11- La Fourmilière

Je me rappelle avoir fait une recherche sur la structure des grandes sociétés de notre monde et d'avoir surpris ma classe en faisant mon exposé sur la fourmilière. Mon enseignant a froncé les sourcils et mes compagnons de classe ont commencé à rigoler tout bas. Mais, finalement, par ma présentation, j'ai réussi à prouver la grandeur de ces êtres qui, grâce à leur organisation, leur discipline et leur entraide peuvent soulever l'équivalent de montagne pour leur petite grandeur. C'était une leçon d'humilité. Mais, il demeure qu'un simple filet d'eau peut toujours détruire, en un temps record, une fourmilière... ou une société humaine.

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      Une semaine plus tard, l'après-midi touche à sa fin. Dans le Centre, les Mistrals et leurs alliés sont en rencontre élargie. Autour de la table ovale se trouvent des responsables de différents milieux : soins de santé, mécaniciens, armuriers, ressources alimentaires, protection des civils, communications et autres domaines. Ces réunions sont ouvertes dorénavant, accessibles à tous ceux qui désirent être informés et se révèlent de plus en plus populaires. Des gens s'installent en périphérie et écoutent attentivement. Aussi, pour éviter le désordre, des gardes sont aussi présents mais il n'y a eu aucun débordement jusqu'ici. Les gens se contentant d'être attentifs aux échanges et au besoin ils sollicitent une prise de parole ou une rencontre subséquente avec William ou une autre des représentants assit à la table. Yohan a commencé aussi à émettre des communiqués journaliers assez brefs sur les ententes et décisions prises lors de chaque réunion. Cette méthode permet d'informer adéquatement tous les rescapés afin que chacun participe positivement à l'organisation de la Montagne Bleue.

      En cette fin de journée, le but est de transmettre le plan de riposte envers ce qu'ils qualifient maintenant d'invasion des Stotelss. Vu les barrières dans les communications, il est toujours impossible pour les réfugiés de la Montagne Bleue de savoir si l'action ennemie se limite à la région du bassin versant du fleuve ou si elle est plus vaste. En écoutant William leur résumer les divulgations faites par Miwan, tous ont pris brutalement conscience qu'ils ne pourront rester longtemps sans réagir. La menace du plan des Stotelss semble planer sur l'ensemble du territoire de l'est du continent, depuis la taïga boréale jusqu'à la rive plus au sud du fleuve. On ne peut plus se contenter de survivre en attendant que les choses se calment mais il faut agir pour les arrêter.

      Les détails rapportés par William ont laissé, pendant plusieurs jours, tous ses auditeurs estomaqués. Dévoilés par Miwan, les plans d'attaque des Stotelss visent en effet les quatre principaux barrages situés le plus en amont des affluents du Grand fleuve. Des charges explosives - à la sauce Stotelss - seront installées à des endroits stratégiques pour chacun des quatre barrages. Leurs explosions simultanées provoqueraient l'inexorable inondation d'un immense territoire plus au sud. Bloquant ainsi la voie navigable du Grand Fleuve, annihilant les ressources énergétiques de toute les régions, brisant la cohésion de toutes les villes et surtout, noyant plusieurs centaines de milliers d'habitants, cette inondation serait une catastrophe qui livrerait toute la côte est du continent. De plus, les Stotelss pourraient, comme ils l'ont fait dans les villes de Pemplinn et de Rotts, moyennant une bonne mise en scène et une habile manipulation des médias et du Web, réussir à se faire passer pour les sauveteurs et gardiens des résidus de la société qu'ils auraient préalablement détruite. Les Rescapés de la Montagne Bleue réalisent qu'ils ont peu de temps pour réagir car le plan ennemi est en marche, c'est ce que Miwan a pu détecter dans l'esprit de ses empoisonneurs avant de fuir.

      L'ancien espion des Stotelss n'est toujours pas présent, car il est trop faible et on lui impose une inconscience artificielle pour aider son corps à combattre le poison. Cela laissera davantage de temps à Saraï pour tenter d'isoler la substance chimique étrangère dans son sang et pour synthétiser un antipoison. La fille de Miwan, Ayanha a été recueillie par Chimey et elle ne quitte plus la tibétaine d'une ombre. Elle est d'ailleurs présente, attentive et quelque peu ébahie par tout ce qu'elle découvre, n'ayant connu que la quiétude de la maison familiale, avec son élevage de chevaux et de moutons. Ici, tout est pour elle sujet de questionnement, mais elle observe et écoute attentivement. Elle porte un sage regard sur tout ce qui se passe. Noah garde souvent une parcelle intriguée de son esprit tendue vers elle mais force lui est de constater que la jeune fille aux yeux mauves sait très bien couvrir sa conscience d'une barrière de remous qui gêne le jeune Étolias dans ses approches. Il en est donc réduit à utiliser ses sens et à les interpréter avec son intuition. Ce-dernier ne lui donne aucune information raisonnable sur le lien pouvant exister entre Gabby et Ayanha. Des yeux...

      Cependant, en ce moment, l'attention de Noah est entièrement consacrée, comme le lui a demandé Biron, à analyser les réactions personnelles des gens présents. Les auditeurs de William, lequel achève de rappeler brièvement le récit de Miwan, ont conservé un silence lourd et attentif. Noah ne perçoit aucun dissident. Ils s'efforcent surtout d'assimiler les informations qui leur sont transmises et nombre d'entre eux s'appliquent à trouver des façons d'aider. Il y a bien quelques trouillards qui analysent la possibilité de s'enfuir, mais tout compte fait, le jeune homme ressent bien qu'ils ne quitteront pas la montagne Bleue. Ils ne représentent pas un danger de divulgation par maladresse. Cependant, Noah en glissera un mot à Jonas, le chef des gardes, pour qu'il les installe en un lieu plus sécuritaire pour eux et pour l'ensemble des rescapés. Là où leurs compétences personnelles pourront être mieux exploitées, où ils ressentiront un sentiment d'utilité et de sécurité.

William se tait, son rappel terminé. Un silence flotte.

- Nous n'avons donc plus le temps de s'attarder à consolider davantage nos positions plus qu'elles ne le sont déjà, déclare Yohan. Si on attend trop...

- On aura fait tout cela pour sauvegarder notre seule petite existence, complète Chimey. À notre altitude, nous serions les seuls survivants.

- Ce qui resterait de notre société fera du surf sur le dos, jette ironiquement Tomas.

- Tomas ! reproche Linadar.

- Ben quoi ? C'est une image qui parle, non ? réplique le rouquin.

- Pas très classique mais... vrai, Lieutenant Jeffrey, murmure William.

Un silence suit ces déclarations. Chacun réfléchit.

      William se lève et se met à arpenter l'espace autour de la table. Il s'arrête et les regarde. Ses amis de longue date, ses compagnons, la femme qui lui a ouvert son cœur, les descendants, les nouveaux venus. Tous lui ont accordé leur confiance et il ne doit pas défaillir face à l'épreuve qui vient. Il se dirige vers le mur du fond où les écrans projettent un plan détaillé de la grande région de la Montagne Bleue, avec ses montagnes, les cours d'eau, le fleuve, les villes. Chimey a annoté ces plans de symboles représentants les campements Stotelss, les fameux centres d'hébergements et les endroits où se retrouvent des regroupements d'ennemis. On y voit les sous terrains, les entrées, les passages et beaucoup d'autres informations.

- Allons-y en ordre, reprends William. Vous m'avez tenu au courant de l'évolution de vos différents domaines, mais il me manque certaines informations de dernière minute. Yohan, Chimey, la station est-elle camouflée suffisamment pour représenter un refuge pour ceux qui s'y trouvent ?

- Je peux vous affirmer que la Station est invisible sur les radars et tout appareil de détection, répond Yohan avec un franc sourire vers Chimey. Je ne croyais pas y arriver aussi vite et bien.

- Très bonne nouvelle, acquiesce William. Linadar, qu'en est-il des cartes des sous-sol et de leur exploration ? Jusqu'où peuvent-ils nous mener vers l'extérieur de notre territoire ?

- Ils sont très vastes ces passages, soupire-t-elle. On a envoyé des sentinelles mais l'exploration n'est pas finie. Comme vous voyez, en vert sur la carte, ce sont les passages sûrs. En jaune, les inconnus et en rouge les dangereux : soit qu'ils sont trop à découverts ou écroulés. Le portrait est incomplet. Pour les inconnus, on devra se fier aux renseignements fournis par nos alliés du Commissariat de Rotts; informations qui datent malheureusement car le Commisariat n'est plus... Au fur et à mesure de nos déplacements, nous devrons autant que possibles communiquer l'état des passages.

- Communications Yohan ?

- Que de bonnes nouvelles, les ondes croisées (OC) sont en effet applicables et facilement cryptées. Une centrale de liaison a été installée et un communicateur vous sera donné dès que vous quitterez l'enceinte de la base. Éventuellement, chaque personne le désirant pourra en avoir un avec lui de manière permanente. Une équipe des communications est en place pour vous informer. Elle sera sous la direction de Stephen Laurent, un ancien électronicien que Chimey a formé et qui a actuellement une petite équipe de cinq membres pour l'épauler.

- Besoin de renforts, monsieur Stephen ? demande William en se tournant vers un homme svelte, très pâle, quasiment chauve et portant des lunettes à monture blanche.

- Certainement monsieur William, répond ce-dernier. L'appel est lancé. On doit pouvoir équiper tous ceux qui en auront besoin. Et on gérera la liaison entre vous tous. Les OC permettent bien des types de liaisons, que ce soit de personne à personne ou en groupes. De plus, les ondes croisées, comme nous les avons modifiées, nous permettent de partager de images fixes, comme les plans que vous voyez à l'écran. Vous recevrez chacun un numéro de liaison qui vous identifiera et que nous utiliserons pour gérer vos communications. Voilà en bref ce que ça donne. Et oui, des ajouts à l'équipe seraient bienvenus, s'il y a des intéressés...

- Merci Stephen. Tomas, les motoneiges ?

- Bonne nouvelle, elles ont été trouvées. Elles sont en train d'être remises en état par les mécanos sous la supervision de notre ingénieur mécanique, Ulrik Torin.

Un homme à la carrure imposante, portant sa chevelure noire attachée avec un cordon de cuir, s'avance vers William et lui tend la main.

- C'est un honneur de vous rencontrer Commissaire Biron, déclare l'homme avec un fort accent russe. Je suis très fier de pouvoir vous dire que nous avons réussi à remettre en marche onze des vingt-cinq motoneiges que nous avons découvertes dans un sous-sol. C'est une technologie puissante mais qui devait être améliorée par un peu de simplicité, avouons-le. Je me suis donc permis de les modifier pour leur permettre de nous rendre de meilleurs services. Elles vous amèneront ainsi à plus de trois cents kilomètres avant d'avoir besoin d'une recharge solaire et ce, même à des températures très froides.

- Trois cents kilomètres avec une recharge solaire ! s'étonne William. Quel type de pile prenez-vous donc ?

- Une pile solaire issue de ma famille, mon ami. La pile Torin. Les hauts dirigeants des instituts technologiques, et même les industries, ne voulaient rien savoir de mes inventions. Sûrement à cause de mon manque de formation et ... aussi de mes antécédents de champion aux combats extrêmes depuis mon arrivée dans votre pays. Je savais pourtant que ma pile serait révolutionnaire. Mais il faut dire que mon accent en décourageait plusieurs. J'ai travaillé sur cette pile avec mon père depuis que je suis mal'tchik, gamin, dans la ville de Koursk, en Russie. Puis à sa mort, il m'en a légué les plans. Je n'ai pas de vrai formation en ingénierie, mais tout ce que je sais, mon père et mon grand-père me l'ont enseigné. La vraie école. Je suis heureux de les partager avec vous tous qui m'avez sauvé la vie, ainsi qu'à ma femme et mon fils, Stanislas.

      Un jeune adolescent, copie conforme de son père, en grandeur et en chevelure, s'avance aux côtés du géant russe et serre la main de William.

- Bien heureux de vous compter tous deux parmi nous messieurs Torin. Grâce à vous, la Montagne Bleue ne manquera plus d'énergie et nous pourrons nous déplacer plus rapidement. On m'a dit grand bien de vos compétences, quoiqu'en aient dit les autorités précédentes. Si vous avez besoin de quelque chose...

- Puisque vous en parlez Commissaire Biron, reprend Ulrik en tenant fortement l'épaule de William. Les machines ont besoin de carburant ou d'une quelconque source d'énergie. Eh bien, le digne descendant de Piotr Torin manque cruellement de vodka, comprenez-vous ? Alors, s'il venait à votre connaissance de l'existence d'une bouteille - ou deux - de cette eau des steppes, je vous serais redevable. Car le vin d'arbre, c'est bien bon mais c'est un peu faible n'est-ce pas ?

- Je m'informerai monsieur Torin, répond Biron avec un sourire amusé et il a droit à une accolade musclée du russe. Vous me voyez rassuré de vous avoir avec nous.

      Un certain brouhaha s'installe dans l'assemblée pendant que William réfléchit en assemblant dans sa tête toutes les informations reçues. Tout en se déplaçant, il se rapproche de Noah, puis fixe son regard dans les yeux émeraude du garçon :

- Et puis ? demande-t-il en donnant une caresse sur la tête de Veena.

- Il vous suivront tous où que vous vouliez, Commandant.

- « Commandant » ?

- Oui, répond Noah avec un sourire et un regard appréciateur. C'est ainsi que l'on t'appellera dorénavant, Commandant William Biron, tout comme les esprits de ces hommes et femmes, de toutes origines, le font déjà lorsqu'il pense à toi.

      William se retourne et fait face à la foule. Le silence s'installe peu à peu. Il les observe et se parle en lui-même : « Ils n'ont jamais voulu de moi dans l'armée à cause des opinions politiques de mon cher avocat de père. Eh bien, de commissaire, te voilà commandant ! Et ces gens représentent possiblement l'avenir des habitants de ce côté-ci du globe ! Y en a-t-il d'autre comme eux ? Sommes-nous les seuls ?... Du calme Biron. Amène-les là où il se doivent d'être. » Il croise le regard de Noah et de son alter ego, il ressent un chatouillement dans sa tête. « N'aie crainte Petit. Cesse de vouloir vérifier si je vais bien. On dirait ton père ! » pense-t-il en ouvrant sa barrière mentale. Noah écarquille les yeux à l'entendre si clairement communiquer avec lui, ce qui fait sourire William. « On a du chemin à parcourir et votre rôle à tous les deux sera primordial. Tu me gardes tout ce petit monde en observation... mentale. Et tu me feras un rapport ensuite. Entendu ? » William voit Noah opiner de la tête et Veena se concentrer en elle-même. Il prend une grande inspiration, se fixe devant l'écran principal et leur confie son ébauche de plan :


- Bon voilà ce que je vous propose pour contrecarrer les plans des Stotelss :

      Malgré toute notre bonne volonté, si nous voulons réussir à sauvegarder ce qui reste de la population de l'est du continent, nous devons aller chercher de l'aide des territoires voisins et intervenir aux barrages ciblés. D'un autre côté, pour la protection de tous les rescapés de l'invasion et ceux à l'extérieur de notre territoire, nous devons faire réagir le gouvernement.

      Nous enverrons donc deux équipes. Une première auprès de la communauté responsable des barrages et une autre auprès de notre gouvernement.

      Près des barrages, soit nous aurons à les convaincre de la gravité de la situation et à obtenir leur aide ; soit les Stotelss y seront déjà et il faudra agir avec force et subtilité afin d'infiltrer les lieux et les empêcher d'agir. L'équipe formée pour cette mission sera donc armée et assez nombreuse. Elle aura entre les mains des preuves à présenter mais surtout des armes pour défendre les barrages ou encore pour arrêter l'ennemi dans ses manœuvres.

      Vers la Capitale, l'équipe sera plus restreinte car elle devra s'infiltrer et se rendre jusqu'auprès du cabinet. Il semblerait que les dirigeants ont bien été bernés par les manœuvres de désinformation des Stotelss, puisqu'aucun représentant gouvernemental ne s'est manifesté depuis les attaques de Rotts et de Pemplinn. La version officielle est que notre région est inatteignable depuis les malheureux événements et sous quarantaine depuis l'éclosion de la grippe féline. Et les Stotelss se font passer pour une firme de santé nationale, mandatée pour le gouvernement pour restreindre l'épidémie. On pourrait même en déduire que le gouvernement a lui-même été infiltré par les Stotelss. L'équipe envoyée devra vérifier l'ingérence ou non de l'ennemi dans le cabinet et l'en soustraire ou encore, convaincre les hauts dirigeants, voire le premier ministre directement, de notre version de la réalité et de l'urgence d'agir. Il faudra promouvoir l'évacuation de tout le territoire en aval des barrages et la nécessité de nous donner accès aux barrages du nord, s'ils en ont encore la possibilité. Nous espérons aussi recevoir un appui des forces de l'ordre, voire de l'armée.

      Comme vous le constatez, dans les deux cas, l'existence des Stotelss devra être révélée.

- William, le code des Gardiens ... interromps Linadar en lançant un œil vers Yohan et Gabby qui réagissent aussi.

- Je sais, nous en avons discuté. Mais je constate que, même si je sais que cela contrevient au code des Gardiens de Mistral, l'ennemi ne nous laisse pas le choix. Tout comme l'existence des Stotelss et des Mistrals a été expliquée à tous ceux qui ont intégré la Montagne Bleue, il nous faudra éventuellement le révéler à tous les Terriens pour leur propre sauvegarde.

- Pour une révélation à grande échelle, réplique Tomas, il nous faudra plus que l'intervention d'une Aywas pour convaincre de notre santé mentale.

      Veena et Noah le regardent fixement et l'Aywas lui lance un feulement. Tomas en levant une main pacifiante vers Veena, les regarde en soulevant les épaules :

- Oui, ce que vous faites est phénoménal mais sera insuffisant pour convaincre le commun des mortels de l'existence de vie extraterrestre. Moi-même, j'ai bien cru que l'on me menait en bateau au début. Soyons honnête : oui, les Stotelss sont puissants/méchants mais ceci ne prouve en rien qu'ils viennent du fond de la galaxie...

- Tu as raison Tom, répond Linadar songeuse. J'ai d'ailleurs une petite idée là-dessus, mais je dois vérifier quelques points essentiels auparavant. Je vous en reparlerai, ajoute-t-elle avec un sourire malicieux vers William.

- Entendu, lui répond William puis il rajoute, en balayant l'assemblée des yeux : Si vous n'avez pas d'autres remarques ou questions, nous ...

- Commandant ? s'élève une voix du fond de la salle. Puis-je déposer une demande ?

- Bien sûr, approchez-vous ! répond Biron en se retenant de réagir à l'appellation de « Commandant » alors que Noah lui lance un regard expressif du style : « Je te l'avais dit. ».

      Une jeune femme à la peau noire, emmitouflée dans un manteau de laine polaire rouge et un long foulard de laine noir enroulé autour du cou s'approche. Elle enlève son bonnet noir, libérant sa chevelure de jais coiffée en une multitude de longues et minuscules tresses.

- Je me nomme Kaïra St-Aimé. Je suis géologue de montagne et glaciologue. J'ai aussi travaillé pour la Centrale de Rouan lors de sa remise en marche il y a cinq ans. Mon rôle était de vérifier la solidité réfractaire des voûtes du barrage suite aux attaques d'il y a vingt ans et d'en modéliser les impacts environnementaux suite à un bris.

- ...

- Ce que j'essaie maladroitement de vous demander, c'est de faire partie de l'équipe qui ira tenter de convaincre les dirigeants du gouvernement du danger qui flotte littéralement au-dessus de nos têtes. Je suis capable de prouver avec des simulations assez précises l'impact du bris d'un de ces barrages sur le territoire de notre province, ses villes, ses infrastructures, ses écosystèmes et sur sa population.

- Pour un barrage seulement ? demande William.

- Et bien disons que c'était un scénario catastrophe à l'époque.

- Là on a un quadruplé de catastrophes... murmure Tomas.

- Donc, Madame St-Aimé... commence William.

- Kaïra c'est mieux... Commandant.

- Bien Kaïra, reprend William avec un sourire. Je retiens votre candidature qui se justifie amplement.

William serre la main de Kaïra, puis il s'adresse de nouveau à l'assemblée devant lui :

- C'est aussi le même message que je vous adresse et qui sera transmis sur tous les terminaux et éventuellement sur les communicateurs OC, par les soins de Monsieur Stephen, à l'effet que nous avons tous besoin... de tout le monde.

Le Commandant de la Montagne Bleue voit Stephen Laurent activer ce qu'il reconnaît comme un enregistreur. « Cet homme est sérieux dans ses engagements. » pense-t-il. « Alors, continuons notre message, il sera bien retransmis. Moi qui n'aime pas parler aux foules, je n'ai pas chaussé les souliers les plus faciles à porter. Elros était meilleur que moi pour cela. Mais c'est moi qui ait été désigné. Et ce message doit être fait, sinon, nous n'y arriverons pas. Pas si nous ne sommes pas unis. Allez, courage... » :

- Vous avez tous donné vos qualifications et intérêts lors de votre arrivée à la Montagne Bleue et c'est ce qui nous a permis de faire l'organisation de quarts de travail efficaces. Nous sommes de plus en plus nombreux et la base de la Montagne Bleue est de mieux en mieux organisée, de plus en plus sécuritaire. Cependant, les événements nous bousculent. Nous ne sommes plus à organiser notre cachette, notre survie; à attendre de voir venir le calme, de voir partir les Stotelss. Car, cette fois, ils semblent bien vouloir rester et finir ce qu'ils ont commencé. Nous organisons notre riposte pour ne plus se laisser faire, ne plus subir mais agir. Face à l'évolution de notre situation et de notre approche, si vous désirez vous impliquer dans un autre domaine ou si vous pensez avoir des renseignements ou des idées pouvant nous aider, n'hésitez pas à contacter l'un ou l'autre des responsables. Nous avons besoin de toutes vos capacités.

      Regardez autour de vous, voilà nos ressources, nos forces, nos espoirs. Les femmes, les hommes et les enfants qui nous entourent sont notre avenir, notre soutien, notre grande famille. Oui, nous sommes peu mais de plus en plus nombreux. Oui, nous avons tout à construire mais nous en avons déjà fait des miracles, avec si peu. Oui, nous sommes menacés mais nous allons tout faire pour protéger ce monde qui est le nôtre. Oui, nous sommes tous si différents, avec plein de peurs, d'incertitude et de défauts mais nous tous unis, rien ne peut nous résister. Car nous nous liguerons contre la menace et ce peu importe notre origine et notre passé. Chacun de nous porte une parcelle du tout, du niouk comme disait mon ami Elros... Car ce n'est que tous ensemble, en unissant nos capacités, nos forces et nos volontés que nous pourrons réussir à vaincre l'adversité.

      La fin du discours de William est accueillie par une salve d'applaudissement alors qu'il se dirige vers l'ensemble des auditeurs pour serrer des mains. Son discours a su enflammer et encourager les cœurs et les esprits. Noah vient lui faire une accolade et lui déclare :

- Ils sont tous avec toi, jusqu'au bout. Il nous en casse le cerveau depuis que tu leur parles.

- Et toi Noah Eeltor Hias ?

- En avez-vous douté Commissaire...Commandant ?

- Pardon de vous interrompre, les coupe Chimey en prenant tendrement William par le bras. Je voulais vous dire félicitations pour votre déclaration... Commandant, ajoute avec malice la jeune femme.

      Le nouveau commandant se penche vers la jeune femme pour lui murmurer quelques mots à l'oreille. Derrière Chimey, Noah aperçoit Ayanha qui le regarde timidement et lui lance un petit sourire. Le jeune homme lui sourit en retour en la détaillant encore. Il admire son teint si doux et la façon qu'elle a de le regarder. Il ne peut lire en elle mais son instinct lui dicte qu'elle lui est plus proche qu'il ne croit. Même sa Aywas semble du même avis, subjuguée...

      Mais le sourire de Noah s'éteint lorsqu'il aperçoit Gabby qui tente de le rejoindre dans la foule. Oui, vive les différences et de plus, les origines peu communes semblent être chose fréquente dans leur communauté... mais Noah ne peut comprendre le mensonge et la dissimulation. Miwan a avoué ses origines Stotelss dès les présentations. Il ne s'est pas caché. Mais Gabby... Il semble être le seul à la voir comme elle est, grâce à son lien avec Veena. Sans celle-ci, il aurait été berné comme les autres.

      Encore éloigné de Noah par une partie de la foule, Gabby le fixe désespérément de ses yeux d'améthyste. Le jeune homme secoue la tête, baisse les paupières et se détourne en aidant Veena à reprendre place dans son manteau. Il s'éloigne ensuite vers la sortie d'un pas décidé. La femme reste plantée dans la foule l'air triste et abattu. Lorsque Yohan s'approche d'elle, elle trouve du réconfort dans ses bras. 

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