20 - Expiation
Face aux tourments d'une faute passée, nous tentons de nous racheter. Se faire pardonner peut parfois devenir une obsession. On s'abstreint à des cérémonials, on fait des gestes de réparation, on tente de se donner bonne conscience. Par delà le pardon factice des apparences, il y a un cycle du pardon envers soi-même par lequel l'esprit passe : le regret du geste posé, qui nous met devant l'évidence de notre faute ; ensuite, le ressenti des remords, qui peut nous ronger de longs moments par l'intérieur et duquel il faut s'échapper grâce à la troisième et dernière étape. Celle-ci est : le repentir. Il ne peut être atteint qu'au moment où l'on peut – et où l'on engage nos efforts - à vraiment modifier les événements ou l'existence des êtres que nous avons lésés, à modifier nos comportements ou changer nos valeurs. Lorsque nous atteignons la réalisation de notre repentir, c'est en quelque sorte un expiation de notre faute.... Tout ce chemin parcouru servira à l'épanouissement de l'être que nous sommes. S'y engager demande cependant un moment où, à la base, nous admettons la faute commise. Sans ce « mea culpa » nous ne prendrions jamais ce sentier de tourments, même sous la menace, quelque soit la récompense promise au bout du parcours. *****************************************************************
XX.XX.XXX.21 354. Cycle 176 ou ...
On me ramène dans la cellule le lendemain. Je le sais, car j'ai vu leur étoile jaune en train de monter à l'horizon par un hublot. Notre vaisseau se déplace aussi. On le sens.
Durant mon déplacement avec mes geôliers, Combattants ou Soldats, j'ai essayé de communiquer avec eux mais peine perdue, c'est comme si mes cerveaux étaient engourdis par l'action de Grand Enquêteur. En passant près d'une baie vitrée, j'entrevois mon double reflet : le visage tuméfié d'une petite Terrienne ou d'une Mistrale, brunette aux yeux bleus m'est apparu. Je n'ai plus rien de Stotelss.
Lorsque l'on me lance dans la cellule, le mistral m'accueille avec sollicitude. Il est blessé au visage suite à l'action des Combattants d'hier mais encore une fois, il m'aide doucement en me parlant. Mais cette fois, je le comprend parfaitement, autant en Dviraks qu'en une autre langue de la Terre. Ils ont apparemment ensemencé ces langues en moi.
Je m'assois sur la boîte alors que face à moi, le blond mistral est assit en tailleur. Je tente quelque sons. Ma voix est petite et douce. Je bute sur les mots, puis articule en me pointant : « Mannie ». Tout sourire, il me répond en faisant le même geste vers lui-même : « Simon ».
Voilà, la communication est lancée. Nous communiquons lentement. Parler est plus ardu que l'on pense.
XX.XX.XXX.21 354. Cycle 177 à 180 ou plus ou moins
Plusieurs jours ont passé. Je suis toujours dans la prison avec Simon. Nous jasons beaucoup. Pour simplifier mon passé, je me suis inventé une amnésie partielle suite à un choc à la tête, je lui partage quelques souvenirs de ma vie simple avec mon parent – il a froncé les sourcils à cette expression. Je dois faire attention pour rester plausible. Je sais que nos conversations sont sur écoute, aussi je le fais parler. Beaucoup.
Il se nomme Simon Levinston, il dit être un habitant de la Terre. Mais je sens que son fond est mistral. Mais il ne le sait pas. Sur son manteau, il observe parfois intensément la broderie particulière qui l'orne. Il recherche son passé. Il l'a oublié. Il dit ne pas avoir de famille, mais veut rejoindre une personne dont le souvenir hante ses périodes de sommeil. Comme mes capacités de communication mentale semble se stabiliser, je tente de scruter ses songes et ses pensées en catimini. Il se rend compte parfois de mes introspections dans ses souvenirs mais ne comprend pas ce qui lui arrive. Cependant, il protège ses pensées de manière instinctive, comme tous les Mistrals de certaines lignées. Je constate, dans ce que je vois, que ses souvenirs sont incomplets. Des bribes d'images d'un homme qui lui ressemble, dans sa jeunesse. Je sens le Krark là dessous. Mais il n'a pas le souvenir de scéances avec le Grand Enquêteur. Qui lui a imposé le Krark alors ?
J'obtiens de Simon l'histoire des cinq dernières années sur cette planète, plus particulièrement dans les villes de Pemplinn et de Rotts. Il me raconte la vie des gens de cette planète. Mais des Mistrals, pas un mot. Je sais que c'est l'information que mes geoliers veulent. Il n'en sait rien selon moi. Voilà le message que je lance au delà des murs de notre prison. Sans vraiment savoir pourquoi, je garde pour moi l'image de l'homme des souvenirs de Simon.
Un soir, durant la période de veille, ils viennent le chercher. Je ne peux rien faire.
XX.XX.XXX.21 354. Cycle 183 ou ...
Lorsqu'il revient, trois cycle plus tard – pendant lesquels je me suis morfondue pour lui - il est en très mauvais état. On dirait qu'il a perdu la moitié de sa masse corporelle. Sur sa peau, je vois des traces de nombreuses piqûres. Des pans entier de la peau de son dos sont arrachés, ses yeux boursouflés sont réduits à deux fentes, sa bouche n'est plus qu'une blessure ouverte. Ses mains ont été écrasées et tout son corps porte des traces de mal traitements diverses. Je ne comprends pas. Pourquoi ? Lorsque je plonge en son esprit, je n'y trouve que la confusion la plus totale, la douleur et une peur viscérale de mes congénères.
J'extirpe de la boîte de vivres, qui commence à être bien peu pourvue, un peu de ressources médicales mais j'hésite presqu'à remettre Simon en état. Pourquoi ? Pour qu'il revive les mêmes traitements ? Je pose mes mains de chaque côté de son visage tuméfié et je vais vers son esprit pour tenter de le soulager. Entre ses paupières, j'entrevois ces iris verts ! Des effluves d'épices inconnues m'imprègnent et me surprennent. Plongeant dans son regard, pour joindre son esprit qu'il n'a plus la force de protéger activement, je constate des sentiments qui naissent et surpassent tout les autres : de l'amour et de la fierté. Amour de ceux qu'il a oubliés, fierté de les avoir protégés. Il connaît le Krark ! Il l'a utilisé sur lui-même ! Quelle force lui a-t-il fallu pour compléter ce geste ! Cela explique que mes semblables n'aient rien trouvé. Même avec le sérum injecté en quantité faramineuse, les souvenirs et informations sont absentes... Il ne reste que des spectres.
Je lui transmet une onde soporifique pour qu'il repose, je soigne son corps... Puis je me recroqueville près de lui, l'enveloppant de mes bras à mon tour. Je veille et réfléchi pour tenter de comprendre ce Mistral de malheur. Je me donne le droit à me forger enfin une opinion personnelle sur mes congénères. Les Enquêteurs ont dû réaliser qu'il était un esprit blanc. Pourquoi s'être acharné alors ? Je sens le vaisseau qui se déplace encore et en lançant mon esprit vers un garde qui passe près de notre geôle, j'y perçois du soulagement de partir de cette planète. Nous quittons ?
XX.XX.XXX.21 354. Cycle 187 ou ...
Voilà plus de trois cycles que nous croupissons dans notre cellule. Les réserves de la boîte sont épuisées. À croire qu'ils veulent notre fin. Ils sont venus chercher Simon pour un tiers de cycle. Il est revenu aux abords de la folie. Cependant, je détecte toujours le même éclat victorieux dans ses prunelles. Il dort beaucoup mais il est fiévreux. Il murmure des mots sans sens. Il veut s'évader, s'envoler vers les étoiles, vers un fleuve... S'évader... Je ne peux que soulager son esprit, je n'ai plus de ressources pour son corps. Je lui parle durant la nuit lorsqu'il s'agite ou je le rassure entre mes bras quand il frissonne. Je ne crois pas qu'il va survivre...
Je voudrais bien nous libérer de la prison où on m'a envoyé en espionne auprès de ce mistral. J'ai bien tenté de reprendre mon apparence, mais je ne réussis pas. Un de mes cerveaux ne veut plus m'obéir... Qu'importe ? Dans une apparence ou une autre, que pourrais-je faire ?
XX.XX.XXX.21 354. Cycle 188 ou ...
C'est la fin d'un cycle sur cette planète. Le soir. Le jour du départ est arrivé. Ils évacuent une bonne partie de l'équipage du vaisseau. Les prisons sont vidées.
Nous voilà à l'air libre. C'est la saison chaude dans ce coin de planète. Mais leur étoile jaune se cache derrière des trombes d'eau. Sortir du vaisseau, après tout ce temps enfermé, fait du bien mais l'air humide, trop riche en oxygène et pauvre en méthane, me fait tourner la tête. Les odeurs envahissent mon être et je ne réussis pas à les classer à mon gré. Je n'ai pas pris mon Houash depuis plus de 50 cycles et donc je m'adapte mal à ce nouveau milieu.
Nous sommes sur un plateau en altitude. Au loin, dans la brume, j'aperçois des indices d'habitations. Le vaisseau est sûrement sous camouflage. Autour de nous, il y a tout un contingent de Stotelss, une centaine. La moitié de l'équipage. Tous sont habillés en terrien et se cachent par une illusion, pas aussi poussée que la mienne car je la détecte. Eux ne me distingue pas sous mon masque blessé et faible de Mistrale. Je vois les faux humains s'embarquer dans quatre navettes.
Les rares prisonniers sont dispersés en petits groupes avec des Combattants en escorte. Simon et moi, toujours ligotés par un faisceau d'énergie, alourdis par un dispositif de gravité, sommes poussés vers une falaise. Je me colle à ses côtés, tentant de lui donner un support, pour empêcher son corps de tituber et de tomber. Un détachement de six combattants, sans illusion, dirigé par le Grand Inspecteur lui-même nous encadrent. Mes congénères ne communiquent pas avec moi, obéissant aux ordres du Grand Inspecteur qui me toise de haut. Je lance mon esprit vers lui, alors que, voyant le lieu où ils nous conduisent, je comprends leurs intentions : c'est notre fin pour tous les deux. Nous sommes des bagages encombrants pour le retour. Je le supplie de me redonner ma forme originale, non je ne veux pas finir ici !
« Je t'en supplie, par les trois Comètes, épargne-moi Grand Inspecteur, mon père te le revaudra, Je suis fille du Chancelier Strin Cihr. Tu ne peux me traiter ainsi ! J'ai fait exactement ce que tu me demandais. Ce prisonnier ne sait rien, tu l'as constaté, non ? Pourquoi me traiter ainsi. J'ai obéis à ta mission !»
Il me regarde de ces yeux noirs et froids et ne daigne même pas énoncer une onde vers moi. Il donne une pièce de tissu à un jeune messager qui s'empresse de venir le jeter aux pieds de Simon : son manteau.
« Il était d'un groupe gardiens de Misstr que nous voulions retrouver, mais il ne m'est plus utile. Il ne sait rien. Tu ne m'as rien appris non plus. Oh si : tu m'as montré l'illusion des Miklawan, voilà toute l'aide que toi tu m'auras donné. Sevrée du Houash, qui contrôlait ton cerveau éloigné à ma guise, tu ne m'es plus utile. Tu es condamnée dans cette illusion humanoïde au yeux de tous pour le peu de temps qu'il te reste. Ton rôle s'achève ici. Le Gouverneur me le revaudra davantage que ton parent Strin Cihr. »
Voilà tout ce que je perçois de lui. Une onde de cerveau à cerveau, sans fuite, sans trace externe pour les autres Stotelss, imbibés de Houash qu'ils sont. Ensuite, il m'ignore et me nargue en croisant ses bras supérieurs et en se tenant la taille des deux autres. La pluie ruisselle sur sa peau nue et fait luire ses traits et son vêtement aux armoiries familiales. Je crie, à plein poumons – expression d'abaissement suprême pour un Stotelss - je ne sais plus en quelle langue :
- Tu m'as trahie. Utilisée. Combattants ! Ne laissez pas cette traîtrise s'opérer ! Vous devez...
Je reçois un coup de poing, tout de fer ganté, sur le côté du visage. On m'aide à me relever et on m'entraîne dans la brunante. Étourdie, je ne me débats plus. Je pends, quasi inerte aux bras de mes deux bourreaux. Je constate le piège dans lequel je me suis engluée. Voilà le triste destin de l'héritière Strin Cihr ! Simon s'est débattu pour récupérer son manteau entre ses mains meurtries et il le tient serré entre ses bras comme le plus grand des trésors.
- De quoi parlais-tu Mannie ? Fille de chancelier ? m'interroge Simon d'une voix sourde alors qu'on le conduit brutalement sur mon flanc..
J'ai envoyé mon plaidoyer mental vers tous les esprits présents, sans distinction, même lui ! Dans son esprit à vif, les ondes mentales ont trouvées écho. Il tourne douloureusement sa tête vers moi, ses longs cheveux pâles s'écrasent sur son visage barbu. La poigne sans pitié d'un Combattant l'agenouille sur la crête rocheuse de la falaise qui s'ouvre devant nous.
Je regarde les iris émeraude qui me transmettent, sans même que j'ai à plonger en lui, une tristesse insondable et j'entends son esprit :
« Qui es-tu Mannie ? »
« Je suis celle qu'on a trahie. Ils nous manipulent... Je le réalise... Trop tard. »
Je reçois un autre coup, puis on m'agenouille près du mistral. Je ressens sa déception, sa colère mais, étrangement, il n'a même pas de dégoût envers moi. Sur mon visage, le sang Stotelss coule en une fine rivière chaude mêlée à ce que j'identifie, avec surprise, à des larmes qui coulent de mes yeux humanoïdes. Je suis honteuse de mes gestes, de mon attitude. Sous le ciel qui gronde, je constate, en un éclair, que tous les beaux principes Stotelss que je vénère depuis mon âge de raison, ne sont pour la plupart que des manigances comparables à celle que je subis en ce moment. Je croyais être envoyée pour aider notre glorieuse société éternelle ! Comme j'ai pu être naïve et aveugle. Quelle dose de Houash nous font-ils ingérer pour nous mener ainsi par le bout du nez !
Je vois le Grand Inspecteur en relations houleuse avec quatres chefs combattants qui ont supervisés l'embarquement des navettes. La voix de Simon me sort de ma contemplation et de mes atermoiements :
- Tu m'as sauvé Mannie : la fausse Mistrale, la pseudo humaine, murmure sa voix si faible dans le crépitement de la pluie.
Je reste silencieuse, écrasée par mes mensonges, alors qu'il poursuit :
- Je pouvais lire en toi. Quatre mains, un reflet infini dans ton regard. J'ignore d'où me vient cette capacité. Tu pensais à l'instinct, mais c'est plus. Je te vois... Tu m'as confirmé ma propre nature : un Mistral, un Gardien. Tu as été mon miroir.
Je reste bouche bée. Mon illusion ne marche pas toujours avec lui. Depuis quand ?
- Depuis qu'ils t'ont ramenée blessée, je t'ai vue un temps dans ta réalité...
Sa respiration se bloque et une quinte de toux l'assaille. Du sang coule au coin de sa bouche. Je tend mes mains menottées vers lui pour l'aider. Il les regarde. Les étreint furtivement. Puis il me tend son manteau de ses mains aux doigts sans force :
- Tu ne m'as pas trahi. Garde pour toi les quelques souvenirs que je t'ai transmis. Retrouve-le... Je t'en prie.
Je prend le manteau puis, l'un de mes cerveaux est assailli d'images sans sens. Il ouvre de force ses paupières et son regard se rive sur le mien :
- Retrouve-les Mannie. Mon amie.
Sa voix est noyée dans le bruit des quatre navettes qui s'envolent en un lourd sifflement dans le ciel, chacune dans une direction différente.
- Pardon Misstr, mon ami.
C'est tout ce que je réussis à murmurer en Dviraks d'une voix cassée avant qu'un combattant ne me pousse d'un coup de pied dans le dos. Je m'envole lourdement dans le vide.
Le sol me reçoit à de nombreuses reprises, chacune plus douloureuse que la précédente. Les menottes se brisent sous l'impact et un choc sourd ponctue le dernier atterrissage qui me donne une vue imprenable sur le haut de la falaise et, perdue dans ma douleur, j'assiste au départ du vaisseau principal, en une brève gerbe de lumière dans la pluie qui n'a cessé de tomber.
Je vais mourir ici, seule. Mon âme se brise comme mon corps, mais mon second cerveau refuse de démissionner comme le premier, me renvoyant un kaléidoscope d'images venant de l'esprit embrumé et fendillé de Simon. Je reste immobile à les observer sur le rideau du ciel qui pleure sur mon visage, noyant l'eau salée qui se déverse de mes yeux mistrals. À intervalles réguliers, des odeurs d'ozone se dégagent de l'atmosphère alors que des décharges électriques zébraient sans cesse le ciel de cette planète qui m'est étrangère. Mon corps s'engourdit, je ne le sens plus. Je finis par me perdre dans le temps.
La nuit est définitivement tombée. Par mes paupières entrouvertes, je vois des lumières qui percent la pénombre qui s'est installée. Ai-je dormi ? Où est Simon ? J'aperçois des silhouettes qui s'approchent de moi. Une lumière attaque mes yeux. Des voix s'interpellent, assourdies. Un homme se penche au dessus de mon visage. Ses cheveux noirs laissent tomber des gouttes dans ma figure alors qu'il retire le capuchon jaune de son manteau. Une pli soucieux se forme entre ses yeux très bleus. Je fixe sa bouche qui donne des ordres à d'autres personnes que je ne vois pas. Avec un linge, il éponge mon front et je vois le tissu s'imbiber de sang très rapidement. Je sens qu'on m'enveloppe d'une grande couverture des pieds à la tête et qu'on immobilise mon corps. Je commence à percevoir leurs paroles. C'est une des langues qu'utilisait Simon à part le Dviraks. J'essaie de parler mais n'émet qu'un gargouilli informe.
- Ne bouge pas, me murmure l'homme à l'oreille en me chatouillant la joue avec sa moustache noire et grise. Je m'appelle Josh. On s'occupe de vous deux.
- Ce sont les seuls survivants, Josh. Que fait-on pour les autres ?
- Sofia, demande des volontaires pour les sépultures. Ramenons vite les deux survivants à la station.
- Le Jeep est en route Professeur, fait une voix enfantine.
- Merci Ludvig. Nous n'avons plus qu'à le rejoindre au sentier près de la rivière Yanasag.
- Je me demande s'ils vont survivre au voyage, remarque la voix féminine, surtout lui.
Du coin de l'oeil je vois s'approcher deux hommes qui transportent Simon sur un brancard de fortune, suivi d'une silhouette familière. Mon esprit me fait voir des fantômes ! Je tend mon esprit vers Simon : il est vivant ! Mais extrêmement faible et je constate tristement qu'il est près de mourir. Mais... On me prend pour me placer sur un autre brancard... La douleur ! Je proteste d'un cri. Ça y est mon second cerveau démissionne peu à peu... J'ai à peine le temps de percevoir la surprise craintive du dénommé Josh et de la femme Sofia, avant qu'ils ne recouvrent en entier ma tête sous la couverture. Je tourne de l'œil. L'illusion mistrale s'évanouit aussi, camouflée aux regards.
Plus tard... Mais quand ?
J'ouvre difficilement les yeux, après une suite d'éveils, de veilles et d'inconsciences totales. Je réalise que ceux qui m'ont soignée et veillée m'ont parfois vue dans ma forme réelle. Je me remémore les présences et les odeurs de Josh, de la femme dénommé Sofia, du jeune Ludvig qui m'a lu des histoires d'une voix hésitante... Je vois aussi Simon. Il est différent, sûrement le saut de la falaise. Je prend conscience que ma connexion mentale avec Simon s'est poursuivie durant les moments où mon cerveau lointain se connectait. Il m'a incité à une confidence mentale entre nous. Je ne lui ai rien caché. Il m'a avoué se nommer Strom. Il m'a semblé... moins blessé. Je l'ai entendu discuter avec Josh de moi et de mes souvenirs.
Mes yeux humanoïdes laissent des flots de larmes s'écouler sous mes paupières closes. Comme j'ai honte, comme je voudrais ne pas avoir été ce que je fus ! À cause de mes croyances aveugles, combien d'êtres ont souffert ? J'ai été témoin et complice des machinations de Stotelss. Je tourne la tête de côté et ma vision embrouillée tombe sur le manteau de Simon, déposé sur une chaise à mes côtés.
- Pardon, murmuré-je doucement la gorge en feu.
- Je te pardonne, me répond une voix.
Je tourne mon visage : Simon m'apparaît un peu flou, installé dans un fauteuil à mon chevet. Il pose sa main sur mon front en un geste de contact mental.
- Je connais maintenant pas mal ton histoire, rajoute-t-il. Tu rêves fort en esprit Mannie.
- Je suis désolé... Je...
Ma voix croasse et j'ai mal. La main quitte mon front et je sens qu'il approche un gobelet d'eau près de ma bouche. J'avale quelques gorgées. Jamais un liquide ne m'a semblé plus délicieux. Le contenant s'éloigne.
Je me fixe sur son regard émeraude : plus clair. Ses traits : plus jeunes. Pas de barbe. Les cheveux plus blonds. Un esprit que je découvre mais que je reconnais en même temps.
- Qui es-tu ? soufflé-je.
- Strom ou Simon, c'est tout ce que je me rappelle. Tu m'as permis de retrouver une des chimères qui flottait dans mes restes de souvenirs. L'un des miens.
- Simon ?
- C'est ainsi qu'il s'est présenté à toi ? Il avait l'esprit aussi perdu que le mien.
- Le krark... Lui et toi en avez usé bien dangereusement. Qui était-il pour toi ? Il te cherchait aussi.
- Mon frère je crois. Les images en toi viennent de lui. Je m'y vois.
Il fait un silence et détourne ses yeux brillants. Je vois dans son esprit la sépulture de pierres au pied d'un arbre. Simon... y repose. Je ferme mes yeux qui brûlent et soupire :
- Me voilà vraiment seule. Il s'est finalement envolé... Il s'est évadé... L'Évadé.
Il prend ma main et ajoute, le plus sérieusement du monde, le visage décidé :
- Mon frère t'a accordé sa confiance, je te donne la mienne. Deux choses : je t'apprend à vivre dans ce monde et en échange, tu me transmets tout ce qui te viens de lui.
- Je crains bien n'avoir que peu à te donner en échange. Un manteau et des images... et l'amitié qui est née entre nous.
- C'est déjà pas mal : ce manteau à l'origine c'est le mien, des images je n'en ai pas des tonnes et des amis, on en a toujours besoin, sourit-il, puis il rajoute : Fais-moi plaisir aussi, tente de conserver cette apparence car je t'avoue que l'autre me fait flipper !
J'hésite... À quoi bon continuer ? Mon corps meurtri qui ne semble plus m'appartenir. Mon passé rempli d'actes fautifs. Une planète qui n'est pas la mienne. Une apparence illusoire.
D'un autre côté, c'est ce que je possède maintenant. C'est même plus que ce que l'empire Stotelss me laissait.
Et puis, il y a ce regard vert qui me toise, qui me pousse à sourire en retour, me donnant l'espoir en partage. J'étreins sa main en retour , puis je déclare :
- Entendu Simon. Je serai très honnête avec toi : ce monde est en danger... et je ne veux plus les laisser faire.
- Nous t'aiderons.
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