La première fois que je l'ai vu, j'arrivais avec mes chaussures de ski dans un petit resto de montagne. Le soleil brillait haut et la neige luisait, tandis que les gens en terrasse avaient sortis leurs lunettes.

Je m'étais glissée dans la file pour commander quelque chose à manger, et j'avais tourné la tête.

De mémoire, elle était à droite, mais c'est dérisoire. Elle était assise seule à une table blanche (je l'ai retenu parce que y'avait une trace de ketchup sur un angle et que ça rendait étrange, ces deux couleurs-là) et ses cheveux dénoués tombaient sur ses épaules.

Elle était brune, très brune, avec des yeux de la couleur du ciel quand il s'apprête à pleuvoir. Dans ses mains, il y avait son paquet de cigarettes dont elle essayait vainement d'en extraire les bâtonnets.

Elle a finalement réussi, pendant que je patientais toujours, à sortir trois clopes tordues. Elle les a regardé, en tenant une dans ses doigts, puis l'a reposé sur la table avec une moue de dédain et un haussement d'épaules.

Puis la file a avancé et je l'ai perdu de vue.

Je ne m'attendais pas tellement à la voir sur la place du marché, tandis que je m'y baladais sans réelle motivation.

Il y avait pas mal de stands. La plupart vendait du fromage, de la confiture, des portefeuilles ou des sacoches en cuir, des bijous pas si beaux, des vêtements immondes, des chaussures décousues, des bonnets usés, des légumes ramollis, et des gants aux motifs étranges.

Elle, elle était là. Debout, les bras serrés contre sa poitrine, elle regardait d'un oeil morne les gens qui défilaient devant elle.
Les plats de nougats étaient posés sur des tréteaux en bois, et une bâche claquait dans le vent.

Elle ne m'a pas vu, ou alors un si bref instant qu'elle l'aurait oublié aussitôt, mais moi je l'ai remarqué.

J'ai aussi vu la lueur dans ses yeux.

Dans ses yeux gris où le ciel pleuvait tellement.

Je lui ai souri, juste en passant devant elle. Je ne sais pas si elle m'a souri en retour, parce j'ai disparu dans la foule.