17 - Éphémère
L'individu vit le présent, chérit le passé et rêve le futur. Cette conscience de la ligne du temps lui donne une illusion d'immortalité. Et pourtant, sa vie n'est qu'un fragment de celle de notre planète, de notre galaxie. Quand on y songe, l'être humain représente, à l'échelle de notre univers, une toute petite unité intelligente qui découvre, vit et se souvient du moment présent... Cependant, unissons toutes ces petites créatures que nous sommes en une filiation, à l'échelle macroscopique de la vie sur notre planète, et notre existence n'est plus aussi éphémère. Le « je » devient le « nous ». Nous pouvons alors nous considérer comme de grands bâtisseurs, des innovateurs et des créateurs dans notre monde. Des gardiens d'un univers plus grand que nous. De nos petites vies éphémères naît alors une parcelle d'éternité.
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C'est camouflés par une dense brume et un air froid et humide qu'ils parviennent aux limites ouest de la Capitale. Par des sentiers détournés et d'étranges détours, Ayanha les a conduits là. Sur les derniers kilomètres, c'est Kaïra qui a pris la tête du cortège car les voici arrivés en un lieu qu'elle connaît bien : la Station de géologie et de biologie vétérinaire de la Capitale. Elle y a terminé ses études supérieures et y est revenue souvent pour s'y ressourcer et trouver conseils. En particulier il y a cinq ans alors que la jeune fille a été choisie, avec son directeur de labo, le professeur Josh Doowning, pour diriger l'équipe d'évaluation de la solidité du Barrage de Rouan. C'est alors que Kaïra a mis au point sa simulation de rupture du barrage dans la même foulée. Un travail de longue haleine, issu de ses études au doctorat sous l'égide de son mentor et de ses confrères estudiantins.
Le fruit de ses recherches a coûté à tous les membres de l'équipe leur notoriété, puisque les conclusions furent fortement contestés par des firmes d'ingénieurs en construction ainsi que par le Ministère de la sécurité publique. En effet, Kaïra désirait pousser les évaluations sur place, au barrage, afin de déterminer les causes de bris et les effets sur la structure des incidents survenus. Elle n'a jamais obtenu accès au site de Rouan et les firmes de construction ont pu réparer le barrage avec l'aval du gouvernement. Et Kaïra, la géologue promis à un brillant avenir, cheffe du projet n'a jamais été plus loin, conservant son étude sous le bras et ses incompréhensions face à la rigidité du Gouvernement. Elle était jeune et intelligente, mais il lui manquait une chose importante pour comprendre les motivations des Ministères de la Sécurité et... de la Défense... la vérité sur l'incident du Barrage de Rouan. Celle d'il y a vingt ans.
Maintenant que tout lui a été révélé à la Montagne Bleue et qu'elle a pu confronter plus précisément ses connaissances avec les souvenirs de William, elle est à même de comprendre la menace qu'elle a pu représenter pour les Stotelss et leurs supporters terriens.
C'est donc avec une détermination grandissante et un besoin de venger son honneur bafoué, qu'elle prend la tête du petit groupe dans les limites de la Station. Cela fait plus de six mois qu'elle n'est pas venue en ces lieux. En effet, sous les conseils du Pr Doowning, à qui l'Université venait de couper les subventions et sa chaire de recherches et d'enseignement supérieur, elle est partie se perdre dans la nature. Pauvre Josh ! On le discréditait pour falsifications d'études et propos mensongers, l'accusant de diffamations envers de hauts représentants gouvernementaux dans le cas de l'étude du Barrage de Rouan. Le fameux article de Geologiea, publié dans la foulée de la thèse de Kaïra, est pointé du doigt et cité à la une des journaux économiques et dans la presse à scandale. Avant que la jeune fille ne soit éclaboussée, Doowning lui a ordonné de quitter le labo avec ses recherches et de ne plus y revenir. Le cœur en charpies et l'âme apeurée, elle lui a obéi. Elle n'a eu le choix que d'observer la déchéance de son directeur et ami, dans tous les médias, n'ayant pas le courage de se lever et d'aller le défendre. Elle en a toujours honte maintenant et ce geste d'aider les Rescapés de la Montagne en est un de vengeance mais de pardon aussi.
Passant par les barrières à demi détruites de la Station de géologie, elle conduit le petit équipage dans l'étendue de terres sauvages qui l'entoure, plus de 15 kilomètres carrés de nature préservée. Suivant le chemin, enneigé et non entretenu, qui mène aux bâtiments principaux, un spectacle désolant les y attend.
- Qu'en pense-tu Noah ? demande William en voyant s'approcher le cheval de Noah et de Chimey à sa hauteur.
- Je te mentirais William si je te disais que tout va bien. Je ne me sens pas à l'aise ici. Pas un danger immédiat mais il y a un murmure Stotelss je ne sais pas où.
- Il y aurait des Stotelss ici ! s'étonne Kaïra assise devant le commandant.
- Ouvrons l'œil, déclare Arianna qui les a entendus et qui prend son arme.
William et Chimey l'imitent. Ayanha regarde autour d'elle d'un air incertain, puis ralentie sa monture pour être en troisième ligne derrière Noah et Chimey. Arianna ferme la marche. Noah tend son esprit vers Veena qui ne se manifeste pas plus qu'avant. « C'est le troisième jour que tu n'es pas là, Veena. Tu m'inquiètes Tenstei. Si tu as besoin de moi, je suis là ». Silence.
Le regard triste, Kaïra découvre que les bâtiments sont à l'abandon, l'un d'eux porte des signes d'incendie, recouverts de neige nouvelle, et des graffitis peuplent les murs vides des façades. Les mots « traîtres » et « menteurs » avoisinent le « A » des anarchistes. Les espaces de laboratoires d'enseignement, bâtiments isolés en un îlot, sont complètement détruits, l'équipement ayant été lancé au travers des fenêtres brisées. La vieille bibliothèque, qui faisait l'orgueil de générations de professeurs, n'est plus qu'un amas de bois vernis entassé sous des tonnes de briques rouges et de ciment. Les livres épars, figés dans des gangues de glace et de neige, ne serviront plus jamais à instruire ou transmettre le savoir.
Tandis que leur cheval se faufile entre la bibliothèque et les laboratoires, William se penche vers Kaïra :
- Était-ce ainsi quand tu es partie ?
- Non, pas du tout, murmure-t-elle d'une voix blanche. Ce lieu était une oasis de paix dans ce monde de fous. Allons plus loin, là où se trouve mon labo.
Et elle conduit le groupe à petit pas, dans la neige qui scintille sous les pattes des chevaux. Ils contournent une petite colline puis entrent dans un arboretum, où les oiseaux piaillent dans les branches des résineux. En apercevant un site près d'un petit ruisseau où des mangeoires sont bien garnies et des boules de suif pendent aux branches d'une sculpture faite dans un vieux tronc d'arbre foudroyé, Kaïra retrouve le sourire :
- Ludvig... souffle-t-elle en pressant le pas de son cheval.
Ils arrivent enfin en vue d'un long bâtiment, bas de toiture, enseveli sous la neige qui le couronne. Une pancarte bancale et taguée annonce en façade : « Institut de géologie. Séminaire de biologie vétérinaire ». La jeune noire arrête son cheval devant l'entrée principale et en descend avec hâte. Elle se précipite vers la grande porte à deux ventaux mais elle constate vite que celle-ci est barricadée, tout comme l'ensemble des fenêtres de la devanture. Pas de vandalisme ici, mais des planches de bois rendent aveugle le bâtiment et des chaînes cadenassés entravent les accès. William y détecte des traces d'impact de balles et de ce qui lui semble être des explosifs. En y regardant mieux, il constate que les fenêtres n'ont plus de vitraux. Sous le regard des autres cavaliers, la géologue va d'une fenêtre à l'autre, puis dans un même mouvement, se dirige vers le côté droit du bâtiment et disparaît de leur vue. Après une attente d'une dizaine de minutes, William, impatient, s'apprête à descendre de cheval pour la suivre, mais sortant d'une palissade sur leur gauche, deux hommes les mettent en joue avec des carabines :
- Plus un geste ! dit le premier en tenant fermement son arme devant lui, un doigt sur la gâchette. Descendez de cheval doucement.
- Noah ? murmure William en levant les mains - et son arme mistrale - dans les airs.
- Ça va, répond le jeune homme en élevant ses mains vides alors que Chimey rengaine son arme et l'imite. Rien à signaler. Mon malaise ne vient pas d'eux.
- Veena ?
- Absente.
- Silence ! jette l'homme en s'avançant quelque peu.
William observe son vis-à-vis. Il semble savoir ce qu'il fait. Tout son être est de muscles et de nerfs. Le blanc de ses yeux contraste avec le mulâtre de sa peau et il observe tous les détails des quatre montures devant lui. Il pose un regard intéressé sur les armes que William et Arianna ont toujours en main. L'homme est habillé en civil mais porte les bottes réglementaires de soldat, tout comme sa carabine automatique qui révèle son origine militaire. Dans son cou, sous le t-shirt noir et le mauvais chandail de laine usée – mais n'a-t-il pas froid vêtu ainsi ? – le commandant devine la chaîne portant les deux plaques d'identification du soldat de bataillon.
- Entendu, je vais descendre mais mon arme est à ma main, déclare Biron en tendant sa main droite au-dessus de sa tête. Je pourrais la jeter au sol mais... par les temps qui courent, je ne veux pas risquer de laisser la glace envahir son système... Une arme est rare.
- Sintros, désarme-les, ordonne le pseudo soldat.
- Pourquoi moi ? balbutie le grand aux traits pâles, derrière ses lunettes et son bouc rouquin, décidément loin du typique soldat.
- Parce que c'est moi qui a en mire le Barbu, répond-il, ce qui fait tiquer William.
Le grand blond, plus tremblant que menaçant, soupire et obéit. Rendu près du cheval de William, il semble impressionné par la hauteur de l'animal. Pointant le canon de sa carabine de chasse vers le cavalier d'une main, il tend l'autre. Biron abaisse doucement son bras et dépose l'arme mistrale dans sa main.
- Prend en soin, c'est une denrée rare, souffle-t-il puis il ajoute en voyant les doigts tremblants qui s'en emparent : Ne t'en fais pas, elle n'est pas chargée.
Sintros se recule, puis avisant Arianna qui lui tend son revolver, après en avoir fait tomber sa charge et la balle du canon, il récupère aussi ce matériel. Il vient pour retrouver son chef mais Chimey lui fait signe de s'approcher avec un clin d'œil en lui tendant aussi une arme Mistrale. Après un œil incertain sur son compagnon, le blond va chercher l'offrande puis il jette un œil sur Noah qui lui désigne ses mains vides, puis le même manège se produit avec Ayanha. Les mains chargées, il retourne près du premier homme.
- Nous voilà désarmés, clame William calmement. Laisse-moi descendre l'ami. On va pouvoir trouver un terrain d'entente.
L'homme ne cille pas. William se laisse glisser de cheval. Il s'étire le dos tout en remontant ses mains en l'air. L'autre le met en joue avec insistance, avec un air mauvais et un grognement, apparemment surpris par ces gestes imprévus.
- Ne t'énerve pas. La Barbe grise étire ses vieux os ! Ces ballades ne sont pas de mon habitude.
- Qui êtes-vous ? Pourquoi êtes-vous ici ?
- Vois-tu, nous venons de bien loin. C'est une amie qui nous a conduit ici.
- Qui c'est ? interrompt le blond.
- Personne ne vient plus ici en ami, réplique le soldat en lançant un œil noir vers Sintros.
- Elle se nomme...
- Ludvig !
À ce cri, tous se retournent. Les visages du soldat et du blond expriment la stupéfaction puis la joie. Sintros, posant négligemment les armes au sol, se précipite vers Kaïra qui s'empresse de lui sauter dans les bras.
- Mais c'est pas vrai : Kaïra ! Dan c'est Kaï ! répète-t-il en embrassant avec bruit les deux joues de la jeune fille qui sourit à pleines dents.
- Oh Dan ! dit-elle ensuite en allant rapidement poser se mains sur le bras du soldat. Pose cette arme, ce sont mes amis.
L'homme hésite puis, après une courte réflexion, il abaisse subtilement son arme mais surtout il remet la sécurité. Le soldat regarde Kaïra en plissant davantage ses yeux qui se résument à des fentes noires. Les hommes de la Montagne Bleue poussent un soupir. La tension tombe.
- Je suis si contente de te voir moi aussi, ironise la femme en le regardant avec de gros yeux.
- Tu réponds d'eux ?
- Sûr... Allez !
L'homme ébauche un petit rictus puis remet sa carabine en bandoulière pour enlacer Kaïra un instant.
- On ne croyait plus te voir tu sais Kaï ?
- Moi non plus. Ils m'ont sauvé. Venez, je vous présente.
Tous sont descendus de cheval et Kaïra fait les présentations. Lorsqu'elle présente le «Commandant », le soldat tressaille et fixe William qui le regarde sévèrement avec autorité, jouant le jeu.
- Un Commandant ? puis il se met au garde-à-vous et effectue un salut militaire : Major Dan Breton, monsieur, du cinquième régiment de la Capitale.
- Commandant William Biron, répond l'ex-commissaire en le saluant, de la division de la Montagne Bleue, rajoute-t-il, inspiré.
Ses compagnons le toisent d'un air surpris, puis un sourire flotte sur le visage de la Barbe grise :
- Enfin, oui... Je crois que j'aime bien cette appellation.
- Oui, j'avoue que c'est bien trouvé, répond Arianna, complice.
- « La » Montagne Bleue ? questionne Ludvig surpris. Celle près de Pemplinn ?
- Oui, confirme Kaïra. On en vient.
- Mais c'est à quoi ? Deux cent kilomètres ? doute Daniel. De plus la zone est bouclée.
- Pauvres Appaloosa ! déclare Ludvig en caressant les naseaux de l'un des chevaux.
- Nous avons seulement descendu le flanc nord de la Capitale avec les chevaux, corrige Ayanha. Avant, nous avions des motoneiges. D'ailleurs, j'aimerais savoir si vous avez un endroit pour soigner et laisser reposer les chevaux. Ils sont transis.
- Oui, bien sûr, réponds Dan. Nous avons une étable qui servait à l'élevage et l'étude des bovidés.
- Ils devront partager les lieux avec deux vaches et un veau, note Ludvig.
- Le petit de Prunelle ? interroge Kaïra avec un sourire.
- Oui, je l'ai aidé à vêler il y a trois mois, répond Ludvig fier de son coup. Du coup, je n'ai pas pu me résoudre à partir d'ici. Je me sens une responsabilité. Le petit, il a besoin de nous.
- Ah les vétérinaires... souffle Dan. Des cœurs tendres.
- Et alors, t'es bien content de m'avoir pour veiller sur votre santé, hein ?
- Les gars, on aimerait bien allez au chaud là, les interromps Kaïra. Les accès au bâtiment principal sont tous condamnés ?
- Oui, on doit passer par l'étable ou le silo. Par sécurité.
- Suivez-nous ! ajoute Dan en les précédant sur la gauche du bâtiment.
Ils récupèrent leurs armes et le suivent en tenant les chevaux par la longe. Enfin, ils auront un peu de chaleur après cette longue chevauchée. Noah respire calmement alors qu'il sent son intuition tressauter comme un vieux disque ébréché.
« Tu me fais signe Petit, si tu as des précisions, d'accord ? » fait la voix de William dans son esprit. Noah lève les yeux vers Biron qui lui fait signe de la tête. Mais comment fait-il ? Veena est encore absente. Or, le jeune homme a toujours pensé que le commissaire utilisait les talents de Veena, relief d'un apprentissage avec Elros et Pentaa. Il devra en avoir le cœur net un jour, mais ce n'est pas le moment : Ayanha, derrière lui, le pousse à avancer avec son cheval.
*****
Les quatre chevaux soignés et bien au chaud, les nouveaux arrivants sont conduits par des passages barricadés vers l'arrière du bâtiment principal. Ce dernier se révèle bien plus vaste qu'il n'y paraît de l'extérieur. Mais les lieux manquent visiblement d'entretien et d'utilisation. Ludvig et Dan leur expliquent que ce bâtiment sert de paravent à leur présence. Ils les conduisent ensuite vers le silo, transformé en place forte depuis moins de six mois. Le Major Breton explique qu'il possède aussi un sous-sol assez vaste, dédié à l'origine pour l'étude sismologique et géologique. C'est un lieu stratégique pour les protéger. En effet, utilisant des substances radioactives pour ces études, le silo est pourvu de cloisons antiradiations et d'espaces confinés et hermétiques à la fine pointe de la technologie, ce qui semble intéresser grandement Chimey. Les étages, quant à eux, ont été remodelés pour en faire une place forte que l'on ne peut prendre en embuscade.
Malgré l'atmosphère de bunker qui règne dans les étages inférieurs, il y fait bon et chaud. On leur assigne deux chambres avec des lits superposés, qui accueillaient à l'origine les étudiants en stage. Ils y déposent leurs effets. Noah sent un malaise grandissant lui couper le souffle et conserve son arme, imité par William et Arianna qui ont observé son manège. Noah caresse un instant Veena qui lui semble moins distante depuis quelques instants, mais toujours aucun contact réel.
Dan les précède ensuite à un étage supérieur, vers une petite cantine où se retrouvent quelques personnes que Kaïra s'empresse d'aller saluer en compagnie de Ludvig. Le Major Breton demeure avec les cinq membres de la division de la Montagne Bleue. Ils les invitent à se servir à même un petit buffet déposé sur une table. Ils ne se font pas prier.
Une fois qu'ils se sont installés, réchauffés et rassasiés, William entame la discussion :
- Vous n'êtes pas vétérinaire si j'ai bien compris ?
- Non, je suis géologue, spécialiste des plans aquatiques et de l'exploitation des ressources naturelles. J'ai connu Kaïra et le Pr Doowning lors de l'élaboration du protocole d'analyse du barrage de Rouan. J'ai alors quitté la région au sud du Fleuve et je suis venu par ici.
- Et l'armée là-dedans ?
- Une lubie de jeunesse. Je n'avais pas les moyens de me payer l'Université. Alors j'ai servi dans les forces de surveillance des frontières, en échange d'une place sur les bancs sacrés. L'armée m'a donné une éducation, une formation et un rythme de vie. Elle m'a empêché de mal tourner, comme tout l'entourage de ma jeunesse. Mon service m'a même permis ensuite de compléter ma maîtrise en exploitations minières et environnement. J'ai donné mes cinq ans, puis j'ai demandé à être dégradé.
- Major ?
- Oui, il y a cinq ans, sourit Dan. Mais dans l'âme, je crois qu'on reste toujours soldat lorsque l'expérience se révèle positive.
- Oui, je suis d'accord, sourit William en songeant à son expérience et à celle de Tomas.
- Et la division de la Montagne Bleue ? Un nouveau bataillon secret ? Jamais entendu parler.
- Normal. Et c'est tant mieux. Savez-vous ce qui se passe dans la région de la Montagne Bleue ?
- L'épidémie ? Oui. Les frontières sont fermées. Il y a eu des soulèvements contre les restrictions.
- C'est votre conception de la situation ou ce que vous en avez entendu ? questionne William en plissant les yeux.
- ...
- Honnêtement ? ajoute Biron en remarquant le regard concentré de Noah sur le soldat.
- C'est ce qu'on nous raconte, finit par lâcher Dan. Mais on n'est pas dupe. Depuis que le Pr Doowning a été ostracisé et emprisonné... On s'est un peu coupé du monde. Vous avez vu l'état des bâtiments de l'accueil ? C'est pour cela qu'on s'auto séquestre ici. On a été attaqué aussi : on s'est organisé, armé et on s'est fait oublier. On recueille des gens comme nous, en marge de la normalité. Mais nous sommes des fantômes et on veut le demeurer. C'est pour ça qu'on vous a accueilli l'arme au poing.
- Nous ne sommes pas ici pour vous divulguer, n'ayez crainte, rassure Biron. Nous sommes aussi des ombres. Si vous vous cachez : on vous menace ? Votre idée à vous c'est quoi ?
- Je crois que tout n'est que mensonge, dissimulation, explique le soldat avec une voix grave. Je sais que c'est gros... La région de Pemplinn et de Rotts est isolée, on ignore ce qui s'y passe. Vous êtes les premiers que je rencontre depuis... Tout cela part du barrage de Rouan, des véritables événements d'il y a 20 ans. Enfin, c'est l'idée ... générale. La certitude de certains.
- Vous êtes nombreux ici ? demande Noah, toujours mal à l'aise pour une raison qu'il ignore.
- Une vingtaine environ, répond-il puis il rajoute : Mais que venez-vous faire à la Capitale avec des armes et des chevaux ?
- Nous devons nous rendre au Parlement, dit franchement William, sans tenir compte de l'œil méfiant de Noah. Toute la région du bassin versant du fleuve est en danger. On doit donc en discuter avec un haut dirigeant de la Capitale.
- Ils ne vous écouterons pas ? soupire Dan.
- Nous avons des arguments de poids, réplique Arianna.
- Et il n'y aura pas grand monde au Parlement.
- Mais pourquoi ? demande Chimey.
- Vous débarquez de quelle planète les gars ? s'exclame Dan en s'esclaffant bien fort, attirant les regards vers eux. Mais c'est Noël après demain !
William et ses amis demeurent interdits et se regardent. Ils ont oublié de tourner les pages du calendrier. Noël ... Tous les parlementaires sont en congé. Kaïra s'approche d'eux avec Ludvig et d'anciennes connaissances.
- Commandant, je dois vous présenter tous ceux qui sont ici. Je les connais tous ou presque. Nous pouvons leur faire confiance ! Et devinez qui est ici ? demande-t-elle avec un grand sourire.
Devant l'air ahuri de William, elle poursuit :
- La grande physicienne Mannie Strich, spécialiste en structures des barrages hydroélectriques. Elle m'a grandement aidé dans mes recherches il y a cinq ans. Elle est une sommité en ce domaine depuis bien longtemps. Je suis heureuse qu'elle soit ici, ajoute Kaïra ravie, elle apportera du poids à nos propos.
- J'en suis bien aise, lui sourit William, mais tu savais que c'était Noël ?
- Dans deux jours, complète Arianna.
- Vraiment ? Déjà ?
Un sourire s'épanouit sur son visage alors qu'elle glisse un œil vers Ludvig.
- Je t'avais dit que je reviendrais avant la nouvelle année, non ?
- Vous allez pouvoir fêter avec nous, répond ce-dernier avec entrain. Bon ce ne sera pas comme les années passées au labo, mais on sera bien, vous verrez. On a même décoré un peu dans la salle commune là-haut. On a quelques jeunes avec nous, donc on tente de rendre cela plus festif.
Les hommes de la montagne Bleue n'en reviennent pas de la naïveté de Ludvig.
- Tu sais Ludvig, le reprend Dan, je crois que nos nouveaux amis ont un peu l'esprit décalé.
- Ben quoi, Noël c'est Noël ?
- Dans tous les cas, revoir Mannie sera pour moi un beau cadeau, déclare Kaïra.
- Elle ne saurait tarder, j'ai demandé à ce qu'elle vienne nous retrouver ici.
Sur ces paroles, la porte s'ouvre, retenue par un garçon d'à peine une dizaine d'années.
- Justement la voilà, annonce Ludvig alors que Dan se lève pour accueillir les arrivants.
Noah a toujours l'esprit qui bourdonne et un grand frisson lui parcourt l'échine alors qu'il se retourne pour saluer la nouvelle venue. Il aperçoit une maigre silhouette assise bien droite dans un fauteuil roulant, dont les membres inférieurs sont au chaud sous une couverture bleue décolorée. Le haut du corps est chétif, bien emmitouflé sous une ample veste laineuse à capuchon, ce qui protège son corps et sa tête du froid, et du regard de Noah. Poussée par une fillette aux traits ressemblant à ceux du garçon, la chaise roulante passe le pas de la porte :
- Greg et Gina, vous êtes mes jumeaux préférés ! déclare une voix chevrotante mais agréable, avec un léger accent inconnu. C'est très gentil de m'accompagner ainsi. Sans vous je ne sais pas ce que je ferais.
- Mannie, la prochaine fois, c'est Gina qui ouvre les portes et moi qui pousse, d'accord ? plaide le garçon en recevant une grimace de sa jumelle.
La dénommée Mannie, tout en ôtant le capuchon de sa tête, pivote sur elle-même pour étreindre une des mains de la fillette :
- Ton frère fera le pilote au retour, d'accord Gina ? commence-t-elle, mais en voyant l'air apeuré de la petite fille, qui fixe un point devant le fauteuil, elle se retourne vivement.
Sa tête glabre et disproportionnée fronce son regard noir sous les triples crêtes qui se rejoignent entre ses yeux. Elle fixe le jeune homme devant elle, qui tient une arme connue pointée vers elle et les enfants. Elle ouvre de stupeur sa mince bouche ornée de petites dents.
- Non, non ! Vous allez les blesser ! Je vous en prie, plaide-t-elle.
Dans un geste automatique de protection, elle repousse Greg derrière son fauteuil et lève ses quatre bras devant eux en signe de paix.
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