7 - Alter ego
Cette voix qui m'appelle, qui me connaît. Qui est-elle ? Mon instinct me pousse à lui faire confiance. L'impossible est mon lot quotidien, je ne m'en émeus plus. J'ignore encore ce qu'elle saura me faire découvrir de moi-même mais je lui suis lié d'un manière infinie.
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Noah se réveille dans le noir. En portant la main à sa tête qui lui élance, il réalise que tout son corps est camouflé par une épaisse couverture grise qui empêche la lumière de l'atteindre. Il la repousse et ses yeux sont éblouis immédiatement. Il se protège de son bras en émettant un grognement de malaise. L'air qu'il respire est frais et vivifiant. Il se tourne sur le côté, entrouvrant doucement les paupières derrière les doigts de sa main. Tranquillement, sa vision s'habitue. Il ne fait pas si clair finalement, c'est plutôt une pénombre qui l'entoure, le point d'origine de la lumière brillant maintenant dans son dos. Il ne discerne tout d'abord que des formes floues puis il perçoit les objets qui l'entourent : de gros contenants métalliques, des caisses de ravitaillement d'armée, des couvertures grises empilées les unes sur les autres. La paroi qu'il aperçoit derrière ces objets est composée de roches rugueuses et grisâtres. Puis, son regard est capté, juste au-dessus des couvertures, par deux yeux verts et brillants qui le regardent dans le clair-obscur. Noah sent son cœur s'accélérer et il demeure immobile. Il pense rêver. Il tend la main vers la vision mais alors que ses doigts s'en approchent, une grande bouche s'ouvre sous les yeux, lui crachant son mépris tout en dévoilant une dentition acérée et brillante dans l'ombre. Noah hurle et recule si vivement qu'il en tombe du lit de camp où il reposait et, assit sur les fesses et se poussant des talons, il recule apeuré, le plus loin qu'il peut de cette chose en se protégeant avec ses mains devant lui. Son dos se heurte à des jambes. En levant son regard, il rencontre les yeux bleus et calmes de Tomas, qui d'un air moqueur, prend une gorgée dans son gobelet métallique.
- Te voilà enfin réveillé ! Il était temps. L'animal a attendu que tu daignes poser les yeux sur lui depuis que je l'ai rapporté. Impossible de t'approcher depuis. Il nous crache dessus comme un vulgaire matou.
- Un matou ? balbutie le jeune homme en observant l'animal.
Couché en effet, tel un sphinx, l'animal a la forme général d'un petit chat, mais au pelage semblable à celui d'un hibou. On dirait des plumes. Ses yeux ne quittent pas Noah et il continue à cracher son mécontentement allègrement. À chacune de ses manifestations, de la lumière semble se diffuser dans ses poils hérissés. Ses yeux sont verts mais avec des reflets changeants et inquiétants.
- Mais, c'est loin d'être un matou ! déclare Linadar en se postant aux côtés de Tomas. C'est une Aywas. Je ne pensais jamais en revoir un de ma vie.
- Pourquoi est-il ici ? chuchote Noah. Et pourquoi m'en veut-il à ce point ? Il est petit mais terrifiant !
- Il ne t'en veut pas du tout, répond Tomas sarcastique, il a veillé sur toi durant tout ton sommeil. Hier, quand je l'ai trouvé en allant remplir les bidons à la source, là il était choqué ! Là, il en voulait à la terre entière ! Tu aurais dû le voir ! Linadar a insisté pour que je le ramène. Elle m'a dit de ne pas le toucher ! Aucun danger ! Pour me protéger, je l'ai ramené ici emmitouflé dans une de ces grosses couvertures. En cours de route, quand il s'en est échappé, il a couru directement ici et a pris position près de toi depuis.
- Pourquoi moi ?
- C'est que les Aywas, après leur naissance, doivent faire un unique lien, c'est génétique, réponds la Mistrale calmement, alors que Noah ouvre de grands yeux incrédules. Et pour celui-ci, apparemment, tu es ce lien. Il n'y a que toi qui peut la faire s'épanouir à son autre stade. Sa réaction de terreur et son état de santé affaibli me font dire qu'il y a longtemps qu'elle t'attend.
- Elle m'attend ? Ici ? Comment est-elle arrivée dans ces lieux ? Dans la base des Stotelss ?
- En fait les Aywas ne sont pas d'ici mais viennent d'un autre monde et ...
- Pour faire une histoire courte, coupe Tomas en relevant Noah par le bras, c'est que cette Aywas doit être lié à toi si on veut qu'elle arrête de nous cracher au visage et de faire le dos rond à chaque fois qu'on s'en approche. Ça c'est la version mistrale, la mienne est différente ! Je...
- Tomas ! Je sais que tu n'as jamais aimé les Aywas, mais ce sont des êtres particuliers qui, oui, sont difficiles d'approche tant qu'ils ne sont pas liés.
Tomas roule des yeux et s'éloigne d'eux en soupirant. Noah remarque que l'ancien soldat, tout en continuant à siroter son gobelet conserve son autre main sur son arme et ne quitte pas l'Aywas des yeux. Linadar prend Noah par le bras et le fixe en soulevant le sourcils, prête à s'expliquer avec lui.
- Mais pourquoi veut-il se lier à moi ? demande le jeune Etolias.
- Parce ce que ton empreinte génétique et psychique est la plus proche de celle utilisée par son ancêtre, répond la femme en plongeant son regard dans celui de l'adolescent. Il faut que je t'explique mais rapidement, car je crois que l'Aywas ne survivra plus longtemps dans ce stade. Tu dois la lier à toi rapidement avant qu'il ne soit trop tard.
- Si je ne le fais pas ?
- Et bien, nous devrons l'éliminer car elle deviendrait une menace incontrôlable pour nous tous. De plus, elle en mourrait d'elle-même car son métabolisme ne survivrait pas longtemps en vivant à ce régime.
Il y a un silence, pendant lequel on n'entend que les feulements de l'Aywas qui s'agite sur sa couverture, tremblante et hérissant son pelage/plumage de colère et de peur. Noah la regarde et, au-delà de la crainte qu'il ressent, il perçoit une irrésistible attraction qui se développe envers ce drôle d'être.
- Mais, cela ne m'explique pas du tout d'où lui vient cet attrait pour mon code génétique ?
- Elros avait une Aywas depuis bien avant que nous ne venions sur Terre. Ils étaient Tenstei, c'est-à-dire alter ego. Son nom était Pentaa et elle a sauvé bien des nôtres grâce à ses capacités spéciales. Nous l'avons perdu durant notre séjour dans la montagne, après l'attaque des Stotelss. Pour tenter de la sauver, Elros s'est mis en danger mais finalement il n'a rien pu faire. Voilà pourquoi Tomas n'apprécie pas les Aywas.
- En effet, et le mot est faible ! laisse tomber ce-dernier. Je n'ai jamais rien compris de l'attachement que vous aviez envers cette créature diabolique. Elle peut faire des choses impossibles et Elros a bien failli y laisser sa vie.
- Tu n'as connu Pentaa qu'un cours laps de temps. Tu es mauvais juge. Oui, à la fin, elle a fait des erreurs mais... Quand comprendras-tu qu'au contraire, elle a sauvé Elros ?
- C'est ce que vous disiez entre vous, toi, Gabby et Yohan. Mais Elros ne nous a jamais expliqué ce qui lui était réellement arrivé ce soir-là. Il en est revenu tout chamboulé. Tout ce que mon ami a ramené de son sauvetage raté c'est ce petit globe noir qu'il a ensuite idolâtré comme ce n'est pas permis. Ensuite, après avoir réalisé que le globe avait probablement été détruit lors des combats, cela lui a pris près d'un an pour s'en remettre.
- Ce globe, c'était le cocon de cette Aywas actuelle. Il n'était donc pas détruit. La descendante de Pentaa est là. Portant le lien du code génétique d'Elros. Le cadeau ultime d'une Aywas à son Tenstei à la fin de sa vie. Cette capacité d'auto clonage lors de la fin de vie demande une grande volonté de l'Aywas et un immense attachement à son Tenstei encore vivant. Elros voulait la sauvegarder afin de pouvoir être présent lors de sa naissance et de reprendre le lien avec une nouvelle Aywas, la descendante de Pentaa. Selon moi, le cocon, perdu lors de l'attaque et notre abandon de la montagne, a été en stase toutes ces années près de la source de la station Stotelss. Il s'est développé dernièrement pour des raisons que j'ignore et elle cherche maintenant, elle le doit pour survivre, à passer au stade suivant grâce à un lien génétique et psychique connu et proche de celui d'Elros... Noah.
- Elle se reproduit elle-même. Je comprends mieux pourquoi tu lui donnes une identité féminine, remarque Tomas. Mais, malgré tes dires sur ses capacités merveilleuses et son don de soi, j'en suis quand même à regretter de l'avoir ramené hier soir.
Puis, il rajoute en posant son gobelet et en se frottant les yeux :
- Je ne sais pas ce qui m'a pris. Nous voilà obligés de gérer cette chose. Désolé Noah !
- Non Tomas, tu n'as pas à être désolé, répond Noah en s'approchant doucement de l'Aywas. Je crois que je comprends. Depuis hier, je ressens quelque chose ... Mon rêve... Les lueurs vertes...
- Noah, ne t'approche pas trop de ça ! s'écrit Tomas en tentant de lui bloquer le chemin.
- Tomas ! Baisse ton arme et laisse faire ! s'interpose Linadar face au géant roux. Nous n'en serons que gagnant d'avoir une Aywas avec nous. Noah sera protégé, et nous aussi !
Tomas pousse un soupir et abaisse partiellement son arme. Au fond, il doit faire confiance à la Mistrale. Il se rappelle de la fusion de Pentaa avec Elros. Il ne l'a jamais approchée, ayant des craintes face à cette chose, mais il se souvient avec quelle tendresse l'Aywas tentait de rassurer son ami et de le consoler lors des coups durs. Il se rappelle le regard de gratitude que lui lançait Elros parfois lorsqu'il était malade ou blessé et que la « magie » de guérison s'opérait. Tomas croit même que Pentaa a aidé le Mistral à le soigner lors de l'attaque du barrage par les Stotelss. Tomas porte sa main à son dos, là où la cicatrice ne partira jamais, tout comme sa dette de vie qu'il n'a, selon lui, jamais pu rendre à Elros. De protéger son fils est de son devoir, de le guider, sa responsabilité. Il réalise soudain que Noah s'approche de la bête et est en train de repousser le lit de camp et qu'il s'agenouille devant l'Aywas. Cette-dernière crache et siffle de plus belle, tremblante de peur, menaçant Noah d'une patte dotée de trois griffes rétractiles, amplement déployées et imposantes. Le pelage de l'animal émet de plus en plus de lumière et ses yeux prennent des couleurs flamboyantes.
- Noah ! crie Tomas en mettant en joue l'animal, mais le jeune homme est dans sa visée.
- Ça va aller Tom, murmure Linadar, laisse-le faire.
Noah tend sa main vers l'être devant lui, comme hypnotisé par ce regard. Sa main se tend pour toucher le pelage. L'Aywas recule de peur, elle tremble mais son regard est fixé sur les yeux verts du jeune Etolias. Ces prunelles semblent lancer des éclairs, sa bouche s'ouvre et un nuage de chaleur s'en échappe. Linadar s'est rapprochée de Tomas et garde la main sur l'arme que l'homme pointe toujours vers la créature.
- Ça va aller. Ça va aller, répète inlassablement la femme avec insistance mais avec une voix tremblante.
- Veena... murmure doucement Noah et ce seul mot calme instantanément la fureur et la peur de l'être devant lui.
Ses yeux résolument fixés sur ceux de la petite créature, Noah pose calmement sa main sur la tête de l'Aywas. Il y a alors un fort éclat de lumière, un cri de douleur et un feulement prolongé. Lorsque les deux adultes éblouis retrouvent la vue, ils découvrent Noah et l'Aywas allongés sur le sol, blottis l'un contre l'autre. Inanimés. Vivement, Tomas et Linadar se penche vers eux. La Mistrale vérifie le pouls de Noah.
- Il respire, constate-t-elle avec un soupir. L'Aywas aussi.
Tomas l'aide à les déposer sur le lit de camp et il les recouvre avec la couverture.
- C'est ça « créer un lien » ? demande le rouquin, toujours penché au-dessus des deux acolytes.
- Je n'avais jamais assisté à cela, remarque-t-elle, mais j'imagine que oui.
Linadar regarde Tomas dans les yeux, constatant que son ami n'est pas rassuré. Elle pose sa main sur son bras et ajoute en murmurant :
- Ne t'inquiète pas, Elros ne retirait que du bon et du bien de son lien avec Pentaa. Et nous aussi.
- Je suis sceptique, l'inconnu me fait peur, avoue l'homme à voix basse. Je ne veux pas que le fils souffre ou s'égare. Je me sens un peu responsable de lui.
- Nous le sommes tous par respect pour Elros et Iris. Mais sache, Tom, que les Aywas sont des êtres uniques qui méritent le respect et qui sont porteurs de grands pouvoirs psychiques. Leur bagage de savoir prend son origine dans les tréfonds de l'histoire de notre galaxie.
Linadar pose sa main sur l'Aywas et caresse doucement la fourrure souple, qui luit tout doucement. Elle prend la grande main de Tomas et le force aussi à prendre contact avec l'être endormie.
- Celle-ci ne fera pas de mal à Noah. Il le sentait et moi aussi. Fais-moi confiance. Je n'ai jamais eu l'honneur d'être liée à l'une d'elle, mais j'ai la certitude qu'un tel lien ne peut être dommageable.
- Tant que ce lien n'en soit pas un de parasitisme.
- Au contraire, il s'agit d'un lien de mutualisme et ici, je peux déjà constater que Noah en est gagnant, réplique Linadar en prenant la main de Noah et en désignant les doigts qui commencent à se cicatriser à vue d'œil.
- Okay ! déclare le rouquin, ébahi. Je suis prêt à réviser mon jugement sur cette drôlesse de bête !
Ils se relèvent pour procurer de la tranquillité aux deux dormeurs.
- En attendant qu'ils daignent se réveiller de nouveau, je vais continuer à essayer de contacter William, déclare Tomas.
Linadar acquiesce et le géant quitte la pièce en emportant avec lui une boîte de matériel électronique. Avec un tendre sourire, Linadar se repenche vers le lit et remonte la couverture sur les deux êtres endormis.
- Skoum en sangrr thas niouk, murmure-t-elle en repoussant une mèche de cheveux sur le front du fils de celui qui fut son mentor, puis elle rajoute comme une prière : « Veille sur nous Elros. »
*****
Je suis dans le noir total. Je ne vois rien. Suis-je aveugle ? La panique me gagne. J'ai froid. Mais je ne suis pas seul. Il y a une présence. Rassurante mais craintive.
Je regarde tout autour de moi. Noir. Absence de toute lumière.
Puis, soudain, une douce lueur s'approche et virevolte autour de moi. C'est une lumière changeante de ton et de couleur mais avec une prédominance verte et bleue. Je l'observe voltiger autour de moi et je ressens la chaleur qui s'en dégage. J'aspire à m'y réchauffer pour calmer les frissons qui me parcourent. Car, oui, je frisonne. De froid, de fatigue, les blessures à mes doigts m'élancent et me font souffrir. Mes jambes sont lourdes de l'effort soutenu des dernières 24 heures. Ma tête élance depuis le coup absorbé dans la camionnette.
Je tends, incertain la main vers cette lueur qui semble vouloir se concentrer en un globe de lumière chatoyante et qui se dirige, en dessinant des orbes, le plus naturellement du monde, vers ma main tendue. Le globe lumineux s'y pose doucement et une douce chaleur enveloppe mon corps en entier, le calmant de ses frissons et de ses courbatures. Ma main chauffe et picote un peu. Je change la brillante sphère de main pour observer mes doigts. Je constate que les plaies à vif cicatrisent d'elles-mêmes sous mon regard ébahi. La même sensation se répète dans mon autre main et j'y constate également la guérison de mes blessures.
- Qu'est-ce que c'est ? Qu'est-ce qui se passe ? soufflé-je.
« Tu es venu Noah. Tu m'as sauvé. Je te dois la vie. »
Je reste interdit. Encore mon rêve qui reviens.
« Non, je ne suis pas un rêve. Nous sommes en communion. Ton corps se repose, il en avait bien besoin. Le mien aussi. Nous nous régénérons mutuellement. »
- Qui es-tu ?
« Tu le sais déjà Tenstei. »
- Veena... Veena Guhtr Bree ... Oui, l'Aywas, le chat au pelage de hibou.
« Un chat ? Un hibou ? »
Je vois dans ma tête l'image de ces animaux et je sens comme un « toucher » dans mes images mentales. Cela chatouille. C'est subtil mais bizarre.
- C'est toi qui « regardes » dans ma tête ?
« Oui. Je voulais que tu me montres ce qu'est un chat et un hibou. »
- En allant fouiller dans mes souvenirs ?
« Si cela te déranges, je peux ne plus le faire. »
- Demande-le moi c'est tout. Je vais m'y habituer. C'est normal ?
« Pour moi, oui. Mais si tu veux, on peut faire autrement. Utiliser la parole comme tu le fais en ce moment. »
- Comment une lumière pourrait parler ?
La sphère étincelante s'éloigne de mes doigts et flotte devant moi. Je ressens un froid et une absence immédiatement.
- Où vas-tu ? Attends.
« Quelle apparence dois-je prendre pour t'être plus accessible ? »
Et je vois la lumière se transformer doucement en un certain matou au pelage de plumes brunes et grises, dans lesquelles se reflètent de faibles éclats de lumière.
- Voilà l'apparence que tu avais à mon réveil, dis-je en souriant bêtement.
Je tends ma main avec précaution car j'ai peur de ressentir la douleur ressentie auparavant lors de notre premier contact.
« N'aie crainte, Noah. De tel éclat, il n'y en aura plus. Notre lien est fait. Au contraire, nos contacts ne seront plus que bénéfiques. »
Et effectivement, ma main dans son pelage/plumage me transmet un sentiment intense d'un réconfort extrême et je ressens que pour l'Aywas aussi il en est de même. Doucement, je la rapproche de moi et elle se blottit dans mes bras. Je suis surpris ! Il me semble bien entendre et ressentir un doux ronronnement.
- Comme un chat !
« J'avoue avoir trouvé cela dans l'image que tu as d'un chat. C'est réconfortant en effet. »
Nous restons ainsi, dans une douce étreinte, je ne sais pas trop combien de temps. Je songe alors à mon rêve dans la caverne. Qui était cette jeune fille ? Elle me disait s'appeler Veena également. Je viens pour poser la question, mais j'entends la réponse avant même de l'avoir formulée :
« Cela était aussi une représentation de moi. L'apparence que j'ai utilisée alors pour te contacter dans ton rêve, en est une que mon ancêtre avait adopté lors de ces nombreuses existences. Je suis encore inexpérimentée pour pouvoir prendre un tel aspect. Je n'en suis qu'à un stade primaire de mon développement. Un jour peut-être, je saurai prendre cette silhouette si tu es d'accord. Mais je ne serais pas comme celle que tu as aperçu dans ton songe. Je serais alors... moi. »
- Et tu vas toujours me répondre avant que je parle ?
« Nous n'avons pas besoin de parler tu sais. Nos esprits se comprennent et peuvent communiquer librement. Nous sommes Tenstei. Essaie de lire en moi. »
Je me concentre et tente de lire ses paroles. Mais je ne ressens que de la chaleur et de la bienfaisance. C'est doux et bon. Je ressens aussi que cela chatouille dans ma tête, comme une plume qui s'agiterait derrière mon front. Mais aucune parole ne se révèle à moi. Je relâche ma concentration, avec un léger tournis, déçu.
« Ce n'est pas grave Noah. Pour toi c'est nouveau. Aussi, tu es différent de tous les précédents liens que nous avons eus. Enfin, mes ancêtres. Tu as fait le lien avec moi sans même savoir ce qu'était une Aywas. Nos précédents Tenstei étaient instruits avant même de faire le lien. Toi, tu as mis toute ta confiance en ton instinct. »
- Il me manque en effet bien des connaissances sur mes origines. Mais avec toi, c'est ce que je ressentais, de la confiance et un attrait. Mais, tu parles de tes ancêtres. Tu te rappelles d'eux ?
« Pas complètement, mais j'ai accès à une réserve de connaissances et de souvenirs qui leur appartenaient. Mais tout cela est aussi nouveau pour moi, je suis nouvelle en ce monde. »
- Donc, tu as des souvenirs de mon père ?
« Oui Noah. Le Tenstei de Pentaa est présent dans mes souvenirs, mais je t'avoue que c'est flou. Je suis resté longtemps en stase à attendre ton arrivée. Mes capacités ne sont pas encore très claires. Je te promets de partager ce qui se découvrira à moi. Pour le moment, je viens juste de me réveiller d'une longue stase. »
- Pourquoi maintenant t'es-tu réveillée Veena ?
« Je pense que la proximité et le danger qui plane sur nos deux êtres a provoqué ma naissance, pour ainsi dire. Je t'ai cherché un peu partout. On m'a poursuivi. »
Je ressens la détresse de l'Aywas. Les Stotelss l'ont pourchassée, l'ont épuisée. Instinctivement, j'étreins le petit être dans mes bras, tentant de la réconforter.
« Je suis finalement revenue ici. Souhaitant ardemment que tu m'y rejoignes avant qu'il ne soit trop tard. Finalement, j'ai senti ton empreinte et j'ai lancé mon esprit vers toi. «
- Le rêve... Et c'était toi aussi les lueurs dans la falaise ?
« Oui. Je devais te conduire vers moi pour pouvoir t'aider et te protéger. T'avertir du danger que les Stotelss représentent. Heureusement que tes pas t'ont mené plus près de moi, car sinon nous n'aurions jamais été réunis ainsi. »
- En effet, je n'étais jamais venu si au nord du fleuve. Mais dis-moi, à notre réveil, pourrons-nous encore se comprendre aussi bien que maintenant ?
« Oui, mais il nous faudra apprendre aussi, car nos esprits doivent encore s'apprivoiser, se rejoindre et se compléter. Mais nous aurons le temps. Je ne peux plus te quitter Noah ! Sinon, je périrai. Mon esprit a besoin de ta présence pour survivre et prospérer. Loin du tien, il se flétrirait et pour me préserver, je devrais accepter de perdre cette enveloppe matérielle et sauvegarder mon essence dans un globe. Au risque que je ne puisse jamais revenir à la vie. »
- Comment ça ?
« En s'englobant, une Aywas brise le lien et elle laisse une partie de son essence vitale à son Tenstei afin de lui procurer davantage de vitalité et de force. Si l'Aywas est trop jeune ou si l'englobement se produit dans un état de faiblesse ou de stress, la sauvegarde du Tenstei est prioritaire et le processus d'englobement peut échouer pour l'Aywas. Pour sauver la vie de son Tenstei, l'Aywas s'englobera volontairement en lui transmettant son essence vitale. »
- Ton ancêtre Pentaa l'a fait pour mon père si j'ai bien compris ?
« Oui, elle était noble et courageuse. »
- Mais c'est injuste pour vous ! Vous nous êtes dépendant !
« Comprend bien, Noah, que le lien d'une Aywas avec un Être comme vous est un miracle pour mon espèce. Nous ne pouvons survivre sans cette symbiose. Elle nous est nécessaire. Ce fut ainsi depuis bien longtemps, avant même la plus lointaine de mes ancêtres. Cette symbiose a sauvé ma race de l'extinction et nous a permis de parcourir bien des mondes et de vivre bien des vies. »
- Donc, tu ne me quitteras plus ?
« À moins que tu ne le désires... Non. »
Juste à penser que je pourrais perdre ce lien privilégié, je me sens si triste. Immensément triste. Seul. Incomplet. Je plonge mon regard dans les doux yeux verts de Veena. Je referme avec tendresse mes bras sur elle.
- Non Veena, non surtout pas. Je ne désire pas cela.
Je me recroqueville avec ma Aywas, mon Alter ego. Je me sens bien, comme je ne me suis pas senti depuis une semaine, depuis la disparition de ma mère. Je retrouve, je découvre et je prends conscience d'une nouvelle part de moi. Je ne serai plus jamais le même Noah. Quelles incroyables circonstances m'ont mené jusqu'ici ! Cette découverte est en quelque sorte un cadeau de mon père !
Je suis Noah Eeltor Hias, descendant des gardiens de Mistral...
Mon esprit s'engourdit et je sens mon corps qui se détend entièrement. Je me laisse aller.
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