「 épisode spécial - katai 」

nda - il y aura encore un bonus après celui-ci, puis ce sera la fin 🤞🏻 pile pour la rentrée hm hm le timing est involontaire pour le coup mais c'est plutôt une bonne chose!

j'espère que vous allez bien sinon et que vos vacances, si vous en avez eu, se sont bien passées!

la suite le 04 septembre exceptionnellement!

épisode spécial, sortir de chez soi
(et de sa zone de confort)
.

Il y avait trop de monde et Katai regrettait déjà d'être monté dans ce train. Cela ne lui ressemblait pas d'ailleurs : comme toujours lorsqu'il commettait des choses aussi insensées, c'était la faute de Doppo. Souvent, trop souvent, le jeune homme se demandait comment son petit ami le convainquait aussi bien de quitter le confort de leur appartement, voire ― pire encore ! ― de partir en voyage avec lui.

Inconcevable pour quelqu'un comme Katai qui ne se voyait pas survivre plus de dix minutes perdu au milieu d'une foule d'inconnus.

Et pourtant, c'était bien là qu'il se trouvait.

On aurait presque pu appeler cela de la sorcellerie.

Ses malheurs avaient commencé deux jours plus tôt, lorsque Doppo était rentré du travail particulièrement épuisé. Il n'avait pas été à la maison les dernières soixante-douze heures ― les inconvénients de travailler dans une compagnie ferroviaire en tant que contrôleur et personnel de bord ― et le jeune informaticien indépendant avait tout de suite pressenti que son compagnon atteignait ses limites. Il avait un instinct pour cela ; ou alors, simplement un peu de bon sens ― même lors de ses jours de repos, le blond n'arrêtait pas, enchaînant les activités auprès de leurs amis ou de sa famille pour leur venir en aide. Son petit ami était inarrêtable et trop gentil, et il ne disait jamais non à tous ceux qui venaient lui demander un service.

Katai comprenait le sentiment ― lui aussi disait rarement non ― mais, à la différence du blond, il sortait si peu qu'on avait rarement le temps de lui demander quoi que ce soit. Son travail d'informaticien indépendant lui prenait de toute manière la majorité de son temps et le contraignait à rester chez lui pendant de longues durées, ce qui n'était pas pour lui déplaire en toute honnêteté.

Mais voilà ― Doppo lui avait paru soudainement très las, épuisé par tout ce qu'il devait faire : et Katai, trop bon lui aussi sans doute, lui avait suggéré de prendre quelques congés. Au moins pourraient-ils passer un peu de temps ensemble chez eux, songeait-il ; même s'il savait également qu'il s'exposait à des reproches sans fin digne d'une seconde mère (ce que Kunikida était pour ainsi dire pour lui, il fallait bien l'admettre) quant à sa manière de travailler et de vivre.

Malheureusement, son compagnon avait déjà promis à un très bon collègue à lui de le remplacer sur un train bondé qui se rendait à Yokohama deux jours plus tard ― et il ne souhaitait pas s'absenter trop longtemps, même s'il admettait que des vacances lui feraient le plus grand bien. Le compromis auquel ils étaient arrivés : Katai voyageait à bord du même train que celui où il effectuerait son dernier service, et ils passeraient tous les deux quelques jours en ville avant de repartir dans leur campagne tranquille ― littéralement, puisqu'ils habitaient au milieu de nulle part, entourés de vaches et de champs, un coin paisible loin de tous où l'informaticien avait tout de même fait installer le meilleur débit possible pour son travail.

(Sincèrement, Katai était convaincu qu'il s'était fait avoir dans cette histoire. Mais Doppo ne lui laissait pas vraiment le choix ― il ne pouvait plus faire faux bond à son collègue, et Katai tenait à ce qu'il se repose dans les prochains jours, où il allait s'effondrer.)

Bien entendu, le train était absolument complet sans doute depuis des semaines ― ça non plus, Katai ne l'avait pas formulé ouvertement pour ne pas compromettre leurs plans. Il voyagerait en soute s'il le fallait ― attendez, c'était dans les avions ça ― pour non seulement ne voir personne, mais en plus se faire discret quant aux contrôles qui ne manqueraient pas de tomber s'il restait à l'intérieur : Doppo avait beau être contrôleur, il ne lui ferait aucun cadeau.

En lieu et place d'une soute, il avait trouvé une alternative moins efficace : les toilettes d'il ne savait quel wagon. Pour être honnête, il était très mal installé. Enroulé dans Yoshiko, son futon qui ne le quittait jamais et le protégeait de tous les regards des autres, il était assis à même le sol à deux centimètres de la cuvette, et priait sans cesse pour que personne n'ait d'envie pressante et ne signale à quelqu'un du personnel de bord que cette cabine était perpétuellement occupée. Assis de la sorte, il réalisait l'ampleur de sa stupidité : il aurait mieux fait de trouver une meilleure alternative que celle-ci pour passer un voyage un peu plus agréable. Mais lorsqu'il avait mis un pied dans la gare, il s'était immédiatement senti étouffé : il y avait trop de gens, trop de bruit, trop de mouvement. Tant bien que mal, il avait trouvé le quai ― auquel le train stationnait déjà fort heureusement car il était arrivé assez tardivement ― et s'était faufilé à l'intérieur plus ou moins discrètement, avant de s'enfermer dans la première pièce sur son chemin.

Si Doppo le découvrait, il allait lui hurler dessus.

Considérant que l'objectif de Katai était de lui faire prendre un peu de repos, c'était particulièrement contre-productif.

Mais il avait paniqué, d'accord ?

Même dans la cabine isolée, il entendait de nombreux sons et éclats de voix. Il y avait des gens qui passaient sans cesse dans le couloir, sans doute des membres du personnel de bord qui s'assuraient que le début du voyage se passait sans encombre et commençaient à procéder au contrôle des billets. Le jeune homme aux cheveux noirs tendait régulièrement l'oreille pour entendre son petit ami, sans grand succès. Les sons étaient trop étouffés pour qu'il reconnaisse les voix parfaitement.

Lorsque son portable vibra soudainement, il réalisa qu'il avait oublié de prendre quelque chose en considération : Doppo allait se déplacer librement entre les wagons. Et le chercher du regard. Et ne pas l'apercevoir. Et sans doute penser qu'il lui avait ― encore ― fait faux bond. Son numéro qui venait de s'afficher sur son téléphone en attestait : le blond avait remarqué son absence parmi ses passagers. Oh. Katai ne se sentait pas d'attaque à décrocher et répondre à ses questions, alors il ignora l'appel en poussant un profond soupir.

Il n'y avait rien à faire dans cette cabine, bien évidemment, si ce n'était penser à sa situation, au sermon qui l'attendait lorsqu'il tomberait sur Kunikida, mais aussi à la tranquillité relative dont ils bénéficieraient une fois ce long trajet infernal terminé. Il avait juste à patienter quelques heures, espérer ne pas se faire repérer par qui que ce soit, et sortir discrètement une fois arrivé à bon port.

Pour tuer le temps, Katai décida de faire ce qu'il fuyait pourtant comme la peste habituellement : il fit défiler son fil d'actualité. Il évitait en général ce genre de choses, cela avait tendance à accentuer son agoraphobie ― comme l'appelait communément Doppo ― et le conduisait à se terrer encore plus sous Yoshiko, dans la chaleur de leur maison. Se plier à ce geste dans un train bondé au sein duquel il regrettait déjà d'être grimpé était sans le moindre doute une idée déplorable qu'il ne manquerait pas de regretter, mais cela aurait le mérite de passer le temps et de lui faire oublier sa situation présente. Et puis, peut-être trouverait-il un fait divers distrayant qui l'aiderait à ne pas se cacher autant des autres ; comme une histoire de sauvetage d'un enfant ou d'un animal qui lui rappellerait que la société avait encore du bon.

Malheureusement, les nouvelles étaient tout sauf aussi touchantes : la plupart des articles étaient fades et sans intérêts, rédigés uniquement pour combler le manque de nouveautés dans l'actualité. Alors qu'il faisait défiler une étude parfaitement stupide et nullement scientifique sur l'omniprésence du hacking dans leur société actuelle ― un sujet qui le concernait légèrement et sur lequel il aurait écrit un bien meilleur article qu'eux s'il avait eu une once d'intérêt pour le journalisme ―, un bandeau Flash Info se mit à défiler au-dessus de sa page. Il lut l'annonce d'un air désintéressé, avant de sentir un frisson le parcourir alors qu'il analysait son contenu : Flash Info : plusieurs villes de les préfectures d'Hiroshima et du Kansai en proie aux flammes.

Les préfectures d'Hiroshima et du Kansai, ce n'était pas si loin de leur train qui traversait une partie du Japon pour les amener à bon port à la capitale ― un peu avant, dans ce cas précis, puisqu'il s'arrêterait à Yokohama. L'horizon qu'il apercevait depuis la minuscule fenêtre des toilettes était dégagé, sans le moindre panache de fumée, et s'il avait été rationnel, Katai aurait admis que ces deux préfectures étaient tout de même à plusieurs centaines de kilomètres d'eux.

Il avait d'autres préoccupations que la rationalité et la logique à ce moment précis, cependant.

Il parcourut l'article, avant de voir, avec frayeur, le nombre de flash info se multiplier minute par minute. Ce n'était plus seulement des villes isolées qui flambaient ― il y avait aussi des bâtiments entiers en périphérie des grandes villes qui partaient en flammes, des émeutes qui se déclenchaient à tous les coins de rue, même dans des zones pavillonnaires connues pour leur tranquillité et des agressions qui n'en finissaient plus. Le nombre d'admissions à l'hôpital avait triplé en l'espace de quelques instants.

Autant de nouvelles qui faisaient enfler l'inquiétude de Katai à vitesse grand V. Il n'aimait pas l'atmosphère qui se dégageait de tout cela. On se serait cru dans un de ces jeux d'horreur auxquels son frère adorait jouer, sur lesquels ses yeux se posaient quelques fois avant de se détourner en vitesse parce que quelqu'un venait de se faire trancher la gorge sur l'écran. Cela lui procurait la même sensation de malaise. Le sentiment que quelque chose de terrible allait se produire.

En temps normal, il aurait éteint son téléphone et laissé tomber ces nouvelles terrifiantes ; d'ailleurs, dans un premier temps, ce fut ce qu'il fit, laissant de côté son portable pour ne plus y penser. Mais il ne pouvait focaliser son attention sur rien d'autre et se sentit, finalement, obligé d'ouvrir à nouveau la page d'actualité pour la relire. Il y avait une envie malsaine en lui de savoir ce qu'il se produisait, peut-être au fond pour trouver un espoir auquel se raccrocher.

Une vidéo faisait désormais les premières pages de tous les sites d'actualité. On y voyait un homme se déplacer bizarrement avant de se jeter sur une femme passant par là et de la mordre. Puis, une fois sa victime immobile à terre, il se tournait vers celui ou celle qui filmait avant de se jeter à son tour sur cette personne.

Le dernier plan montrait la tête de l'homme, les yeux révulsés et la bouche baveuse et ensanglantée. La vision donna envie à Katai de jeter son portable contre la porte des toilettes face à lui tant elle était terrifiante. Un seul mot s'imposa à lui : zombie. Ces créatures n'existaient que dans les oeuvres de fiction, et pourtant il était certain que c'était le nom le plus approprié pour ces choses.

Il ne voyait pas quel autre qualificatif pouvait aller à des choses démunies de cerveau qui se jetaient sur les humains pour les dévorer.

Il sentit son souffle se bloquer dans sa poitrine à la pensée de ce qui les attendait potentiellement désormais. Il avait envisagé assez de scénarios catastrophes dans son esprit pour savoir comment une apocalypse zombie pouvait tourner. Au mieux, ils arrivaient à isoler des survivants dans une zone complètement saine. Au pire, l'entièreté de la population était décimée.

Les deux hypothèses envoyaient des frissons de panique dans son corps. Il tenta de contrôler sa respiration, de changer ses idées comme on lui avait appris à le faire pour éviter d'hyperventiler, sans grand succès. En désespoir de cause, il s'enroula dans Yoshiko, essayant de disparaître complètement derrière le tissu du futon, comme si cela allait changer quoi que ce soit à sa situation.

Cela faisait au moins disparaître tout de son champ de vision ; l'obscurité relative obtenue en plaquant Yoshiko sur son visage l'apaisait un peu... Mais bien vite, les images de la vidéo revinrent le hanter, et il laissa échapper une plainte étouffée. Il aurait dû rester chez lui. Attendre une autre fois pour faire ce voyage romantique avec Doppo. Ou non, mieux, le forcer à annuler ce voyage et à rester avec lui. Ainsi, ils auraient pu se terrer l'un avec l'autre, loin de tout ce qui se passait dehors.

Katai savait qu'il avait toujours eu une tendance à tomber dans la paranoïa, mais il n'avait jamais pu contenir celle-ci, et encore moins alors que tous les signaux semblaient pointer vers une véritable catastrophe. Sa seule consolation provenait de sa localisation actuelle ― le train était en train de rouler paisiblement dans la campagne, et il paraissait peu probable qu'il y ait le moindre zombie à bord puisqu'ils étaient partis avant que les flashs ne commencent à affluer. Tant qu'ils ne s'arrêtaient pas...

Oh. Katai sentit une vague de panique monter en lui de nouveau. Ils avaient plusieurs arrêts de prévu jusqu'à Yokohama. Trois ou quatre, il ne se souvenait plus. Il fallait qu'il prévienne quelqu'un ― le conducteur, si possible ― de ne pas s'arrêter... Il était en train de conduire, il ne s'était sans doute pas aperçu de la présence de ces zombies partout au Japon... Le trentenaire prit une profonde inspiration, essayant de se concentrer. Il posa une main sur la porte de la cabine et la déverrouilla, avant de réaliser sa stupidité. Il ne pouvait pas sortir de nulle part comme ça. Il n'avait même pas payé son voyage.

Il était si idiot. Il aurait mieux fait d'avouer la vérité à Doppo et de ne pas monter dans ce train. Il ne voulait pas mourir. Avant même d'avoir un avis objectif sur la situation, il était déjà convaincu que tout allait aussi mal finir que dans les scénarios d'horreur contenant ces monstres. Il y aurait peut-être des survivants, mais où et qui ? Personne ne pouvait le savoir. Tant que le train resterait en mouvement, il supposait que leur survie ne serait pas compromise, mais ensuite ? Que se passerait-il une fois le train arrêté ? Des zombies pourraient sans doute monter à bord et les menacer...

Il se roula de nouveau dans Yoshiko et essaya de se soustraire à tout ça, sans grand succès. Il ne parvenait pas à penser à autre chose. Une voix étouffée lui parvint, quelqu'un qui lui demandait s'il allait bien ― il n'avait pas refermé la porte après l'avoir déverrouillée, se souvint-il ― puis une autre voix qu'il reconnaissait bien l'interpella :

« Monsieur ? Pouvez-vous me montrer votre billet ? »

Il aurait reconnu la voix de Doppo entre mille ― même si celui-ci l'appelait monsieur, sans doute pour rester le plus professionnel possible et ne pas trahir le fait qu'ils se connaissaient personnellement tous les deux. Dans tous les cas, Katai n'était pas en mesure de lui répondre, son esprit suffoqué par la panique trop focalisé sur l'idée de sa potentielle mort imminente lorsque le train s'arrêterait à la première gare.

« Ils seront bientôt là... » murmurait-il en boucle, sans se soucier des autres autour de lui.

La voix de Doppo lui parvint de nouveau, inintelligible cette fois ― puis un cri assourdissant résonna non loin d'eux. Il y eut une seconde de flottement, pendant laquelle même Katai se dégagea légèrement de Yoshiko, ahuri par ce qui venait de se produire. Son cœur battait la chamade, et pour une fois, ce n'était pas à la vue de son compagnon mais pour une toute autre raison.

Il avait la certitude que ce cri n'augurait rien de bon.

La suite ne fut que confusion pour l'homme aux cheveux noirs, une succession de faits qui parurent s'enchaîner sans qu'il n'ait la moindre emprise sur eux, et sans qu'il n'ait vraiment son mot à dire : il était plutôt un spectateur passif de ce qui se produisait.

Après le premier cri, il y en eut d'autres, de plus en plus proches. Kunikida esquissa le geste de se rapprocher de l'endroit dont ils provenaient, mais Katai le retint promptement par le poignet, l'enjoignant de partir à l'opposé. Etonnamment, l'homme s'exécuta ― mais pas particulièrement pour se plier à sa demande et plutôt pour lui remonter les bretelles quand à son attitude comme Katai s'en aperçut ensuite. Avant que Doppo n'ait le temps de l'enterrer sous les reproches, cependant, une foule de passagers se rua en criant dans le couloir où ils attendaient, puis dans les autres wagons, le plus loin possible de ceux d'où semblaient provenir les cris qui se rapprochaient désormais à vitesse grand V.

Katai manqua de faire un infarctus en apercevant des hommes et des femmes qui couraient de façon étrange, les yeux révulsés et le visage ensanglanté. Des zombies, comme ceux qu'il avait vus avant, à n'en pas douter. Mais comment étaient-ils montés à bord ? Le train n'avait marqué aucun arrêt, il était encore loin de son premier d'après les écrans que Katai avait consultés en quittant la cabine de toilettes avec Kunikida.

Les zombies devaient déjà être à bord avant, réalisa-t-il. Il surprit quelques bribes de conversations isolées tandis qu'il s'éloignait aux côtés de son petit ami : certains disaient avoir vu une femme boitant sortir des toilettes plusieurs dizaines de minutes après le départ, puis s'effondrer sur le sol en hurlant. Peut-être était-elle une passagère clandestine, comme lui. Un frisson le parcourut de nouveau à l'idée de ce que cela pouvait signifier. Il y avait des zombies à bord du train. Ils allaient tous mourir.

Ils ne moururent pas, cependant.

Une bonne moitié de passagers s'abrita dans les wagons de première classe ― même lui put faire partie de ces chanceux, aidé par Doppo qui semblait toujours un peu ennuyé, mais ne pouvait pas l'abandonner maintenant. Il se terra dans un coin, le plus loin possible de cette foule qui le terrifiait ― il redoutait de voir quelqu'un se changer subitement en zombie sans crier gare ― et attendit que le temps s'écoule, priant pour que les minutes se transforment en heures tout en paraissant être des secondes.

Lorsque le conducteur annonça qu'il ne marquerait pas d'arrêt avant Yokohama, il se sentit soulagé.

Lorsqu'il se corrigea en ajoutant un arrêt, il maudit celui qui avait occasionné ce changement d'avis, ce médecin dont il avait entraperçu le dos et qui s'était mêlé de ce qui ne le regardait pas ― quoi que...

Lorsque tous les passagers descendirent du train une fois qu'il eut marqué son premier ― et dernier ― arrêt, il attendit silencieusement avec Doppo, qui surveillait que tout le monde sorte. Il laissa ensuite son compagnon rejoindre le conducteur à contre-coeur : qui savait ce qui pourrait se produire dans l'intervalle ? Il fit exprès de ne pas marcher trop rapidement pour ne pas creuser d'écart trop important entre lui et Kunikida, s'arrêtant par moments à côté de wagons exempts de zombies. Cela lui permettait aussi de ne pas se perdre dans la foule amassée ; il ne voulait pas se trouver coincée en son sein, ou la sensation d'étouffer risquait de revenir peser dans sa poitrine.

Kunikida prenait son temps en retrait, et Katai finit par se laisser porter par la foule, restant toujours un peu en arrière malgré tout pour ne pas se faire surprendre. Du coin de l'oeil, alors qu'il pénétrait dans la gare, il avisa un groupe de lycéens ― dont, s'il ne se trompait pas, celui qui les avait déjà aiguillés sur le fait que les zombies ne se fiaient qu'à la vue et l'ouïe pour les repérer ― qui prenait une direction opposée à celle des autres passagers.

S'ils ne se mêlaient pas aux autres, c'est qu'il y avait une raison.

Pour être honnête, il n'avait pas confiance en l'armée. Bien sûr, ils avaient des armes et leur entraînement militaire leur permettrait sans le moindre doute de les protéger. Mais à quel prix ? Les zombies étaient partout, il l'avait vu sur les réseaux sociaux. Cette ville ne devait pas faire exception à la règle ― sans doute l'armée s'y trouvait-elle dans un premier temps non pas pour leur porter secours spécifiquement, mais pour gérer la crise qui avait dû survenir dans les rues comme partout ailleurs.

Katai doutait de tout, et particulièrement du fait que l'armée les accueillerait bras grands ouverts avant de les emmener miraculeusement en lieu sûr.

Aussi prit-il la décision de suivre ce groupe.

Ces gamins avaient l'air intelligent. Ils allaient sans doute lui permettre de survivre.

Après tout...

« Ils nous retrouveront toujours. On ne peut pas leur échapper. »

Si les jeux vidéo macabres de son frère lui avaient appris une chose, c'était bien celle-ci. D'un pas rapide et saccadé, il se dirigea vers la petite troupe qui s'était retournée en entendant sa dernière remarque, prononcée d'une voix forte.

« Où allez-vous ? demanda-t-il en s'arrêtant devant eux.

Je ne pense pas que ça vous regarde. » rétorqua un lycéen en le toisant. Le brun qu'il avait repéré plus tôt ajouta sur un ton léger qu'ils allaient retrouver des amis ― Katai n'aurait pas su dire s'il s'agissait d'un mensonge ou d'une vérité.

« Je viens avec vous. Je n'ai pas confiance en l'armée. Je veux vivre, moi. »

Doppo n'allait sans doute pas tarder à apparaître dans le hall, et ainsi, ils pourraient tous les deux emboîter le pas aux lycéens... Ceux-ci ne semblaient pas ravis de son apparition, cependant.

« Monsieur, rejoignez les autres, déclara la fille du groupe. Vous n'avez rien à faire avec nous.

Je sais que vous êtes intelligents. Vous avez compris que l'armée ne nous accueillera pas à bras ouverts. »

Il lut de la perplexité dans le regard d'un des membres du groupe, celui aux cheveux roux qui se pencha pour murmurer quelque chose au brun, mais ne s'attarda pas dessus. Avant que ces gamins n'aient le temps de prendre une décision finale le concernant, il aperçut un mouvement derrière eux. Un homme venait d'apparaître au bout du couloir.

Katai se dirigea immédiatement vers lui, ravi de voir quelqu'un qui pouvait possiblement les aider... mais tomba vite des nues en s'apercevant que l'homme était déjà en train de se transformer en zombie. Derrière lui, d'autres cris de passagers se mirent à résonner dans toute la gare et, très vite, le hall entier se remplit à nouveau de passagers courant en sens inverse, poursuivis par des zombies.

Katai paniqua bien sûr ; il se mit à courir à son tour pour retourner vers le train mais se trouva vite incapable de savoir où se diriger. Il y avait trop de monde, trop de bruit, et il eut presque envie de s'enrouler dans Yoshiko pour se soustraire à son environnement ― mais il savait que ce serait stupide.

La seule chose qu'il pouvait faire pour exprimer sa panique, c'était crier son désespoir et espérer que le son de sa voix soit suffisant pour extérioriser le sentiment qui lui enserrait la gorge.

Vite, trop vite, des zombies passèrent devant ses yeux, le faisant crier de peur et de stupeur. Certains attrapèrent le tissu de Yoshiko, le tirant avec force jusqu'à le déchirer à plusieurs endroits. Ce fut un déchirement, mais Katai dut se résoudre à l'abandonner là ; elle l'entraînerait vers le bas s'il continuait de s'y accrocher. Sans elle cependant, il se sentait presque nu ― Yoshiko était sa barrière protectrice contre le monde extérieur, et il ne savait pas comment se comporter sans.

Il fallait qu'il retrouve Doppo, et vite.

Impossible cependant de localiser les cheveux blonds de son petit ami dans la foule amassée sur le quai, à laquelle se mêlaient désormais des zombies ― certains passagers avaient ouvert les mauvaises portes, laissant un flux de monstres s'écouler sur le quai. Essayant de ne pas hyperventiler encore davantage, Katai tenta de trouver un endroit sûr où il pourrait être en sécurité : apercevant un wagon qui semblait vide, il s'empressa d'y pénétrer...

... mais aperçut immédiatement des zombies de part et d'autre du couloir. Il retint sa respiration et se glissa aussi silencieusement que possible dans la cabine des toilettes dont la porte était restée entrouverte.

Son voyage était destiné à se passer dans ces espaces exigus, semblait-il.

Il se recroquevilla en boule et essaya de calmer sa respiration pour ne faire aucun bruit et ne pas attirer les zombies. Au bout de quelques instants cependant, des bruits de pas lui parvinrent et, après quelques instants, trois adolescents ― différents de ceux qu'il avait tenté de suivre ― entrèrent à leur tour dans les toilettes. Ils parurent avoir un mouvement de recul en le voyant recroquevillé là, mais ils n'eurent pas le temps de s'appesantir sur sa présence.

Les zombies les avaient repérés.

Un des types aux cheveux bicolores fut assez prompt pour fermer la porte, mais un zombie parvint à y glisser la tête et à l'empêcher de la fermer complètement. Il continua de s'acharner et d'essayer de les mordre, amplifiant davantage le désespoir que Katai ressentait.

« On va tous mourir. » souffla-t-il.

Les enfants avec qui il était coincé ne donnaient aucun espoir à Katai. La suite n'arrangea en rien leur moral : le conducteur les informa que le train allait repartir sans marquer le moindre arrêt avant Yokohama. Qui était loin, trop loin encore.

Il était convaincu que leur seul espoir désormais, c'était la mort.

Elle et rien d'autre ne pourrait leur éviter un destin trop cruel.

Il prêtait à peine attention aux trois adolescents qui partageaient son destin ; il n'avait que remarqué que celui aux cheveux bicolores, qui répondait apparemment au nom d'Akutagawa, ne paraissait pas très disposé à faire la conversation, surtout avec lui : ses rares remarques à son égard étaient incroyablement agressives. Ils parlèrent au téléphone un instant, semblait-il, mais Katai voyait mal ce que cela changerait à leur destin. Cela ne l'empêcha pas d'implorer la personne au bout du fil de venir le plus vite possible les tirer de là ― les zombies étaient de plus en plus agressifs.

Ils parvinrent à tenir un moment, grâce à ce type aux cheveux bicolores qui maintenait le plus possible la porte dans sa position. Les gamins essayèrent de faire la conversation, mais Katai n'y participa pas réellement, trop absorbé par ses pensées, son inquiétude dévorante pour lui et Doppo. Il aurait pu essayer de l'appeler, mais son portable avait dû tomber de sa poche à un moment car il était introuvable.

Il n'avait aucun moyen de savoir ce qu'il était advenu de son petit ami.

Le silence convenait parfaitement à Katai ; c'était un silence imparfait, puisque les autres discutaient un peu, mais un silence dans lequel il parvenait à se plonger relativement pour se soustraire à la réalité. Par moments, le type aux cheveux bicolores le menaçait ― mais les deux autres personnes qui l'accompagnaient étaient bien plus agréables.

Finalement, leur situation s'améliora lorsque le train passa par un tunnel, les plongeant assez longtemps dans l'obscurité pour que les zombies s'éloignent d'eux et les laissent fermer cette fichue porte. A ce moment-là, Katai soupira de soulagement. Il ne voyait pas d'inconvénient à ce qu'ils restent ainsi jusqu'à la fin de leur voyage, si les zombies ne parvenaient pas à rentrer. Au moins ne prendraient-ils pas de risques inconsidérés, même s'il doutait que qui que ce soit puisse être assez fou pour traverser un train rempli de zombies.

Il parla trop vite ― il y avait des gens assez fous pour cela. Katai n'était pas d'humeur à le leur reprocher cependant, car ce faisant, ils leur sauvèrent la mise en les tirant de la cabine dans laquelle ils étaient enfermés depuis trop longtemps. En comprenant qu'il allait leur falloir traverser un dernier wagon de zombies, Katai sentit le peu d'optimisme que leur intervention avait suscité en lui fondre comme neige au soleil. Ils ne survivraient pas à ça. C'était absolument impossible.

(Il les suivit cependant, parce que c'était ça ou mourir, et Katai ne voulait pas mourir.)

Il voulait retrouver Doppo qui était certainement en sécurité avec les autres passagers ― il ne pouvait pas en être autrement, il le refusait ― et atteindre enfin la ville de Yokohama, apparemment le dernier bastion sûr du pays.

Il voulait juste se réveiller de l'immense cauchemar que ce voyage improvisé était devenu. Découvrir que tout n'était qu'un mauvais rêve causé par son subconscient qui s'était souvenu des jeux d'horreur de son frère. Et s'apercevoir que tout allait bien, que le pays ne courait pas à sa ruine et que la vie allait continuer normalement, comme si de rien n'était ― puisque rien n'était.

Il voulait juste survivre. Cette émotion était la seule qui le faisait encore avancer.

Katai voulait survivre, c'était ce pour quoi il trouvait encore la force d'avancer, de ne pas se laisser écraser par la fatalité. Pour retrouver Doppo, son confort de vie et leurs habitudes tranquilles de vieux couple marié qui ne l'était pas, il trouvait la force de dépasser, au moins physiquement, ses pensées sombres qui lui criaient qu'il ne survivrait pas.

Pour autant, il finissait par se demander à quel prix cette survie allait-elle se faire, au rythme où les choses avançaient. Deux membres du petit groupe d'adolescents qui lui étaient venus indirectement en aide avaient péri pour leur permettre à eux de survivre. Ils étaient encore des enfants, des gamins qui portaient encore un uniforme et n'avaient pas encore décidé de ce qu'ils allaient faire plus tard, une fois adultes.

Du haut de ses trente ans, Katai se sentait un peu coupable ― ses émotions se mélangeaient entre elles, formant un amas improbable de sentiments. La joie de s'en sortir s'y mêlait à la peur d'y passer à tout moment ; la culpabilité de ne pas avoir pu aider ces gamins en retour s'atténuait sous la conscience qu'il n'était pas un héros et qu'il n'aurait rien pu faire pour les aider : ses jambes étaient paralysées par la peur.

Il n'arrivait pas à oublier leurs deux visages, pourtant.

Et puis, celui de Kunikida aussi.

Lorsqu'ils avaient enfin trouvé refuge dans ce wagon de première classe, Katai avait croisé le regard de son petit ami. Il avait entendu ses protestations , demandant aux autres de ne pas les traiter comme des pestiférés zombifiés et de les laisser se reposer ici, avec eux, en sécurité. Cela n'avait rien changé bien sûr, mais Katai ne voyait que le positif ― pour une fois ― de cette situation ; Doppo était en vie.

Il était en vie.

Il était en vie ?

Il n'avait pas pu bouger quand, depuis leur refuge de piètre qualité, coincés entre la locomotive et un wagon de première classe, ils avaient vu cette femme aux cheveux roses ouvrir la porte qui les séparait des zombies.

Il n'avait pas pu crier à l'idée que là, juste devant lui, son compagnon était en train de se faire zombifier.

Il n'avait rien pu faire. Rien pu dire. Juste écouter leurs cris.

Pourquoi voulait-il survivre si Kunikida n'était pas avec lui ? Les pensées s'entrechoquaient dans son esprit. Il ne voulait pas mourir. Il en était convaincu. Mais Kunikida n'était plus là. Que ferait-il sans lui ? Qui lui rappelerait de prendre soin de sa santé ? Qui raccommoderait ses futons lorsqu'il leur ferait un accroc à cause de sa maladresse ? Qui le pousserait à faire des choses insensées qui le sortaient de sa zone de confort, une habitude que Katai détestait mais qui avait parfois été bénéfique pour lui ?

Personne ne le ferait plus ― combien de citoyens du Japon avaient-ils survécu ? Et parmi eux, combien de personnes comme l'homme dont il était tombé amoureux ? Aucune, probablement. Personne n'égalerait jamais Doppo. Personne ne le pouvait.

Katai se sentait triste. Désemparé. Quand le conducteur annonça un dernier arrêt, pour changer de voie et de train, il eut envie de rester immobile, là, dans ce wagon, à attendre que quelque chose se produise. Il voulait juste attendre que tout cela s'arrête d'une manière ou d'une autre ― et s'ils ne pouvaient pas fuir ces monstres, peu importe à quel point ils couraient pour leur échapper, autant rester immobile et attendre la fatalité.

Il se leva malgré tout et emboîta le pas aux autres jeunes gens, parce qu'ils savaient qu'ils n'allaient pas le laisser tranquille, et parce qu'il voulait savoir si eux trouveraient encore la force d'avancer. Ils avaient aussi perdu deux amis après tout, deux personnes qu'ils ne connaissaient pas tous depuis longtemps, mais qui avaient péri sous leurs yeux.

Il se demandait où ils trouvaient encore la force d'avancer.

Il descendit du train en jetant un dernier regard en arrière au compartiment où se trouvait Kunikida, en espérant qu'il ne souffrait pas, où qu'il soit.

Lorsque le train fut violemment percuté par un autre, Katai songea que c'était bon, leur chemin s'arrêtait là. Mais non : il avait survécu, aussi étonnant que cela puisse paraître, à la collision brutale des deux véhicules.

Lorsqu'il s'aperçut qu'il en était de même pour tout le monde, il se demanda quelle bénédiction étrange frappait ainsi leur petit groupe. Comment avaient-ils pu tous survivre au basculement d'un train sur eux ? Cela semblait si miraculeux ―

― ça ne pouvait évidemment pas durer.

Une des fenêtres avait été fragilisée dans l'impact, à moins que ce soit le poids des zombies qui s'amassaient dessus qui l'ait conduite à se fissurer, puis se briser.

Des zombies se déversèrent immédiatement sur le sol, juste à son niveau et à celui du professeur qui accompagnait ses élèves.

Katai avait envie de prendre ses jambes à son cou, mû par un dernier instinct de survie sans doute propre aux êtres humains.

Mais il le remarqua à ce moment-là : un des zombies portait l'uniforme de la compagnie ferroviaire, et avait de longs cheveux blonds assemblés en queue de cheval.

Son cœur rata un battement avant de se serrer douloureusement. Les zombies déferlèrent sur lui et le professeur, et il parvint à peine à se relever pour faire face aux autres membres du groupe qui semblaient pétrifiés par la situation sous leurs yeux.

« Allez-vous en. Ça ne sert à rien qu'on meure tous ici. » lâcha-t-il finalement la voix enrouée. Il ne pouvait pas se tourner vers ces types et fit tout en son pouvoir pour les dissuader de le rejoindre. « Ne venez pas ! C'est trop tard pour moi de toute façon. Vous en avez fait plus pour moi que moi pour vous depuis le début de cette histoire. Il est temps de changer ça. Et puis... Je ne pense pas que quelqu'un m'attende encore, contrairement à vous. »

Maintenant qu'il avait eu la confirmation que Doppo n'était plus de ce monde, il ne se voyait pas continuer encore longtemps ce jeu de chien et chat dont l'issue semblait inévitable.

Il préférait encore se donner l'illusion de ne pas mourir pour rien.

A défaut d'être un héros, c'était déjà ça.

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