「 épisode deux 」
nda ; l'avantage d'écrire une ff inspirée d'une autre oeuvre, c'est de ne pas avoir à se casser la tête sur le scénario. l'inconvénient, en revanche, c'est quand l'oeuvre en question ne contient pas un brin de romance - en tout cas, pas de romance naissante :(
deux notes concernant cette partie :
• de base, ce chapitre faisait 1 500 mots de moins. ça m'embêtait + je ne pouvais pas bien introduire un autre enjeu plus tard, donc have this version enrichie de deux scènes dont une d'importance majeure ;
• je crois que je n'en avais pas parlé au début mais concernant l'univers, j'ai volontairement fait une entorse à la cohérence scénaristique : cette histoire est supposée se dérouler dans un Shinkansen japonais et non pas dans un de nos TGV ou même dans un KTX comme dans l'oeuvre originale. Un train reste un train, et son origine n'a pas grande importance sur sa conception mais les Shinkansen sont supposés avoir leurs premières classes au milieu du train, et non à l'avant comme c'est le cas dans cette histoire.
également, les Shinkansen peuvent accueillir plus de mille personnes, ce qui n'est pas le cas ici.
ce ne sont que des petits détails sans grande importance mais vous me connaissez, je chipote beaucoup et je me prémunis face aux éventuels chipoteurs de première qui pourraient passer par là (:
bonne lecture! la suite sortira le 05 février !
chapitre deux, s'accrocher
(pour mieux tomber)
.
Le monde ne tournait pas rond. Il tournait même complètement carré, si un trait d'absurde était autorisé à Ryunosuke.
Il s'était retranché dans un wagon de première classe ― qui aurait cru qu'il pourrait y pénétrer, lui qui avait commencé à travailler dès son entrée au lycée pour aider sa mère à joindre les deux bouts ― avec sa petite sœur, après avoir été alertés par le reste des passagers qui avait déboulé dans leur propre wagon en hurlant que des monstres avaient envahi le train. Le lycéen ― ex-lycéen puisqu'il était officiellement déscolarisé maintenant qu'il avait décidé de ne pas passer ses examens pour la seconde fois et d'accepter l'offre d'embauche de son ancien patron de petit boulot ― avait d'abord cru qu'ils déliraient tous autant que les autres, mais quand il avait aperçu des passagers plus en avant se faire attaquer par d'autres qui n'avaient plus l'air très humains, il avait changé d'avis et entraîné sa sœur vers l'avant.
Le personnel de bord avait ouvert les portes de première classe pour accueillir les passagers venus se réfugier. Ils étaient tous amassés les uns sur les autres dans les trois wagons et Ryunosuke avait compté environ deux cent passagers. Le train était complet au départ, ce qui signifiait qu'il abritait cinq cents passagers à l'origine. Oú était passée l'autre moitié des passagers ?
Le jeune homme aux cheveux bicolores glissa un regard vers sa sœur, assise à ses côtés sur une place normalement destinée à une personne seule. Ils entendaient encore autour d'eux les grognements des anciens passagers désormais plus proches des monstres de fiction que d'autre chose, mais étaient en relative sécurité depuis qu'ils s'étaient aperçus que leurs menaces étaient seulement dotées d'un instinct qui les faisait se jeter sur ce qu'ils voyaient.
C'était un lycéen aux cheveux bruns en uniforme scolaire qui leur avait fait cette remarque : alors qu'ils s'échinaient à tirer sur la poignée de la porte pour la maintenir en place, il s'était emparé de journaux mis à disposition des passagers de la première classe et d'une bouteille d'eau, avant d'asperger la porte et de coller le papier dessus ainsi. Dès qu'il les avait complètement faits disparaître du champ de vision des zombies, ceux-ci avaient cessé de s'acharner contre la porte vitrée, pour leur plus grand soulagement.
Ledit lycéen traînait désormais dans un coin du wagon, téléphone contre l'oreille, sans parvenir apparemment à tomber sur quelqu'un à l'autre bout du fil. Ryunosuke l'observait de temps à autre alors qu'il soufflait avec agacement en faisant défiler ses contacts. Les deux jeunes hommes avec qui il était arrivé, deux garçons sans uniformes mais qui devaient avoir le même âge environ, discutaient dans un coin à voix basse, assis sur des sièges, en consultant leurs propres portables. C'était l'occupation de la plupart des passagers autour d'eux, mais le regard d'Akutagawa revenait souvent vers eux : ils étaient les seuls de son âge qu'il apercevait dans le wagon, et ils semblaient avoir une discussion animée.
Lors d'une de ses œillades dans leur direction, pendant un bref instant, il croisa le regard de celui qui avait les cheveux argentés et une frange irrégulière. Celui-ci lui envoya un faible sourire tremblant en retour, auquel Ryunosuke ne répondit pas. Il était trop plongé dans ses pensées et sa ― légère ― inquiétude pour se concentrer sur l'idée de sociabiliser.
De nombreux passagers étaient perdus dans leurs pensées, faisant défiler lentement sur leurs portables leurs messages ainsi que les réseaux sociaux. Ryunosuke avait également regardé le contenu du sien plus tôt ― il y avait trouvé des messages inquiets de sa mère, qui les attendait à Yokohama pour qu'ils aillent rendre visite à son père, hospitalisé après une soudaine pneumonie. Ils avaient beau être divorcés depuis six ans, Fuku n'avait pas hésité à se rendre à son chevet en avance, invitant ses enfants à la rejoindre un peu plus tard s'il n'y avait pas d'amélioration. Ils avaient attendu un peu pour voir comment l'état de leur paternel évoluait, puis s'étaient résolus à prendre leurs billets après un cinquième jour incertain. Tant pis pour les cours de Gin... Ils avaient leurs priorités.
Il avait répondu brièvement à sa mère qu'ils allaient bien, avant de consulter les différentes notifications d'alerte qu'il avait reçues de la part des applications de news installées par défaut sur son appareil et qu'il n'avait pas pris la peine de désactiver. Il n'y avait vu que des flashs-info inquiétants : partout, des émeutes éclataient, des bâtiments entiers brûlaient ou se retrouvaient assaillis par d'étranges humains qui n'en avaient plus vraiment l'apparence. Partout, les sources les plus axées vers la pop-culture répétaient le même mot encore et encore.
Zombies.
Ryunosuke avait du mal à croire qu'ils se retrouvaient dans une situation qui semblait aussi rocambolesque et irréaliste : les zombies avaient toujours appartenu à un imaginaire lointain, qui n'entrerait jamais en contact avec la réalité, tout comme deux lignes parallèles ne se croisaient jamais.
Mais soudainement, les lignes parallèles étaient devenues perpendiculaires et le monde avait cessé d'être logique.
« Excusez-moi ? » Il sortit de ses pensées en entendant une voix à sa gauche et il releva la tête pour observer le nouveau venu ― c'était le garçon aux cheveux argentés qu'il avait repéré précédemment, et qui lui souriait de nouveau avec un air un peu gêné. « Pardon si cela vous semble brusque, mais mon ami et moi avons deux sièges pour nous deux, alors qu'un seul nous suffirait. Peut-être pouvons-nous inverser ? » Ryunosuke le toisa légèrement ― il n'avait pas besoin de la pitié de quelqu'un. Il s'apprêtait à ouvrir la bouche pour lui dire de repartir d'où il venait avec sa fausse gentillesse, mais sa sœur le devança :
« Merci mais... » Elle chercha ses mots quelques secondes, avant de poursuivre : « Vous devriez garder vos places. Être assis à deux sur un même siège n'a rien d'agréable, ajouta-t-elle avec une pointe d'humour.
― Nous pourrions au moins alterner. » proposa le lycéen. Ryunosuke trouvait son insistance ennuyeuse, mais laissa sa sœur répondre :
« Ce serait une bonne idée, si cela ne vous dérange vraiment pas. »
Cela dérangeait son frère, mais il ne fut pas consulté et fut contraint de suivre sa cadette tandis que le lycéen aux cheveux argentés et son ami rouquin prenait leur place commune. Il remarqua un vague rougissement sur les joues du lycéen qui leur avait parlé. Était-ce une tentative puérile de se rapprocher de son crush ? Il ne pouvait s'empêcher de la trouver quelque peu ridicule, surtout si c'était le seul mouvement que le jeune homme aux cheveux argentés était capable d'exécuter.
« Ils ont déjà été ensemble. Au cas où ça t'intéresse. » Une voix inconnue le tira de nouveau de ses pensées, et il se tourna pour tomber nez à nez avec le garçon brun qui avait épaté tout le monde plus tôt par ses capacités de déduction et qui paraissait avoir terminé sa conversation téléphonique. Il avait posé ses avant-bras sur le dos du siège de Ryunosuke et le fixait avec amusement.
« Ça ne m'intéresse pas, répondit-il sobrement dans l'espoir de couper court à la conversation, mais sa sœur prit de nouveau la parole :
― Vous vous connaissez tous les trois ? » La plupart des groupes semblaient avoir été séparés par la cohue, aussi Ryunosuke ne fut pas surpris de le voir secouer la tête négativement.
« Je les ai rencontrés au début de tout cela, indiqua le brun en s'affalant entre leurs deux sièges ― il penchait bien plus du côté de Ryunosuke, ce qui accentua son agacement et sa moue ennuyée. Mais eux deux se connaissaient déjà. Ils sont dans le même lycée.
― Le courant doit bien passer entre vous pour qu'ils vous aient déjà dit tout cela sur eux dans cette situation. » commenta platement Ryunosuke. Sa remarque déclencha le rire de son interlocuteur. Le jeune homme aux cheveux bicolores comprenait mal ce qu'il y avait de drôle, et l'explication du brun ensuite ne le convainquit pas :
« C'est simplement facile à deviner. »
Ryunosuke et sa sœur échangèrent un regard en entendant cette réponse, avant d'observer les deux jeunes hommes qui avaient inversé leurs places avec eux et qui semblaient jouer au jeu de celui qui croise le regard de l'autre en premier a perdu. Difficile d'admettre qu'on pouvait deviner qu'ils avaient déjà tout un historique commun juste en les dévisageant ainsi ; on les prenait plutôt pour deux adolescents incapables de se confesser. Le jeune homme aux cheveux bicolores se demandait si le brun avait tout inventé pour leur signifier qu'ils posaient des questions trop évidentes. Il ne semblait néanmoins pas se moquer d'eux et il en déduisit qu'il ne plaisantait nullement.
Il fallait croire que leur voyage aurait manqué de piquant s'ils ne s'étaient pas retrouvés coincés avec un type vraisemblablement trop intelligent. Au moins pouvaient-ils en retirer une certaine satisfaction : le jeune homme semblait être l'un des seuls à comprendre ce qu'il se passait et réfléchir correctement dans leur situation complètement chaotique. Même si une apparence de calme s'était installée dans leur wagon et ceux qui les séparaient de la cabine des conducteurs, ils ne pouvaient pas se laisser aller et oublier qu'il y avait encore des zombies dans le reste de leur train.
(Le terme hérissait toujours Ryunosuke, mais il devenait difficile de le nier.)
« J'ai réussi à contacter le conducteur ! » Alors que tout le monde replongeait dans un silence pensif, un homme que l'ancien lycéen n'avait jamais vu apparut à l'entrée de leur wagon ― sans doute en provenance de ceux plus en avant ― avec un petit sourire rassurant. Tout le monde se pressa vers lui pour qu'il explique ce qu'il voulait dire. « Chaque wagon est doté d'un service de communication d'urgence, c'est nécessaire. On dirait qu'il fonctionne mal ― peut-être que ces zombies ont endommagé un circuit ― mais j'ai réussi à établir le contact.
― Et qu'a-t-il dit ? »
La voix de Dazai s'éleva au-dessus des autres, et tout le monde attendit religieusement que le nouveau venu termine ses annonces. Etant isolé du reste du train, il était probable que le conducteur continuait de rouler tranquillement sans réaliser que quelque chose de problématique se produisait dans les wagons derrière lui. Maintenant qu'il savait le danger qu'ils couraient...
Avant que l'autre ne puisse répondre, une annonce s'éleva dans l'entièreté du train.
« Mesdames et messieurs, c'est votre commandant de bord qui vous parle. J'ai été informé des... complications que vous rencontrez au cours de votre voyage. J'ai contacté la gare la plus proche afin d'arranger une descente de tous les voyageurs et une intervention militaire mais... » Il marqua une pause tandis que tout le monde retenait son souffle. « On m'a demandé de continuer de rouler sans m'arrêter nulle part, si ce n'est à Yokohama. Merci... de prendre votre mal en patience. »
Des cris de protestation s'élevèrent dans tout le wagon, alors qu'Atsushi prenait la mesure de ce qu'on venait de leur dire. Ils étaient coincés avec ces zombies pendant encore plus de deux heures. Même si l'intervention de ce jeune homme aux cheveux bruns avec qui Chuuya avait sympathisé avait largement calmé ces monstres inhumains, le lycéen ne pouvait pas dire que la perspective de les savoir à côté d'eux était très rassurante. D'autant plus que leurs cris ― si on pouvait les appeler ainsi ― emplissaient continuellement leur wagon, situé juste à la lisière de la voiture contenant les zombies ― après tout, c'était ainsi qu'on les appelait partout.
« Il est hors de question que nous restions à bord de ce train ! » s'écria une voix féminine, hystérique. D'autres lui donnèrent raison à leur tour.
« C'est beaucoup trop dangereux !
― Au diable Yokohama, je dois retrouver ma femme !
― Arrêtez ce train !
― ASSEZ ! »
Une voix s'éleva soudainement au-dessus du vacarme ambiant et fit sursauter tout le monde. Tous les regards convergèrent alors vers celui qui venait de s'exprimer avec autorité, un homme vraisemblablement d'une quarantaine d'années aux cheveux foncés et à la mine sévère. Il était vêtu d'une blouse de médecin maculée de rouge par endroits ― Atsushi devina à l'emplacement des tâches qu'il avait juste vu d'autres se faire attaquer sous ses yeux.
« Le conducteur ne peut pas nous entendre, reprit-il sur un ton plus posé. Protester ainsi ne nous apportera rien. » Il se tourna vers l'homme qui avait annoncé avoir communiqué avec le conducteur. « Où est l'interphone qui fonctionne ?
― Dans le deuxième wagon... » bredouilla l'autre en lui désignant le wagon derrière lui.
L'homme aux cheveux foncés s'y dirigea sans ajouter quoi que ce soit, tandis que les murmures reprenaient sur son passage. Atsushi le suivit des yeux, avant de reporter son attention sur l'individu assis à côté de lui ― cet incident lui avait fait momentanément oublier qu'il partageait un siège avec Chuuya.
Il regrettait d'avoir été généreux avec le frère et la sœur un peu plus tôt.
(Mais ils avaient semblé avoir tous les deux bien besoin de repos et de confort.)
« Je me demande quand est-ce que tout cela va se terminer... » murmura Chuuya au bout d'un instant.
Son regard était fixé sur son portable, comme beaucoup de personnes. Tous cherchaient désespérément des bonnes nouvelles ― mais le peu qu'ils arrivaient à glaner était extrêmement terrifiant. Atsushi avait essayé d'appeler sa mère et son père un peu plus tôt ; aucun des deux n'avait répondu à ses appels. Il essayait de ne pas laisser le chaos et la panique l'envahir, mais c'était plus facile à dire qu'à faire...
Il refocalisa son attention sur l'homme d'âge mûr qui avait atteint le deuxième wagon et tendit l'oreille pour essayer d'entendre ce qu'il disait. Le silence était revenu dans l'habitacle mais il restait trop éloigné pour qu'il puisse saisir son propos. Il discerna vaguement irresponsable, pas le moment de et important, mais ne sut comment interpréter ces bribes de mots en l'absence de contexte.
Finalement, la voix du conducteur résonna de nouveau.
« Mesdames et messieurs, c'est votre commandant de bord qui vous parle à nouveau. J'ai contacté de nouveau la tour de contrôle et ils me permettent d'effectuer un arrêt à la gare de Nagoya. Les militaires nous y attendront pour nous escorter en sécurité. »
La mention d'une escorte militaire fit souffler un vent de paniquer sur les passagers ― la situation était-elle si désespérée ? ― mais le soulagement prit le dessus au bout de quelques instants. Tout le monde échangea des regards et des sourires plus détendus, et l'ambiance s'allégea de quelques grammes.
« Espérons que les militaires nous permettent de rentrer chez nous rapidement, souffla Chuuya. J'aimerais être sûr que mes parents vont bien.
― Et ton frère ? demanda timidement Atsushi, incertain de s'il pouvait aborder le sujet librement.
― Il m'a envoyé un message pour me dire que les militaires avaient établi leur base à Yokohama. Ils sont partout là-bas. »
Atsushi opina ― cela le rassurait lui aussi. Cela signifiait que sa mère allait bien... et que les zombies n'étaient peut-être pas aussi dangereux là-bas. L'armée allait progressivement reprendre le contrôle de la situation grâce à cette première base militaire... Il fallait rester optimiste et garder espoir que tour s'arrange au plus vite.
Il balaya du regard le wagon, cherchant l'étrange jeune homme aux cheveux bruns avec qui il avait trouvé Chuuya un peu plus tôt, lorsque la situation avait commencé à déraper. Celui-ci discutait à voix basse avec le frère et la sœur qu'il avait aidés un peu plus tôt, rendant impossible d'entendre ce qu'il leur disait. Atsushi était curieux, surtout concernant cet inconnu intelligent qui n'avait même pas pris la peine de se présenter précédemment. Son uniforme indiquait qu'il était un étudiant en voyage scolaire, mais personne d'autre ne portant un uniforme similaire n'était visible dans leur wagon. Et puis, il faisait clairement partie des plus calmes parmi les personnes présentes... ce qui était étonnant, pour ne pas dire déroutant. Comment pouvait-il prendre des décisions aussi posément ?
Alors qu'il observait le petit groupe, son regard croisa celui de l'aîné de la fratrie, aux cheveux bicolores ― il le déduisait parce que c'était le plus grand et que son attitude criait qu'il ne se sentait investi que de la mission de protéger sa sœur. Le jeune homme se sentait un peu inquiet pour eux deux ― son empathie démesurée, sans doute, mais elle était particulièrement forte dans leur cas. Peut-être parce qu'il avait le sentiment qu'ils en avaient déjà gros sur la conscience ; ils regardaient fréquemment leurs portables aussi, et ils avaient des cernes violacés qu'une seule nuit sans sommeil ne suffisait pas à creuser.
Etonnamment, le jeune homme finit par se diriger vers lui. A voir son expression exaspérée, Atsushi devina que c'était plus pour échapper à l'étrange jeune homme aux cheveux bruns que pour le plaisir de sa compagnie, mais il ne fit aucune remarque et se contenta de l'observer avec curiosité.
« Je peux t'aider ? » Il ne connaissait même pas son nom, songea-t-il avec un petit malaise. Comment s'adresser à lui ?
« À échapper à ce type, oui. » rétorqua à sa grande surprise l'autre. Il avait visé juste, semblait-il.
« Il n'est pas méchant je pense. » Chuuya, à côté de lui, renifla d'un air moqueur.
« Tu parles. Il est insupportable avec son air supérieur. Il se croit différent de nous, pourquoi ? Parce qu'il est dans un bon lycée ? »
Atsushi avait rarement entendu son ex-petit ami aussi cassant. Il se demandait d'ailleurs ce qui suscitait autant de mépris envers la personne de l'inconnu ; il ignorait comment ils s'étaient rencontrés, quand il les avait croisés tous les deux, ils étaient déjà ensemble à observer le spectacle inquiétant des zombies. Mais qu'avait-il bien pu se passer pour que le rouquin soit autant sur les nerfs ? Était-ce la personne même de ce type qui l'agaçait à ce point ?
« Je pense qu'il est utile en ces temps troublés, rétorqua le jeune homme aux cheveux noirs et blancs. Certes, il est arrogant, mais sans lui nous serions peut-être encore en train de nous épuiser inutilement sur la porte de ce train pour la maintenir fermée, alors même que cela n'est pas nécessaire.
― Tch. Je pense que sur deux cents personnes, il n'est pas le seul intelligent du lot. » Chuuya semblait vraiment avoir une dent contre lui et cela surprenait Atsushi. D'ailleurs, le rouquin parut lire la sidération dans ses yeux car, après que leurs regards se furent croisés quelques secondes, il rajouta : « Désolé. Toute cette situation pèse sur mes nerfs. » Il foudroya l'autre du regard. « Et on ne peut pas dire que ce type se soit rendu appréciable.
― Avec un peu de chance, tu n'auras pas à le supporter très longtemps, lâcha Atsushi dans une tentative de le dérider. Si nous marquons un arrêt à la prochaine gare, nos chemins se sépareront.
― S'il va aussi à Yokohama, je suis sûr qu'on va retomber sur lui. Regarde-le. Il va nous coller. »
Atsushi coula un regard dans la direction du jeune homme aux cheveux bruns, qui les dévisageait également en leur adressant un signe de main enjoué. Chuuya lui rendit un regard noir, tandis que l'inconnu et lui-même échangeaient un regard perplexe. Le jeune homme aux cheveux flamboyants finit par se plonger dans le visionnage d'une vidéo sur son téléphone, écouteurs à l'appui, et Atsushi en profita pour s'adresser de nouveau à leur troisième compagnon qui n'avait pas encore bougé.
« Je m'appelle Atsushi Nakajima, au passage, se présenta-t-il.
― Akutagawa. » fut la seule réponse qu'il obtint. Son interlocuteur semblait plus désireux de l'observer attentivement que de faire la conversation ― cela le mettait un peu mal à l'aise. « Tu ne regrettes pas ton choix ? »
Le dénommé Akutagawa désigna du menton Chuuya, et pendant quelques secondes, le jeune homme aux cheveux argentés crut qu'il faisait allusion à leur relation passée. Une pluie de question le traversa (comment était-il courant ? Qu'est-ce qu'il voulait dire par là ?) avant qu'il ne réalise qu'il faisait simplement référence à sa décision de leur céder leurs deux places, ce qui le contraignait à une proximité dangereuse avec son ex-petit ami. Leurs jambes étaient quasiment collées l'une à l'autre et, quand bien même le jeune homme n'avait plus vraiment de sentiments pour son camarade, il ne pouvait pas s'empêcher de sentir ses joues s'échauffer un peu devant cette proximité.
(Fichue timidité.)
« Non, non, pas du tout. Ta sœur et toi avez l'air fatigué. » Le jeune homme le regarda en fronçant les sourcils.
« Comment sais-tu que c'est ma sœur ?
― Vous vous ressemblez. Beaucoup. »
Cela lui avait semblé évident quand il les avait aperçus ; il avait l'air plus renfermé que sa sœur, peut-être aussi plus désagréable, mais Atsushi leur trouvait une ressemblance frappante. Quelque chose dans les yeux peut-être ― ils avaient les mêmes, gris, peu expressifs mais indéniablement troublé par beaucoup de soucis.
« Je crois que c'est la première fois qu'on nous le dit. »
Il lui sembla que l'autre esquissait un très mince sourire, mais ce fut si bref qu'il n'aurait pas pu le jurer et il n'eut pas le temps de s'appesantir dessus ou sur la remarque. Son téléphone vibra soudainement et la fenêtre d'appel s'ouvrit sous ses yeux ; il vit alors le numéro de son père s'afficher dessus. Il laissa échapper une petite exclamation de surprise qui fit tressaillir Akutagawa, se redressa en cognant par inadvertance le genou de Chuuya qui releva la tête de sa vidéo et rejoignit l'entre-deux wagons. Ainsi, il ne dérangerait personne avec sa communication privée.
« Papa ? » Le soulagement était perceptible dans sa voix, et il sentit une vague de joie le traverser alors que son père répondait :
« Atsushi... » Son timbre était parfaitement reconnaissable, mais il semblait plus hésitant que d'habitude, presque saccadé. Avait-il couru ?
« Tu vas bien ? s'enquit le jeune homme aux cheveux argentés sans y prêter attention. Que se passe-t-il au village ?
― Tu es à bord du train ? » Son père répondit à ses questions par une autre question, ce qui fit soupirer imperceptiblement son fils ― il faisait toujours cela.
« Oui. Je suis en sécurité. Il y a eu des attaques d'hommes semblables à des zombies, mais ça va. Le conducteur a dit qu'on allait être évacués par l'armée à la prochaine gare. » Il chercha le nom exact sur un panneau, sans le retrouver. Il n'était même pas certain de bien savoir où ils se trouvaient. « Tu n'as pas besoin de t'en faire, je te le promets. »
Son père savait-il seulement ce qui se passait actuellement au Japon ? Atsushi n'avait pas beaucoup regardé les informations, mais sans doute parlait-on de ce qui se passait un peu partout... Leur village était si petit que rien n'avait dû s'y passer, aussi le lycéen n'était même pas certain que son père fût conscient de ce qui se passait dehors.
« Tant mieux... » La courte réponse de son père, dépourvue de question, lui indiqua qu'il le savait probablement finalement. Il était cependant inhabituel pour lui de rester silencieux. Atsushi sentit un peu de panique s'emparer de lui de nouveau.
« Et toi papa ? Tu es en sécurité ? » Le silence qui suivit cette question fit définitivement rater un battement au cœur d'Atsushi. « Papa ? appela-t-il de nouveau dans l'espoir qu'il y avait juste eu des interférences.
― Rejoins ta mère à Yokohama, il paraît que c'est une zone saine. »
Zone saine. Pourquoi employer de tels termes ? Tout cet enfer était-il lié à une épidémie ? Pourtant, ils allaient bien alors même qu'ils avaient été dans les mêmes conditions que ceux qui étaient devenus des zombies... Peut-être aurait-il dû mieux regarder les informations. Depuis le couloir où il se trouvait, il ne pouvait pas apercevoir les écrans d'information, qu'il avait de toute manière évité de regarder ces derniers temps pour ne pas se sentir trop angoissé par ce qui se produisait en dehors de leur train.
« Tu nous y rejoindras ? » Il y eut un nouveau long silence ― Atsushi sentait son souffle se bloquer de plus en plus à mesure que l'absence de réponse devenait inquiétante. « Tu m'entends papa ?
― Je ne crois pas que cela va être possible, Atsushi. » Il y eut une quinte de toux sèche, avant que l'homme ne poursuive : « Plus aucun transport ne viendra jusqu'à nous... Mais ce n'est pas grave.
― Qu'est-ce qu'il se passe au village ? » Le jeune homme aux cheveux argentés se mordit nerveusement la lèvre en attendant la réponse ― son père mettait de plus en plus de temps à parler, pourquoi, était-il fatigué, malade, blessé ?
« Je suis fier de toi. » La déclaration était si inattendue que le jeune homme sentit les larmes lui piquer les yeux. Il prit une profonde inspiration pour les assécher tant bien que mal ― ce n'était pas le moment de pleurer.
« Papa, s'il te plaît, dis-moi ce qu'il se passe. Tu as besoin d'aide ? Je peux... » Rien faire. Rien du tout. Il le savait. « Appeler les urgences ? La police ? Parle-moi, c'est tout... Je vais retourner au village. Dès qu'on sera avec l'armée, je vais...
― Non. Ne viens pas. Va jusqu'à Yokohama. Retrouve ta mère. » Il y eut un nouveau silence brouillé par la respiration de son père qui se faisait de plus en plus sifflante. « Il n'y a plus rien qui en vaille la peine ici. »
La communication fut coupée sur cette dernière, et Atsushi réalisa uniquement à ce moment à qu'il avait réellement commencé à pleurer malgré ses efforts pour retenir ses larmes. Il essaya d'appeler de nouveau le numéro de son père en séchant ses larmes, en vain. Son père ne décrocha pas.
Son téléphone vibra néanmoins une fois de plus, alors qu'il commençait à perdre espoir. Cette fois-ci, il s'agissait d'un message textuel, toujours en provenance de son père. Les deux derniers mots achevèrent de convaincre Atsushi que quelque chose de grave était en train de se jouer, et ses larmes redoublèrent.
Peut-être parce qu'inconsciemment, il savait ce que cela signifiait.
Il se laissa tomber sur le sol du couloir, sans faire attention aux œillades intriguées qu'on lui lançait en le contournant. Il ramena ses genoux contre son torse en essayant désespérément de contrôler les sanglots qui le secouaient ― sans grand succès malheureusement. Il avait beau essayer de se calmer, quand il repensait aux mots de son père, à son ton de voix, il sentait une panique forte lui serrer la cage thoracique et l'empêcher de respirer lentement.
Il se sentait lentement, lentement suffoquer.
Et puis, il y eut une main posée sur son épaule, une poigne ferme autour de son muscle et une chaleur humaine rassurante.
Atsushi distingua à peine entre ses yeux embués de larmes des mèches de cheveux bicolores.
Il était trop occupé à penser aux ― derniers ― mots de son père pour assimiler ce que cela pouvait signifier.
Fais attention à toi. Je t'aime.
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