8- L'oeil du ciel
Qui peut savoir à l'avance son destin ? Les prédicateurs, les cartes du ciel, les lignes de la main, les prémonitions, les boules de cristal ... Non ! Notre destin se fabrique à chacun de nos pas, de nos décisions. Nous sommes souvent contraints pas les événements, mais il demeure que nous conservons le libre arbitre de choisir le chemin de notre destinée. Chaque décision que nous prenons, chaque rencontre qui nous est accordée, chaque geste que nous posons... Nous devons nous faire confiance et avancer dans notre voie... Celle de notre avenir.
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Lorsque Noah reprend conscience, il ressent des picotements aigus dans son cou. Il y porte la main et ses doigts rencontrent la douce texture plumée-poilue de son alter ego. Le jeune homme grogne de mécontentement, encore très engourdi par son long sommeil.
- Veena ! Laisse-moi.
Mais l'Aywas ne l'entend pas ainsi et ose lui planter un peu plus fort ses pattes griffues dans son cou. Noah se redresse brusquement, ce qui envoie bouler Veena sur les genoux du jeune homme. Pour s'empêcher de tomber, la petite créature enfonce fortement ses griffes dans le pantalon et la peau de Noah, stoppant sa chute.
- Aïe ! Non, c'est pas vrai ! crie l'humain. Tu dois trouver un autre moyen de te retenir à moi. Cela fait mal !
Noah découvre son genou, en remontant son pantalon, et y aperçoit six petits trous sanguinolents, desquels pulse une douleur lancinante. L'Aywas s'en approche et regarde son Tenstei d'un air confus.
- D'accord, ce n'est pas entièrement de ta faute, répond Noah à son amie télépathe. Mais...
L'Aywas se penche vers les blessures et y pose sa patte. Les blessures guérissent alors dans le temps de le dire, sous les yeux étonnés de Noah.
- Étonnant ta trousse de premiers soins ! Oui, ça va mieux, merci. Et oui, je sais que je peux penser pour te parler, mais je ne trouve pas cela facile, ni très naturel. Laisse-moi le temps de m'habituer. D'ailleurs, arrête de gratouiller dans ma tête comme tu le fais !
Noah fixe son Tenstei un long instant en soulevant les sourcils.
- Voilà, c'est mieux, soupire-t-il. D'accord, maintenant que tu as toute mon attention et que mon cerveau est réveillé, on y va là où tu me dis qu'il se passe quelque chose d'important, rajoute le garçon en se passant la main dans les yeux, essayant de chasser les dernières traces de sommeil.
- J'ai l'impression d'avoir dormi un bon bout de temps, déclare-t-il puis il fronce les sourcils en fixant son amie. Quoi ? Une journée complète ! Et tu me dis ça le plus naturellement du monde ? réagit vivement le jeune en se levant d'un seul coup.
Veena se retrouve projetée vers l'avant et c'est par réflexe que Noah la rattrape dans sa main droite. L'Aywas a rétracté ses griffes mais son pelage luit de peur. Elle s'accroche ardemment après les doigts de son alter ego.
- Désolé ! murmure Noah en la serrant contre sa poitrine pour la calmer. Tu es si petite ! J'oublie ta grandeur vu ton fort caractère ! ajoute-t-il avec un petit sourire, ce qui fait couiner de protestation la créature.
- Eh bien, voilà que tu t'exprimes quand on te choque !
Veena le regarde dans les yeux et lui administre un discours silencieux. Noah incline la tête, à l'écoute, mais se tait. Il lui fait un sourire et caresse un instant la tête de son amie. Il se penche sur le lit de camp et, parmi les couvertures, y prend son manteau et l'endosse rapidement. Il en ouvre le pan intérieur gauche et le désigne du menton. Veena ne se fait pas prier et s'engouffre dans la poche intérieure qui possède une ouverture à la hauteur de la poitrine du vêtement, munie d'un bouton. Noah le déboutonne et Veena peut alors y sortir sa petite tête, aux longues oreilles pointues, pour observer le monde de ses grands yeux verts. Elle pousse un soupir satisfait.
- Voilà qui est mieux pour toi ET pour la sensibilité de mes nerfs peauciers !
Le jeune homme prend alors la direction d'un couloir qui l'amène dans une autre pièce où se retrouve alignées de nombreuses tables entourées de chaises. Ils y trouvent des plateaux de nourriture emballée. Noah choisit un sandwich bien appétissant dans une pellicule brillante et, après consultation de Veena, il lui tend une pomme. L'Aywas la prend de ses pattes avants et y croque avec un plaisir évident, tout en lançant un regard lourd de reproche à l'humain.
- Non, désolé mais je suis de type carnivore ! Tu en penses ce que tu veux. C'est bien beau les principes, mais mon corps à besoin de viande pour vivre.
À ces mots, l'Aywas se replonge dans la poche du manteau avec son fruit, tout en émettant un murmure critique. Noah mord dans son repas improvisé avec appétit et il a tôt fait de le terminer. Alors qu'il se décide à prendre lui aussi une pomme, il avise une petite bouteille. Mordant dans le fruit, il prend la bouteille et la débouche pour la renifler. Du vin d'arbre. Il enlève la pomme entamée de sa bouche et en approche le goulot pour en prendre une gorgée. Veena présente vivement sa truffe en dehors de la poche, Noah la regarde, moqueur :
- Vas-tu me reprocher de prendre aussi du vin d'arbre ?
Veena le regarde en tendant son museau.
- Ah d'accord, c'est bon pour toi ! répond-il avec un sourire. Mais si une gorgée nous suffit, toi ce sera... Oui, tu as raison : une goutte.
Il trempe son doigt au goulot et l'approche de la bouche de l'Aywas qui la lèche goulûment. Un bien-être les envahit et les deux amis voient leur engourdissement s'évaporer. Noah vient pour remettre la bouteille là où il l'a prise mais, il se ravise, et la met dans la pochette intérieure droite de son manteau. « Ça peut servir. » pense-t-il et il ne perçoit aucun reproche de Veena.
Ils traversent un long couloir au murs rocheux, où l'on peut apercevoir çà et là des pans de glace miroitante qui réfléchit leurs silhouettes comme un miroir déformant. L'air n'est pas si glacial pourtant. Oui, frais et vif, mais on y ressent la pureté de l'air hivernal. Le sol est relativement lisse, il a été aplani par la main de l'homme ou par l'usure de multiples pas. Les deux alter ego dépassent d'autres couloirs ainsi que des portes de bois grossier, derrière lesquelles Noah se demande bien ce qu'il peut s'y trouver. Il n'y a pas de fenêtre. Pourtant, une lumière diffuse permet de voir assez distinctement autour de soi, baignant les lieux d'une clarté lunaire. Noah ne sait pas vraiment où il se dirige. Il s'en remet aux consignes de Veena et à son instinct.
Mais bientôt, il peut aussi se fier à son ouïe, puisqu'il entend un brouhaha éloigné. Un peu inquiet, mais de plus en plus curieux, il passe l'arche d'une porte métallique ovoïde et ouverte qui ne peut qu'être artificielle. L'ouverture donne sur un petit couloir, bas de plafond, où Noah voit une multitude de commandes sur le mur, accompagnées de symboles inconnus. Baissant la tête pour traverser ce qui lui semble être un sas, il se retrouve dans une très large pièce au murs droits et au plafond parcouru de conduits argentés et de fils de toute sorte. Au loin, le long des murs, des écrans muets, des panneaux de commandes éteints et bien d'autres objets dont il ignore la fonction. Empilés dans des endroits précis, des boîtes de stockage, des machines mystérieuses ou encore d'intriguants articles technologiques qu'il n'a pas le temps d'observer.
Veena a repris sa place en observatrice, à la sortie de la poche du manteau. Noah penche la tête vers elle, écoutant son discours silencieux.
- Un vaisseau tu dis ? dit-il en arrondissant les yeux.
C'est la bouche ouverte qu'il promène alors un regard nouveau sur cet environnement. Il se croit dans un film... Ou un rêve.
- Non, je vais bien, répond-il en sentant un frisson lui parcourir l'échine. Oui, je me sens un peu... bizarre. C'est vrai... qu'après tout ce que j'ai vu et entendu depuis 24-48 heures, rien ne devrait plus me surprendre tu sais... Mais ça... ajoute-t-il en se grattant la tête et en poussant un soupir.
Il poursuit son chemin, allant vers l'origine des voix. Au fond de la pièce, il emprunte un escalier argenté qui l'amène vers un autre espace, plus restreint mais encore plus incroyable. On y retrouve une vingtaine de sièges pivotants, recouverts d'un tissu noir, installés devant des consoles recouvertes d'écrans, de manettes et d'appareils électroniques divers.
- « Droit devant Monsieur Sulu. » murmure pour lui-même Noah, puis il jette un œil sur l'Aywas :
- Non, non rien ! Une drôle d'idée, ça va, répond-il avec un sourire en coin.
Les alter ego s'avancent dans la salle. Il s'y trouve dispersées, assises ou debout, isolées ou en petits groupes, une cinquantaine de personnes. Il semble y régner une agitation fiévreuse. Noah ressent leur peur, leurs doutes, leur inquiétude. Il y en a aussi qui sont plus sereins, habitués. Parmi ces-derniers, Noah aperçoit Linadar et Tomas, et se dépêche d'aller vers eux. Il croise nombre de gens, adultes et enfants, qu'il ne connaît pas mais, surpris, il y voit aussi des hommes et des femmes qu'il a côtoyés à Pemplinn ou entrevus à Rotts. Certains le saluent de la tête mais, graduellement, la plupart fixent leurs yeux sur un point. Ils sont nerveux et mécontents. Il y a de petits attroupements, où les gens discutent à voix basses en jetant des coups d'œil quasi haineux vers les autres. Rendu près de Linadar, qui l'accueille avec un sourire crispé en lui prenant le bras, Noah suit leur regard à tous et voit, au fond de cette salle, une petite coursive surélevée. Il y reconnaît avec soulagement William, accompagné d'un homme svelte et chauve, étranger pour Noah. Le silence s'installe graduellement, alors que William tend les bras pour avoir l'attention. Noah se penche à l'oreille de ses deux compagnons
- Hey !
- Noah, enfin te revoilà parmi nous ! glisse à mi-voix Tomas.
- Qui est avec William ? Que se passe-t-il ? chuchote le jeune.
- C'est Yohan, répond Linadar. Gabby ne doit pas être loin non plus.
- Ce qui se passe ? réplique le rouquin. Bien, ce qui doit se passer quand des Terriens s'enfuient ou se font tuer sous la menace d'armes inconnues. Et... qu'ils se font protéger grâce à d'autres armes inconnues. Et... qu'on les sauve en les amenant dans un lieu bizarroïde, dans les entrailles de la montagne qui surplombe leurs villes depuis toujours !
- William et Yohan ont choisi la voie de la franchise, ajoute Linadar. J'ose espérer qu'ils vont gagner leur pari.
- Quoi ? Les gens ont peur ?
- Non, ils ne les croient pas, point, répond Tomas. Ils sont furax. Ils croient à une action militaire ou terroriste contre les villes côtières. L'histoire des Mistrals cachés parmi eux, ou encore dans un ancien vaisseau Stotelss dissimulé dans la montagne... ne semble pas leur plaire.
Noah observe autour de lui ces hommes et femmes. Leur regard n'est pas apeuré mais furieux. Certains tentent même d'atteindre l'estrade, le tumulte gronde. William tente de reprendre la parole :
- S'il vous plaît, restez calme ! Je dois encore vous expliquer bien des choses. Nous devons nous organiser !
- Nous organiser ? crie un homme, oui c'est ça que vous faites bien ! La centrale est détruite par votre faute à vous, les gens de l'ordre publique !
- Oui, je vous connais Biron : toujours là à fouiner où est-ce qu'il ne faut pas ! rajoute un autre, et William constate qu'il perd le contrôle de la foule qui s'agite de plus en plus.
- Mais là, que faisiez-vous loin de Pemplinn ? Il n'y avait même pas un seul contingent de policiers pour nous aider !
- Et ceux que j'ai vu, ils ont refoulé la grande majorité de la population au port, près de la centrale avant que tout saute sous mes yeux ! Les gens avec !
- Et ça c'est sans compter leur inaction quand le pont vers Rotts s'est effondré !
Noah ouvre de grands yeux. La centrale a sauté, celle de Pemplinn, près de sa maison ! Le pont n'existe plus ! Il est sous le choc. Les Stotelss ont décidément envahi la région, se faisant passer pour des représentants de l'ordre.
Il voit alors l'homme chauve, Yohan, qui tire William pas le bras, tentant de le faire retraiter en sécurité, mais l'ex-commissaire se libère et demeure bien droit face à la foule. Tomas et Linadar jouent du coude pour se rapprocher de l'estrade. Le géant ne se gêne pas pour bousculer les gens et Linadar se faufile habilement entre eux. Ils tentent d'aller rejoindre William pour l'épauler car la situation dégénère davantage. Noah décide de les suivre, pendant qu'il entend William qui tente de s'expliquer :
- Calmez-vous ! crie-t-il en levant les bras devant lui. Écoutez, nous vous avons amené ici où vous êtes en sécurité ! D'autres habitants de Pemplinn et de Rotts viendront bientôt. Nous allons vous protéger.
- Non ! C'est encore un mensonge ! crie une femme, aussitôt approuvé par plusieurs. Vous allez nous repousser ou nous enfermer dans un coin, avant de tous nous tuer !
Cette remarque soulève un tollé grandissant et des cris ponctuent cette intervention. La cohue s'installe et des remarques fusent de toutes part.
- Vous essayez de nous endormir l'esprit avec vos histoires d'une soi-disant technologie alienne qui va nous permettent d'assurer notre sécurité contre de méchants envahisseurs ! rajoute un homme imposant armé d'une carabine. Moi je dis assez ! Je suis convaincu que vous nous mentez et que c'est une manigance du gouvernement central pour reprendre le contrôle de nos villes côtières. Vous voulez le monopole de l'accès au fleuve.
- J'ai eu ma sœur au téléphone, hier soir, avant l'arrêt des communications, tonne un homme. Aux infos, ils ne disent rien de tout ce que vous nous racontez ! Ils expliquent que c'est un bris électrique qui a causé l'explosion au port et l'arrêt de la centrale.
- Vous n'êtes que des saboteurs et des manipulateurs ! crie un autre.
- C'est un rapt ! Une séquestration ! tonne un autre.
- Vous voyez, répond fortement William, les Stotelss contrôlent l'information. Ils nous isolent. Ils nous montent les uns contre les autres.
- Moi, tu vas voir si je vais t'isoler, menace l'homme à la carabine en mettant en joue William.
Mais, il n'a pas le temps d'achever son geste que Tomas et un policier le maîtrisent. Mais cette esclandre a mis le feu aux poudres ! C'est la bousculade et la bagarre. Certains se reculent le long des murs et tentent de s'enfuir ou de protéger leurs enfants, mais un mouvement se forme, menaçant les orateurs sur l'estrade. Les gens se poussent, tombent et certains se retrouvent au sol, en danger d'être piétinés. Malgré les efforts de Yohan qui tente de le faire reculer, William tente désespérément de reprendre la parole pour calmer la foule. Tomas, au milieu de l'agitation, son arme Mistrale en main et dirigée vers le plafond, s'apprête à donner un coup de semonce. Apparaît alors sur l'estrade, se faufilant devant les hommes, Noah qui, dans ses mains tendues devant lui, tient l'Aywas, comme une offrande au public. Une lumière vert bleu irradie de la créature et attire tous les regards. Noah a les paupières closes et le visage en nage, pendant que l'Aywas fixe de son regard d'émeraude les humains devant elle. Les rayons de lumière s'intensifient, on dirait même que les yeux de Veena deviennent lumineux. Ensuite, des cris de douleur fusent, alors qu'une onde stridente parcourt la salle et fait se courber en deux tous les spectateurs, en épargnant le porteur. Les armes ne peuvent plus être tenues, les poings ne sont plus serrés. Chacun se retrouve centré sur sa propre souffrance pendant quelques instants. Puis, cela cesse abruptement et la salle retrouve un épais silence. William, étonné, se redresse et scrute le jeune Étolias. L'homme chauve près de lui pose un regard de gratitude envers l'Aywas. Tomas range d'une main tremblante l'arme dans son étui, ses yeux accrochant le regard de Linadar. Il se dirige précipitamment vers elle pour la prendre par la main et l'aider à se relever.
D'une voix calme et forte, qu'il ne se reconnaît pas, Noah, ouvrant son regard vert qui semble luire tout autant que celui de son Tenstei, prend la parole :
- Voici la preuve de l'exactitude des propos tenus par cet homme. Aucune créature de ce monde ne peut faire ce que vous venez de vivre. Ni ce que vous vous apprêtez à vivre. Alors, contrôlez vos humeurs et acceptez la vérité. Pour ceux qui ne voudraient pas collaborer ou qui espèrent perturber la poursuite de cette assemblée et de ces projets, je me dois de vous exprimer toute ma déception, mais vous ne resterez pas conscients bien longtemps. Nous ne pouvons vous laisser nous empêcher de progresser et de vous protéger. La vérité est demandée !
Noah a terminé son bref discours. Il referme ses yeux et semble se concentrer envers son Tenstei. Veena inonde la pièce de lumière bleuâtre et toutes les personnes présentes ressentent un grattement dans la base de leur cerveau. L'homme à la carabine a repris son arme et s'apprête à viser Noah mais, tout aussi vite, il se retrouve inconscient au sol. Quelques hommes et femmes subissent rapidement le même sort, majoritairement ceux qui ont engendré l'esclandre, sans qu'ils aient nécessairement eut le temps d'esquisser de nouveau le moindre geste menaçant. Une minute est passée, l'Aywas cesse de luire et retourne rapidement dans les bras de Noah qui, douloureusement, réouvre ses yeux et sent ses jambes flageoler. Il tombe à genoux, protégeant l'Aywas dans ses bras.
- Veena ! appelle-t-il, malheureux en voyant la créature trembler et les yeux mi-clos.
- Ça va aller, lui dit Yohan accroupi près de lui. L'Aywas reprendra des énergies bientôt et toi aussi. Voilà un tour de force que je ne suis pas prêt d'oublier.
Noah regarde autour de lui. Il voit des hommes qui transportent ailleurs ceux qui se sont écroulés sous la force mentale d'inquisition de l'Aywas. Yohan suit son regard et approuve de la tête. L'homme aide Noah à se relever avec un grand sourire qui s'épanouit sur son visage. Puis il rajoute, en prenant le jeune homme par les épaules :
- Je suis Yohan Tansar Baar, lieutenant éternel de ton père, Noah Eeltor Hias. C'est une joie indescriptible de te retrouver enfin. De plus, j'imagine que voici Veena, ton Tenstei, descendante de Pentaa Guhtr Bree, alter ego de Elros.
Yohan porte alors sa main à son front puis la pose sur celui de Noah, encore enduit de sueur, et refait le même geste envers Veena, toujours à demi-inconsciente. Noah, qui peine encore à reprendre son souffle et ses esprits, le regarde faire sans trop comprendre. Il entend William reprendre la parole vers la foule maintenant silencieuse et calme. Il parle de Veena et des Mistrals, de résistance face à l'ennemi, d'organisation, d'implication de tous et de protection de chacun. Le discours devient flou dans les oreilles du jeune homme alors qu'il sent des bras fermes qui le soulèvent, lui et Veena, et les transportent loin de l'estrade, loin de l'organisation que peut enfin accomplir William.
*****
Noah sens qu'on le porte dans un endroit plus calme. Du vent frais inonde son visage, le rafraîchissant. On le dépose sur un siège moelleux. Les bras qui l'ont porté ne le quittent pas cependant et continuent de le soutenir par les épaules. Quelqu'un lui remet son bonnet sur la tête. Il réalise qu'on essait de prendre Veena et instinctivement, il referme davantage ses bras sur elle.
- Ne crains rien, dit une voix féminine et un peu rauque. Je ne veux que placer l'Aywas au chaud dans ton manteau.
Noah acquiesce en entrouvrant les paupières et il détache son manteau afin d'aider à y installer son Tenstei, bien à l'abri, dans sa poche intérieure. La même main, a déniché avec un gloussement la bouteille de vin d'arbre. Le jeune homme ressent qu'on en porte le goulot à ses lèvres. Il en boit une gorgée, réalisant qu'il est affamé et assoiffé.
- Doucement jeune homme. Tu devras te sustenter avec autre chose que cette mixture si tu veux tenir la route ! ricane la voix aux accents bas et mélodieux.
Noah réussit à garder ses yeux ouverts. Il observe les deux personnes près de lui. L'homme, c'est Yohan, donc cette femme ?
- Gabby ?
- Et oui, je suis Gabby Jornas Denn, gardienne des Mistrals.
Et Noah la voit réaliser le même salut effectué par Yohan plus tôt. Il reste subjugué par ses yeux au couleur d'améthyste qui le fixent tendrement. « Comment passer inaperçue avec de tels yeux sur cette terre ? » s'interroge-t-il. Il se redresse ensuite, s'éclaircit la gorge et demande :
- Pourquoi suis-je si fatigué alors que nous avons dormi si longtemps, Veena et moi ?
- La prise de contrôle de tous ces gens, pour une si jeune Aywas demande beaucoup d'énergie. Elle a littéralement épuisé la sienne et a ensuite pioché dans tes propres ressources.
- Elle est incroyable, murmure Noah. Je comprends mieux maintenant quand elle m'a dit s'excuser pour ce qu'elle allait faire.
Puis il pose sa main sur le bras de Gabby et en les regardant tous les deux :
- Je suis très honoré de vous rencontrer enfin, Gabby Jornas Denn et Yohan Tansar Baar. Il me tardait de vous rencontrer. Mais.... Noah lève les yeux au-dessus de leurs têtes. Où sommes-nous ?
- À mon endroit préféré de toute cette base dans la montagne, soupire Gabby en levant les yeux vers le ciel qui apparaît dans une ouverture circulaire dans le plafond rocheux.
- Oui, le mien aussi, rajoute Yohan, on l'appelle l'Œil du ciel.
- C'est magique, chuchote Noah, les yeux émerveillés.
Au-dessus d'eux, par la lucarne naturelle, de forme arrondie de près de dix mètres de diamètre, on voit le ciel étoilé. Sur les arêtes du cratère, le vent pousse parfois des lames de cristaux de neige qui étincellent tel une poudre magique dispersée dans la nuit, remplissant la cavité d'un scintillement d'argent. L'air est vif et cristallin. On croirait presque entendre le tintement des longs glaçons qui ornent le contour de l'œil rocheux ouvert sur les cieux. Le fond du cratère est tapissé d'une épaisse couche de neige immaculée où la moindre parcelle de lumière semble se refléter à l'infini. Noah et ses compagnons, près de la paroi, sont installés sur un gros rocher plat sur lequel on a disposé de chaudes couvertures onctueuses pour les protéger du froid. Le jeune Etolias sent alors que Veena s'agite et il voit sa petite tête ébouriffée qui sort par l'ouverture de son manteau. Il prend la bouteille de vin d'arbre et lui en sert une goutte avant de la ranger à nouveau dans son manteau. Veena s'extirpe alors en entier du manteau protecteur, s'installe sur les genoux de Noah et secoue son pelage tout en s'étirant félinement. Ensuite, elle regarde les deux Mistrals qui accompagne son Tenstei. Ceux-ci la saluent avec révérence comme Yohan l'a fait plus tôt. Veena les regarde de ses yeux doux et des luminescences irradient dans sa fourrure. Noah ressent alors une vague d'affection immense pour ce petit être et se sent honoré d'établir ce lien avec elle. Les yeux dans ceux de Veena, il se concentre et tente de lui envoyer son sentiment. En réponse, la bouche de Veena semble esquisser un sourire et un doux ronronnement se fait entendre. L'Aywas tourne alors sa tête vers le ciel. Les trois humanoïdes font de même.
- Que c'est beau ! chuchote Gabby en posant sa tête sur l'épaule de son compagnon Yohan.
Dans le ciel, on peut voir des rideaux de lumières qui se diffusent et se déplacent en ondoyant et en modifiant sans cesse leurs trajectoires et leurs teintes. Se reflétant sur la neige du cratère, l'aurore boréale enflamme la couche de neige. Ces lumières magiques semblent se mêler intimement avec le chatoiement des plumes/poils de l'Aywas qui ronronne doucement dans les bras du jeune homme mi-humain, mi-mistral.
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