2 - Départ intuitif

Quels sont les objets que l'on sauve d'un désastre? Ceux nécessaires à notre survie ou ceux qui nous rappellent qui nous sommes ?

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     Le matin le réveille d'un rayon de soleil dans les yeux qui, par la fenêtre, traverse allègrement les rideaux vaporeux. Sa mère aimait ses rayons vivifiants du matin.

     Noah se redresse et pose ses pieds aux sol. Il ne tarde pas à regretter la chaleur des couvertures. L'hiver s'est vraiment installé et la vieille maison lui laisse bien trop de place. « Brrr », murmure le jeune homme en frissonnant. « Vivement une douche chaude ! »

Il se lève et file sous l'eau chaude, qui rapidement, comme d'habitude, tend vers le tiède puis le tempéré !  Noah abrège sa douche et se dépêche de s'habiller chaudement.  Après avoir prelevé quelques biscuits à la cuisine, il revient dans la chambre de sa mère chercher des bas chauds et fouille dans l'armoire à la recherche d'un chandail adéquat, tout en grignotant son petit déjeuner improvisé.  En voyant son vieux manteau d'hiver et son bonnet de laine rouge, il entrevoit qu'il n'aura pas le choix : il doit agir et cela le poussera inexorablement à quitter sa maison.   Il ne peut plus se cacher de la réalité.  S'il reste ici, il se retrouvera pupille de l'État, perdra sa liberté et devra tout révéler aux autorités.

Mais qu'a-t-il donc si peur de révéler ?  Il observe les objets qui l'entourent :   Qu'est-ce que sa vie après tout ?

Peu importe, son intuition lui dicte de bouger !

Avec un mouvement exaspéré pour cette crainte qui lui ronge les entrailles, il enfile un chandail de laine au ton rougeâtre un peu délavé qui l'a accompagné bien souvent en escapade avec sa mère dans la campagne.  Il délaisse cependant le manteau, rendu trop étroit depuis l'hiver passé, mais prend le bonnet et y rajoute une paire de gants aux doigts coupés.  Il se penche sous le lit et sort le vieux sac à dos délavé que sa mère utilisait pour leurs randonnées en montagne.  Il file à sa chambre pour y prendre quelques vêtements et effets personnels : son carnet de croquis, ses crayons et une vieille photo de famille, prise à sa dernière fête où son père était présent, rejoignent les vêtements. Il prend aussi son portefeuille où se cachent quelques économies et y rajoute son dernier bulletin avec le mot de sa mère au verso, en le pliant en quatre.   Il réfléchit en voyant ses maigres économies puis file à la cuisine, tout en mettant le portefeuille dans la poche arrière de jeans. Il se penche derrière le frigo et en ressort une petite boîte métallique rectangulaire. Ancienne boîte de chocolat, elle n'en possède plus l'odeur mais conserve précieusement les papiers officiels de la famille (avis de naissance, passeport) ainsi  qu'une liasse de billets ramassée par Iris au fil de l'année. Deux occasions utilisent normalement ce pécule : les fêtes de Noël ainsi que les anniversaires. Noah hésite un peu à s'accaparer la boîte et son contenu mais, finalement, il se promet que c'est pour la protéger des incidents fâcheux s'il l'abandonnait à la maison.

De retour dans la chambre de sa mère, en déposant la boîte dans le sac, son regard croise le vieux coffre dans le coin de la chambre. Il appartenait à son père qui y rangeait toujours certains objets.  Il se rappelle s'y être enfermé par jeu étant jeune et avoir été coincé quand le couvercle s'était bloqué sur lui.    Il avait eu tellement peur d'être fait prisonnier qu'il avait paniqué.  À ses cris, son père l'avait libéré et il se souvient clairement s'être accroché à lui fortement à sa sortie. Il n'avait pas été grondé, mais Elros avait rajouté un cadenas au coffre et en avait caché la clef.

Où ? . . .

Il scrute la pièce avec minutie, puis instinctivement, il se dirige vers un pot rempli de fleurs séchées, le soulève et retrouve la clef collée sous le pot.  Il a toujours su trouver les objets ou les gens camouflés très facilement. C'est parfois pratique !

Il va au coffre, insère la clef dans la serrure. Elle résiste un peu, puis un déclic se fait entendre.   Il ouvre grand le couvercle. Aussitôt, une odeur de boisé et d'épices lui chatouille les narines.  Le coffre n'est pas plein.  Sur le dessus, un tas de vieux vêtements d'homme d'un autre temps.   Puis, il déniche un vieux manteau de cuir noir, semblable à celui dont il a le souvenir, cette fameuse nuit de pluie, voilà dix ans. Il est rapiécé aux coudes et muni d'un capuchon.  Une broderie assez stylisée en décore la poitrine à gauche, réalisée avec un fil métallique gris argenté. D'amples poches permettent de se réchauffer les mains, le tissu est doux et semble chaud.  Noah se relève, endosse le manteau.  Il est surpris qu'il lui sied.  Il se regarde dans le miroir et constate que son corps a décidément pris de l'avance depuis quelques mois.   Il ne se reconnaît plus.

Sous la frange de ses cheveux trop longs, ses yeux verts scrutent le reflet de ce jeune homme dont le menton, traditionnellement glabre, arbore maintenant un léger duvet résolument plus dru et sombre.  Son visage aussi est devenu plus anguleux et déterminé, quoique qu'une fossette au bas du menton y marque toujours un trait d'enfance, où est-ce un point de départ ? Conservant le manteau, il s'agenouille à nouveau et scrute le reste du contenu du coffre.   Aucun autre item n'attire son attention jusqu'à ce qu'il tombe sur un long objet enroulé dans un tissu suédine brun.  Posé en diagonal dans le coffre, le paquetage est assez léger et contient un instrument mince et allongé.  Il déroule le tissu et y découvre un vieil arc noir au liséré gris.  Des entrelacs décorent l'objet et lui donnent une allure artistique certaine.  Il n'a pas de corde mais semble avoir conservé toute sa souplesse et son élasticité.  En regardant au fond du coffre, le garçon distingue un carquois contenant une dizaine de flèches noires à l'empennage un peu fripés.  Il se rappelle vaguement avoir vu des voisins chasser à l'arc dans les montagnes.  Son père était-il chasseur ?  Il n'en garde aucun souvenir.

 Mettant l'arme de côté, il continu de vider le coffre.  Un tas de vieilleries s'accumule à côté de lui. Parmi les derniers vêtements, tout au fond, sa main touche un boitier métallique.   Il l'extirpe et constate qu'il ne s'ouvre pas.  Un code composé de signes étranges en bloque l'ouverture.  Il retourne l'objet dans tous les sens mais ne trouve aucun moyen de l'ouvrir.  Il agite le coffret.  Il entend un faible bruit sourd mais rien qui ne puisse permettre d'en distinguer le contenu.   La pesanteur de l'objet brillant est grande, bien trop pour son volume.  Intrigué, Noah le dépose près de l'arc.

Il touche finalement le fond du coffre et vient pour ranger les vêtements en un paquet pêle-mêle lorsque, glissant de la pile, un livret de cuir usé tombe au sol.   Le jeune homme constate qu'il s'agit en fait d'un carnet de dessins.  La couverture brune protège et retient, grâce à une corde noire, des feuilles de diverses origines en un carnet non relié.   S'asseyant le dos au pied du lit, Noah relève les genoux et, avec précaution pour ne pas en défaire l'ordre, il observe rapidement les feuilles une à une.  Des dessins de paysages, de visages, de vues abstraites, de lieux inconnus et des pages couvertes d'une écriture fine dans une langue inconnue, se succèdent.  Il y voit aussi des plans géographiques et certaines pages sont remplies de points dispersés au hasard, comme si on avait dispersé des petites taches d'encre pour le plaisir des yeux.   Intrigué, le jeune homme tombe finalement sur une série de croquis, d'un certain art, mais surtout pour lesquels on dénote beaucoup plus de minutie.  Visage d'une femme, puis d'un bébé ainsi que d'un garçon sont esquissés et rendus avec précision.  Les feuilles ont un peu jauni avec le temps mais le coup de crayon de l'artiste est empreint d'amour et de passion.  Les yeux de Noah s'embrouillent lorsqu'il réalise qu'il s'agit de sa mère et de lui.  Au bas de certains dessins il voit la signature, de la même calligraphie que tout le reste : Elros.   Ainsi, c'est son père qui est l'auteur de ce livret.  Le talent et la passion de Noah pour le dessin s'expliquent.  Il referme minutieusement le cahier.  Dans le coffre vide, il range les vêtements et referme le meuble.

En regardant l'arc, le petit coffret et le cahier, il se demande pourquoi sa mère ne lui a jamais présenté ces reliques.  Les avait-elle oubliées ?   Possible mais peu importe, il les a trouvées et elles ne resteront pas seules ici.   Il se relève et les enfouies dans son sac.

 Il va ensuite au bureau de sa mère, là où il l'a si souvent vu brosser ses longs cheveux blonds, écrire des poèmes ou préparer des sachets d'herbes médicinales, cueillies dans la forêt et la montagne.  Il y prend un collier tout simple composé d'une cordelette noire ornée d'une pierre mauve que sa mère affectionnait particulièrement.  Un anneau doré y est aussi suspendu : son alliance.  Il se demande pourquoi sa mère ne le portait pas lors de sa disparition.  Il passe le collier à son cou et le cache sous son chandail.  Il prend également une petite sacoche qui trône au coin du bureau où il sait se trouver une panoplie bien ordonnée d'herbes précieuses.  Il en connaît les utilités car Iris l'a initié à leurs secrets depuis la cueillette jusqu'à leur préparation en potions, cataplasmes et décoctions.  Il ouvre un tiroir et s'empare aussi d'un petit étui qu'il passe à sa ceinture et dans lequel se cache un étroit couteau à la lame fine, solide et légèrement courbée : outil idéal pour la cueillette de plantes ou pour déterrer les racines.  Finalement, il ne peut s'empêcher de prendre un foulard tout simple, avec ses teintes de sables et de terre mouillées, orné de filaments à ses extrémités.  Il y enfouit son visage en respirant profondément pour s'imbiber du parfum maternel.  N'osant le porter pour en modifier la fragrance, il le cache dans le fond d'une des poches de son manteau.

Il retourne près du lit, pose le sac, y insère la sacoche médicinale et l'arc en diagonal - il devra lui trouver une nouvelle corde - puis juche le carquois sur son épaule.  Il empoche les gants et se coiffe de son bonnet rouge.  Il fait des yeux le tour de la pièce et ensuite, d'un pas décidé il la quitte, non sans un pincement au cœur.   Il n'ira pas dans sa chambre cependant, ayant trop peur de flancher et de rester.   Dans la cuisine, il cueille quelques barres de céréales et fruits secs : pauvre récolte car les réserves de nourriture se font rares.  Dans le placard de l'entrée, il prend et enfile ses vieilles bottes de cuir mi-jambe, prend une corde d'escalade, son piolet et quelques mousquetons et piquets.   Il rajoute le tout à son bagage.  En tout dernier lieu, il se munit d'une gourde qu'il remplit d'eau fraîche et se saisit d'une lampe de poche solaire qu'il accroche à l'extérieur du sac.

 Le voilà prêt. Il ouvre la porte de sa maison, ferme machinalement la lumière et referme derrière lui.   Pas un regard, pas d'hésitation.  Il ne verrouille même pas la porte.  Il a laissé la clef sur la table mais pas de mot pour sa mère.  Il sait qu'aucun d'eux ne reviendra ici.  Encore son intuition qui l'appelle et le guide.

Il quitte la maison qui l'a vu grandir et avance sans regret, mais non sans crainte, vers l'inconnu.

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