paisible, silencieux. C'était comme regarder un film muet. Jusqu'à ce que l'un des fragments, transformé en projectile mortel, fonce dans notre direction.
J'esquissai un pas en arrière, avalai une bouffée d'air, prête à hurler. D'autres réagirent comme moi dans cet instant suspendu, ce moment où le temps oublia de s'écouler, avant que tout ne s'écroule. Le bruit du verre brisé, de la tôle froissée, emplit mes oreilles, couvrant le cri qui était mort sur mes lèvres, laissant ma gorge acérée.
Je me réveillai sous un soleil timide. Tous mes muscles me faisaient souffrir, bien qu'engourdis. Je plissai les paupières : la lueur du matin blessait mes rétines. Mes tympans bourdonnaient. Mes doigts me faisaient mal, étaient la seule partie de mon corps qui n'était pas à moitié ankylosée.
Quand ma vision s'éclaircit, je me rendis compte que j'étais accrochée à un morceau de métal. Le bruit des vagues se faufilait peu à peu jusqu'à mes tympans. Je tentai de tourner la tête vers la gauche. Le mouvement me tira une grimace, et chaque muscle de mon visage voulut crier son désaccord. Une inspiration sifflante irradia mes poumons.
D'autres personnes étaient agrippées, comme moi, à ce radeau improvisé. Ma mémoire, lentement, l'assimila à l'aile de l'avion qui avait percuté la tour. Un sanglot heurta mes côtes en songeant à mon chat qui avait dû rester dans les décombres.
Je fermai les paupières, cherchant à chasser les larmes qui ourlaient mes orbites. Une secousse me força à rouvrir les yeux et je le regrettai dans la seconde alors qu'une vague m'ensevelit. Je creusai les épaules, tentant d'affirmer ma prise, quitte à blesser encore un peu plus mes doigts. Je ne devais pas lâcher. Jamais. Sinon les flots m'avaleraient et je ne reverrais plus jamais la lumière du soleil.
L'écume passée, nous nous regardâmes tous d'un air hébété. Nous ne pouvions que continuer de dériver jusqu'à l'endroit où le courant nous mènerait. Un soupir tremblant s'échappa d'entre mes lèvres craquelées par le sel et je tournai la tête vers la droite. La mer s'étendait à perte de vue. Sa teinte gris bleu était à peine plus foncée que celle du ciel. Ballottée par l'onde, assommée par le chagrin et le désespoir, je fermai les yeux, me laissant aller à un sommeil précaire, troublé à chaque nouvelle lame déferlante.
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