Chapitre vingt-six : Les murmures de la nuit

Les ténèbres embrumaient son esprit endormi. Malgré le sommeil, il restait conscient du contact entre sa peau et les draps de satin, du souffle régulier de Lyllias qui dormait à côté de lui et des mouvements dans le camp. C'était la malédiction qui accompagnait les mages noirs atteints d'overdose, le repos n'était plus qu'un lointain souvenir. Pourtant ce soir, cette particularité qui avait tendance à l'agacer lui permit de sentir quelque chose. Quelque chose de puissant, de destructeur.

Dans la pénombre de la tente, deux iris sanglantes percèrent les ténèbres. La respiration de Loyde s'accéléra. Ca se déplaçait vite et l'énergie qui s'en dégageait lui comprima la poitrine. Le brun se redressa tellement vite qu'il réussit à s'extirper une seconde de la chappe d'ombre qui l'entourait. Son mouvement brusque réveilla Lyllias qui se redressa à son tour, un poignard dans sa main droite.

- "Qu'est ce que tu as sentit ? murmura la mage violette en scrutant tous les recoins de la tente pour détecter un potentiel ennemi.

- Quelque chose qui ne devrait pas être là... répondit Loyde qui venait de sentir une présence familière.

- Dangereux ?

- Peut-être... grinça le jeune homme en sautant hors du lit. Je vais aller vérifier."

Le mage noir attrapa ses vêtements et les enfila en vitesse avant de se glisser hors de la tente et de se fondre dans les ombres de la nuit. Il n'eut qu'à suivre la trace que la magie avait laissé en traversant chaque ombre et bientôt, il arriva en vue de l'infirmerie.

Furtivement, il se glissa à l'intérieur et s'immobilisa face au spectacle. Les mercenaires qu'ils avaient envoyés en mission quelques heures auparavant étaient là, certains endormis sur des chaises et les autres au chevet de la télékinésiste de l'équipe noire.

C'était elle qui dégageait la puissance qu'il avait sentit quelques minutes avant. En la regardant de plus près, il eut un mouvement de recul face à son état physique. Du sang séché maculait sa peau au teint cadavérique et ses cheveux flottaient autour de sa tête.

Le mot "overdose" s'imprima dans son cerveau, le faisant reculer d'un pas. Il dut se faire violence pour ne pas avoir un frisson d'horreur et réussir à se concentrer sur l'essentiel.

Les mercenaires auraient dû être en mission, leur présence au sein de l'infirmerie avec une blessée grave et six portés disparus ne voulaient dire qu'une chose, ils avaient échoués.

Il allait le dire à Lyllias.

Un filament d'obscurité se détacha de la chape d'ombre qui l'entourait et fila vers la tente de la mage violette. Maintenant qu'il savait qu'elle était prévenue que quelque chose c'était passé, il sortit de l'ombre, attirant l'attention des mercenaires sur lui.

- "J'ose espérer que vous avez de bonnes nouvelles avec vous, sinon je ne donne pas cher de votre vie, minauda-t-il.

Puis, sans leur laisser le temps de répondre, il tourna les talons et quitta l'infirmerie. Dans son dos, il sentit Fi et Niels se lever en vitesse et prendre sa suite. Les deux mercenaires restèrent derrière lui jusqu'à ce qu'ils atteignent la tente de commandement. Loyde pouvait les sentir s'affoler silencieusement.

Lorsqu'ils entrèrent dans la tente, Lyllias était debout, habillée et visiblement de très mauvaise humeur. A l'instant où elle posa son regard sur son frère, Loyde prit soin de ne pas se dresser entre eux. Le dragon s'était réveillé et il avait l'impression que quelqu'un ne sortirait pas en vie de cette tente.

- "Tu as exactement dix secondes pour me dire que tu as réussi la mission.

- Nous n'avons pas pu atteindre le bout du tunnel. Pour une trajectoire hors de la fenêtre de tir des machines ennemis, on s'est fait mitraillé ! Ils savaient qu'on était là. Ils auraient été à la sortie du tunnel pour nous attendre, la mission était déjà compromise.

- Pourtant vous êtes les seuls qui êtes revenus, je n'ai pas senti les autres soldats entrer dans le camp, susurra Loyde en se glissant derrière Lyllias.

- Ils ont préféré mourir là-bas plutôt que de l'affronter, grinça Fi en fusillant le mage noir du regard.

- Et vous auriez dû faire de même !

- Pourquoi ? Cette mission aurait échoué de toute manière, en revenant nous avons sauvé cinq soldats ! Et sérieusement, je te dis qu'ils savaient qu'on était là et le seul détail qui t'interpelle c'est que nous avons fait demi-tour ? Il y a un traître dans ton entourage, quelqu'un nous a vendu.

- Et je te garantis que je le trouverai mais là, tout de suite, c'est toi mon problème, petit frère ! Même si tu n'as pas ma puissance, tu es puissant. Tu étais accompagné de 8 combattants d'élite, vous auriez pu passer. C'est comme ça qu'on a été élevé tu te souviens ? Ne pas s'arrêter tant qu'il y a une chance de réussir, c'est ce que père n'arrêtait pas de répéter. La mort plutôt que le déshonneur.

- Oh oui, il l'aimait cette phrase... dit Fi avec un rictus. Il nous l'a tellement enfoncé dans le crâne que ça a fini par lui coûter la vie."

Lyllias se stoppa un instant avant d'éclater de rire aiguë, faisant reculer tout le monde d'un pas. Elle mit quelques secondes à se calmer et à reprendre sa respiration. D'une main, elle replaça une mèche qui s'était échappée de son chignon avant de lancer à son frère un regard faussement doux.

- "Oh Fi... Quel autre choix j'avais ? Une femme à la tête de la famille... Ca aurait été la plus grande des hontes pour lui," susurra la mage violette en s'approchant de son frère.

D'un geste lent, elle vint poser sa main sur sa joue.

- "Après tout, il a été jusqu'à créer un enfant sans honneur pour ne pas que cela se produise... Je n'ai fait que lui rendre service ! Regarde moi, j'ai rendu à notre nom la peur qu'il inspirait autrefois. J'ai même été jusqu'à t'épargner toi, par pure bonté d'âme... Et vois comment tu me le rends..."

Le mage violet repoussa brusquement sa sœur, les yeux chargés de rage.

- "Ne me fais pas croire que tu as la moindre once de bonté en toi, je t'ai servi de diversion. Pendant que tu dupais tout le monde avec tes larmes, je devenais mercenaire et le coupable idéal.

- Dans ce cas, tu comprends que je ne te laisserais pas t'en sortir cette fois-ci."

Loyde se sentait exalter. Il suivait Lyllias depuis des années dans l'espoir d'assister à des scènes comme celle-là. Son cœur battait à tout rompre et son cerveau marchait à toute vitesse pour essayer de deviner comment le mercenaire allait s'en sortir. Car après tout, il était un Ad Manawir, il n'allait pas se laisser descendre aussi facilement.

- "Oh et pourtant tu vas bien être obligée... Grande sœur, ricana Fi d'un air mauvais.

Le rire sec du mage violet déclencha celui, plus dédaigneux de Lyllias.

- "Et en quel honneur ?

- En l'honneur que si tu ne veux pas te faire annihiler par la famille Ad Avior, tu as besoin de moi... Ou du moins de quelque chose qui m'appartient.

- Parle donc, tu m'interresses, siffla-t-elle avec sarcasme.

- Mais j'y compte bien ! Vois tu, commença Fi en détachant la chaînette de son poignet, il y a une date gravée sur ce bracelet. Et cette date correspond au jour où les Ad Avior mettront la main sur une arme décisive pour cette guerre. Si je n'intervient pas ce jour-là, tu es perdue."

L'éclat de rire de la mage violette tinta aux oreilles de Loyde qui lui-même avait du mal à contenir ses gloussements.

- "Tu as un bracelet... Avec une date d'un évènement... qui n'a pas encore eu lieu... Et tu veux que je crois à ça ?" demanda Lyllias dans un mélange d'hilarité et de mépris. Tu comptes vraiment sur ça pour m'empêcher de vous tuer, toi et ton équipe ?

- C'est pour ça qu'elle te l'a donné... murmura Niels qui était resté silencieux depuis leur entrée dans la tente. Parce qu'elle savait qu'on allait mourir au mauvais endroit...

- Je te l'ai dit, lui glissa Fi avec un rictus. Elle sait ce qu'elle fait.

- De quoi est-ce que vous parlez ? grinça Lyllias qui n'aimait pas ne pas comprendre la conversation qui se tenait entre les deux mercenaires.

- Cette guerre à des conséquences au-delà de ta compréhension, grande sœur. Et pour une fois, ce n'est pas toi qui est en position de force. Dans dix jours, l'issue de cette guerre peut basculer en fonction de qui met la main sur l'arme en premier. Avec moi, tu as encore une chance d'y arriver, mais si tu me tues... Tu auras perdu pour de bon.

- Alors quoi ? Tu veux que je te laisse partir chercher cette soi-disant arme surpuissante alors que tu sais que tu vas te faire exécuter pour insubordination ? Est-ce que tu me crois bête à ce point ?

- Je te demande dix jours, pas un de plus... Et je laisse mon équipe ici, en preuve de bonne volonté.

- Oh quel acte de bravoure, laisser tes soldats mourir à ta place... C'est exactement quelque chose que je ferais.

- Je ne suis pas toi et je n'ai pas pris le risque d'abandonner une mission en sachant que tu nous ferais exécuter pour ensuite laisser mes coéquipiers mourir. Fais moi suivre si ça peut te rassurer mais fais ton choix vite, le temps joue contre toi.

Les deux mages violets se regardèrent dans le blanc des yeux pendant de longues suivantes avant que Lyllias finisse par lever les yeux au ciel avec exaspération.

- Très bien, tu as gagné. Je te laisse dix jours, tu pars immédiatement, accompagné par trois soldats. Si tu n'es pas rentré à temps, tu ne trouveras qu'une pile de cadavres à ton retour. Fais vite... siffla-t-elle en reprenant ses mots. Le temps joue contre toi."

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