Le portrait
Je ne me considérais pas moi-même comme appartenant à ces beautés jeunes et fraiches qui peuplent les couloirs du lycée en rassemblement distincts, et qui possèdent l'arrogance fière de ceux qui sont beaux et qui le savent. Plutôt, je voyais mon corps comme une sorte de repère, une masse dans laquelle éclosaient et se fécondaient mes pensées. Les choses étaient telles que les insultes de ma jeunesse m'empêchaient, même si longtemps après, de voir mes jambes, mes bras, ma peau, mon cou, mon visage comme des choses belles.
Mais la beauté visuelle se fane et disparait sous le poids des âges ; tandis que la beauté de l'esprit subsiste et s'embellit encore. Alors, je la cultivais et tentais d'y ajouter les instants de la vie que l'on pouvait qualifier de magiques.
Le soleil qui se lève sur un champ, une nuée d'oiseaux dans un ciel clair qui vogue dans le vent, une phrase entendue par hasard et dont les échos ont eu quelque chose de symphonique, un visage dans la foule, des yeux bleus, des mains brunes et tachetées, quelques vers d'un poème, la mélodie d'une chanson ; les humains dans leur grâce spontanée.
Mais si mon envie d'en voir toujours plus et d'admirer en eux ce que je ne voyais pas chez moi était insatiable, mes désirs de solitude l'étaient tout autant. A ainsi tout absorber, tout recueillir, tout ressentir, je me perdais et me noyais entre les vagues de sentiments. Parfois j'émergeais, essoufflée et béate, avant de replonger à nouveau dans le tourbillon des relations humaines.
Mais la douceur d'une caresse, le rire de ma mère, la tendresse de mon père et l'humour de ma sœur parvenaient souvent à me repêcher du fond des abysses ; ruisselante mais sauvée. J'ai connu quelques filles, moins de garçons, et j'en connais encore, lente découverte de l'autre dans son unité et sa différence. J'ai encore quelques regrets, même si le temps est parvenu à guérir les douleurs que je pensais éternelles.
Je suis fière de penser maintenant avec paix et sagesse plutôt qu'avec colère et amertume à ceux qui ne sont plus là.
Je sais que même si l'espoir me blesse souvent, il est nécessaire pour que je puisse toujours distinguer en les humains ce qu'il y a de beau et ce qu'il y a de bon. J'espère qu'à l'avenir j'aurais pris assez de recul sur ma propre condition d'être pour que leurs qualités étouffent leurs défauts.
Mais plus que tout, j'espère être comprise et comprendre, afin de trouver pour l'éternité les mots justes qui sauvent, aident et apaisent.
Je veux avoir des lanternes dans la tête, si je plonge dans les ténèbres.
Texte écrit pour le fantastique recueil d'allonsbriserleciel : La Galerie des Portraits, dans la partie «JE SUIS ART».
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