「 épisode spécial - mori 」
nda - moi il y a deux semaines : aha je suis en vacances je posterai de nouveau régulièrement :))
moi aujourd'hui : ... oups ?
si vous me suivez sur instagram, vous savez déjà que j'ai passé un week-end loin de wattpad - ou presque -, au sein de mon adorable brot3 (aka rainY-daYs_ et -luzene-, les plus jolies). je vous avoue donc ne pas avoir eu très envie de relire mon chapitre et de le poster (et pas vraiment le temps non plus pour être honnête), d'où le petit retard pour ce bonus que j'ai pourtant hâte de poster.
mais le week-end est fini (malheureusement), donc voici pour votre plus grand plaisir (j'espère) la première partie de l'épisode spécial consacré à Mori. première partie, oui, parce qu'il y avait beaucoup à dire et que le prochain épisode lui sera aussi consacré pour raconter la fin de son point de vue.
j'en profite aussi pour préciser que la lecture de ces bonus n'est pas obligatoire en soi, donc si vous n'aimez pas un personnage auquel ils sont dédiés et ne souhaitez pas en savoir plus sur ses motivations, ne vous forcez pas à les lire ;))
bonne lecture !
spécial, se préparer au pire
(et à étendre son business)
.
« Monsieur, pourquoi ne pas avoir pris votre voiture ? Voyager en train est un peu...
― Mon chauffeur est en congés.
― Quelqu'un d'autre aurait pu...
― Quel est votre nom déjà ?
― Karma, monsieur.
― Ecoutez-moi, Karma. Je ne monte pas dans une voiture conduite par n'importe qui. Si mon chauffeur est en congés, je prendrais le train, voilà tout.
― Mais monsieur !... »
Sans se soucier plus longtemps des préoccupations de celui qui répondait au nom de Karma, Ôgai partit d'un pas vif dans la direction du train qui venait d'entrer en gare. Il ne comprenait même pas pourquoi celui-ci en faisait tout un plat. Il avait quarante ans, il n'était pas impotent. De son point de vue, monter seul dans la voiture d'un homme qu'il ne connaissait que brièvement était plus risqué que prendre un train bondé au départ d'une ville de campagne. Il y avait tant de gens qui se massaient dedans que l'homme doutait qu'on puisse expressément l'identifier comme Ôgai Mori d'un simple coup d'œil.
De plus, il avait opté pour son accoutrement de médecin en reconversion professionnelle, un peu perdu et surtout d'apparence inoffensive. Avec sa blouse trouée par endroits, sa barbe mal rasée et ses cheveux laissés libres et en bataille, on aurait bien du mal à reconnaître en lui le parrain de la mafia de Yokohama, qui retournait sur son fief après quelques jours de « vacances ».
(Officieusement, il avait fait un peu de repérage sur les terres peu peuplées de ce coin du Japon. Il cherchait depuis un long moment à étendre ses affaires au-delà de la métropole de Yokohama. Tokyo restait encore inatteignable : il lui fallait renforcer ses positions ailleurs pour pouvoir prétendre s'emparer de la pègre de la capitale ― et il lui fallait plus de ressources aussi, pour corrompre les hauts dirigeants et policiers qui y exerçaient.)
L'endroit qu'il venait de visiter, situé à une demi-journée de train de Yokohama, lui semblait parfaitement honorable. Il devait désormais se renseigner sur la possibilité d'installer une entreprise fantôme là-bas, pour masquer ses véritables activités.
« On va rater le train, si vous continuez à tergiverser, lâcha Mori sur un ton amusé en se retournant pour chercher des yeux son escorte, qui n'avait pas bougé d'un pouce. J'ai déjà pris le train pour venir, et je n'en suis pas mort. »
Son voyage décidé à la dernière minute loin de la métropole de Yokohama chevauchait les quelques jours de congés qu'il avait accordés à son chauffeur pour le mariage de sa fille. Il avait déjà ainsi effectué un premier trajet en train, pour quitter la ville, accompagné d'un de ses hommes les plus fiables, Hirotsu ; cependant, l'homme avait pris une mauvaise balle alors qu'ils s'aventuraient dans une petite ville dominée par un groupuscule de racailles de bas étage, et Mori l'avait envoyé secrètement dans une autre planque pour qu'il puisse être soigné.
Ce Karma était celui qu'on lui avait envoyé en retour pour ne pas qu'il voyage seul. Et il s'inquiétait déjà trop au goût de l'homme d'âge mûr.
« Vous êtes venu en train vous-même, non ?
― Oui, mais mon visage n'est pas aussi connu que le vôtre... »
Le parrain de la mafia haussa les épaules. Il ne voyait pas l'utilité de l'argument. Il n'était pas si reconnaissable accoutré ainsi.
De toute façon, c'était lui le chef, non ?
« On monte dans ce train, trancha-t-il. En cas de problème, je compte sur vous. »
Son ton était sans appel et le dénommé Karma finit par incliner la tête à l'affirmative, sans plus chercher à discuter. Ces intonations marchaient toujours avec les paranoïaques, parce qu'ils se souvenaient que malgré tout ce qu'ils pouvaient dire, ils restaient de simples employés qu'Ôgai pouvait licencier d'un geste du poignet.
Il n'avait même pas besoin de s'embêter avec les indemnités de licenciement.
Ce boulot était parfait.
Ils montèrent en première classe ― tout de même ― et s'installèrent sur les deux sièges qui leur avaient été assignés. Le regard de Karma ne cessait de balayer nerveusement leurs environs ; Mori lui avait dit de se détendre pour ne pas les faire repérer comme individus suspects, mais il semblait que c'était impossible pour le jeune homme aux cheveux auburn.
Avec un soupir, il posa son menton sur sa main et observa les autres passagers de première classe. Il n'apercevait pas de famille, fort heureusement, ce qui lui garantissait une relative tranquillité pour le trajet à venir. Elise n'était même pas avec lui ― il l'avait invitée, bien sûr, mais la fillette avait, comme à son habitude, décliné toute forme de générosité de sa part en le traitant au passage de type niais.
Sa propre fille le menait par le bout du nez ; mais de toute manière, elle était bien mieux dans leur territoire que sur celui de ses multiples ennemis.
Le train finit par partir au bout de quelques minutes, et Karma parut finalement se détendre un petit peu ; Ôgai était ravi qu'il le fasse sans qu'il n'ait besoin de le rappeler à l'ordre. Il n'aimait pas se répéter.
Et puis, que pouvait-il bien arriver ? Le trajet jusqu'à Yokohama durerait quelques heures, mais il serait paisible. Il y avait trop de passagers pour qu'on tente quoi que ce soit à son encontre, et il se fondait aisément dans la masse. Il doutait que la police ait eu suffisamment de temps pour organiser une arrestation dans ce train qui devait être complet depuis plusieurs jours, voire semaines. Un week-end comme celui-ci devait facilement remplir les trains des compagnies ferroviaires.
Ce qui signifiait qu'il allait enfin pouvoir se reposer un peu.
Ôgai eut l'impression qu'il avait à peine fermé les yeux que déjà, des cris lui parvenaient en provenance des wagons derrière eux. Il avait toujours eu le sommeil léger, et il ne lui en fallut pas plus pour se redresser, alerte. Karma, le plus proche du couloir, se pencha en arrière, essayant de distinguer ce qui se produisait. Il fut cependant contraint de se reculer alors que plusieurs membres du personnel se frayaient un chemin parmi les passagers, essayant du mieux possible d'être rassurants :
« Ne vous inquiétez pas, nous avons la situation sous contrôle. » déclaraient-ils en passant d'un pas rapide, visiblement inquiets malgré leurs mots apaisants.
Le parrain de la mafia se demandait bien ce qu'il pouvait se produire dans les wagons inférieurs. Il restait alerte ; rien ne disait que cela lui était lié, mais rien n'indiquait le contraire non plus. Mieux valait donc ne pas se reposer sur ses acquis et rester méfiant. Il avait beau avoir pensé le contraire quelques instants plus tôt, il n'était pas idiot. Il y avait toujours une chance qu'il se fasse tuer, n'importe où, n'importe quand, par n'importe qui. Il avait choisi la voie du risque et exposé son dos à de nombreux couteaux qui ne cessaient de fondre sur lui.
Et il savait se comporter en conséquence.
« Essaye de te renseigner, ordonna-t-il à Karma d'un ton sec. Je veux savoir ce qu'il se passe. » L'autre opina, cette fois assez lucide pour ne pas discuter ses ordres, mais s'arrêta néanmoins après s'être relevé pour le regarder :
« Cela pourrait aussi être une distraction, je devrais peut-être rester avec vous.
― Va enquêter, rétorqua Ôgai sans prendre la peine de discuter davantage. Je n'ai pas besoin de ta protection ici. Je suis pas encore incompétent. »
Ses subordonnés avaient la manie d'oublier qu'il n'était pas si vieux, et toujours capable de se défendre. Il avait été dans l'armée, avant. Médecin militaire, certes, mais formé un minimum à l'autodéfense. L'autre finit par hocher la tête en signe d'assentiment, avant de partir d'un pas raide en direction du bruit, là où les autres passagers se rassemblaient.
Ôgai tendit l'oreille également, épiant les conversations pour tenter d'en savoir plus ― cependant, la plupart des passagers en savait autant que lui, à savoir bien peu. Ils n'avaient pas de moyen de savoir ce qui se produisait dans les autres wagons après tout ; a priori, s'ils étaient en première classe, ils ne connaissaient pas d'autres passagers en seconde classe. Il entendit néanmoins quelques personnes murmurer sur des événements suspects qui ne cessaient de se produire dans le reste du pays, et finit par tirer son portable de sa poche pour jeter un oeil par lui-même à ce qui se passait au Japon.
Il ouvrit dans un premier temps les sites Internet des chaînes de news, regardant tous les titres sans vraiment prendre le temps de s'arrêter sur un article en particulier. Ceux-ci listaient un nombre gargantuesque de catastrophes qui arrivaient en chaîne ; incendies, accidents de véhicules en tous genres, destruction massive de boutiques et d'équipements publics par des individus qui semblaient avoir perdu les pédales, saturation des hôpitaux devant un arrivage massif de blessés et d'individus en état d'hystérie.
Le train n'était parti que depuis quelques dizaines de minutes, et pourtant le monde entier ne semblait plus fonctionner correctement.
Les réseaux sociaux ― qu'Ôgai n'utilisait pas, mais qu'Elise l'avait forcé à installer sur son téléphone, et au diable les recommandations disant de ne pas donner accès aux plus jeunes à ces applications ― regorgeaient aussi de témoignages et de récits similaires. Certains parlaient de virus, d'autres tempéraient en répétant que l'armée et la police avaient la situation sous contrôle et que la vie reprendrait bien vite son cours.
Il n'y avait plus de cris en provenance des wagons inférieurs au moins ― et Ôgai songea que les gens en faisaient sans doute tout un plat, et qu'il s'agissait sans doute là d'une démonstration de l'influence néfaste des réseaux sociaux...
Quand soudain, d'autres hurlements lui parvinrent. Beaucoup plus nombreux, beaucoup plus hystériques ― et quelque peu inquiétants. Les passagers de leur wagon de première classe, le deuxième sur les trois que contenait ce train, échangèrent des regards dans lesquels une certaine panique commençait à s'installer.
« Il y a des zombies dans le train ! »
Un cri leur parvint, étouffé et provenant sans doute de wagons éloignés, mais compréhensible tout de même. Le médecin fronça brièvement les sourcils : des zombies ? Et puis quoi encore ? Ces créatures appartenaient aux mythes, pas à la réalité. Peut-être que les crises dont parlaient les médias et réseaux sociaux, qui semblaient prendre de plus en plus d'habitants du Japon sans crier gare, donnaient cette impression ― mais le médecin était persuadé que, scientifiquement parlant, tout ceci était impossible.
Une vague de passagers se rua malgré tout dans les wagons de première classe ; Ôgai aperçut le troisième se faire assaillir rapidement, puis ce fut au tour du leur. Il fut bien content de ne pas s'être levé ; cela lui permit de ne pas se retrouver coincé avec les nouveaux arrivants, évidemment trop nombreux pour tous tenir confortablement dans leurs wagons, même si ceux-ci étaient plus grands que la moyenne.
Tout le monde semblait dans un état de panique avancé, et le parrain de la mafia soupira en songeant que le voyage prenait soudainement une tournure beaucoup moins agréable. Il chercha du regard Karma, sans l'apercevoir. Il y avait tant de monde que cela semblait compliqué de repérer qui que ce soit ; l'homme eut cependant le désagréable pressentiment que le jeune homme ne se trouvait simplement pas dans le wagon. Au vu de son inquiétude préalable, il aurait sans le moindre doute couru vers Ôgai à la seconde où il l'aurait aperçu.
L'homme observa les arrivants du regard, épiant leurs conversations. En apercevant un membre de l'équipage, aux cheveux blonds maintenus dans une queue de cheval, il le héla pour lui poser les questions qui lui brûlaient la langue :
« Que se passe-t-il ? A quoi rime toute cette mascarade ? » L'autre inclina la tête en signe d'excuses, avant de lui répondre :
« Veuillez nous pardonner pour la gêne occasionnée. Des individus ont commencé à attaquer d'autres passagers, et nous les avons invités à évacuer pour se mettre en sécurité...
― Ils sont si nombreux que cela ? releva l'homme aux cheveux noirs, critique.
― Eh bien... » Avisant sa blouse blanche, l'employé s'arrêta. « Vous êtes médecin ? » Ôgai réalisa qu'il s'était mis sans y prêter attention dans la peau du parrain de la mafia, et non du simple médecin qu'il était supposé être. Il se racla la gorge et détendit ses traits pour répondre :
« J'ai fermé mon cabinet il y a quelques années de cela, mais oui. Je continue encore aujourd'hui d'aller voir mes plus fidèles patients qui n'ont plus de médecin dans leur campagne.
― Peut-être pouvez-vous nous aider, dans ce cas ? Nous avons des blessés, et nous ne comprenons pas quel mal affecte soudainement les autres passagers. Je sais que c'est incorrect de vous demander cela alors que vous n'êtes pas ici pour travailler, mais tout le monde panique, et certains parlent même d'une invasion de zombies. »
Mori prit quelques secondes pour réfléchir avant de hocher la tête avec lassitude. Il n'avait pas spécialement envie de reprendre son ancien travail qu'il avait abandonné au profit de moins nobles intentions, mais cela lui permettrait ainsi d'en apprendre plus, de chercher son subordonné ― et aussi de se mettre en avant et de se rendre ainsi intouchable. Il ne pensait pas que quiconque irait aussi loin pour le tuer ou le piéger, mais prudence est mère de sûreté.
Il quitta donc à son grand désarroi sa place bien confortable ― ses deux places, puisqu'il avait gardé occupée celle de Karma qui n'avait toujours pas reparu ― et suivit docilement l'homme blond qui lui montra les quelques blessés qui avaient trouvé refuge en première classe. La plupart ne souffraient que de quelques contusions qui guériraient vite avec un peu de repos ; des bleus principalement, sans doute dûs à une mauvaise chute. D'autres avaient un état plus préoccupant, mais Ôgai ne pouvait rien faire pour eux. Ils ne souffraient pas de blessures externes mais plutôt d'un sévère état de choc, principalement après avoir vu des proches être pris de cette folie agressive qui caractérisait les monstres, et Mori n'était pas psychologue.
Ces gens-là devraient aller voir un autre professionnel que lui pour aller mieux.
Il profita néanmoins de son statut pour déambuler entre les voyageurs, leur posant de temps à autre des questions pour approfondir ce qu'il s'était passé. Malgré tous ses doutes, la situation avait en effet des airs d'apocalypse zombie comme on pouvait en voir dans les œuvres de fiction. La vitesse à laquelle l'état de folie se propageait, la manière dont seule une morsure semblait pouvoir transmettre cette hystérie et l'attitude des transformés qui ne cherchaient qu'à se ruer sur les humains en bonne santé rappelaient en effet ces images d'horreur.
Mais tout de même, cela semblait bien improbable. Mori était peut-être un mafieux, mais il était aussi un scientifique ― il l'avait été en tout cas ― et il ne comprenait pas comment ce virus avait pu circuler aussi vite et de quelle manière il se manifestait réellement dans leur cerveau.
S'il en avait l'opportunité, il serait très intéressé pour observer de plus près un cerveau contaminé.
En attendant, l'ambiance au sein du train n'était pas des plus roses ― la tension montait, certains pleuraient, d'autres commençaient à s'énerver. En circulant dans le wagon le plus proche des zombies, Ôgai avait repéré un lycéen en train de recouvrir la porte vitrée de journaux pour bloquer la vue des monstres et les apaiser. La présence de ceux-ci restait cependant palpable, et les humains supportaient mal la tension.
Les wagons de première classe étaient cependant en train de se changer en bulle nerveuse ― et elle explosa quelques instants plus tard, lorsqu'un homme annonça avoir contacté le condcuteur et qu'une annonce de celui-ci les informa qu'il ne marquerait pas d'arrêt avant Yokohama.
« Il est hors de question que nous restions à bord de ce train !
― C'est beaucoup trop dangereux !
― Au diable Yokohama, je dois rejoindre ma femme !
― Arrêtez ce train ! »
L'expérience de Mori en matière de foules lui dictait qu'il devenait urgent de calmer le jeu, ou les choses risquaient de bien mal tourner. Plus les gens étaient nombreux, moins ils avaient de limites ― on appelait cela l'effet de groupe : les individus se sentaient confortés dans l'idée que ce qu'ils faisaient était bon car d'autres le faisaient avec eux, sans réaliser que tous avaient la même logique.
Il prit donc les devants avant que les choses ne se corsent, et s'exclama d'une voix forte :
« Arrêtez ! »
Le silence se fit instantanément ; en d'autres circonstances, Ôgai aurait savouré l'effet de son autorité qu'il aimait considérer comme naturelle, mais l'heure n'était pas à l'auto-flatterie. Il sentait peser sur lui les regards de tous les autres passagers, et il n'avait pas le loisir de rester silencieux après cette intervention, ou ils allaient diriger leur colère contre lui.
« Le conducteur ne peut pas nous entendre, rappela-t-il en adoucissant sa voix. Protester ainsi ne nous apportera rien. » Il se tourna vers l'homme qui avait, un peu plus tôt, déclaré avoir contacté le conducteur. « Où est l'interphone qui fonctionne ?
― Dans le deuxième wagon... »
Il aurait eu meilleur temps d'y rester, finalement, songea Ôgai en entendant cette réponse. Il traversa la foule tant bien que mal, se frayant un chemin jusqu'au dit interphone. Puis, il pressa le bouton d'appel et attendit.
Au bout de quelques instants, la voix de l'homme qui avait parlé plus tôt retentit.
« Je sais que vous n'êtes pas satisfaits, mais ce n'est pas la peine de...
― Ceci est un euphémisme. Bien sûr que nous ne sommes pas ravis d'être coincés à bord d'un train rempli de zombies, tandis que vous êtes bien à l'abri à l'avant, le coupa rapidement Mori. Peut-être n'avez-vous pas à vous préoccuper trop activement de votre survie, mais nous, si.
― On m'a donné des ordres, rétorqua l'autre ― son intonation implacable rappelait des souvenirs au parrain de la mafia. Je suis navré de vous laisser dans une situation comme celle-ci, mais on m'a demandé de ne faire aucun arrêt.
― C'est complètement irresponsable. L'armée doit être à notre disposition compte tenu de la situation. Ce n'est pas le moment d'agir selon les procédures habituelles.
― Vous réalisez que nous ne sommes pas seuls au monde et que bien d'autres personnes ont besoin de leur aide ? » Mori retint un soupir d'exaspération.
« Ecoutez, je dirige une compagnie d'import-export majeure et je possède des actions dans cette compagnie ferroviaire. Je suis un client de valeur. » Il n'aimait pas spécialement cet argument, mais si celui-ci pouvait lui servir à survivre...
« Et de quelle compagnie pourrait-il bien s'agir ? » Mori retint cette fois-ci une insulte, avant de rétorquer ― à contre-coeur, car il aurait voulu rester anonyme au cas où des policiers se trouveraient tout de même non loin :
« Mori Corporation. » Il y eut un silence prolongé, suivi d'un :
« Ôgai ? »
Le susnommé cligna des yeux en entendant son prénom utilisé, alors qu'il ne l'avait pas mentionné. L'intonation avec laquelle il avait été prononcé avait quelque chose de douloureusement familier ― il mit le doigt dessus au bout de quelques dixièmes de secondes.
« Yukichi ? »
Il parvenait à peine à croire le hasard qui se déroulait sous les yeux de dizaines de curieux. Yukichi Fukuzawa était un militaire ― ancien militaire vraisemblablement, puisqu'il conduisait désormais un train ― un peu plus âgé que lui, qu'il avait rencontré à l'armée lorsqu'il était encore médecin là-bas. Leurs chemins s'étaient séparés lorsqu'Ôgai avait raccroché sa blouse une dizaine d'années plus tôt pour se lancer dans un domaine très différent.
Il ignorait depuis ce que son ancien collègue était devenu ; il avait désormais la réponse semblait-il.
« Quelle coïncidence, mon cher, reprit-il pour ne rien laisser paraître de sa surprise, bien que ses quelques secondes d'hésitation aient sans doute été très parlantes. Je n'aurais jamais pensé que c'était toi qui nous ramenait à Yokohama.
― Et je n'aurais jamais pensé que tu ferais partie de mes passagers, soupira en retour son interlocuteur.
― Tu vas donc accepter de t'arrêter avant Yokohama pour garantir la survie de ton ancien collègue préféré ?
― Cela ne change rien, j'ai toujours des ordres. » Mori fit la moue. A l'armée comme en civil, l'autre était toujours aussi intransigeant.
« D'après mes estimations, il y a déjà un bon tiers des passagers qui a péri. Tu veux alourdir le bilan ? » Il y eut un silence, et Ôgai sut qu'il avait touché une corde sensible.
« Je vais rappeler la gare la plus proche. »
Le parrain de la mafia esquissa un sourire satisfait en entendant cette réponse. Ce n'était pas une complète victoire, mais cela lui permettrait au moins de changer la situation en sa faveur, il l'espérait. Et puis, de la sorte, tous ceux qui les écoutaient avaient pu constater que c'était bien grâce à lui que Fukuzawa avait changé d'avis. Ils verraient que sans son intervention, les choses n'auraient pas tourné en leur faveur.
Il ne s'attendait pas à recevoir des tonnes entières de remerciements, mais Ôgai songea que ce serait sans doute à sa avantage de montrer ce qu'il était capable d'accomplir.
Quelques minutes plus tard, la voix de Yukichi résonna à nouveau dans le wagon ― porteuse, cette fois-ci, de meilleures nouvelles.
« Mesdames et messieurs, c'est votre commandant de bord qui vous parle à nouveau. J'ai contacté de nouveau la tour de contrôle, et ils me permettent d'effectuer un arrêt à la gare de Nagoya. Les militaires nous y attendront pour nous escorter en sécurité. »
Un arrêt supplémentaire et l'armée ? C'était le jour de chance d'Ôgai, à n'en pas douter. Autour de lui, la tension parut se dégonfler comme un ballon dans les trois wagons de première classe ― certains allèrent même jusqu'à l'applaudir, ce qui le fit sourire. Il en fallait si peu aux gens pour considérer les autres comme des héros...
Cela lui convenait, cependant. Avoir une notoriété, peu importe où il se trouvait, était ce qui lui tenait à cœur dans ce genre de situations.
Tant qu'il ignorait l'issue de tout ceci, mieux valait rester prudent.
Lorsque le train entra finalement en gare de Nagoya, les passagers se massèrent instantanément contre les vitres, comme s'ils croyaient à peine ce qu'ils avaient sous les yeux. Ôgai trouvait leur réaction absolument hilarante ― ils étaient semblables à des mouches qui se massaient autour de confiseries pour se rassasier.
Il les suivit plus posément, n'oubliant pas au passage de récupérer sa valise qui était toujours dans le deuxième wagon de première classe. Il hésita un instant en voyant le sac de Karma, avant de le laisser là où il était. Il n'avait pas aperçu son garde du corps, même en faisant le tour des trois wagons de première classe.
Il restait la possibilité qu'il soit en queue de train ― apparemment, certains y avaient trouvé refuge ― mais le docteur considérait que la probabilité que ce soit le cas était très faible. Karma n'était pas bien positionné pour pouvoir la rejoindre ; les zombies avaient dû lui barrer le passage.
L'esprit pragmatique de l'homme s'était déjà accoutumé à l'idée qu'il était sans doute zombifié lui aussi.
(Mori supposait que cela ferait un salaire en moins à verser ― devait-il considérer cependant que l'autre était décédé en étant à son service et qu'il devait par conséquent verser des indemnités à sa famille ?)
En descendant, il observa la foule se masser sur le quai puis vers les escaliers qui menaient à la sortie de la gare, mais ne la rejoignit pas tout de suite. Il tourna plutôt la tête en direction de la locomotive ― l'homme aux cheveux blonds qui lui avait demandé son aide s'y dirigeait également, et il aperçut une silhouette familière en descendre après quelques secondes.
Fukuzawa.
Il avait toujours du mal à croire que c'était lui, le conducteur.
Il attendit quelques secondes que l'homme ait échangé quelques mots avec le membre du personnel, puis s'ajouta sans grande délicatesse à la conversation.
« Fukuzawa ! le salua-t-il en reprenant le nom de famille de l'autre ; ils avaient coutume de s'appeler par leurs prénoms avant et il l'avait fait par automatisme plus tôt, mais dix ans avaient passé depuis.
― Mori, répondit son ancien collègue sans ciller. C'est bien toi.
― Tu en doutais encore après avoir entendu ma voix ?
― Tu admettras sans doute que la coïncidence reste troublante. » L'ancien médecin militaire haussa les épaules.
« Le monde est petit, Fukuzawa. Surtout quand une apocalypse zombie contribue à le rassembler. » L'autre le toisa du coin de l'œil.
« Je ne crois pas que cela soit drôle, Mori. D'autant plus que c'est faux : tu es monté à bord du train avant que ceci ne débute.
― Bien sûr, c'était une simple plaisanterie. Tu n'as toujours pas un grand sens de l'humour, hein ? » Le concerné fronça les sourcils avant de se racler la gorge et de se tourner vers son collègue pour lui ordonner :
« Kunikida, assure-toi que tout le monde reste bien groupé. L'armée est supposée nous attendre à l'extérieur, et nous escorter ensuite dans une zone saine.
― Nous aurons le sentiment de revenir à la maison, ne penses-tu pas ? » ricana Mori en songeant que retourner dans une base militaire après tant d'années allait avoir quelque chose de cocasse. Cela ne parut pas grandement amuser son interlocuteur non plus.
« Si seulement les circonstances n'étaient pas aussi tragiques. »
Le susnommé Kunikida prit les devants, tandis qu'ils se mettaient à remonter le quai côte à côte. La grande perche qu'était son ancien collègue conduisait Mori à se sentir tout petit malgré les quelques centimètres qu'il grapillait grâce aux talonnettes dont il s'était muni depuis qu'il était devenu parrain de la mafia.
(Il adorait la façon dont le simple bruit qu'ils faisaient sur le parquet des couloirs du bâtiment dans lequel ils opéraient faisait trembler tous les employés.)
« Pourquoi as-tu quitté l'armée ? demanda-t-il ensuite, après avoir observé un long silence songeur. Je pensais que tu avais accepté le grade de commandant parce que tu comptais y rester.
― J'en ai eu assez du sang et des morts, répondit posément Fukuzawa. J'ai eu envie de changer de paysage.
― Et tu es devenu conducteur de train ?
― C'est un travail provisoire. J'amasse de l'argent avant de me lancer dans un autre projet.
― Et quel est-il ? » L'homme aux cheveux gris parut hésiter.
« Un refuge pour les chats errants. Il y en a énormément autour de chez moi. »
Mori laissa échapper un rire. A l'armée déjà, il avait constaté que l'homme adorait les chats. C'était un contraste impressionnant, ce tueur à l'uniforme tacheté de sang qui caressait un animal presque sans défense.
Le mafieux allait rétorquer quelque chose lorsque des cris leur parvinrent. Le groupe de passagers qui avançait jusqu'alors devant eux se retourna subitement dans une cacophonie assourdissante, et Ôgai comprit rapidement de quoi il retournait : les zombies devaient être présents dans la gare aussi.
Tomber simplement sur l'armée, cela aurait été trop beau.
L'escalier se noircit rapidement de passagers paniqués, s'écrasant presque les uns sur les autres ; Mori se tourna d'un coup vers Fukuzawa, immédiatement sérieux.
« Il faut qu'on reparte. Maintenant.
― Vous êtes celui qui m'a demandé de m'arrêter ici.
― Pour recevoir la protection de l'armée. Visiblement, les militaires sont soit une légende, soit des zombies. »
Il n'y avait aucun coup de feu qui résonnait dans la gare, aucune indication du fait que des hommes armés étaient en train de se porter à leur secours. Ôgai n'était pas grand amateur de désillusions, aussi accepta-t-il rapidement l'évidence : même l'armée ne les aiderait pas ici.
« Ce train est notre seule échappatoire ! » lâcha-t-il sur un ton sec en voyant que Fukuzawa ne bougeait pas.
Kunikida, lui, se dirigea rapidement vers les passagers qui se déversaient sur le quai et remontaient dans le train se mettre à l'abri. Comme c'était à prévoir, dans leur précipitation, une partie des passagers ouvrit les portes de wagons emplis de zombies, et la vue du quai qui se noircissait de monstres attaquant la foule parut éveiller Fukuzawa de son instant d'absence.
« Je vais remettre en marche le train, lâcha-t-il avant de hausser la voix : Kunikida ! Préviens moi dès que tous les passagers sont à bord. »
Mori se retourna pour protester, mais l'autre était déjà parti à toute vitesse vers sa locomotive. Il voulait en plus qu'ils attendent tous les autres passagers ? Certains paraissaient en effet être encore coincés à l'intérieur de la gare, mais le mafieux était réaliste : ils ne s'en sortiraient pas vivants ainsi. Mieux valait repartir tout de suite, et abandonner ceux qui les ralentiraient au profit de sauver des vies.
Il suivit Kunikida qui montait rapidement dans un des wagons de première classe ― il semblait qu'ils soient destinés à y rester ― et observa le quai. De plus en plus de zombies s'y trouvaient : ceux qui s'étaient échappés des wagons avaient mordu rapidement les plus vulnérables, et ils se multipliaient désormais. Quelques malheureux paraissaient encore réussir à se hisser à bord du train, mais ils étaient rares.
« Il faut qu'on reparte, ordonna-t-il à l'intention du stewart. Ou ces zombies vont nous mordre à notre tour.
― Tout le monde n'est pas à bord, objecta un homme derrière lui. J'ai aperçu certains de mes étudiants toute à l'heure dans la gare. Il faut attendre au maximum. »
Ôgai toisa celui qui parlait : un type aux cheveux auburn, vraisemblablement un prof à en juger par ses propos. Il n'était pas disposé à négocier avec quelqu'un d'aussi naïf ; ses étudiants étaient sans doute zombifiés désormais et les attendre ne ferait qu'entraîner leur propre mort.
Il reconcentra son attention sur ce Kunikida, qui hésitait toujours à proximité du dispositif de contact avec le conducteur.
« Dites-lui de partir. Sinon ces zombies vont nous gêner.
― Si nous restons à l'abri dans les wagons fermés...
― Ils vont se masser, et empêcher qui que ce soit d'entrer. Regardez ! » Il désigna leur propre porte de wagon, devant laquelle les zombies pressaient leur figure ensanglantée. « Vous croyez que quiconque parviendra à passer dans ces conditions ? Si nous ouvrons cette porte pour faire rentrer quelqu'un, nous allons tous mourir. »
Le blond ne semblait pas en démordre cependant ― Mori voyait dans ses yeux que c'était un de ces héros qui voulait sauver tout le monde en permanence. C'était stupide. Dans cette situation, c'était chacun pour soi.
« Vous voulez condamner tous ces gens pour trois gamins sans doute déjà zombifiés ?
― Leurs vies importent aussi, objecta le professeur. Et ils sont peut-être plus que trois.
― Vous pensez sérieusement que ces enfants ont survécu à tous ces zombies ?
― Ce sont des lycéens, et je connais mes élèves. Ils sont intelligents, ils peuvent...
― Survivre à des centaines de zombies ? »
Kunikida suivait leur échange comme un arbitre supervisait un match de tennis ; finalement, il pressa le bouton d'appel au conducteur et marmonna :
« Tout le monde est à bord. »
Le professeur le pria de reconsidérer et d'attendre encore un peu, mais Ôgai savait que l'autre ne reviendrait pas sur sa décision. Même les héros savent prendre conscience qu'ils doivent sacrifier la minorité pour sauver la majorité. Mettre en danger une cinquantaine de personnes, voire plus, pour des vies peut-être déjà perdues se comptant sur les doigts d'une main...
L'autre allait sans doute s'en vouloir, il le voyait à son visage, mais Mori n'avait pas de remords.
Il allait survivre à toute cette apocalypse.
Au fond, ce n'était pas si différent de survivre à la guerre.
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